Première publication le 15 août 2014- Mise à jour le 27 août 2015
Blankets par Craig Thompson
VO : Top Shelf
VF : Casterman
Blankets est le récit autobiographique du scénariste et dessinateur Craig Thompson. Il est considéré comme un chef d’oeuvre des deux parties de l’Atlantique. La préface est signée par Neil Gaiman et …Brian Bendis !
Blankets retrace le premier amour d’un adolescent perdu chez des beaufs américains. Ceci est l’histoire vraie de Craig Thompson, un jeune homme doux et sensible, archétype de l’inadapté social.
Issu d’une famille pauvre et surtout un peu rustre, Thompson est pré-destiné dès son enfance à devenir le curé d’un bourg où l’on considère les homosexuels comme une aberration génétique.
A la manière de son modèle Art Spielgelman dans Maus, il s’agit pour Thompson de condenser dans son histoire ses souvenirs d’enfance, son histoire d’amour et sa vision de l’existence. Naturellement rêveur, légèrement efféminé, il est la risée de ses camarades de classe tous adeptes de sports virils. Il rencontre un jour aux sports d’hiver chrétiens de son comté son âme soeur, Raina, un jeune femme pour qui le coup de foudre est immédiat. Craig va reussir, avec l’assentiment de ses parents à passer trois semaines chez la belle adolescente.
Amateurs d’érotisme débridé, d’adolescents défoncés ou de récits scabreux , rebroussez votre chemin. Blankets a la délicatesse, la grâce, la pureté du flocon de neige. La construction du récit est très bien agencée : avant de rencontrer Raina , Thompson prend le temps de nous présenter sa vie durant les 100 premières pages du récit . Le malaise de Thompson n’attend pas l’adolescence pour se manifester. Blankets commence de manière passionnante sur un traumatisme d’enfance lié aux rapports entre deux frères.
Craig est un jeune homme fragile qui dès le début de sa vie cherche sa place dans un univers formaté qui n’attend de lui qu’il n’illustre que des scènes religieuses. Thompson connait sa bible sur le bout des doigts et au moindre choc émotionnel parsème son récit de monstres sataniques prêts à le dévorer.
Tandis que Maus parallèlement au récit de la Shoah racontait la quête d’un fils vers son père, Blankets traite de la perte progressive de la foi.
Blankets, donc, prend le temps d’introduire des personnages immédiatement attachants que l’on aime suivre pas à pas. Craig est un ado repoussé de part en part. Pourtant, la haine semble étrangère à son tempérament.
Il dispose de facilité d’écoute de l’autre et retourne sa colère contre lui-même en se tourmentant seul dans des labirynthes de tortures mentales. De longues pages sont consacrées à la souffrance du divorce ou celles liées à la différence et à l’handicap mental.
Lorsque Craig rencontre Raina, on l’aime immédiatement. Lorsqu’ils se retrouvent en silence, on est émus d’assister à la naissance de cet amour et inversement l’angoisse grandit au fur et à mesure qu’apparait l’inéluctable séparation.Il ne se passe rien en fait dans Blankets, si ce n’est que cette histoire rappelle les délices des premiers sentiments amoureux. Tout ceci est peint avec une indéniable poésie sans aucun sentimentalisme putassier.
Les dessins de Thompson y sont pour beaucoup. Le regard d’amour que se lancent nos amis est criant de vérité, quand bien même leurs yeux sont dessinés comme des points et leurs sourcils des virgules ! Les décors enneigés, les forêts fourmillent de détails, chaque teenager possède son identité propre, le rocker en herbe reconnaîtra dans la chambre de Raina: Kurt Cobain, les Pixies ou PJ Harvey.
L’enchantement de Blankets est bien sûr Raina, adolescente ayant grandi trop vite en élevant sa demi sœur handicapée. Thompson a énormément travaillé le langage corporel en donnant à la jeune fille une sensualité féline qui nous donne envie de se blottir contre elle, de sentir son odeur, de goûter sa peau.
En lisant Blankets , le lecteur, comme le narrateur est soumis à la tentation de rencontrer Raina , de faire sa connaissance, d’être son ami, voire plus … Une fin un peu fade qui se traîne en longueur et pour laquelle Thompson avoue avoir planché six mois empêche Blankets d’être un chef d’oeuvre absolu.
Et pourtant voici un album qui restera dans les annales. Blankets parle de pureté, tandis que Thompson garde une vision désespérée de l’humanité.
L’humour visuel des séquences avec les enfants ne parvient pas à dissiper la profond mélancolie de l’auteur qui finit par être contagieuse. Le malaise d’un homme intelligent, hyper sensible, ravagé de culpabilité envers les autres dont il ne parvient pas à se rapprocher.
Blankets, c’est aussi la rencontre exceptionnelle de deux êtres isolés dans un vaste désert d’hommes qui vont vivre une communion spirituelle au delà des mots, du sexe et des kilomètres.
