Un charmant petit monstre

Blanche-Neige, Rouge Sang par Colleen Doran d’après Neil Gaiman

Un article de BRUCE LIT

VO : Dark Horse Books

VF : Black River

©Dark Horse Books ©Black River

Blanche-Neige, Rouge Sang est une adaptation d’une nouvelle de Neil Gaiman par l’illustratrice américaine Colleen Doran avec qui il avait déjà collaboré pour la légendaire série Sandman.
Une autre source d’inspiration de cette histoire complète parue en VF chez Black River, est l’illustrateur irlandais Harry Clarke que Colleen Doran remercie en préface et en postface.

Alors que la prochaine adaptation de Blanche-Neige n’en finit plus de déclencher les pires spéculations : (woke or not woke ? That is not the question…), voici venir une histoire surprenante signée Neil Gaiman qui, avec son comparse britannique Alan Moore, a donné aux comics une inclination mature via le légendaire label Vertigo.

On se rappellera que Gaiman du temps de sa splendeur (il n’écrit quasiment plus de bande dessinées, toutes celles qui sortent étant des adaptations menées avec son aval) était l’auteur du contrepied : dans Sandman le Dieu des rêves était un jeune homme dépressif quand celui de la destruction était un peintre chaleureux et rigolard. On se rappellera surtout que sous son égide, La Mort devenait une jeune gothique adorable avec qui l’on ne pouvait qu’être pressé de converser.

©Dark Horse Books ©Black River

Dans cette version de Blanche-Neige, Gaiman s’amuse à tacler toutes nos certitudes pour finaliser un conte assez noir et triste : Et si la reine n’était pas cette affreuse matrone et que son obstination à tuer Blanche tenait au fait que la gamine soit un vampire menaçant d’engloutir son royaume dans la peur ?!

Entièrement raconté en voix off, celle d’une reine emplie de sagesse et de discernement, le conte revient sur tous les grands moments de l’histoire de Blanche-Neige en distordant nos certitudes : l’enfant est en fait un vampire qui, après avoir tué son père, a réchappé à la première tentative d’assassinat de sa belle-mère.
Comme tous les personnages Gaimaniens, la reine ploie sous ses responsabilités et désespère de se débarrasser de ce charmant petit monstre dépourvu de parole et qui ne recule devant rien -meurtres, parricide, inceste- pour arriver à ses fins.

Doran limite au maximum les cartouches de texte pour fournir des illustrations saisissantes de poésie macabre et de sensualité : le cœur arraché de Blanche qui continue de battre au dessus du lit de sa belle-mère, des scènes érotiques pleines d’élégance, la beauté inquiétante et impénétrable de Blanche, tout ceci s’exprime sur des pleines pages dans un sens de lecture vertical rappelant les enluminures des contes de fées.

Toutes ces informations visuelles se superposent sans en télescoper aucunes avec un confort de lecture n’ayant d’égal que le malaise croissant que ressent le lecteur face à la perversion de ses repères littéraires. En manipulant son lecteur, Gaiman parvient à l’amener à ressentir un maximum d’empathie envers celle qui catalyse la haine populaire depuis des siècles.

Une incroyable exploration visuelle d’un voyage au pays de l’horreur insoupçonnée, celle où son héroïne n’est plus blanche comme neige et où le rouge est la couleur du péché : celui d’avoir haï à tort une reine aussi grande que ce petit bout de BD.

©Dark Horse Books ©Black River

5 comments

  • JB  

    Merci pour cette découverte.
    J’en ai profité pour parcourir le récit. J’ai beaucoup aimé l’inversion du « Cœur révélateur ».
    Je garde l’impression que l’auteur laisse planer le doute sur la fiabilité du récit de la Reine : quelques scènes comme la Reine songeant à faire tuer les Nains parce qu’ils vendent des cristaux sans valeurs, ou encore la mention fugitive d’un sort jeté lors de la première rencontre avec le Roi, laissent entendre qu’elle est moins héroïque et bienveillante qu’elle le prétend.
    Pour autant, Gaiman me semble coller de très près à la version des frères Grimm : l’aspect nécrophile du Prince, ou encore la punition finale, qui est pour le coup moins sadique que dans le conte.

  • Nicolas  

    Je hais Neil Gaiman. Je suis très déçu et en colère. Quand allons nous enfin descendre cet animal de son piédestal et le reconnaître pour ce qu’il est : un individu méprisable qui cache ses penchants derrière une logorrhée d’écriture qui dure depuis 35 ans.

    Enfin je sais pas. Rien que ce conte sur Blanche Neige révèle ses obsessions à travers le fil de sa narration. Merlin l’enchanteur se sera révélé pire que Mordred en fin de compte.

    • Chip  

      Je comprends le sentiment de trahison. En revanche, au-delà de l’homme et de ses probables travers, je pense que ses divers discours, soit implicites via le récit et les thèmes, soit explicites sur la place des femmes en tant que personnages, autrices et lectrices ne révèlent pas de la simple posture et ont contribué à faire avancer les choses.

      Le problème n’est pas tant l’homme que sur le piedestal, justement, sur lequel on l’a mis, et je dis ça alors que j’ai été et reste profondément touché par ses oeuvres. Ca n’est hélas ni le premier, ni le dernier.

      Désolé taulier, mais il semblait couru d’avance que ça serait abordé.

      • Jyrille  

        Je ne suis pas au courant, Gaiman aussi a été accusé de harcèlement ?

  • Jyrille  

    Un très tour d’horizon d’une oeuvre que je n’ai pas voulue essayer : les dessins sont très beaux mais le propos ne m’intéresse pas, cela semble être une récréation pour tous les auteurs. Je suis certain que c’est agréable à lire, mais 5 étoiles, vraiment ? Merci en tout cas pour la présentation, j’en sais désormais plus sur cette oeuvre.

    « Alors que la prochaine adaptation de Blanche-Neige n’en finit plus de déclencher les pires spéculations » Je ne suis pas du tout au courant non plus ! Une version live ? Celles avec le Chasseur n’étaient pas assez bien (et je ne les ai toujours pas vues alors que je suis sûr que c’est fun) ?

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