Walking Dead : le mot de la fin de son traducteur Edmond Tourriol
Un entretien mené par le Walking BRUCE
Où notre ami Edmond Tourriol traducteur et fondateur du studio MAKMA s’exprime sur la série qu’il a traduite durant 16 ans pour Delcourt : THE WALKING DEAD. Pour lui aussi la fin surprise de la série de Robert Kirkman est un choc.
NEGAN DANS LE TEXTE est disponible à la commande chez Attilan Comics
Bonjour Edmond, tout d’abord, la question la plus importante : comment as-tu trouvé cette fin de WALKING DEAD ?
Mortelle ! Sincèrement, elle était à la fois surprenante, touchante et juste. Surprenante, parce que je n’avais pas vu venir le fait que la mort de Rick signerait la fin de la série. Je me doutais qu’il allait y passer, mais je me disais qu’on allait suivre les aventures de son fils Carl, tout simplement. Pour moi, c’était la suite logique. Touchante, parce que forcément, j’ai passé un tiers de ma vie à travailler sur ces personnages, alors ça fait drôle de leur dire au revoir comme ça. Et surtout, j’ai trouvé que tout sonnait juste. Une mort soudaine. Les réactions qu’elle entraîne. Et surtout, l’héritage de Rick, qu’on découvre dans l’épilogue. Carl est vraiment son digne successeur.
Ta réaction au moment du clap de fin ?
Je l’ai appris officiellement en même temps que tout le monde. Le choc. Alors bon, je n’ai pas pleuré comme j’ai pleuré quand Michael Jackson est mort (véridique), mais j’étais quand même étourdi, ouais. D’autant que quelques semaines avant, je venais juste de traduire l’épisode final d’Invincible, une autre série de Kirkman qui m’accompagnait depuis plus longtemps encore. La nouvelle est tombée pile quand j’organisais une espèce de séminaire pour l’équipe du studio MAKMA (en fait, c’est un prétexte pour faire la fête et boire des coups au bord de la piscine pendant trois jours… si le cœur t’en dit, à l’occasion)., et tout le monde venait me voir pour me demander comment ça allait. Genre comme si un mec de ma famille était mort. Mais bon, finalement, je l’ai bien pris. L’autre question, c’est la question financière, parce que je suis payé en droits d’auteur, et il est clair que je ne travaillerai peut-être plus jamais sur une série qui vend autant. Mais bon, c’est la vie. Et c’est chouette que Robert Kirkman ait pu conclure Walking Dead d’une façon aussi spectaculaire.
Delcourt a séparé la conclusion de l’épilogue. C’est un grave handicap pour l’émotion de l’histoire non ?
Au contraire. J’aime l’idée que les lecteurs français vont pouvoir se dire qu’il y a une suite « normale » après l’épisode #192 qui clôture le tome 32. J’aime imaginer qu’ils vont penser comme moi que Carl va reprendre le flambeau pour de nouvelles aventures. Et que ce tome 33 va les cueillir par surprise. Et même d’un point de vue narratif, je trouve qu’une coupure s’impose entre le #192 et le #193. Delcourt a clairement fait le bon choix, et je félicite Thierry Mornet pour cette initiative brillante (qui va certainement me rapporter un peu plus de fric, mais je jure que je pense ce que je dis : ce tome 33 est une évidence).
Tu as traduit la série pendant plus de 15 ans. Et maintenant, que vas-tu faire ?
Partir à la retraite dans les Caraïbes et profiter de mes droits d’auteur. Enfin… non, pas tout à fait. Ça, c’est mon plan pour les vacances. Pour ce qui va se passer en vrai, c’est très simple, je vais continuer à m’occuper comme il se doit du studio MAKMA, traduire quelques comics américains, et écrire quelques projets de BD ou mangas. D’ailleurs, certains de ces projets vont concerner des zombies, et je ne manquerai pas de venir en reparler ici.
Des anecdotes sur ton travail en coulisses durant ces 16 dernières années ?
