Twin Peaks 3 : l’impossible retour

Focus : Twin Peaks 3

Special Guest : DAVID BREHON

Encore un article sur Twin Peaks saison 3 ? C’est une obsession, chez Bruce Lit ? Et d’ailleurs, qu’est-ce qu’on peut bien ajouter après l’excellentissime article de Tornado et le nom moins brillant article de Steve Tringale, frérot de Bruce tout puissant himself ?
De la mauvaise foi, pour commencer. On peut toujours dire que les oeuvres de David Lynch sont tellement riches et laissent la porte ouverte à tellement d’interprétations que l’on ne pourra jamais épuiser le sujet. Mais je ne vais pas me payer votre bouille, la seule et unique raison pour laquelle un troisième hurluberlu vous parle de cette fameuse série sur ce site, c’est qu’il en a envie. Let’s rock!

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David Lynch et Mark Frost sont des escrocs. Les plus grands escrocs de l’histoire de la télévision. Ils nous avaient déjà fait le coup avec le lancement de Twin Peaks en 1990 en nous annonçant une série télévisée devant répondre à la fameuse question : Who killed Laura Palmer ? Et qu’ont fait ces deux arnaqueurs de haut vol ? Ils ont menti. Oui, ils ont bien livré une série télévisée. Mais vous en aviez déjà vu, des séries comme celle-là, en 1990 ? On s’attendait à un nouveau Dallas, Colombo, Beverly Hills, bref à un truc qui rentre dans les standards du format. Eh bien, non, les deux lascars ont purement dynamité les codes et les limites du genre, pariodant le soap, le mêlant au polar, invitant le fantastique, l’horreur et imposant une mise en scène et une ambition cinématographiques.

Bref, ils ont inventé le concept de série de qualité destinée à un public cérébré. Une aberration ! Un oxymore ! Si moult téléspectateurs sont dans un premier temps tombés dans le piège en espérant découvrir l’identité du coupable, ils ont abandonné la série dès qu’ils ont compris que ce feuilleton allait solliciter leurs neurones. Lynch et Frost s’étaient servis du prétexte fallacieux d’une enquête policière pour explorer les secrets pervers d’une communauté. Et l’on n’aurait jamais connu le nom du coupable si ABC (commanditaire de la série) n’avait pas forcé la main aux 2 auteurs. Des escrocs, vous dis-je. Vous voulez une autre preuve ? Face à la chute de l’audience, la chaîne décide de ne pas reconduire la série pour une 3e saison. Dans un baroud d’honneur, Lynch et Frost terminent leur série sur une série de cliffhangers insoutenables, persuadés qu’ABC serait obligé de programmer une suite. La chaîne ne céda pas au chantage et les quelques millions de fans encore fidèles à la série restèrent traumatisés par un suspense insupportable en guise de conclusion.

Un espoir se fit jour lorsque Lynch (sans Frost) décidait, à la surprise générale, de poursuivre l’aventure Twin Peaks dans un long-métrage. Les fans allaient enfin être respectés et asssiter à la suite des aventures de l’agent Cooper. Que nenni, mes amis. Lynch choisit de raconter les 7 derniers jours de Laura Palmer, de proposer un prélude au lieu d’une suite. Mais la mascarade ne s’arrêta pas là. Au lieu de retrouver l’ambiance de la série, les fans découvrirent un film d’auteur angoissant en total décalage avec le ton de la série. Twin Peaks: Fire Walk with Me fut une douche froide pour beaucoup et reçut un accueil glacial au festival de Cannes.


Fire Walk with Me : un premier retour controversé

Suite à cet échec, Lynch annonça qu’il tournait définitivement la page et ne reviendrait plus dans cette charmante bourgade où l’on tue les adolescentes dans la joie et la bonne humeur. Auréolée d’un statut de série culte parmi les séries cultes, Twin Peaks ne fut jamais oubliée et même Fire Walk with Me, incompris à l’époque, était désormais qualifié de chef-d’oeuvre. Suivant cet exemple, HBO et consorts lancèrent une nouvelle génération de feuilletons dont la qualité rivalisait avec celle de leur aîné.

