Par : TORNADO
Trinité, par Matt Wagner
VO : DC Comics
VF: Panini
Cet article portera sur le recueil Trinité (Trinity en VO), entièrement écrit et dessiné par Matt Wagner, avec une mise en couleur de Dave Stewart.
Trinité est une mini-série en trois (longs) épisodes publiée initialement en 2003. L’histoire nous conte la rencontre entre les trois (il n’y a que des « trois », en somme) figures majeures de l’univers DC Comics, c’est-à-dire Superman, Batman et Wonder-Woman.
Epuisé, désormais vendu à prix d’or sur la toile dans sa VF, Trinité constitue néanmoins un excellent point d’entrée pour tous les néophytes puisque Matt Wagner opère ici une relecture de la première rencontre historique entre les personnages.
Puisqu’il nous reste de la place, nous jetterons également un œil sur d’autres créations similaires dédiées à nos héros, notamment celles qui ont été réalisées par Matt Wagner…
Superman, Batman et Wonder-Woman furent les trois premiers super-héros modernes importants de l’Histoire des comics, créés respectivement à la fin des années 30. Matt Wagner décide ainsi de traiter cette rencontre dans un style rétro, qui rappelle l’esprit des pulps de l’époque et semble nous ramener au cœur de la période consacrée. Ce parti-pris fort sympathique assure quasiment à lui-seul l’intérêt d’un pitch par ailleurs assez commun : Le terroriste Ra’s Al Ghul, ennemi récurent de Batman, bien décidé à conquérir le monde, menace de détruire les grandes civilisations. Les trois héros vont donc s’allier afin de déjouer ses plans machiavéliques, dont l’essentiel consiste à détourner des missiles nucléaires sur les satellites, ainsi que sur Gotham City et Metropolis…
La rencontre entre ces trois grandes figures est l’occasion pour l’auteur de démontrer toute l’affection qu’il leur porte et la connaissance qu’il possède de leur mythologie, au point de souligner leurs principaux traits de caractère, qui ne pétillent jamais autant que lorsqu’ils sont mis en parallèle. La noblesse de Superman, le féminisme de Wonder-Woman et l’austérité de Batman se révélant finalement très complémentaires, en même temps que leurs dons respectifs (puissance et altruisme pour les deux premiers, perspicacité et esprit de déduction pour le troisième).
La narration n’est pourtant pas parfaite. Les planches sont constellées de cellules de texte qui exposent souvent les pensées des protagonistes. Il ne s’agit là ni de phylactères, ni de voix-off ; il est souvent très difficile d’en déduire la source et parfois, le mélange avec les dialogues se révèle très confus. Quant aux rapports entre les membres de la « Trinité », ils ne sont pas non plus très subtils et leurs altercations, par moment, portent à sourire.
Si le style graphique de Matt Wagner n’est pas spécialement virtuose (sans effets de réalisme tape-à-l’œil) et frôle souvent l’esquisse, ce dernier nous gratifie néanmoins de très belles planches. Mention spéciale aux majestueuses vues urbaines en pleine-page : Gotham City et Metropolis brillent de mille feux au milieu de cette ambiance « rétro-pulp » ! La présence du coloriste Dave Stewart, qui parvient de son côté à saisir un juste milieu parfait entre les teintes vives et la retenue, baignant chaque planche de couleurs fauves et lumineuses sans jamais les rendre clinquantes, apporte une réelle valeur ajoutée à l’ensemble.
A l’arrivée, Trinité remporte les suffrages. Une histoire convenue et banale, une narration un peu laborieuse, mais une générosité totale doublée d’une excellente caractérisation des personnages qui, alliée à un parti-pris rétro vraiment savoureux et iconique, transporte le lecteur dans un univers merveilleux et intemporel, où brillent les archétypes de l’âge d’or des comics. Une petite douceur qui permettra aux amateurs de retrouver une certaine atmosphère perdue, pleine de candeur et de naïveté enfantine (mais pas infantile !).
A noter la présence de Bizarro, supervilain issu de l’univers de Superman (une sorte de double inversé plutôt… bizarre !), ici employé comme arme de destruction massive par Ras’Al Ghul, autoproclamé terroriste écologiste !
