Sky Captain and the World of Tomorrow par Kerry Conran
AUTEUR : TORNADO
1ère publication le 29/05/15- MAJ le 02/03/19
Cet article portera sur le film Sky Captain and The World Of Tomorrow. Nous avons pris la décision de garder le titre original puisque la traduction française, « Capitaine Sky et le Monde de Demain », travestit complètement le sens de la phrase. « Sky Captain » est ainsi le surnom d’un aventurier aviateur, et non son grade. Cette petite précision nous ayant paru importante, nous pouvons ainsi débuter la chronique…
Sky Captain and The World Of Tomorrow est un film réalisé par Kerry Conran en 2004. Il s’agit d’un film unique en son genre, sorte de mélange entre le film de science-fiction, le film d’aventures et le récit rétro-futuriste.
C’est l’histoire d’un aviateur aventurier et d’une journaliste d’investigation qui cherchent à élucider le mystère lié à la disparition de plusieurs scientifiques. Depuis le New York de 1939 envahi par des robots géants, la piste va les mener aux quatre coins du monde, à la recherche du mystérieux docteur Totenkopf (littéralement le docteur « tête de mort » !), scientifique et génie du mal, craint et haï par ses pairs…
https://www.youtube.com/watch?v=X5Wcg5m34fw
Un New York rétro plus beau que nature…
Sky Captain and The World Of Tomorrow est un film étrange. C’est à la fois un film parfait, et une œuvre plutôt frustrante !
Conçu d’après un storyboard en 3D, le film de Kerry Conran est l’un des premiers à être entièrement tourné sur fond bleu, tous les éléments étant ajoutés autour des acteurs en phase de postproduction.
L’esthétique du film est incroyable. Les images sont merveilleuses. L’ensemble opère un étonnant mélange de genres qui oscille entre le polar des années 30 et 40 façon Le Faucon Maltais, le film d’aventures à la Indiana Jones (autre saga qui s’inspirait des serials des années 30 et 40), la science-fiction de H.G. Wells tout droit sortie de La Guerre des Mondes, ainsi qu’à un rétro-futurisme maniaque empruntant au « steampunk » (depuis le dirigeable surplombant la ville), et surtout à son successeur à moteur : le « dieselpunk ».
Quelques précisions s’imposent quant à ces histoires de « punk » : Le steampunk est un genre littéraire qui s’inscrit dans un imaginaire rétro-futuriste ancré dans une période précise : La fin du XIX° siècle et les débuts de l’ère industrielle marqués par les machines à vapeur (le terme « steampunk » signifiant littéralement « punk à vapeur », le « punk » étant lui-même emprunté au « cyberpunk » pour causes de similitudes populaires, sciences-fictionnelles, et d’un penchant pour l’anticipation). Il est indissociable de l’ère victorienne et dresse un esthétisme hérité des œuvres de Jules Verne, dans lesquelles on pouvait rencontrer d’éminents scientifiques et autres inventeurs issus de l’aristocratie londonienne en chapeau haut de forme et autre monocle, sous un ciel parsemé de dirigeables et de toutes sortes de machines volantes prêtes pour la grande aventure…
Le « dieselpunk » est le successeur direct du « steampunk ». Il participe du même esprit rétro-futuriste mais substitue à la vapeur les technologies de l’électricité et du pétrole (et par extension des avions). Il se déroule ainsi un peu plus tard, depuis la première guerre mondiale jusqu’au début des années 50, principalement dans le cadre des Etats-Unis. Dans cet esprit, le film Sky Captain and The World Of Tomorrow en devient l’illustration la plus aboutie.
D’une manière générale, tous ces courants sont des sous-genres du « rétro-futurisme », dont le principe consiste à retrouver, à travers une certaine nostalgie teintée de visions surannées rassurantes, les visions science-fictionnelles du passé…
https://www.youtube.com/watch?v=QADSPIQhO6Y
Des robots géants envahissent les rues de New York !
Parallèlement à cette esthétique connotée et ses influences littéraires, le film de Kerry Conran se plait à citer moult références de la culture populaire qui nous indiquent immédiatement l’imaginaire consacré. Ces références ne sont en rien gratuites et illustrent toutes les œuvres qui ont dû être digérées afin que Sky Captain and The World Of Tomorrow trouve son chemin. On commence donc par une sérieuse dose de pulps avec le Doc Savage créé par Lester Dent dans les années 30, auquel le personnage de Joseph « Sky Captain » Sullivan (Jude Law) renvoie directement par son tempérament de héros basique et séminal. On continue par une bonne louche de comics avec le Flash Gordon d’Alex Raymond, ainsi que les serials des années 30 avec sa transposition sur grand écran (Flash Gordon le soldat de l’espace). Fusée cyclopéenne, belle journaliste (Gwyneth Paltrow) et autres savants fous marquant son héritage sans ambiguïté. On poursuit par une série de films avec le King Kong de 1933, cité à moult reprises (une ombre sur l’Empire State Building, une épave de navire baptisé le Venture au fond des mers, un tronc d’arbre servant de pont naturel au dessus d’une jungle préhistorique, etc.).