Dans ce contexte d’euphorie et de surenchère télévisuelle, un bruissement retentit sur les réseaux sociaux : les chewing gums que nous aimions tant allaient revenir à la mode. Par cette réplique bien connue des fans, Lynch et Frost n’annonçaient rien de moins que le retour inespéré de leur série. Un retour prévu 25 ans après que Laura Palmer a soufflé dans l’oreille du bienveillant Dale : « Nous nous reverrons dans 25 ans ». Le miracle allait enfin avoir lieu et la fiction rejoindrait la réalité du téléspectateur. Alors, les fans, heureux ? Non, pas vraiment. Malgré l’annonce d’un casting enthousiasmant (presque tous les acteurs de la série orginale encore vivants étaient conviés, mais aussi des stars qu’on n’attendait pas comme Monica Bellucci, James Belushi, Richard Chamberlain et des habitués de la filmographie de Lynch comme Naomi Watts ou Laura Dern), la production fut loin d’être rassurante. Mécontent des conditions financières qui lui étaient accordées, Lynch claqua la porte avant le tournage. Le psychodrame ne s’arrêta que lorsque Showtime (commanditaire de la saison 3) céda et lui propose une rallonge. La durée de la série s’allongea au passage, tout comme les délais de production. C’est au final 26 et non 25 ans qu’il fallut attendre. Une autre promesse non tenue, même si c’était pour la bonne cause.

On nous annonça pour cette saison une méthode de diffusion jamais vue, évoquant même une sortie au cinéma. Encore une demi-vérité, seuls les deux premiers épisodes y ayant droit, et uniquement dans le cadre du Festival de Cannes. Ce même festival qui avait conspué le film. L’accueil serait-il aussi froid cette fois ? Pour la joie de tous, ce fut une triomphe. Les critiques ovationnèrent Lynch. Twin Peaks: The Return était lancé sous les meilleurs auspices. La plus grande arnaque de l’histoire des séries télévisées pouvait débuter.

Twin Peaks. On ne peut évoquer cette série sans penser à la ville elle-même qui est un personnage en soi, un monde à part, perdu hors du temps et immuable. Juste après, on se remémore le visage lisse et courtois de Dale Cooper, ce personnage qu’on ne peut qu’adorer. Qui dit Cooper dit Audrey, la charmante petite peste amoureuse de son bel agent spécial. Puis toute la galerie de personnages loufoques et attachants qui donnait cette saveur unique à ce petit monde. Et enfin, impossible d’évoquer Twin Peaks sans entendre résonner dans sa tête la musique envoutante d’Angelo Badalamenti, musique qui contribua grandement à l’identité et au succès du feuilleton. Les fans espéraient enfin retrouver tout cela dans Twin Peaks, The Return.Perdu.


Vous y avez cru, Lynch et Frost vous ont encore eus.

Le générique de la saison 3 s’ouvre sur une mélodie bien connue et reprend l’identité visuelle des saisons précédentes. On enchaîne avec une introduction nous permettant de retrouver l’agent Cooper exactement là où nous l’avions laissé il y a 25 ans. Mais soudain, c’est la rupture. Les deux heures suivantes ont de quoi décontenancer le fan le plus absolu. Des séquences se déroulant à New York ou dans le Dakota du Sud avec des inconnus se succèdent, sans que l’on puisse identifier ce qui les relie à la série originale. Il y a bien quelques scénettes éparses localisées à Twin Peaks avec quelques visages familiers mais elles ne semblent avoir aucun lien avec ce qui se déroule dans les autres villes. Nous sommes immergés dans un monde inconnu, froid, effrayant, face à un puzzle dont nous ne parvenons pas à assembler les pièces.

Le choc est total, absolu. Presque rien ne nous permet de nous raccrocher à ce que nous connaissions. Frost et Lynch ne nous donne absolument rien de ce que nous étions en droit d’espérer. Ils ne nous ramènent pas à Twin Peaks. D’ailleurs, le Twin Peaks que l’on a connu n’existe plus. Cette saison sera la promesse toujours déçue d’un impossible retour. Et les deux compères vont s’ingénier à jouer avec nos attentes tout le long de série, jusqu’à la scène finale, ne nous donnant jamais ce qu’on espère, ou en dose infime, suffisamment pour nous laisser espérer que nous finirons par obtenir ce que nous voulons dans l’épisode suivant. Twin Peaks : The Return est donc le titre le plus diaboliquement mensonger que l’on puisse imaginer.

Vous adoreriez l’ambiance musicale des deux premières saisons ? Vous ne trouverez ici qu’un habillage sonore glacial et glaçant. De ce décalage naît une angoisse sourde qui ne nous laisse aucun répit. Et lorsque soudain, lorsque nous ne les attendions plus, les mélodies d’Angelo Badalamenti retentissent à nouveau, leur impact démultiplié. L’émotion nous étreint, faisant écho aux souvenirs qui submergent Bobby Briggs à l’évocation de Laura Palmer.

