Alice Matheson par Jean-Luc Istin et Philippe Vandaele
Un article de BRUCE LITVF : Soleil
ALICE MATHESON est un comics à la française comme ZOMBIES paru entre 2015 et 2019 sous l’égide de Jean-Luc Istin au scénario et Philippe Vandaele aux dessins. Au fur et à mesure de la série, d’autres scénaristes (Stéphane Betbeder) et illustrateurs (Zivorad Radivojevic, Federico Pietrobon, Lucio Leoni et Emanuela Negrin ) interviennent sur certains épisodes avant de laisser le Final Cut à Istin et Vandaele pour le volume 6.
Il s’agit d’une histoire complète en 6 albums avec une fin et bonne et due forme même si le tout est pensé comme une saison 1. L’écriture d’une saison 2 n’a pas été communiquée au moment de la rédaction de cet article.
A Londres de nos jours, nous faisons la connaissance d’Alice Matheson, une infirmière à la beauté glaçante affectée aux soins intensifs de son hôpital.
Dotée d’un QI et de capacités qui pourraient l’amener aux plus hautes fonctions en chirurgie, Alice est aussi efficace que discrète.
Personne ne sait rien d’elle et ne semble vivre que pour son travail en interagissant au minimum avec ses collègues. Elle ne développe avec eux ni amitié ni vie sexuelle en générant ainsi désirs et jalousies autour de sa personne.
Mais personne ne peut deviner l’atroce vérité : Alice est une sociopathe qui trouve en l’hôpital un territoire de chasse pour sa macabre passion : tuer ses patients en fin de vie. Alice Matheson est aussi belle que fatale : dotée d’un QI et d’une fortune à la Bruce Wayne, elle simule ses interactions sociales avec ses collègues en ne ressentant des émotions que lorsqu’au moment où elle donne la mort. Comme un vampire, elle ne se sent vivante que lorsque ses victimes terrorisées comprennent qu’elles vont mourir, que leur regard se liquéfie et qu’Alice respire leur dernier souffle.
Alice est également amnésique et de nombreux flashbacks viennent expliquer sa pulsion de violence.
Si le pitch vous rappelle celui de DEXTER, le célèbre tueur en série, c’est normal et assumé : Istin écrit son Alice comme une série américaine avec ses cliffhangers et ses rebondissements. Et celui qui intervient dès le début de l’album est de taille car ALICE MATHESON, c’est Dexter qui se réveillerait dans WALKING DEAD lorsque ses victimes reviennent subitement à la vie !
Infesté de Zombies, l’hôpital combat une épidémie qui menace l’identité secrète de Matheson qui va devoir expliquer ce qu’elle fabrique si souvent à la morgue, pourquoi le taux de mortalité de ses patients est si élevé et pourquoi elle semble si à l’aise en tuant du Zombie.
A cela s’ajoute une étrange découverte : l’infection de l’hôpital proviendrait d’un scientifique qui connaît le secret d’Alice qui va tenter de sauver son pays de ce virus, non pas par pur altruisme, mais pour pouvoir tuer en toute quiétude comme avant.
ALICE MATHESON est un page turner : malgré des défauts agaçants sur lesquels nous reviendrons, le lecteur se retrouve ravi d’être pieds et poings liés à la merci de ce personnage aussi froid que le serpent pour lequel il éprouve une étrange fascination : le plaisir de voir cette belle femme détachée de tout et de tout le monde évoluer dans un microcosme celui de l’hôpital en les méprisant et les manipulant à sa guise avec un étrange code de l’honneur rappelant celui du Punisher et de son lointain cousin Dexter.
ALICE MATHESON n’est rien d’autre que le crossover entre une tueuse en série ravissante mais morte à l’intérieur et des Zombies extérieurement répugnants. C’est aussi une réflexion angoissée sur les masques que nous portons, l’horrible vérité des institutions censées nous protéger et la peur existentielle de tomber dans les rets d’un prédateur au moment où nous sommes le plus faible. Alice Matheson s’inscrit dans la tradition des grandes sadiques du cinéma, des louves déguisées en agneaux : la MISERY de Stephen King mais aussi les nurses diaboliques : Ratched dans VOL AU DESSUS D’UN NID DE COUCOU, celle de KILL BILL ou bien sûr la NURSE ROSETTA d’Alice Cooper.