Certaines références apparaissent en étant ouvertement citées. C’est ainsi qu’un extrait du Magicien d’Oz est diffusé dans une salle de cinéma, tandis que Dex (Giovanni Ribisi), l’excentrique scientifique et compère du héros, lit un pulp de Buck Rodgers. On peut même voir Godzilla faire la une d’un magazine japonais ! Enfin, d’autres clins d’œil sont distillés de manière indirecte. C’est ainsi que le personnage du capitaine Franky Cooke (Angelina Jolie), qui dirige sa base volante avec son bandeau sur l’œil, est une transposition de Nick Fury, un héros des Marvel Comics. Enfin, comme dit plus haut, l’ombre d’Indiana Jones, une autre œuvre postmoderne construite sur les fondations des pulps et les serials d’antan, plane du début à la fin…
Hélas, à force d’embrasser les codes de ses modèles, Kerry Conran, également scénariste de son film et donc auteur complet, embrasse également leurs naïvetés et leur simplicité candide. Cette « simplicité » originelle sera assimilée à du simplisme par plus d’un spectateur, qui ne comprendra malheureusement pas le cadeau qui lui sera adressé.
C’est ainsi que Sky Captain and The World Of Tomorrow essuiera un cruel échec commercial. Après avoir sué sang et eau pendant dix ans d’un labeur acharné, Kerry Conran, dont ce fut le premier et, c’est horrible de l’avouer, le dernier film, devint l’artiste maudit de son genre. Il inventa pourtant le principe du « tout virtuel », dans lequel seuls les acteurs sont réels (pauvres hères jouant devant des écrans monochromes, obligés d’imaginer les décors à venir !). C’est de cette manière que seront tournés quelques années plus tard d’innombrables blockbusters, dont les trois premier segments de la saga Star Wars (épisodes 1,2,3).
Mais le plus cruel, ce qui entérine définitivement son statut d’artiste maudit, c’est que Kerry Conran nous avait offert ici une œuvre indépassable (dix ans de travail, quand même !), puisque, plus d’une décennie plus tard, la beauté et la perfection des images de Sky Captain and The World Of Tomorrow demeurent les plus abouties de l’histoire du cinéma virtuel, comme si elles avaient imposé une limite indépassable. Le film est ainsi devenu une étape, un horizon, une limite au delà de laquelle il n’est plus possible d’aller, exactement comme le furent avant lui le Metropolis de Fritz Lang ou encore le Blade Runner de Ridley Scott.
Quand on y pense, tous ces films qui furent de cuisants échecs au box-office (la liste est longue autour de Metropolis et Blade Runner, à commencer par le sublime Dark City d’Alex Proyas), sont restés uniques en leur genre. Alors que la série des Indiana Jones, la saga Star Wars et le Conan le Barbare de John Milius générèrent un nombre incalculable de plagiats et de sous-produits tous plus mauvais les uns que les autres, Sky Captain and The World Of Tomorrow et ses illustres prédécesseurs dans le registre des œuvres maudites, ne donnèrent le jour aucun pastiche et ont fini par s’imposer comme de véritables œuvres d’art tautologiques et, par extension, de pures et simples œuvres cultes…
Nous l’avons évoqué plus haut avec un certain regret : Sky Captain and The World Of Tomorrow, c’est à la fois un film parfait et une œuvre frustrante.
Effectivement, la simplicité du script, héritée, comme on l’a constaté, des serials et des pulps de jadis, constitue autant la force que la fragilité du film de Conran. En cherchant à retrouver le parfum de ses modèles, notre long métrage n’est pas qu’un hommage aux serials des années 30. Il en est plutôt l’illustration directe, le souvenir qui prend vie. L’expérience fut donc incomprise car ce qui fut jadis cantonné au domaine de la « série B » apparaissait soudain sous le vernis du grand spectacle d’aujourd’hui. Un spectacle suranné remis au goût des dernières trouvailles technologiques.