Dans cette troisième saison sans concession, les morceaux du passé resurgissent au compte-goutte, mais toujours à propos, qu’il s’agisse de souligner le retour d’un personnage iconique ou d’évoquer un passé à jamais révolu. Parce qu’elle semble presqu’absente, la musique prend une place prépondérante dans cette saison 3. Les nouvelles compositions (rares mais superbes) de Badalamenti alternent avec des standards de la soul, des musiques expérimentales et même l’inoubliable Threnody to the victims of Hiroshima. Mais la plus grosse surprise musicale que nous réserve Lynch consiste à conclure quasiment tous ses épisodes par un concert au Bang Bang Bar, établissement emblématique où officiait Julee Cruise auparavant. Sauf qu’à la place de la chanteuse attitrée, un aréopage éclectique d’artistes inattendus se succèdent, des Chromatics à Nine Inch Nails. L’instauration de ce rituel musical est la seule bouée de sauvetage accordée aux spectateurs, seul repère dans un océan inconnu où il est impossible de deviner à quoi ressemblera la minute suivante. Mais même cet exercice est l’occasion pour Lynch de jouer avec les attentes du public pour mieux le déstabiliser.


Une performance de The Nine Inch Nails dans le Bang Bang Bar très éloignée de celles de Julee Cruise

Cooper, un esprit brillant à la spiritualité unique, d’une probité aussi irréprochable que le repassage de son costume. Ce brave Dale des chaumières vous a manqué ? Lorsque Kyle McLachlan réapparaît à l’écran hors de la Lodge, on ne peut être qu’horrifié. Vous ne verrez point ici le rassurant agent du FBI mais son reflet maléfique, visage familier arborant un look et une expression impitoyable qui le rendent méconnaissable. Mais le gentil Cooper finira bien par sortir de sa loge, non ? Là encore, Lynch déjoue tous nos espoirs en nous servant un menu bien différent. C’est un Cooper mentalement diminué qui s’incarne dans le corps de son double (triple ?) Dougie Jones, agent d’assurance beauf, joueur et volage. Cette grotesque parodie de ce qui fut l’esprit le plus brillant de la série prend les fans à rebrousse-poil, les obligeant à assister à l’interminable calvaire d’un autiste incapable de s’exprimer autrement qu’en reprenant les derniers mots de son interlocuteur. A tous ceux qui espéraient que cette situation ridicule et franchement gênante soit provisoire, Lynch leur répond en faisant des pérégrinations de Dougie à Las Vegas, le coeur de la série. Et ce personnage souffrant d’un insupportable psittacisme va horripiler le spectateur… jusqu’à ce qu’il finisse par s’attacher à lui.

Et lorsque la farce laisse place à l’émotion, Lynch et Frost retirent une nouvelle fois le tapis sous nos pieds, ramenant in extremis le vrai Cooper dans toute sa dignité pour l’affrontement final contre les forces du mal. Alors que nous ne l’attendions plus, ce retour dissipe instantanément 25 ans de frustration en quelques scènes jouissives. A peine commençons-nous à savourer notre bonheur que Lynch et Frost escamotent la confrontation inéluctable entre le bon et le mauvais Cooper. A la place, nous avons droit à un match hallucinant entre un Irlandais muni d’un gant vert et une boule flottante maléfique. Le combat tout juste achevé, Cooper interrompt ses retrouvailles tant attendues avec ses anciens amis et collègues pour partir derechef en mission. Une mission qui le transformera une nouvelle fois, au grand dam des innombrables nostalgiques du vieux Dale.

https://www.youtube.com/watch?v=4qUzVKyg5nk
. Cooper est enfin de retour. Vraiment ?

Cooper n’est pas le seul personnage à souffrir de la volonté de Lynch et Frost de refuser tout fan service. Audrey, la délicieuse garce romantique, est la grande absente de ce faux retour à Twin Peaks. Il faut attendre la fin de la saison pour la voir enfin réapparaître. Et sa réapparition a de quoi laisser pantois. Bloquée dans une interminable scène de ménage sans queue ni tête, elle semble évoluer dans un environnement déconnecté de la réalité. Au point que la dernière scène dans laquelle elle apparaît remet en cause l’existence même de ce tout ce qui a précédé. Mais bien plus frustrant que l’absence de réponse à cet insondable mystère, c’est la personnalité même d’Audrey qui risque de rebuter le spectateur. Il ne reste rien de la malicieuse intrigante que l’on a aimé dans cette mégère dépendant de son gnome de mari. Et sa piètre tentative de retrouver son heure de gloire à travers la reprise de sa danse favorite ne fait que nous rappeler cruellement que le passé est définitivement révolu.

Si les autres personnages historiques de la série ne sont pas autant martyrisés qu’Audrey et Dale, la place qui leur est attribuée est, pour la plupart, anecdotique. Le temps qui passe a fait son oeuvre et les charmants et excentriques habitants de la bien-aimé bourgade ont vu la réalité les rattraper. Twin Peaks n’est plus cette petite ville semblant tout droit sortie des années 1950, avec sa station-service, sa pom-pom girl, son capitaine de l’équipe de foot, son motard rebelle et romantique, son café avec un bon vieux jukebox. Norma Jennings a transformé son convivial relais routier célèbre pour ses cherry pies en chaîne de restaurants franchisés.

