Desolation Jones par Warren Ellis et JH Williams III
Première publication le 22/02/15- Mise à jour le 27/08/16
AUTEUR : JP NGUYEN
VO : Wildstorm
VF : Panini
Cet article couvre le premier arc de la série Desolation Jones, soit les numéros 1 à 6 parus en 2005-2006 chez Wildstorm (un label de DC Comics disparu en 2010), sur un scénario de Warren Ellis, avec des dessins de JH Williams III et des couleurs de Jose Villarubia.
Un deuxième arc était prévu, illustré par Daniel Zezelj, mais il est resté inachevé (seulement 2 numéros parus sur 6).
Michael Jones (oui, comme le pote à Jean-Jacques) est un ancien agent du MI6, que l’alcoolisme a éloigné du terrain et qui s’est retrouvé soumis au protocole du Desolation Test dont il est à ce jour le seul survivant. Pendant un an, il est resté cloué sur un lit d’hôpital, maintenu artificiellement éveillé à devoir regarder des images morbides.
Il en est ressorti avec un corps sacrément amoché mais certaines capacités spéciales qui font de lui un détective privé, au talent reconnu au sein de la communauté des ex-espions de Los Angeles. La cité des anges est en effet une prison à ciel ouvert pour tous les agents retraités et sujets d’expériences bizarres comme lui.
Le récit débute lorsque Desolation Jones reçoit un message de son agent, Jeronimus Corneliszoon, lui enjoignant de se rendre chez un certain colonel Nigh. Voituré par son amie, Robina, il débarque chez Nigh et se voit confier la mission de retrouver un item peu commun : les films pornographiques de et avec Adolf Hitler, tournés en 1944 dans son bunker berlinois.
Nigh les possédait mais il a été cambriolé et les voleurs lui ont déjà soutiré de fortes sommes d’argent sans lui rendre son bien. A la sortie de leur entretien, Jones tombe sur Angela, la fille ainée de Nigh, qui croit que son père a engagé Jones pour retrouver Paula, sa sœur cadette.
Débute alors une longue enquête qui va plonger Jones dans le milieu du cinéma pornographique de L.A. et l’amener sur une affaire bien plus sinistre que les hypothétiques galipettes sur pellicule du Fuhrer. L’intrigue s’inspire assez fortement du roman de Chandler Le grand sommeil mais Ellis y apporte suffisamment de variations et d’exotisme pour qu’on ne s’endorme jamais.
Surtout ne partez pas ! Après une telle introduction, cette BD peut sembler glauquissime mais elle a beaucoup d’arguments à faire valoir. En premier lieu, le dessin de JH Williams III, un artiste au trait réaliste et élégant dont les mises en page sont souvent audacieuses ou innovantes. Il nous gratifie même ça et là de cases voire de séquences peintes. Donc, ça parle de trucs moches mais c’est beau à voir.
Les textes de Warren Ellis sont aussi très bons. Les dialogues font transparaître les caractères et les personnages font souvent preuve d’un bon sens de la répartie, sans que cela ne ressorte comme trop artificiel. Ellis s’autorise de temps à autre quelques digressions plus ou moins longues.
Dans le premier chapitre, on a droit à une page sur la surmodernité (« supermodernism » en VO) dont Los Angeles est un exemple flagrant : ville prévue pour la voiture, c’est un ensemble de banlieues reliées par des autoroutes. Du coup, les gens s’y déplacent plus qu’ils n’y vivent (c’est un « non-lieu », au sens de Marc Augé, anthropologue français à l’origine de la définition de surmodernité).
Mais la digression la plus connue à propos de Desolation Jones, c’est sans doute celle du numéro 3, où pour se renseigner sur les voleurs de films, Jones discute avec Nicole, une actrice X. Pendant sept (SEPT !) pages, Nicole va lui parler de l’industrie du porno, de ce qui amène une fille dans cette activité, du parcours classique, des tarifs en vigueur, du quotidien dans le métier… Certains passages sont bouleversants voire écoeurants et JH Williams III accentue parfois le malaise en jouant sur le dérèglement des perceptions de Michael Jones.
Revenons à Jones, justement. C’est un type au look minable, au teint grisâtre et au regard désabusé. Il évoque parfois un peu Philip Marlowe interprété par Robert Mitchum dans Le grand sommeil mais un Mitchum qu’on aurait commencé à lyophiliser. Il ne peut plus boire une goutte d’alcool mais fume des pétards et se shoote aux amphétamines.
Il porte des grosses lunettes et un imperméable orange pour se protéger du soleil (pas de bol, il est scotché à L.A.). Il est taillé comme une arbalète mais possède de sacrés réflexes de combat et surtout, peut se montrer impitoyable.
Et pourtant, on s’attache assez vite à lui car malgré l’épreuve qu’il a enduré, il a gardé des restes d’humanité voire un soupçon d’espoir, puisqu’il est capable de voir les anges dans le ciel de L.A. (autre effet secondaire de son expérience). En l’accompagnant dans son enquête, on apprend aussi à connaître ses contacts et associés, faune bigarrée d’anciens agents gouvernementaux. Et enfin, Jeronimus Corneliszoon, avocat et agent de Jones, a été opéré pour limiter ses prises alimentaires. Il n’a plus besoin de manger que quatre fois par an, mais de la viande crue à chaque fois, qu’il dévore sur une vache en plein champ…
A des degrés divers, ce sont tous des cobayes survivants et on songe parfois à l’expérience X qu’a subie Wolverine, sauf que dans le Los Angeles de Desolation Jones, les rescapés sont plus nombreux et les programmes plus variés (et farfelus). Tous ces personnages d’anciens agents aux parcours étonnants donnent à la série une ambiance unique.