Sur Walking Dead ? Plein. Les fois où j’ai placé les mots « biffle » ou « braculage » dans mes trads (et que ces mots n’ont pas forcément été publiés par l’éditeur). Les délires sur les dialogues de Negan (je te laisse relire ses meilleures tirades). Le choc quand j’ai lu la saga du Gouverneur, de l’évasion de Michonne jusqu’à la mort de Laurie. Je me souviens que j’avais lu tout ça dans une espèce de frénésie. J’attendais la suite de chaque épisode avec impatience (et à l’époque, je ne les recevais pas en avance, je devais attendre la sortie des comics). À la fin du #48, j’étais prostré. Je m’étais dit « la vache… dire qu’il va falloir que je me retape ce carnage pour traduire les épisodes ». La fois où ils ont décidé au-dessus de moi que Pamela Milton allait s’appeler « la Gouverneuse » et qu’un malheureux rechercher/remplacer a fait dire à Rick qu’un homme surnommé « la Gouverneuse » lui avait tranché la main. Et pour finir, le bouclage des bonus du #193 dans l’avion pour aller à Venise fêter mon vingtième anniversaire de mariage (pour seize ans de vie commune avec la famille Grimes).
Quels sont les meilleurs arcs de la série selon toi ?
Toute la saga du Gouverneur, jusqu’à son dénouement abominable dans la prison. Les Chuchoteurs, avec les têtes sur les piques, et Negan qui revient avec celle d’Alpha dans son baluchon.
Inversement, ceux que tu as trouvé loupés ?
J’ai pas vraiment à me plaindre de ce côté-là. Je ne me suis jamais ennuyé, et je n’ai jamais dit « tiens, ce truc est raté ».
Beaucoup dont ton ami Néault trouve qu’à partir de Negan, la série radote, voire devient carrément débile. Que leur réponds-tu ?
Je ne sais pas. Selon moi, la série saute le requin bien avant Negan. L’existence même de Michonne fait basculer toute l’histoire dans le grand n’importe quoi. Cette bombasse black invincible avec son katana, qui trace avec des zombies et son diplôme d’avocate… Non mais faut pas déconner, hein ? Negan, c’est mon perso préféré, mais ce n’est pas lui qui a rendu la série moins crédible. Ou plus répétitive. Mais perso, je m’en fous. Je me suis bien marré pendant tout ce temps.
Negan, justement : son langage est assez fleuri. Ses avalanches de jurons, tu les as abordées naturellement ?
Oui, parce que je pratique pas mal les néganismes moi-même. Ceux qui me connaissent dans la vraie vie pourront te le confirmer (ton pote Nikolavitch a même un nom pour ça : le syndrome de Tourriol). Quand le perso est arrivé, j’ai halluciné tellement je pouvais me marrer avec ses dialogues. D’autant qu’on ne peut pas traduire fuck de la même façon dans chaque bulle, donc j’ai été obligé d’être créatif. Et ça, j’adore.
Quelles-sont les différences selon toi entre les comics et la série ?
La série télé ? Parce que les comics aussi, c’est une série, hein ? Tu as remarqué que depuis quelques années, même auprès des lecteurs de comics, les gens pensent « télévision » quand tu dis « série ». Alors que non, je suis fan de nombreuses séries de comics. Beaucoup plus que de séries télé, d’ailleurs. Concernant la série télévisée de Walking Dead, je ne saurais pas trop quoi en dire. J’ai regardé les trois premières saisons, et puis je suis passé à autre chose. J’ai très peu de temps pour regarder la télé, tu sais. En général, c’est les matches des Girondins ou de l’équipe de France, et un film de temps en temps. La vie est trop courte pour la passer le cul vissé sur un canapé.
Est-ce qu’il y’a une touche Tourriol à retrouver dans tes trads ?
