Elektra le retour par Frank Miller
Première publication le 14 mars 2014- Mise à jour le 13 février 2015.
Elektra… Comme les stars du showbiz, voila un personnage qui a eu son heure de gloire et puis pschitt. Crée par Frank Miller puis tuée, voici une femme dont la vocation ferait hurler les féministes: sa vie, sa mort n’ont de sens que pour faire souffrir son amant malheureux Matt Murdock. Alors que son combat contre Bullseye est un moment inoubliable dans l’histoire du comic book, sa résurrection l’est déjà moins.
Et puis qu’est ce que la Grecque a accompli depuis ? Elle aida à Wolverine à retrouver son humanité, elle a retrouvé Matt Murdock au cours de la tristement célèbre saga Fall From Grace de DG Chichester, a eu sa série médiocre écrite par Peter Milligan et elle apparaît sporadiquement dans des sagas Marvel encore plus médiocres. Honnêtement à qui ce personnage manquerait ?
Pourtant la belle brune n’a pas toujours été marquée au fer rouge de la loose…Dernier projet pour Marvel d’un Miller en pleine turbulence éditoriale, voici finalement un personnage qui n’aura vécu sa vie que sous la plume de son papa. Et le titre est déjà trompeur : il s’agit d’avantage d’un récit sur la dépression de Matt Murdock que celui de la héroïne qui n’apparaît que très peu et ne dit pas un mot.
Sur la forme, c’est absolument sublime. Quel maître ce FM ! Une gestion des cadrages, des mouvements à couper le souffle. Chaque page est différente de la précédente, bouillonne d’énergie, il donne un véritable cours magistral de bande dessinée susceptible de passionner même les non amateurs de comics. Des décors travaillés, des créations d’image saintes et une séquence hallucinante de virtuosité de descentes d’escaliers. Et bien sûr les couleurs de Lynn Varley. Côté scénario, c’est déjà moins brillant. Le début est pourtant prenant. Murdock est en proie à une névrose obsessionnelle impitoyable évoluant vers la psychose : il voit son amante partout, des ninjas itou et délaisse complètement son activité professionnelle. Ceux qui aiment son alter ego seront déçus car il n’enfile pas une seule fois son pyjama rouge.
Frank Miller oblige, on est dans le too much. Ses personnages ont une anatomie de Dieux grecs, Matt Murdock se ballade en slip sous la neige et force est de constater que la dernière partie du récit part en vrille. Car à trop vouloir s’affranchir du Diktat commercial de Marvel, Miller perd la voix de son personnage fétiche. Tout devient irrationnel et déconnecté de la réalité. Un Murdock qui se ballade à poil sur les toits au mépris de son identité secrète ? Une enquête confuse ? Des Ninjas analphabètes comme s’il en pleuvait. Et des stéréotypes machistes navrants où Elektra devient un fantasme sexuel habillée en nonne d’opérette .
Le livre fermé, on est content que Marvel soit resté frileux et n’ait pas intégré ce récit dans la continuité. Murdock est méconnaissable et préfigure d’avantage Dwight de Sin City avec son long manteau et ses converses que notre avocat aveugle. Quant à Bullseye, il est devenu une sorte de Terminator dénué de psychologie. Elektra, elle, n’est finalement là que pour permettre à Miller de dessiner une belle femme enchaînée, torturée et violentée. Brillant sur la forme, nul sur le fond, voila un travail qui entérine les errances artistiques d’un créateur de génie aussi brillant qu’irrégulier.
Lui qui inventa littéralement la psychologie des personnages dans un médium infantile, lui qui apporta une mythologie à des personnages de série B, inventa littéralement le principe de génie du crime, du psychopathe fascinant et d’un héros sur la brèche, oublie complètement ce qui fit son succès en pondant une histoire dénuée d’humanité, de vraisemblance et engluée dans un manichéisme embarrassant . Froid comme la neige, bête et méchant, ce retour d’Elektra ne vaut que pour le plaisir des mirettes…
Tout devient irrationnel et déconnecté de la réalité. – Ça me rappelle à la fois le côté exagéré de « Dark Knight returns » et « du premier « Sin City ». Plus j’y repense, plus je me dis que Miller narre son récit du point de vue de son personnage, avec la sensibilité du héros. C’est pourquoi « Dark Knight returns » a des relents réactionnaires. Il ne s’agit pas tant des opinions de Miller, que de la façon de voir la réalité de Bruce Wayne. De la même manière, « Sin City » est raconté par la voix de Marv ce qui explique cette vision noir & blanc dénuée de nuances. Ici, la confusion (apparente) du récit laisse à penser qu’il s’agit de l’état d’esprit de Matt qui induit cette forme de chaos.