Ruiné, le Docteur Jacoby se terre dans les bois et enregistre un podcast anticapitaliste… lui servant à vendre son merchandising. Jerry Horne a fini par laisser ses démons le submerger. Ce ne seront pas la luxure ou la gourmandise qui auront finalement eu raison de sa raison mais la drogue. La drogue était d’ailleurs déjà au centre des deux premières saisons. Mais il n’en était question que comme une métaphore du mal, il s’agissait d’un commerce dont on ne voyait pas les effets véritables (l’exception étant le film Fire Walk With Me qui, par contraste, montrait Laura Palmer se prostituer pour avoir sa dose). Dans la saison 3, il n’est plus question de jeter un voile pudique sur les effets de la drogue. Entre les hallucinations pitoyables de Jerry et la déchéance du petit ami de la fille de Shelly, la ville a perdu son aspect idyllique cachant de sombres secrets au profit d’une réalité crue et impitoyable. Si les charmes d’hier se sont évaporés, les démons sont en revanche toujours présents : la famille Renaud gère toujours un trafic de prostitution. Autre ravage du temps, les couples adultères ont fini par se séparer à l’instar de Benjamin et Sylvia Horne ou de Bobby et Shelly. Dans cet océan de désespoir sentimental où les amours sont condamnées à des issues tragiques, seul le délétère triangle amoureux Nadine-Ed-Norma offre une happy end aussi inattendue que salvatrice. Les personnages des deux premières saisons sont toujours présents mais leurs destins ne sont plus connectés entre eux, les liens se sont dissous.


Ed et Norma : la seule happy end de cette saison ?

Reniant l’ensemble des règles des saop operas qui servaient de ciment à la série, c’est-à-dire l’éternel retour au statu quo après moult péripéties, Lynch et Frost confrontent leurs personnages aux turpitudes du temps et à leur inéluctable destin. C’est ainsi que la femme à la bûche s’éteindra dans la série comme dans la vie, suite à une longue maladie (la sachant condammnée, Lynch a d’ailleurs tourné ses bouleversantes dernières scènes juste avant qu’elle ne décède). Les spectres du colonel Briggs et de Bob, dont les acteurs sont morts, hanteront également cette saison. Plus rien ne sera jamais comme avant pour Twin Peaks et ses habitants.

Au final, nous retrouvons pourtant dans cette troisième saison tous les ingrédients de Twin Peaks : de l’amour, des adultères, des issues tragiques, de l’humour décalé, des mystères, des protagonistes excentriques, des héros emblématiques, des lieux caractéristiques, des mystères et des intrigues qui ont fait notre bonheur… Le cahier des charges est rempli mais le produit final ne correspond en rien à ce que nous attendions. La tarte à la cerise a désormais un goût de cendre et le café se déguste dans un gobelet Starbuck.

Le contraste entre les deux premières saisons et la troisième ne s’arrête pas là. La structure même du récit est aux antipodes de ce qui a précédé. Twin Peaks était une série à l’écriture extrêmement travaillée et codifiée, respectant scrupuleusement l’unité de lieu et de temps. Chaque épisode se déroulait sur une journée et chaque scène se déroulait dans la ville ou son environnement proche. Dans ce cadre balisé, les intrigues s’enchaînaient en tenant compte du sacro-saint rythme des coupure publicitaires. Pour leur retour, Lynch et Frost se sont affranchis de toute contrainte.

Le script a été tout d’abord écrit pour tenir sur 8 épisodes. La saison en comptera finalement 18, Lynch se permettant d’audacieuses longueurs (la scène du balayeur) et des expérimentations révolutionnaires (le fameux épisode 8). Le tout a été pensé et filmé comme un immense long-métrage pour lequel le découpage en épisodes n’est intervenu que dans un second temps. Le résultat ne ressemble donc à rien de ce que l’on a pu expérimenter auparavant en termes de rythme, de structure, de construction scénaristique. Le spectateur est laissé sans repère face à un puzzle immersif et sensoriel qu’il doit tenter de reconstituer, chaque nouvel épisode complexifiant l’ensemble au lieu d’apporter des réponses aux mystères des épisodes précédents. Finalement, Lynch et Frost achèvent le spectateur en jouant sur les notions mêmes de réalité et de temporalité. Sans même évoquer les épisodes 17 et 18 qui remettent en cause les fondements de la série dans une vertigineuse réinvention du pilote et du film, les auteurs perturbent la narration en multipliant les fausses pistes, les intrigues en cul-de-sac, allant jusqu’à nous faire douter de ce que nous avons vu (la scène du Double R où les clients ne sont pas les mêmes d’un plan à l’autre). Qui sont ses filles du Bang Bang Bar qui évoquent des personnages que nous ne connaîtront jamais ? Qui est le Billy qu’évoque Audrey ? Quel est le problème de cette fille malade dans la voiture ? Pourquoi Andy attend-il si longtemps sur cette route déserte ? Quel est le sens de toutes ces scènes déconnectées ? Nous n’aurons aucune réponse.