Ce décalage entre le fond et la forme déstabilisa ainsi le grand public qui ne se sentit pas attiré par la connotation. Et le film demeura un produit réservé aux geeks, comme un produit de la contre-culture marginalisé, que l’on regarde de travers avec méfiance, pour ne pas dire avec mépris, comme on regarde un ado que l’on pense attardé parce qu’il est entrain de lire un comicbook de monstres ou de super-héros…
Le premier degré du script et la candeur du film étaient parfaitement sincères, mais du coup ne possédaient aucun sous-texte particulier. C’est là que l’œuvre se révèle la plus frustrante : Elle n’est rien d’autre que ce qu’elle illustre. Elle est donc passionnante à analyser, mais l’histoire qu’elle raconte n’est finalement pas très palpitante entant que telle !
Il eut fallu que le scénario soit doublé d’un sous-texte particulier, un écho sur l’histoire ou quelque chose de l’ordre de la philosophie, ou encore de la réflexion méta-textuelle (on pense à Metropolis et sa parabole sociétale). Par ailleurs, à force de mettre en scène des personnages connotés, le film finit par les rendre creux. Là aussi, il manque quelque folie, quelque sens du détail, un petit plus. Ces derniers ne sont pourtant pas dénués d’aspérités (le trio amoureux étant particulièrement agressif !), mais il leur manque une aura. Ils sont trop stéréotypés et peinent à sortir de leur moule.Malgré ses défauts, Sky Captain and The World Of Tomorrow demeure un film trop beau et trop attachant pour qu’on puisse lui mettre moins de cinq étoiles. C’est une œuvre qui a besoin de nous, qui a besoin de notre amour. Elle a tout simplement besoin que nous la défendions et que nous portions son étendard afin de lui réserver la place qui est la sienne dans l’histoire du cinéma. Celle d’une œuvre postmoderne qui incarne tout un état d’esprit, propre aux geeks et à la culture populaire, riche de son héritage, fière de son impertinence et de sa marginalité. Une œuvre comme nous, quoi !
Le pauvre Kerry Conran, qui nous a tout donné pour nous l’offrir, mérite au moins ça. Non ?
Quelle déclaration d’amour à ce film, Tornado ! Pour ma part, j’avais totalement oublié son existence et ta chronique donne envie de lui laisser sa chance.
Les définitions du rétro-futur, steampunk et surtout dieselpunk, que je ne connaissais pas, m’ont instruit.
En revanche, j’ai un problème de chronologie lorsque tu dis « C’est de cette manière que seront tournés quelques années plus tard d’innombrables blockbusters, dont les trois premier segments de la saga Star Wars (épisodes 1,2,3). » En effet, en 2004, les épisodes 1 et 2 étaient déjà sortis, non ? Ou alors, il manque un complément circonstanciel de temps dans la phrase : Il inventa pourtant le principe du « tout virtuel »,
Bah mince alors ! C’est la première critique aussi élogieuse que je lis sur ce film.
J’avais vu des images de ce film en zappant par hasard sur des chaines de canalsat, et je m’étais dit « tiens c’est sympa visuellement, c’est quoi ? »
J’étais allé voir sur le net quelques critiques et c’était souvent « bouh…pétard mouillé, tout pourri »
Et je n’ai pas cherché plus loin, je l’avoue.
Je vais peut être essayer de le regarder, ce film. Surtout que j’aime assez les ambiances de style « steampunk » (ou dieselpunk plutôt selon ce que tu dis, qui est un genre dérivé dont j’ignorais complètement l’existence)
Tu mets tout de même en évidence des défauts indéniables, malgré ta note. Mais tu donnes envie de voir le film.
Et sinon ouais, comme JP, c’est parce que le film a duré 10 ans à produire que tu dis qu’il a précédé les Star Wars ? Parce que c’est vrai qu’en 2004, les 2 premiers étaient sortis.
Et sinon, ça me fait plaisir la connotation « sublime » attribuée à « Dark City ». Je dois être le seul dans mon entourage à connaitre ce film, et je l’aime beaucoup.
Oups j’avais loupé ce film à sa sortie… Par contre la bande annonce m’a fait un peu penser à « Suckerpunch » lui aussi tourné sur fond bleu avec une ambiance rétro-futuriste :
https://www.youtube.com/watch?v=MnF4SpS9gUw
Toujours dans le cyber/steam/cyberpunk (ou je ne sais quoi :)) tourné dans les même conditions mais avec un tout petit budget (mais avec beaucoup de poésie) j’ai beaucoup aimé le film Argentin « Telepolis » :
https://www.youtube.com/watch?v=38ygNZhZ1IQ
L’œuvre se révèle la plus frustrante : Elle n’est rien d’autre que ce qu’elle illustre. – Bruce a fait très fort d’un point de vue thématique car c’est finalement le cas de Shaolin Cowboy.