Avec cette idée à l’esprit, certains choix narratifs de Miller prennent du sens Il ne s’agit plus d’une narration littérale, mais d’une narration subjective, teintée par l’état d’esprit et les convictions du personnage principal.
Il ne m’aura fallu qu’une vingtaine d’années passées à lire et à relire du Frank Miller pour que mes 2 neurones finissent par additionner 1 et 1. Ma dernière relecture d' »Hardboiled » avait fini par me mettre la puce à l’oreille parce que ce dispositif narritif est plus visible.
Sans prétendre être aussi intelligent, je suis entièrement d’accord avec Présence !
Cependant je n’ai pas lu « Holly Terror »…
pour l’humanité, y’a quand même le passage avec la cliente qui divorce… et puis la difficulté de Matt à faire son deuil… mais il y arrive à la fin…
pour la vraisemblance, avec l’analyse de Présence, le côté onirique peut en partie « expliquer » certaines choses
pour le manichéisme : oui, bon là, on peut pas trop discuter mais en même temps, avec la Main et Bullseye, c’était difficile de caser de l’ambiguité morale (à part du côté de Matt mais dans ce récit, il nage trop en plein délire pour réfléchir…)
Allons quand même ! Ne me dîtes pas que vous reconnaissez Matt Murdock dans cette histoire !!!! Ce n’est pas la première fois qu’il délire sous la plume de Miller, mais ici, impossible de reconnaître le personnage !!!
Il n’est pas loin du Matt au début de Born Again. A part qu’il est encore avocat, on le sent proche du ras-le-bol et ayant un peu perdu « la flamme ». Et puis, je te dis, le passage avec la femme divorcée est pour moi très humain. J’avais écrit un truc dessus, il y a longtemps :
http://redshaker.blogspot.fr/2008/12/daredevils-drinks-episode-3.html
Voilà qui est bien sévère ! Sans être un chef d’œuvre scénaristique ce comics (on peut même dire BD je pense dans le cas présent) est excellent… j’adore les références à la DB Européenne et surtout à ma connaissance c’est le premier comics Marvel de tous les temps ou on reconnait implicitement que les super héros ont une vie sexuelle hors mariage ! Je n’ai pas le souvenir d’avoir un super-slip au lit avec une femme (de passage) avant ce numéro… Rien que pour ça et la veille de la St Valentin je dis banco ! :))
Le Matt Murdock de Born Again reste quand même rattaché à la continuité et donc plus attachant que cette version sociopathe de Murdock que je n’aime pas et dont Miller fera le héros des origines avec Jr Jr. Là, il n’a subi aucun traumatisme et il est toujours aussi odieux ! Miller n’est pas le seul hein ? Lorsque Claremont a repris les Xmen, again et again, il n’avait pas retrouvé la voix de ses personnages non plus.
Pat 6 : tu me trouves sévère ? Attends de voir les deux prochains jours pour les version Austen-Bendis-RUcka du personnage….
Elektra lives again est assez bizarre, fait sur plusieurs années il me semble. quand ça commence, on reconnait encore Matt avec ses lunettes rondes et la coupe de cheveux qu’il avait à la fin du run de Miller…
quels sont les errements éditoriaux de ce truc, je ne sais pas, mais il ya une césure assez nette en cours de récit qui l’amène en effet à devenir peu à peu un « proto-Sin City », imper, pansements inclus. c’est hors continuité et ça se lit pour lui même comme une sorte de cauchemar, d’un mec pas bien dans sa tête incapable de faire le deuil de la belle grecque qui devient une sorte de spectre totalement malsain. on est parfois à la limite de la nécrophilie dans ce truc.
l’atmosphère est cependant une réussite dans son genre.