https://www.youtube.com/watch?v=4IKUeIEdRMY
Oui, vous êtes bien devant Twin Peaks. Vous attendiez des réponses ? Les voici. Ou pas.

L’absence de réponses est d’ailleurs la plus grande des arnaques de la saison 3. Nous avions quitté chaque personnage dans une situation critique lors du cliffhanger de la saison 2. Après le film ne répondant à aucune question mais en en posant d’autres, Lynch récidive. Nous ne saurons jamais comment va Annie (How is Annie ?), ce qu’il est advenu de Leo Johnson, de Windom Earle, de Pete Martel et même d’Audrey Horne (pourtant bien présente). Nous n’apprendrons pas plus comment s’est résolu l’affrontement entre le Docteur Hayward et Ben Horne sur la paternité de Donna. Le seul point qui sera abordé est le sort de ce pauvre Cooper coincé dans la Black Lodge. Vous croyiez avoir compris la mythologie des Lodges et de ses mystérieux habitants ? Lynch et Frost renversent l’échiquier et placent la mystérieuse Judy, cryptiquement évoquée par David Bowie dans le film, au centre de cet univers. Vous aimiez ce nain qui dansait ? Il a muté en un arbre qui susurre. Vous aimiez la red room ? On vous sert une pink room. Vous aimiez ce monde confiné ? Vous serez plongé dans le vide spatial et visiterez une île entourée d’une mer déchaînée tandis que les rares indices pourraient bien venir d’un personnage connu transformé en théière. Des mystères, toujours plus de mystères… et une explosion nucléaire pour principale explication. Rassurez-vous, même si vous parvenez à tout comprendre, toute cette mythologie fascinante est balayée d’un revers de la main dans un final abscons et angoissant. Autant dire que si vous aviez attendu 25 ans pour avoir les réponses, vous en serez pour vos frais*.

La saison 3 de Twin Peaks a perturbé à juste titre de nombreux fans de la première heure qui n’ont pas retrouvé ce qu’ils aimaient tant dans la série. Ils ont eu l’impression qu’on leur a refilé une camelote qui n’avait rien à voir avec le titre sur l’emballage. Et ils ont eu raison. Twin Peaks : The Return est tout sauf un retour. Au contraire, l’un des messages essentielle de cette oeuvre est de prouver que le retour n’est jamais possible après une longue absence. Le monde change et revenir en arrière n’est jamais possible. Pour mieux appuyer leur propos, les auteurs renvoie littéralement Cooper dans le passé, changeant ainsi l’existence même de ce que nous avions connu. Pendant 18 épisodes, Lynch et Frost ont joué avec nos attentes sans jamais y répondre vraiment. En revanche, ils nous ont proposé autre chose, une oeuvre d’une puissance magistrale, qui dynamite – une nouvelle fois – tous les standards du feuilleton télévisé comme ils avaient su le faire il y a plus de 25 ans. Ils ont réussi à reproduire l’impossible : l’effet de surprise de la première saison, la sensation d’être face à quelque chose de complètement nouveau, de totalement inconnu. Comme cela était si joliment exprimé par Alain Delon dans Le Guépard de Visconti, il faut que tout change pour que rien ne change. Sous couvert d’un revival nostalgique, Lynch et Frost ont produit un chef-d’oeuvre, l’équivalent pour la télévision de ce que fut 2001, l’Odyssée de l’Espace pour le cinéma. Décidément, Lynch et Frost sont de sacrés escrocs. De magnifiques escrocs.

Alors que cette saison 3 est désormais unanimement reconnue comme une oeuvre majeure, les fans sont toujours en attente d’une conclusion, le dernier épisode s’achevant – à nouveau – sur un effroyable suspense. Mais les réseaux sociaux bruissent à la rumeur qu’une saison 4 serait en préparation. Simple rumeur, ou éternel recommencement ?

*Pour l’anecdote, les réponses à presque toutes vos questions sur le final de la deuxième saison finirent par arriver sous la forme de deux livres écrits par Mark Frost.