Oui, forcément. D’ailleurs, la vraie touche Tourriol, elle est dans Walking Dead, mais on en retrouve forcément des bouts dans Invincible ou Green Lantern, par exemple. J’essaie de donner des dialogues qui sonnent le plus naturel possible aux personnages à qui je prête une voix française. Par exemple, je n’aime pas trop les persos qui parlent comme s’ils avaient un balais dans le cul (sauf s’ils en ont un en VO). Donc tu ne verras que très rarement des inversions du sujet dans mes trads, sauf si ça sonne juste, ou si le perso parlerait comme ça s’il était français. J’aime bien soigner mes insultes, aussi. Surtout quand je suis dans une BD « pour les grands » comme Walking Dead (sur du matos DC ou Marvel, a priori tout public, j’essaie de faire attention, enfin, beaucoup plus aujourd’hui qu’à mes débuts, ou je manquais parfois de discernement). Et comme je le dis souvent, il ne faut pas avoir peur de violer le texte. Si le perso a l’occasion de faire une réplique bien cool en VF, il faut saisir cette occasion, parce que souvent, il y a une réplique bien cool en VO qu’on ne peut pas traduire comme il faut sans perdre de l’information. Et il faut donc jongler entre la transmission des infos et l’impact du texte dans les bulles. Un peu de réécriture ou de réarrangement est nécessaire. Ceux qui ne le font pas livrent des traductions plates et sans saveur. Alors qu’un traducteur qui s’approprie le texte avant de le passer à la moulinette pour le régurgiter à sa sauce, c’est toujours mieux (enfin, si le traducteur est bon). À ce petit jeu, le meilleur, c’est Jérôme Wicky. Ses VF sont mortelles.
Avec le recul, penses-tu avoir fait des entorses au texte original de Kirkman ?
Oui, à chaque tome. Mais comme je te l’ai expliqué, je n’ai aucun respect pour ceux qui n’en font pas. Ces mecs-là, c’est la chienlit de la trad. Des calqueurs. Qu’ils aillent se faire enculer le cul par Negan, tiens.
Que penses-tu de ses autres productions : INVINCIBLE, OUTCAST, DIE DIE DIE ?
Alors, Invincible, c’est ma série de super-héros préférée. J’ai vraiment été verni pendant une quinzaine d’années, en étant le traducteur de mes deux séries de comics préférées de tous les temps avec Invincible et TWD (la troisième, c’est Savage Dragon, et c’est justement dans un de ses spin-off que j’ai découvert Kirkman). J’ai vraiment aimé comment le scénariste parvenait à remettre au goût du jour l’histoire du jeune lycéen qui se retrouve avec des pouvoirs de super-héros. Quand j’étais gosse, j’adorais les aventures de Peter Parker à la fac, ou celles de Nova, par exemple. Dans Invincible, je retrouvais tout ça. En plus surprenant encore, parce que Robert Kirkman pouvait se permettre de casser ses jouets si ça le faisait marrer. Beaucoup de surprises dans cette série. Beaucoup de morts, aussi.
Outcast, j’ai lu les premiers tomes. C’était prometteur. Faudrait que je lise la suite. Die Die Die, je viens de traduire les huit premiers épisodes pour le premier tome de la VF chez Delcourt. Je ne sais pas trop quoi en penser. C’est marrant, mais je ne pense pas que ça va marquer les esprits comme Invincible ou Walking Dead. C’est sans doute meilleur que Wolf-Man que j’ai également traduit, mais sinon, j’ai préféré Tech Jacket, par exemple, sans doute parce que je suis fan de Nova, comme je le disais précédemment, ou de Green Lantern, que je traduis par ailleurs chez Urban.
Bref, les autres productions de Kirkman sont toujours intéressantes, mais j’espère de tout cœur qu’il reviendra de temps en temps sur les univers de Walking Dead ou d’Invincible. Parce que là, je serai au rendez-vous, c’est clair.
Tu as déjà rencontré Kirkman et Adlard ?
J’ai déjà rencontré plusieurs fois Charlie Adlard qui vient souvent en France, que ce soit à Paris ou à Angoulême. En revanche, je n’ai jamais eu la chance de croiser Robert Kirkman dans la vraie vie, et je ne te cache pas que ça me ferait bien plaisir de taper la discute avec lui lors du prochain FIBD Angoulême. Ce type est mon idole !
Le mot de la fin ?
Negan vivra toujours dans mon cœur.
—-
La BO du jour : bordel de chierie !
Ah, un type qui pleure la mort de Michael ne peut pas être foncièrement mauvais. Le travail d’Edmond sur Negan est exceptionnel. Et je découvre avec cette interview le concept de violer volontairement un texte pour mieux en respecter l’esprit. En gros, faire de l’adaptation à la place de la traduction. Ça remet en perspective ma conception du métier de traducteur. Je me rappelle du coup de la Gouverneuse. J’avais interpelé Delcourt sur sa page Facebook et Edmond m’avait répondu qu’il n’y était pour rien. Voir son travail ainsi massacré a dû être difficile à digérer. En tout cas, bravo à lui pour ces 16 ans de réussite. Très belle interview.