Je ne dévoilerai pas toute la suite du récit, sachez simplement que Mike Jones au fil de sa progression, recroisera toutes les filles du colonel Nigh, y compris Jessica, la benjamine et qu’il dérouillera pas mal en se faisant frapper à coups de barre à mine et tirer dessus.
Remis sur pied, Desolation Jones fera toute la lumière sur l’affaire et répliquera de façon impitoyable. Mais le coup le plus dur arrivera à l’antépénultième page lorsque, en revenant de la propriété des Nigh, Robina se fait abattre par un sniper, commandité par Filthy Sanchez, avec qui Jones avait eu maille à partir lors du premier chapitre.
Avec une telle fin et un univers aussi baroque et décalé mis en place lors de ce premier récit, on en redemanderait volontiers mais l’arc suivant (où l’on parle notamment de la vie de Philipp K. Dick) a été laissé en jachère et les dernières déclarations de Warren Ellis en 2012 sur le sujet laissent entendre qu’il n’y reviendra pas. Désolant.
Tiens, bah voilà un autre Warren Ellis qui m’intéresse. Je ne connaissais pas. ça m’a l’air très bien.
Merci pour la découverte, JP. Je vais surement me faire un achat groupé de One shot de Mr Ellis. Cap Swing, Ocean, Desolation Jones.
« Les rediffs de l’été: British Invasion ! »
« Desolation Jones » ! Warren Ellis et JH Williams III ! Un détective génétiquement modifié à la recherche des pornos de Hitler ! Des freaks et des paumés ! Un presque chef d’oeuvre selon Jean-Pascal Nguyen pour Bruce III !
LA BO du jour : probablement ma chanson de Dylan préférée par Mike » foi perdue » Patton ! « Parce que quelque chose est arrivé ici/ mais tu n’en as la moindre idée/ pas vrai Mr Jones ? » https://www.youtube.com/watch?v=S4f1hOm8cUg
Ah ah merci pour les chansons les gars, c’est de la bonne zik ça ! JP ton article est toujours bien cool. Et comme j’avais relu Desolation Jones après sa lecture, je l’ai bien mémoire là… Tenté par Supreme Blue Rose ?
Supreme Blue Rose : ajouté dans la « maybe » list.
Never in this life. Or the other one…
Mais au moins, indirectement via Ellis, j’ai découverte cette reprise de Mike Patton…
Bon…
Lu cette nuit….
Les dessins et la mise en scène sont très bons.
Pour le reste j’ai pas aimé.
Comme d’ab, le récit de Ellis commence encore de la même manière : un type sale et puant (là, on nous fait comprendre que c’est la couverture de Jones qui sent la bête) est amené à cotoyer d’autres freaks après une convocation en bonne et due forme (le même début que Transmetropolitan par exemple).
Ellis m’ennuie, je n’accroche pas à ces histoires. Ici on est dans le décalque de Artères Souteraines en moins bon dans le texte.
Fin réussie et concise.
D’ailleurs présente en image dans cet article
Pas accroché non plus sur celui là… un sous Transmetropolitan…
N’ayant toujours pas lu Transmet, je ne peux pas saisir votre comparaison… Pour Bruce, il faudrait faire un test et te faire lire du Ellis à ton insu…
impossible ! C’est comme le poisson ! tu peux me mettre une infime parcelle de poisson dans mon assiette, mélangé et tout ça, je le saurais (je déteste le poisson).
J’en parlais hier soir de visu avec Présence : Morrison, Ellis, Millar, Bendis je connais leurs tics d’écriture par coeur. Même en blind test, je pourrais déterminer qui a écrit quoi.
ils ont des styles très reconnaissables, il est vrai…
Ennis aussi du reste… et que dire de Miller?
bizarrement depuis les auteurs suivants ressemble à une armada anonyme?
qui sait différencier Tom Taylor, de Al Ewing, Lemire, Cullen Bunn, Charles Soule etc…
Ahaha….Là, tu prêches un convaincu ! Aucun style !
Je donnerais un bon point à Lemire dont je peux apprécier l’écriture sensible et mélancolique. Le style est là.
Tu as raison d’évoquer Miller : c’est un très bon écrivain.
Le truc, c’est que ces écrivains possèdent une patte qui les mettent au dessus du lot lambda des auteurs de comics…
Ce fut un temps assez saoulant de les voir imposés partout mais le fait demeurent qu’ils écrivent bien (et c’est le cas de Ellis qui sur Planetary obtient quelques moments de grâce assez inattendus pour un cynique de son genre…)
Leur limites vient par contre de leur manière d’avoir des fixettes qui les mènent à tourner en rond assez rapidement…
Bendis s’est cramé chez Marvel et j’espère qu’il va se ressourcer. son affinité avec les mondes des rédaction ou de la police pourrait donner du relief au Daily Planet… j’attends plus ça que ses menaces cosmiques qui ne me font plus ni chaud ni froid… néanmoins je risque d’y jeter mon œil gauche un de ces jours…
Je suis faible. Je me suis pris le ECHOLANDS.
panini.fr/shp_fra_fr/echolands-1-fecho001-fr02.html
je les ai en VO. C’est beau mais assez creux à l’arrivée avec un script peu passionnant, qui pèche par déséquilibre dans le rythme.