Le retour qui se sera fait le plus attendre : celui d’Audrey et de sa célèbre danse

20 comments

  • Bruce lit  

    Quel bonheur de savoir que ce genre de séries puissent encore exister à une époque où des films sont faits / ne sont pas faits pour plaire/ne pas déplaire à la vox popula.
    Twin Peaks comme un espace de liberté hors-du-temps, des conventions et de la mélasse du sentimentalisme/moralisme/pudibondisme ambiant ?

    Quel bonheur de savoir que des artistes peuvent encore se permettre de ne rien faire comme les autres même si je ne suis pas dupe sur le fait qu’un jeune réalisateur n’aurait certainement pas la même latitude de David Lynch.

    Au contraire de TERMINATOR, ALIEN, STAR TREK (on en parle cette semaine) et même X-FILES, TWIN PEAKS a gardé sa dignité, c’est formidable.
    Et même si on ne sait pas ce qu’est devenue Annie Briggs, je voudrais faire cette experience de TWIN PEAKS 3 même si ce n’est pas demain la veille qu’elle se produira : pas de télé, lecteur DVD et surtout la crainte que tout ça n’intéresse pas Madame. Je voudrais avant tout revoir dans sa continuité.

    En tout cas, en interne la boucle est bouclée 3 articles pour la saison 3 de Twin Peaks.
    Merci David, tu es ici chez toi (et tu le sais).

  • David  

    Oui, la liberté dont a bénéficié Lynch pour Twin Peaks saison 3 est assez unique dans l’histoire de la télévision, même s’il a dû batailler ferme pour obtenir le budget nécessaire. Mais comme tu le précises, un petit jeune n’aurait pas eu les mêmes égards. Lors de la seconde saison il y a 30 ans, la chaîne avait obligé Lynch à révéler le nom du coupable. La guerre des plateformes de stress oblige les producteurs à plus d’audace et le public est plus mature. Alors que côté cinéma, on observe le mouvement inverse avec une uniformisation des films et la quête obsessionnelle de franchises grand public.

    Merci pour l’accueil. Je reviendrai avec plaisir, Bruce.

  • Présence  

    Je ne garde que de vagues souvenirs de la saison 1 et je n’ai pas dû regarder la saison 2 de Twin Peaks.

    Un troisième article sur la saison de Twin Peaks : pourquoi pas ? Comme il s’agit d’une œuvre que je n’ai pas vue, c’est surtout le point de vue du rédacteur qui m’intéresse. J’ai trouvé l’article très fluide, très agréable, avec la sensation de percevoir l’état d’esprit provoqué par le visionnage de cette saison, et la rémanence de l’expérience qui génère des interrogations irrépressibles.

    Ils ont réussi à reproduire l’impossible : l’effet de surprise de la première saison, la sensation d’être face à quelque chose de complètement nouveau, de totalement inconnu. – Un tour de force en effet. C’est également un tour de force que d’avoir réussi à rendre aussi bien compte au travers d’un article.

  • David  

    Merci, Présence. Tes compliments m’encouragent à écrire davantage.
    Le principal problème de la saison 3 est qu’il est conseillé d’avoir vu ce qui précède. Et dans la saison 2 le meilleur côtoie le pire. Cependant, Lynch dit que la saison 3 peut se voir indépendamment. S’il te prend un jour l’envie de la regarder de façon autonome, je serais très curieux de ton avis. Ne serait-ce que pour savoir si elle a un sens hors contexte

  • Kaori  

    Très bon article, à tel point que j’aurai parié que les articles précédents ne parlaient pas de la même saison ! Bon, pour ma défense, je n’ai pas lu l’article de Tornado, sorti avant mon arrivée.

    Très intéressant, ce décorticage et cette analyse. Tout portait à croire que cette saison 3 était une déception pour le fan, et il en ressort qu’elle est digne de l’oeuvre puisque totalement surprenante, déstabilisante de bout en bout.

    Je ne sais pas si j’oserai me lancer dans cette série, n’ayant vu ni la 1 ni la 2.

    J’imagine la frustration du spectateur, mine de rien. L’argent, le pouvoir, le jeu de « qui a la plus grosse », toujours au détriment du spectateur. Mais finalement, la promesse des 25 ans tombait bien…

    En tout cas, bravo et merci pour cette analyse pointue qui m’en apprend beaucoup.