Les images illustrant cet article sont magnifiques, superbe travail d’iconographie.
M’enfin, ils ne sont pas tous anglais les héros de Jules Verne. Robur le conquérant et Nemo n’ont pas de nationalité. Michel Ardan (De la Terre à la Lune) et François Sarrasin (Les Cinq Cents Millions de la Bégum) sont français. Rodolphe de Gortz (Le château des Carpathes) est roumain.
Superbe chronique emportée, Tornado ! J’aime beaucoup ce film aussi (même si je nl’ai vu qu’une fois, faudra que je me le refasse) pour son visuel et son genre. Je ne connaissais pas du tout le dieselpunk par contre, jamais entendu parler.
Cela dit tu as raison sur tous les points, et on peine à accepter les personnages. Pour ma part, même s’il était très beau également, Dark City m’a plutôt ennuyé. J’ai revendu le dvd…
Enfin, tu es vraiment le roi, car encore une fois, je n’avais pas remarqué toutes les références geek. Sur certains points, ton article fait écho à ceux que tu as écrit pour Planetary.
Je n’avais jamais entendu parler de ce film avant. Non seulement ca fait envie, mais en plus je sais désormais ce que veut dire Steam Punk. Enfin, presque….Pourquoi, Punk….? J’aurais plus penser Steam-Rasta, mais bon….
10 ans de travail, quand même ! J’aime bcp ta conclusion d’une oeuvre ayant besoin de l’amour de son public. Mais qui pourra sauver l’amour ?
Je dois pouvoir te le prêter, au besoin.
Et Paltrow est une des meilleures Lois Lane à l’écran, conforme à celle des cartoons des frères Fleischer. (à égalité avec la Lois Lane du Grand Saut des frères Cohen)
Daniel Balabruce is back 🙂
Comme malheureusement beaucoup, je n’ai pas encore vu ce film que tu présentes avec bonheur, mais You pipeline va satisfaire la curiosité que tu as su éveiller.
Si Kerry Conran n’a pas eu l’opportunité, suite à cet insuccès, de travailler sur de nouveaux longs métrages, il a écrit et co-réalisé en 2012 un court assez charmant que je viens de visionner en apéritif : http://www.imdb.com/title/tt2516350/?ref_=nm_knf_t3
En digne fils spirituel du génial et prolifique Jules Verne, j’aime particulièrement le Géant de fer de Brad Bird, et j’ai hâte de voir sur grand écran son Tomorrowland, la semaine prochaine.
Je ne savais pas que Brad Bird sortait un film ! Son Géant de fer est fantastique (il a longtemps était un des favoris de ma fille) et Les Indestructibles est sans doute un de mes films préférés tout court. Quant à son Mission Impossible, c’est le premier vraiment réussi.
Salut Cyrille,
Oui, c’est vraiment un créateur innovant et couillu. Un gars qui refuse de tourner le nouveau Star Wars pour réaliser un projet qui lui tient à coeur. Malheureusement, le box office US a rendu son verdict et le film sera un échec commercial.
La bonne nouvelle c’est qu’il est égalament sur le production de la suite des Indestructibles…
Merci à tous pour ces retours. 🙂
Sur cette histoire de dates : Toutes les sources précisent que « Sky Captain » est assurément le premier film a avoir entièrement été tourné sur fond bleu (aujourd’hui on utilise un fond vert). Mais effectivement, le film étant sorti très tard pour causes de finitions maniaques, d’autres films ayant été tournés sur le même principe (comme « La Menace Fantôme »), sont sortis avant !
Mais JP a raison, ma phrase est maladroite et, si Bruce est d’accord, je vais la modifier.
Sur la qualité du film : On est bien d’accord que, vu au premier degré, comme un simple récit d’aventures ou de science-fiction, le film ne fonctionne pas. L’intrigue est simpliste et les personnages un peu creux. Il faut bien garder à l’esprit que « Sky Captain » se regarde avant tout comme un exercice de style et une déclaration d’amour à l’esprit « pulp ». C’est une oeuvre d’art en ce sens que c’est le spectateur qui doit faire l’effort de comprendre le parti-pris, et non le film qui se plie aux attentes du spectateur.
Concernant Brad Bird, je suis complètement fan. Je compte bien aller voir « Tomorrowland », en espérant qu’il ne soit pas retiré trop tôt des écrans.