Ben moi j’ai rien capté…
Bonne ambiance, graphiquement joli et tout ça…mais qu’est-ce qui se produit vraiment et qu’est-ce qui est un cauchemar ? Bon Elektra reste morte visiblement c’est pas ici qu’elle ressuscite, mais tout le truc avec la baston dans l’église ça se produit vraiment ou pas ? Si c’est un cauchemar pourquoi Matt a la gueule cassée à la fin ? Si c’est vrai, qui est la nonne (vu qu’elle ne peut pas être Elektra…qui est morte…non ?)
Je passe peut être pour un con en demandant ça mais tant pis. ça m’agace ces trucs flous érigés au rang de chef d’œuvre qu’on ne peut comprendre que si on est dans la tête de l’auteur. Comme les trucs de Lynch tiens.
Et c’est quoi le délire avec l’assassin de Bullseye qui livre un combat psychique avec Murdock ? Un rêve aussi ?
Bref…rien capté.
@Matt : Hem…
Alors déjà, je peux soumettre à ta lecture ma petite chro-reboot de l’époque :
http://www.brucetringale.com/sometimes-it-snows-in-april/
Ensuite, je pense que ce récit ne fonctionne que si on a lu le DD de Frank Miller.
Alors je me rappelle bien de tes déclarations sur un autre article : « ouais c’est chiant, avec une mauvaise trad en VF et pis pourquoi il faudrait se farcir une vingtaine d’épisodes pour tout comprendre, après-tout-Miller-il-a-pas-inventé-le personnage-non-plus… »
Ceci dit, dans la chro sus-mentionnée, j’écrivais :
« Le récit se situe dans une continuité floue, étant donné que certains évènements du run initial sont évoqués tandis que d’autres sont ignorés (la chute et la paralysie de Bullseye, la « purification » d’Elektra par Matt). Mais qu’importe, Miller plonge son lecteur dans la psychose de Matt Murdock, en narrant son récit à la première personne. Rêve ou réalité ? Dans la continuité ou « What if » ? « Morte ou vivante », Elektra est de retour. »
Je voulais juste indiquer que si on prend la peine de lire le run de Miller, ce récit n’est plus trop Lynchien. Après, on aime ou on aime pas, mais ce n’est plus hermétique.
Ok
Bon alors c’est à moitié hors continuité mais faut avoir suivi la continuité du run de Miller…
Bon…
Je précise que j’ai quand même lu l’épisode ou Elektra est tuée et Bullseye paralysé. Et depuis ma déclaration j’ai lu aussi Born Again (mais bon ça se passe après donc ça ne m’aide pas…)
C’est un peu le surf sur la vague du succès, cet album-là.
On ne peut pas lui en vouloir, en même temps : il devait absolument vouloir dire encore plein de trucs sur ce personnage emblématique de sa carrière. Il y a un véritable effort de découpage -rien que cette montée d’escaliers, sans interruptions de cases, alors qu’effectivement les personnages avancent ! Pas mal du tout. L’ajout des couleurs peintes de Lynn Varley donne aussi quelques jolis résultats : la glace qui se brise en soulignant la courbe du câble sur lequel virevolte Daredevil, par exemple.
Alors oui : c’est un peu facile de nous refourguer cette pauvre Elektra, même pas tranquille dans l’au-delà ! Le concept originel était déjà bien excitant mais, évidemment, après la refonte extraordinaire du personnage dans « Elektra Assassin », qui faisait tout soudain de la « simple » Ninja une sorte de X-Woman parée de tout un tas de capacités para-normales, son élimination dans la série qui l’avait vue naitre devait lui sembler un beau gâchis tant ces « nouvelles » dispositions auraient pu nourrir des pages et des pages d’intrigues passionnantes. Exercice complètement foiré par ceux qui ont repris successivement les rênes de la destinée de cette Super-Héroïne de tragédie -très Grecque, pour le coup.
Ce sursaut créatif sous forme d’album n’est cependant pas du temps perdu, puisqu’il permet à Frank Miller de libérer un peu Matt Murdock du poids du manque et, si on y est sensible, de se permettre une expérimentation un poil différente dans son éternelle recherche graphique, plus axée ambiance -ça bouge moins que d’habitude.
C’est peut-être un caprice de la part de l’auteur, mais pas mal réussi et honnêtement justifié par la conclusion du mythe.