Enfin, notons également que ce travail de relecture, malgré la patine rétro affirmée, aspire à une certaine intemporalité puisque plusieurs éléments (les missiles nucléaires, par exemple), n’existaient pas encore dans les années 30. Soit un équilibre étrange, que l’on retrouvera dans d’autres créations du même genre.
Puisque l’on parle d’autres créations du même genre, le voyage effectué à travers la mini-série Trinité s’apparente, sur bien des points, à celui de Batman/Tarzan: Les Griffes de Catwoman, un elseworld (récit parallèle se déroulant dans une continuité alternative ou un autre espace/temps) paru sous la forme d’une mini-série de quatre épisodes, réalisés en 1999 par le scénariste Ron Marz et le dessinateur Igor Kordey.
Le récit commence par nous exposer la rencontre entre Lord Greystoke (alias Tarzan) et Bruce Wayne (Batman, dans le civil) à Gotham City, lors de l’inauguration du musée d’histoire naturelle de la ville, généreusement parrainé par le second de ces messieurs. Mais lorsqu’une mystérieuse femme déguisée en chat cambriole le musée, les deux aventuriers se retrouvent à lutter coude à coude contre une organisation de trafiquants d’objets archéologiques. Rapidement, leur enquête les mène au cœur de l’Afrique, dans une mystérieuse citée perdue, celle-là même d’où vient la si fascinante femme-chat…
A l’époque de sa sortie, j’avais lu une très alléchante critique sur cette mini-série dans un magazine. Je m’attendais alors à découvrir un excellent récit. Autant dire que de ce point de vue, j’ai été plutôt déçu. Le scénario du vétéran Ron Marz souffre de tous les défauts inhérents aux comics old-school : Grosses ficelles narratives improbables, dialogues ampoulés et caricaturaux, caractérisation des personnages à gros traits avec méchant d’opérette et romance de pacotille, scènes d’action poussives, toile de fond naïve et infantile … Marz met en avant les différences entre ses deux figures archétypales avec la finesse d’un éléphant, insistant tout du long sur l’élément suivant : Tarzan tue, mais Batman ne tue pas, alors ils ne sont pas d’accord, etc. On est très loin des récits plein d’esprit tels qu’Alan Moore a pu nous en offrir dans le registre de l’hommage aux pulps de l’époque, avec Tom Strong par exemple.
Le dessin d’Igor Kordey ne mérite pas non plus toutes les louanges. L’artiste se montre en effet très inégal, offrant quelques images impressionnantes immédiatement contrebalancées par d’autres calamiteuses. Il livre tout de même un travail d’ensemble honorable (meilleur que lors de sa prestation sur les X-men auprès du scénariste Grant Morrison).
Pour autant, on pourra apprécier le premier degré sincère de l’entreprise. Avec un peu plus d’esprit, de finesse et d’élégance, on gagnait un récit à l’esprit pulp du plus bel effet, dans la grande tradition des sérials des années 30 (dans le genre, Iron Man : La quête du cœur , par exemple, valait franchement le détour) et des films avec Johnny Weissmuller. De ce point de vue, on passera tout de même un agréable moment de lecture… façon old school.
Mais si l’on veut trouver des récits abordant l’univers de Superman, de Batman ou de Wonder Woman dans le même esprit pulp que Trinité, il faut regarder ailleurs. Je ne parlerais pas ici de la trilogie réalisée dans les années 90 par les époux Randy et Jean-Marc Lofficier (Superman : Metropolis, Batman : Nosferatu et Wonder-Woman : Blue Amazon) car, étant donné qu’elle demeure hélas inédite en VF, je ne l’ai pas lue. En revanche, je citerais comme des immanquables le Superman : Kryptonite de Darwin Cooke & Tim Sale, ainsi que le chef d’œuvre (absolu ! combien de fois devrais-je vous le répéter, morbleu !) La Nouvelle Frontière , entièrement réalisé par le même – et très regretté – Darwin Cooke. Ces deux créations bénéficiant chacune d’un article sur le blog, inutile de s’y attarder en ces lignes. Notons juste que Superman : Kryptonite opère le même type de relecture intemporelle que Trinité, ce qui donne lieu à quelques passages étranges, où les personnages utilisent des téléphones mobiles là où l’on s’attendrait plutôt à les voir entrer dans une vieille cabine d’antan. C’est d’ailleurs pareil du côté de Marvel, avec des mini-séries (plus ou moins médiocres, par ailleurs) comme Avengers les Origines de Joe Casey & Phil Noto ou Captain America : Un Homme Hors du Temps de Mark Waid & Jorge Molina.
Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin avec les créations du tandem Jeph Loeb & Tim Sale , également chroniquées sur le blog dans les détails…
On peut en revanche ouvrir ici une plus large parenthèse sur deux autres mini-séries réalisées par Matt Wagner et dédiées à Batman, soit Batman et les Monstres (2006) et Batman et le Moine Fou (2007), qui reviennent sur les débuts de l’Homme chauve-souris, lorsqu’il était encore solitaire et mystérieux.
Autant l’avouer : Les relectures des origines de nos super-héros préférés ne sont pas toujours des réussites. Mais parfois c’est le cas, et ce dyptique réalisé par Matt Wagner fait largement partie des meilleures relectures que vous pourrez trouver dans le genre.
L’auteur de Grendel nous propose de revenir sur la première rencontre entre Batman et l’un de ses premiers ennemis historiques : le diabolique Hugo Strange. Cette sorte de remake est par ailleurs l’occasion de redécouvrir l’une des premières aventures du caped-crusader, que les aficionados ont pu lire en VF dans le Batman Archives publié chez Semic, qui regroupe toute la première année de la toute première série dédiée à l’homme chauve-souris. Une version complètement repensée et développée, l’épisode originel étant, avec le recul, plutôt maigre !
Une autre volonté de Matt Wagner semble être de placer son aventure à la suite du Year One de Frank Miller & David Mazzucchelli, dont le style moderne et la forme de narration lui correspondent davantage que les oldies de Bob Kane & Bill Finger. A ce titre, certains trouveront regrettable le fait qu’il parasite la saga La Proie d’Hugo Strange écrite par Doug Moench en 1990, qui proposait déjà une suite directe (et brillante) à Batman : Year One, tout en mettant en scène le même Docteur Hugo Strange. Sur ce point, le dyptique de Matt Wagner vient effectivement lui faire de l’ombre car il lui oppose une véritable continuité distincte…
De ces deux mini-séries qui se suivent, la seconde est probablement la plus réussie. L’ensemble, délicieusement gothique, est de toute manière un pur bonheur, tant l’auteur semble maîtriser son sujet, nappé d’une étonnante atmosphère nocturne et morbide.
Le dessin peut paraître assez approximatif au départ, mais il suffit de se dire que Matt Wagner a voulu rendre hommage au Batman originel des années 30 pour regarder ce style apparemment naïf d’un autre œil.
La valeur ajoutée de Batman et le Moine Fou est par ailleurs due au fait que les méchants, cette fois, sont totalement inconnus au bataillon. Vampires ? Démons ? Secte moyenâgeuse ? Mystère…
Ce Batman de Matt Wagner est donc une grande réussite, dont l’art du découpage, la clarté et la justesse nivellent le récit par le haut, le tout ennobli par une superbe caractérisation des personnages, y compris lorsque l’on observe le quotidien de Bruce Wayne (c’est donc clairement un ton au dessus, en termes qualitatifs, de trinité). Et l’on apprécie de retrouver le Batman des débuts, sans les douze Robin, les huit batgirls et autres batmites…
Un réel bémol cependant, en ce qui concerne la traduction paninienne, complètement à côté de la plaque…
Notre tour d’horizon sur trinité et ses cousins est terminée. Si vous avez aimé, ne ratez pas non plus une autre petite histoire centrée sur Batman entièrement réalisée par Matt Wagner : Faces . Quant à son crossover avec Grendel, ne l’ayant encore jamais lu (il n’est pas non plus paru en VF), je préfère laisser la parole aux spécialistes de la VO…
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#999
Sur un air de Wagner, la sainté Trinité débouche chez Bruce Lit. Revenez ! Nous n’avons pas encore rejoint Sens Commun ! Il s’agit de la Trinité DC : Batman, Wonder Woman et Superman mis en scène par Matt Wagner dans un album aujourd’hui épuisé en VF. Tornado vous en parle quand même !