La relation entre Raina et Craig est touchée par la grâce et Thompson brouille les pistes en y induisant une forte connotation religieuse. Par moment, notre couple semble être fait pour vivre heureux et avoir beaucoup d’enfants. A d’autres moments, ces jeunes adultes sont encore bercés d’illusions froide et douce comme la neige.
Cette grâce au sens religieux du terme est évidemment de courte durée et le retour à la réalité évoque le Paradis Perdu. Nos amis ont quitté le Jardin, gardent le souvenir de cette période unique de leur vie, et passent à autre chose, sans se rendre compte immédiatement que ce premier amour orientera le sens de leur vie. Parsemé d’enluminures de l’auteur, Blankets souffre parfois de quelques longueurs et d’un auto-apitoiement lassant. C’est pourtant un album important parsemé de réflexions sur la famille, la religion, l’individualisme qui préfigure le chef d’oeuvre de Thompson : Habibi encore plus torturé.
Merci beaucoup à toi Bruce, pour avoir su me donner l’envie de lire ce récit exceptionnel.
Pas habitué par l’underground (si ça en est, sortie du mainstream, je suis vraiment nul !), j’ai lu Maus de Spiegelman, surtout car on me l’a offert et j’avais été agréablement surpris…et vraiment dérangé, car lorsqu’on s’immerge dans ce style de comics on en ressort pas indemne
BlanKets me donne cette impression, puis, bon, tu sait très bien le vendre !
Si je devrai faire un rapport avec un sujet que je maitrise un peu plus Maus, tout comme Blankets sont au Comics, ce que les films projetés au festival de Sundance sont aux Blockbusters.
Merci, Bruce, pour cet article vraiment passionnant
Merci Erik ! Blankets reste un « hit » de la BD indépendante réédité plusieurs fois en France. En le relisant pour le commentaire, j’en suis ressorti quand même très déprimé. Et ce n’est rien quand on connait la suite de la carrière de Thompson…
Bel article. J’ai toujours ignoré ce récit qui m’a paru être trop auto centré et auto apitoyé lorsque je l’ai feuilleté en librairie. Je crois que je vais retenter car tu donnes vraiment envie de découvrir ce récit.
Ps. J’aime beaucoup le titre de l’article.
Superbe commentaire, j’aurai été incapable d’en faire quelque chose… Il faut que je le relise, je ne l’ai pas fait depuis sa sortie. Et je n’ai pas craqué pour Habibi, mais je devrai je pense. J’aime beaucoup son album précédent (le premier je crois) nommé Adieu Chunky Rice. Son carnet de voyage était sympa.
J’aime beaucoup cet auteur, mais ce que je préfère chez lui, c’est son trait. Il a un peu de Blutch en lui.
Chunky Rice est le seul de Thompson que je n’ai pas lu. Sa carrière me fait penser un peu à celle de Mazzuchelli. Des albums rares mais incontournables à chaque fois. Enfin, j’entends bien. Thompson n’a pas écrit ni pour Marvel, ni pour DC. Ce qui est un gage impressionnant d’indépendance.
Ce n’est pas le seul, pourtant 😉 Regarde les frères Hernandez, Joe Matt et ses pairs, Crumb…
Salut Cyrille,
Tu as vu juste et Craig Thompson paye son tribut à Blutch dans son très chouette blog http://www.craigthompsonbooks.com/2013/04/22/mange-ta-viande/
Un homme qui cultive l’amitié et qui a des mentors remarquables (Maurice Sendak, Edmond Baudoin…)
J’ai relu Blankets pendant les vacances et j’en ai retiré un plaisir renouvelé.
Les relatives critiques que tu émets en fin de chronique, et qui avaient été les miennes quand je l’avais découvert, ont fondu avec les années pour ne laisser qu’un sentiment fort et émouvant pour ce parcours initiatique, mystique et sensuel.
L’allégorie du feu libérateur qui revient par deux fois marque la volonté de l’auteur de s’affranchir des souvenirs douloureux de l’enfance et des fétiches du premier amour. Mais il garde et s’enveloppe dans la douceur d’une couverture cousue avec amour.
L’art transfigure la peine et offre des perspectives éphémères et magnifiant la réalité.
Plus rien ne s’oppose à la nuit, rien ne justifie
C’est toi qui t’y colle? je laisse passer un temps après Blankets mais je vais le relire bientôt.
Il me semble avoir vu un commentaire dans lequel tu étais enthousiaste sur le Sculpteur de Scott McLoud et, une fois que cette lecture aura décanté, j’aimerai bien lire ton avis dessus.
J’étais dans un festival de BD vendredi. J’ai vu le gros pavé Blankets et je l’ai de nouveau feuilleté. Puis je l’ai de nouveau reposé. Rien à faire, c’est dingue comme ça ne m’attire pas ! 🙁