Un songe en hiver (Dellamore Dellamorte)

Dellamorte Dellamore  par Michele Soavi

1ère publication le 27/03/14- Mise à jour le 01/03/23 

Un article de  : TORNADO

la boucle est bouclée : Après avoir inspiré le personnage de Dylan Dog, Ruppert Everett devient le héros d'un film inspiré de l'univers de Dylan Dog...

La boucle est bouclée : Après avoir inspiré le personnage de Dylan Dog, Ruppert Everett devient le héros d’un film inspiré de l’univers de Dylan Dog… / ©Studio Canal

Dellamorte Dellamore  est un film italien de Michele Soavi réalisé en 1994. Bien qu’il soit vendu comme un film d’horreur, il s’agit en vérité d’un inclassable, tant les genres s’entremêlent pour former en définitive une œuvre unique en son genre, à la croisée du poème gothique macabre et de la fable existentielle. Le sujet et son personnage sont inspirés du roman homonyme de Tiziano Sclavi et du fumetto Dylan Dog, également du même auteur. 

Bien que l’on ne puisse pas réellement parler d’une adaptation, au sens propre, de cette série de bande-dessinée culte (véritable phénomène de société en Italie), Soavi parvient à en préserver l’esprit, notamment grâce à l’acteur Ruppert Everett, choisi au départ comme modèle pour le héros de papier…

Dans notre film, Francesco Dellamorte est le gardien d’un cimetière qui voit ses morts revivre sept jours après avoir été enterrés. Son travail principal consiste à les remettre en terre, tandis que son collègue Gnaghi, un simplet ne s’exprimant que par l’onomatopée « gna », se charge de creuser les tombes…

L'amour... ©Clipper Entertainment  Source : Amazon

L’amour…
©Clipper Entertainment
Source : Amazon

Zombies, humour surréaliste, érotisme, nécrophilie, romantisme et poésie se superposent sans réelles fondations apparentes durant 99 minutes, avant que le film ne se conclue sur un final d’une rare abstraction onirique. Le spectateur qui arrive au bout de l’aventure aura ainsi erré au gré d’une succession de scènes sans véritable logique, sinon celle d’une plongée jusqu’au-boutiste dans l’absurde de la trilogie existentielle : celle de la vie, de l’amour et de la mort…

Alors que je le découvrais pour la première fois à sa sortie, il aura fallu que je revoie ce film avec davantage de maturité pour enfin en saisir toute la profondeur thématique. C’est finalement la manière dont sont exposés les autres personnages du film, les gens « normaux », qui m’a mis la puce à l’oreille : Tous sont veules, cupides et suffisants, désespérément ancrés dans une banalité sociale insupportable. Francesco est un jeune homme solitaire et dépressif qui fuit la réalité d’une société dans laquelle il ne peut s’intégrer.

.... La Mort Photo libre de droit Source Wikipedia

…. La Mort
Photo libre de droit
Source Wikipedia

Il recherche la mort au point de passer sa vie à la côtoyer, mais à cause d’un instinct de survie purement animal, ne peut se résigner à passer de l’autre côté. Il recherche également le grand amour. Mais là encore, il ne parvient jamais à surmonter ses névroses et échoue systématiquement, alors qu’il demeure incapable de voir les femmes autrement qu’à travers l’image de son fantasme. Toutes ces frustrations le mèneront à répandre lui-même la mort, seule manière de corriger un monde réel qu’il n’arrivera jamais à fuir. Car lorsque l’autodestruction est arrivée à ses limites, il ne reste plus qu’à détruire le reste du monde. Et puis de toute manière, comme il le dit si bien, « les morts-vivants et les vivants-morts sont tous pareils »…

Le film s’impose donc comme une allégorie du mal-être existentiel, de la fuite et donc de la passion de la mort. Soit la source de la notion gothique contemporaine. Et l’on se demande finalement si Francesco et Gnaghi (excellent François Hadji-Lazaro) ne sont pas les deux facettes d’une seule et unique personne, le premier tentant encore de s’accrocher à une parcelle de réalité lorsque le second l’a abandonnée depuis longtemps. La fin est désespérée, car lorsqu’ils sont arrivés aux confins du monde et de l’hiver, il n’y a pas d’issue possible vers le réel pour nos « héros » marginaux…

Soavi a été assistant réalisateur pour Dario Argento et Terry Gilliam et cela se ressent. Au maître de l’horreur transalpin, il emprunte une plastique macabre sublime, baroque et expressionniste, teintée de références à l’histoire des arts (par exemple Ile des morts d’Arnold Böcklin ou encore Les Amants de René Magritte).  Au fou filmant des Monty Python, il reprend la manie du surréalisme et du théâtre onirique. L’ensemble est imparfait car le scénario, très improvisé, manque fortement de cohérence et de liant formel. Mais c’est également le but.

Le résultat est absolument unique et inclassable. Alors qu’il annonce le chant du cygne du film d’horreur italien et du cinéma « VHS » encore libre de toute folie (ici trahi par une musique très connotée 80’s), le film de Michele Soavi est une pépite onirique désespérée et crépusculaire. S’il reste des spectateurs pour douter du statut d’auteur de ce réalisateur, autant rappeler qu’il a également livré le puissant  Arrivederci Amore Ciao, autre trésor inestimable de cette forme pessimiste et éperdue d’un cinéma résolument tourné vers le côté obscur…

Un air de famille ?

Un air de famille ?/©Dark Horse

13 comments

  • xabaris  

    Voilà le film que j’ai longtemps chercher. Je savais qu’une adaptation « non officielle » avait était faite…et la sortie du film « Dylan Dog » m’a fait sérieusement posé des questions sur ma santé mentale.