La BO du jour : C’est un fait Tornado est définitivement coincé entre la nouvelle et l’ancienne école des comics.
https://www.youtube.com/watch?v=Xx1AYIiaXiA
Matt n’est pas tout seul : J’aime bien certains récits dédiés à certains membres de la batfamily (Robin par Dixon, Catwoman par Brubaker, Batgirl Year One, Batwoman par J.H. Williams III), mais quand je lis du Batman, je trouve ça meilleur quand il est tout seul. Dès qu’il y a des Robin, des Batgirl et des Batmites partout, je trouve ça insupportable. Idem pour Superman, bien meilleur tout seul que lorsqu’il y a du Super-gril, du Superboy et du Superchien partout : C’est con, c’est chiant, et c’est exaspérant, de mon point de vue strictement personnel et égoïste…
Catwoman est peut être l’exception pour moi parce que je la trouve plus intéressante quand elle s’embrouille avec Batman que lors d’aventures ou elle est en solo. Je ne suis pas spécialement intéressé par le run de Brubaker sur Cat.
Batwoman oui j’ai aimé aussi, m’enfin limite c’est même plus du bat-universe. C’est un truc bien différent qui a sa personnalité.
Mais ouais quand Batman doit faire le baby sitter de tous ses Bat copains, ça me gave
J’ai lu la seconde histoire : tu as raison Tornado, elle est meilleure. Elle reste tout de même un peu too much mais c’est un parti pris intéressant : d’un univers réaliste de Batman, on arrive dans celui de pulp de base, avec des monstres étranges. C’est assez terrifiant car Wagner est très cru, et même si j’ai toujours beaucoup de mal avec ses visages, il a un trait solide et un découpage impeccable. Une lecture agréable au final mais clairement l’histoire de Batman la moins intéressante que je possède.
C’est marrant car en bonus, il y a les histoires originales de Bob Kane : quel choc de voir de si vieilles bds, très infantiles, avec un dessin quasi approximatif et des récitatifs d’un autre temps ! Wagner a bien tourné son histoire, car à l’origine, celle du Moine Fou est la première, directement suivie par celle des monstres. Lui a fait le contraire, et cela a plus de sens.
Univers réaliste Batman ? Euh…c’est clairement gothique et exagéré avec des méchants du genre monstres d’Halloween. Clowns tarés, freaks en tous genre, dans une ville où il fait presque toujours nuit…
Évidemment si ta référence c’est les films de Nolan…^^
Moi j’ai lu Year One depuis. Et c’était bien^^ J’ai particulièrement apprécié le fait que Miller ne perde pas de temps. ça paraît bizarre de dire que c’est chouette que ce soit court, mais pour ce que ça raconte je trouve ça efficace. Je ne suis pas forcément fan de la décompression lorsqu’il s’agit de raconter les origines des héros.
Oui, je dois avouer que une de mes premières références en Batman est Year One, que j’ai découvert très tôt et qui est immédiatement devenu une de mes bds de chevet (je faisais mes devoirs avec le livre ouvert pour apprécier les planches ! Véridique). C’est réaliste… Je pense même que Nolan s’en est largement inspiré pour faire Batman Begins (qui pour moi n’est pas bon). De même, juste avant, Batman, pour moi, c’était TDKR de Miller.
Par la suite j’ai intégré cette dimension gothique, très récemment finalement, via le run de Morrison et les Batman conseillés par Tornado et JP.
Batman et les monstres est la suite directe de Batman : Année Un. Ce comics introduit le premier super-vilain : Professeur Hugo Strange. Personnellement, je ne le connaissais pas et je trouve que ses origines sont bien amenées. Il y a des combats, du sang et quelques massacres… n’oublie pas le terme ‘monstres’ dans le titre quand même.
Lire la suite sur le blog Lecture DC.
—-> Lire la suite sur https://lecture-dc.fr/hugo-strange-batman-monstres/
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INTRIGUES 4/5
DESSINS 5/5
PERSONNAGES 4.5/5
LES PLUS
La première confrontation de Batman face à du surnaturel
Des illustrations dans la lignée de Batman : Année Un
Des intrigues principales et secondaires qui se recoupent très bien…
LES MOINS
… soutenues par un rythme parfois trop dynamique