    • David  

      Merci beaucoup Kaori. En fait, beaucoup de fans ont été déçus par la saison 3 car elle s’éloignait des deux précédentes. Lynch et Frost ont osé proposer quelque chose de disruptif, d’expérimental et de complètement intègre au niveau artistique. Ça a enchanté les fans habitués aux excès lynchiens mais une partie des fans grand public se sont sentis trahis. Cependant, la qualité de cette saison est incontestable et la critique ne s’y est pas trompée. Les cahiers du cinéma ont classé Twin Peaks The Return film de la décennie

  • Tornado  

    Effectivement, comme tu l’avais indiqué au moment de mon article, nos avis sur cette 3° saison sont très proches.
    Sur le moment j’en ai voulu à Lynch. Je veux dire au moment où je découvrais chaque épisode soir après soir.
    Et puis avec le recul j’ai commencé à percevoir que ce refus systématique d’offrir du fan service était quelque chose d’important et de remarquable. Le seul truc qui me gène quand même, c’est que Lynch a manifestement pris un plaisir sadique à refuser ce fan service. Ça se voit vachement, notamment lors des scènes qui éternisent le retour du vrai Cooper, et surtout celles où les personnages regardent dans le vide pendant 30 secondes alors que l’on espère retourner à Twin Peaks…

    Je suis très excité à l’idée de revoir cette dernière saison. Ce ne sera pas pour tout de suite mais ça arrivera forcément tôt ou tard. J’ai acheté le coffret blouré…
    Par ailleurs il faut aussi que je me lise les deux bouquins de Mark Frost, que l’on m’a offerts.

    Je ne savais pas qu’il y avait une rumeur de saison 4. Je n’en vois guère l’intérêt comme ça, mais bon, s’il y en avait une, j’en serais, c’est sûr.
    Merci pour m’avoir permis de me replonger une fois encore dans cet univers que j’aime tant. Quand je pense que Bruce n’a toujours pas vu ça, c’est dingue ! 😀

    • David  

      J’ai revu la saison 3 et je la revisionnerai à nouveau plusieurs fois. Rentrer dedans est plus difficile que pour les saisons précédentes mais une fois qu’on l’a apprivoisée, on y prend un réel plaisir car il n’y a plus cette frustration d’attendre quelque chose qui ne vient pas et on peut apprécier l’oeuvre pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle pourrait être.
      Oui, il y a eu des rumeurs sur une saison 4 et Showtime a affirmé qu’ils seraient partant si Lynch et Frost décidaient d’y aller. Personnellement, j’ai été comblé par la saison 3 et je ne ressens pas le besoin d’une nouvelle saison. Cependant, la fin de la 3 œuvre tellement le champ des possibles qu’il y a de quoi faire.
      Les deux livres sur Twin Peaks signés par Frost méritent d’être lus, surtout le deuxième car il répond à beaucoup de questions.
      J’ai longtemps hésité à proposer l’article à Bruce à cause du tien. Il a fallu que je laisse passer du temps pour que le tien soit loin dans ma mémoire mais je l’ai fait car j’en mourrais d’envie. Et tant pis si d’autres sont passés avant moi, il fallait que cet article sorte de ma tête.

  • JP Nguyen  

    Merci d’avoir pris ta plus belle plume pour nous partager tout ce que cette saison 3 t’a inspiré !
    Pour ma part, je crains de rester hermétique aux qualités de cette série.

    « Le spectateur est laissé sans repère face à un puzzle immersif et sensoriel qu’il doit tenter de reconstituer, chaque nouvel épisode complexifiant l’ensemble au lieu d’apporter des réponses aux mystères des épisodes précédents. »
    C’est typiquement un effort que je ne suis pas prêt à fournir, n’ayant de plus pas le bagage des saisons 1 et 2 pour me repérer et me motiver.

    • David  

      Les œuvres de Lynch sont labyrinthiques et sujettes à de multiples interprétations.. Elles ne sont pas destinées à tous. Je ne recommanderai jamais Twin Peaks à une personne très rationnelle et terre à terre par exemple. Si tu n’es pas naturellement attiré par ce type d’oeuvres, tu fais bien de garder tes distances. Après, je pense que tu peux apprécier la première saison qui est très abordable si tu es curieux.

  • Patrick 6  

    Et bien voilà une belle analyse et un regard intéressant sur cette série définitivement pas comme les autres.
    J’ai commencé cette saison mais je n’ai hélas pas pu aller jusqu’au bout ! Ton article me conforte dans mon idée de ne pas avancer davantage dans ma vision de la série ^^ Pas d’Annie, pas de Bob… Un Dale Cooper autistico-attardé… Définitivement je pose mon joker ^^
    Je ferais un parallèle avec Picard dont on a parlé hier : je n’ai finalement pas de problème avec une « trahison » ou une relecture d’un concept initial, sous réserve que le résultat soit convainquant ! Ce qui (à mon humble avis) n’est pas vraiment le cas des 2 séries susnommées (mais bon au moins Picard on comprend ce qui se passe ^^)

    • David  

      Merci Patrick. Techniquement, Bob est présent. Et son utilisation est très intelligente puisqu’il est incarné dans le mauvais Cooper qui est un personnage terrifiant. Ses apparitions dans le combat final a en revanche de quoi laisser sceptique. Et je me félicite de l’absence d’Annie, personnage mièvre dont la douceur ne cadre pas avec la série. Mais je comprends parfaitement qu’un fan de la première heure n’y retrouve pas ses petits. Pour tout comprendre, j’ai Lu beaucoup d’analyses sur le Web. Au final, je pense que c’est une réussite, mais pour public averti. Si on n’adhère pas, cela ne sert à rien d’insister. Je recommande plutôt la lecture du Dossier final par Mark Frost qui apporte les réponses aux questions de la saison 2.