    Maintenant, je sais (de nouveau) que ce film existe et je vais m’empresser de le regarder.

    MERCI TORNADO

  • tornado  

    De rien ! Je te recommande également « Arrivederci Amore Ciao », du même réalisateur. Je lui trouve également un état d’esprit comics, mais plus dans le genre « esprit Vertigo ».

  • tornado  

    Le second est le plus proche de la BD puisqu’il s’agit d’une adaptation officielle. Mais le premier (qui n’est qu’un film d’horreur onirique légèrement inspiré par le fumetto) est tout de même meilleur, car plus sincère, plus pur, plus artistique.

  • Patrick 6  

    Ce film est un petit bijou surréaliste comme tu le signales ! Je ne l’ai vu qu’une fois à sa sortie mais j’en ai encore un souvenir très net. Esthétisme, poésie et franc délire se mélangeaient allégrement dans cet OFNI (Objet filmé non identifié) !
    A l’époque le personnage principal m’avait un peu fait penser à Ash d’Evil Dead mais en version introvertie (ce qui change tout).
    Ton article m’a donné envi de le revoir (même si ça ne doit pas être très facile à trouver je pense).
    Mention spéciale pour François Hadji-Lazaro Monsieur Garçon bouchers qui crève l’écran littéralement. A regretter qu’il n’ait pas persévéré d’avantage dans cette voie…

  • Matt  

    Enfin vu correctement ce film dans son blouré tout neuf (jolie copie d’ailleurs)

    Effectivement quand on n’est pas habitué, une seconde vision est surement nécessaire. Bon moi j’avais vu des extraits et une chronique du fossoyeur de films (très bien, ici : https://www.youtube.com/watch?v=Uy8tn_JltNs )
    Du coup je savais à quoi m’attendre.
    Mais c’est évident qu’à l’époque ils n’ont pas du savoir comment classer cet OVNI.

    Le truc qui me plait surtout, c’est qu’il s’git d’un film cryptique mais pas chiant. Bon je ne vais pas râler sur David Lynch pour ne pas relancer un débat, mais disons que souvent les films cryptiques un peu perchés dont il faut interpréter les indices pour en saisir le vrai sens…bah ils m’emmerdent.
    Alors que ce film reste fun et dynamique, avec une chouette BO. C’est d’ailleurs un avis que je partage avec le fossoyeur de films qui dit qu’un film de genre un peu délirant peut avoir un sous-texte, et vice versa qu’un film avec une réflexion peut revêtir une forme de film de genre ou comédie noire.
    Chez moi ça fait toujours mieux passer la pilule qu’un film cryptique soit imaginatif visuellement ou dispose de persos marrants. Sinon non seulement je comprends pas au premier visionnage mais je m’ennuie.

    • Tornado  

      Bon… avouons que la présence de l’actrice y est aussi pour beaucoup, hein ! 😆
      J’avais vu le film peu après sa sortie en groupe de copains et il nous avait fait très forte impression lors d’une soirée VHS du samedi soir. J’adore me le repasser de temps en temps. Il incarne vraiment ces années VHS de la sortie de l’adolescence à mes yeux.
      C’est vrai qu’il reste fun, malgré sa métaphore morbide (inadaptation dépressive = fuite de la vie et passion de la mort…). On ne peut pas en dire autant du film suivant par le même réal : ARRIVEDERCI AMORE CIAO, une oeuvre jusqu’auboutiste dans sa noirceur comme rarement on a peu en voir…

      Le blouré vaut vraiment le coup alors ?

      • Matt  

        Bah je dirai que oui, la copie est propre et tout. J’ai pas remarqué de problèmes.
        Bon il manque la version anglaise apparemment. Il y a la version italienne et la VF.
        Mais perso je m’en fous.

        Faut savoir que ça a failli être Le chat qui fume qui devait l’éditer, mais ça a avorté il y a quelques années pour des questions de droits. Donc déjà on peut s’avérer heureux qu’il soit sorti tout court. Bon après je n’ai jamais vu la tronche du précédent DVD donc je ne peux pas dire si c’est mieux. Il était peut être très joli le DVD d’avant^^

        Il y a des gens qui ralent sur ce forum qu’il manque la piste anglaise et qu’il n’y ait pas des tonnes de bonus comme chez Le chat qui fume. Mais éh…c’est la vie.

        https://www.dvdclassik.com/forum/viewtopic.php?f=23&t=39055&start=180

        • Tornado  

          Perso, ayant découvert le film en VF, je suis attaché à cette version et je ne le regarde pas en VO. Mais j’ai une excellente copie HD de l’UFSF. J’hésite à me prendre le blouré.
          ARRIVEDERCI AMORE CIAO par contre n’existe qu’en DVD et il n’y a pas de fichier digne de ce nom sur la toile. Pas à ma connaissance.

          dvdclassik est un excellent site. Leurs critiques de films sont d’un très bon niveau.

  • Nikolavitch  

    Super film, et une pensée pour « gna »

    • Nikolavitch  

      et je me dis qu’à l’époque, Everett aurait pu faire un Corto fabuleux, aussi.

      • Jyrille  

        Ah oui c’est vrai tiens…

  • Fletcher Arrowsmith  

    Je suis persuadé d’avoir vu cela dans mon été Clerks, fin des années 90.

    Wish list immédiatement, surtout pour Rupert Everett.

  • Bruno :)  

    Je n’avais strictement rien compris, je ne suis resté jusqu’au bout que pour la bouille du François. Merci donc pour les quelques clés fournies -et la confirmation d’une grosse part d’improvisation scénaristique : il m’avait bien semblé que le film « flottait » un peu…
    Si je l’ai toujours dans mes disques durs, je réessayerais.

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