Le syndrome de Tourriol. J’adore. Sacré Alex.
il faut passer une putain de soirée picole avec Edmond pour en prendre totalement la bordel de queue de mesure, je te jure, merde.
Je crois qu’il n’y a rien à ajouter après : Negan vivra toujours dans mon cœur. 🙂
J’ai lu Die! Die! Die! et j’ai trouvé dans cette première saison des thèmes aussi personnels et sensibles que dans TWD ou Invincible. Je suis fort aise qu’une deuxième saison voit le jour (elle vient tout juste d’être annoncée).
C’est intéressant d’avoir ainsi accès à une partie de l’envers du décors en toute franchise. À la réflexion, et après avoir lu l’interview, je rejoins l’avis d’Edmond TOURRIOL : l’épisode 193 a plus d’impact en étant séparé des 6 précédents. Ça laisse le temps au lecteur pour faire son deuil. J’aime également beaucoup sa remarque sur l’arrivée de Michonne qui était effectivement conçue pour un impact maximal avec son katana et ses 2 zombies. Un tiers de sa vie passé à traduire l’œuvre d’un autre : un constat aussi factuel qu’un bilan qui sort de l’ordinaire.
Je suis son avis sur les calqueurs mais si on ne partage pas les partis pris, hashtag panini, c’est vraiment pénible. Et malgré la créativité des traducteurs face à des Discworld ou H2G2, c’est ce qui m’a fait me tourner vers la VO quand je le pouvais.
Sur TWD j’ai lu dans les 2 versions et le trad n’a pas démérité, notamment, évidemment, sur Negan.
@Chip : bon je vais relire mes WD en VF chez mon frère alors.
@David : j’aurais juré que tu lisais en VO. Je ne suis pas fan de la VF Delcourt, trop volumineuse par rapport à la VO avec un moins beau papier.
@Prez’ : Die Die DIe ! Où Kirkman se prend pour CLaremont tellement ça jacte. Je n’ai pas accroché.
Difficile d’évaluer le travail d’un traducteur.
Il faudrait pour cela lire la VO et avoir un excellent niveau d’anglais et dans ce cas précis d’anglais américain.
Comme je n’ai pas lu WD en VO et que j’ai un modeste niveau d’anglais. Je ne m’aventurerai pas dans ce genre d’exercice.
Ce que je peux dire cependant, c’est que la version française de la série à été très agréable à suivre.
Je très rarement trouvé de coquilles et les émotions ont toujours bien été transmises aussi bien dans le dramatique que dans les moments les plus funs.
Je conçois aussi que le travail d’un traducteur est important voire primordial.pour une œuvre.
Watchmen de Moore est un bel exemple. Pour la VF il est impensable de dissocier l’œuvre de la traduction de J.P. Manchette.
Même sentence que hier : je ne lis pas avant d’avoir lu les derniers tomes…
La BO : excellente.
Pas grand chose à dire sur l’article n’ayant jamais lu un tome de WD.
L’interviewé a l’air bien sympathique et son séminaire au bord de la piscine a l’air top…
La BO ? Absolument insupportable…
Le métier de traducteur me fascine… Comment réussir à transmettre la voix, sans trahir le sens ? Donner les informations nécessaires, en sacrifier d’autres. Adapter et non traduire. Faire le choix de privilégier le réalisme, le naturel, au détriment de la « véracité ». Il en faut, du talent, et c’est peu souvent !
C’est d’ailleurs pour ça que je préfère lire en VO. Mais quand c’est bien fait, comme cela semble le cas ici, je pourrais faire exception…
« le syndrome de Tourriol » Ahaha bravo encore une fois Nikolavitch !
Cette interview est super cool, j’ai bien ri, mais j’aurai vu encore plus de questions sur la traduction ou les comics… j’adore ça, quand quelqu’un qui voit les coulisses déflore un peu la légende. Merci bien, Ed et Bruce !
Pingback: La promesse d'écrire - TOURRIOL.COM