  • Jyrille  

    Héhéhé… je deviens le 13ème commentaire de cet article, parfait non ?

    « la seule et unique raison pour laquelle un troisième hurluberlu vous parle de cette fameuse série sur ce site, c’est qu’il en a envie » Il n’y a pas meilleure raison non ?

    Je n’ai toujours pas vu cette saison, mais je dois dire que j’ai vu la première il y a plus de vingt ans, et je me suis arrêté au milieu de la 2… Autant dire que je devrais tout revoir si je me lançais là-dedans ! Mais je n’ai pas trop envie pour le moment. De plus, tu me rappelles que tout le monde a été largué et tes explications font franchement peur. Les livres de Mark Frost ont-ils été traduits en français ?

    Merci en tout cas de nous rappeler tout ça et de décrire si parfaitement la roublardise de Lynch et Frost…

    Je le répète, mais je trouve que la musique du générique ressemble beaucoup à un titre de The Cure, The Funeral Party (album Faith) : https://www.youtube.com/watch?v=o4s4kGvQfIk

    Je ne connaissais pas du tout le mot « psittacisme ». Pas certain du tout que je m’en souvienne…

    Je vais dire que la BO est le titre de NIN. Pas mal je trouve.

    • Tornado  

      Oui, les deux bouquins ont été traduits en français. On me les offerts tous les deux mais je ne les ai pas lus. Je me les garde pour mon prochain visionnage de la série, quand je serai motivé pour la revoir…

      • Jyrille  

        Ok merci !

  • David  

    Merci pour ton message, Jyrille. Si tu n’as pas vu la deuxième saison en entier, il faudrait au moins regarder le dernier épisode de la saison 2 et le film Twin Peaks: Fire walk with me avant de regarder la saison 3. Cela dit, Lynch pense qu’on peut regarder cette suite sans avoir vu ce qui précède. Dans tous les cas, la saison 3 est difficile à appréhender et diffère des deux autres.
    Les livres sont plus accessibles et ont été traduits chez Michel Lafon. Le premier explore le passé de la ville, le second ne peut être Lu que si l’on a vu la saison 2.
    Psittacisme est un de ces mots que personnes ne connaît et qui sont toujours drôles à placer dans une phrase. Tiens, la prochaine fois, j’essaierai de trouver un moyen de caser flavescent.

    • Jyrille  

      Flavescent, effectivement, jamais entendu parler ! J’ai vu le film, je n’avais strictement rien compris, mais l’ambiance y est terrible. La scène de boîte de nuit où l’on n’entend pas ce que se racontent les gens m’avait marqué.

  • David  

    Le film est très facile à comprendre en comparaison avec la saison 3. Mais même si on est perdu presque tout le long, les auteurs savent ce qu’ils font et il y a un sens à tout ce qu’on voit. Lire des articles de passionnés sur Internet m’a aidé à comprendre.

    La scène dans la boîte de nuit est mémorable. Notamment la musique lancinante signée Lynch

    • Jyrille  

      Oui, sans doute, mais je n’aime pas trop aller chercher trop loin. Je n’ai jamais rien lu sur LOST HIGHWAY et malgré tout j’ai appris quelques trucs, mais au final je m’en fiche un peu. C’est un de mes films favoris et je le trouve parfait comme ça, sans avoir envie de comprendre réellement. Tout comme Mulholland Drive qui m’a semblé très facile à comprendre au ciné (jamais revu alors que j’ai le DVD…).

      • David  

        Mulholland Drive… Un de mes 5 films préférés, tous réalisateurs confondus. Un chef-d’œuvre. Effectivement, après un petit brainstorming, il m’a semblé bien plus accessible que les autres Lynch, tout en étant d’une grande exigence artistique. Au dêpart, cela aurait dû être un spin-off de. Twin Peaks, avec Audrey Horne dans le rôle principal. Et ça aurait ensuite dû être une série. Le pilote n’ayant pas convaincu la chaîne l’ayant commandé, la série fut abandonnée. Je crois que c’est Ciby 2000, la société de production de Bouygues qui a proposé de tourner une fin pour en faire un film. Et quand on connaît l’importance de la deuxième partie du film, apprendre ça m’a laissé tout ébaubi..

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