Istin se régale à détourner tous les clichés de l’hôpital : le sexe entre deux gardes, les tensions entre les corps de métiers, la froideur des chirurgiens fortunés contre la dévotion des infirmières et aides soignantes invisibles à leurs yeux.
Le début de l’Apocalypse vient perturber la routine d’un monstre qui va devoir sortir de sa zone de confort pour le plus grand plaisir de son lecteur qui admire l’ingénuité de cette diabolique à ne jamais se faire pincer tout en ayant bien en tête qu’elle le mériterait amplement.
La richesse de la série provient des interactions qu’Alice va avoir avec des personnages qui auront des points communs (le directeur de l’établissement dont elle découvre le terrifiant secret) ou qui risquent leur vie avec elle sans le savoir (le radiologue qui veut la sauter et qu’elle envisage sérieusement de tuer pour avoir la paix).
Tout au long de ces 240 pages de BD, le lecteur admire la faculté de ce personnage à s’échapper en permanence aux lois, aux autorités, à la morale, aux zombies et surtout à elle-même. L’arrogance et le sang froid du personnage garantissent presque un asile de certitudes dans un monde devenu fou.
En cela, Alice est un véritable personnage de BD avec ce qu’il peut y avoir de romanesque et d’incrédule : en blouse, en tenue commando ou en sous-vêtements, elle n’a pas son pareil pour occire, cambrioler, pirater, chercher un vaccin mieux et plus vite que les meilleurs scientifiques de l’hôpital ; Matheson sait tout faire et mieux que tout le monde. Il s’agit d’un contrat entre son lecteur et elle qu’on ne questionnera pas : C’est peu ou prou le même qui consiste à accepter qu’un journaliste belge de 17 ans sache se servir d’une arme à feu ou piloter un avion.
Ce qui est par contre génant, c’est que le huis-clos passionnant se transforme progressivement en LARA CROFT VS RESIDENT EVIL et qu’à force de mélanger les genres et les styles, Istin se prend les pieds dans son histoire qui devient sans doute trop plurielle.
Si notre auteur avait bénéficié d’une pagination plus importante sur plusieurs années comme WALKING DEAD, ces changements de partitions auraient pu être mieux délayées.
Mais dans des volumes de 40 pages, c’est souvent Too Much d’autant que deux albums noient le poisson : celui avec le Dr Skinner où la série flirte dangereusement avec le grotesque et le cinquième album qui met en scène le Geek de service façon NO HERO et qui ne sert à…rien dans l’intrigue globale.
Proposer un spin-off avant la fin de la série est terriblement maladroit et il est même possible de faire l’impasse sur cet épisode sans que cela nuise à la compréhension de l’histoire. Il faut aussi noter que le volume 4 accumule les coquilles, les fautes de conjugaisons et de script notamment sur l’âge de notre héroïne. Les histoires en soi ne sont pas mauvaises mais Alice Matheson est une héroïne si captivante qu’elle ne souffre pas d’être abandonnée pour des personnages secondaires.
Dommage si cette passe d’armes entre scénaristes se ressent, graphiquement le changement de dessinateurs reste harmonieux et toujours agréable à contempler.
Un pitch formidable, une anti-héroïne mémorable et une action menée tambour battant dans un survival au décor original mais parfois agrémenté d’un gout de Too Much Too Soon ne devra pas vous empêcher de vous piquer au charme vénéneux d’Alice. Elle vous déteste déjà et vous l’aimerez pour ça.
La BO du jour
Alice et les Zombies sont accros au sang
Bonjour Bruce.
Je ne connaissais pas cette bd à part avoir vu parfois les couvertures.
Je n’ai pas vu DEXTER (à part les premiers épisodes il y a fort longtemps) donc je n’ai pas forcément de référence.
Le côté zombie me rebut. En fait je n’en peu plus d’en voir désormais partout, même si les traitements sur le sujet peuvent être originaux. Là je n’arrive pas à voir ce que cela apporte réellement. J’ai l’impression que si le scénariste était resté focalisé sur son personnage principal et le monde de l’hôpital il aurait pu aller plus loin dans l’exploration des personnages et le côté thriller.
Sur le peu de page à disposition pour développer correctement les intrigues !!!!! Faux problème. C’est, à mon avis, toute la plus value d’un excellent scénariste d’exploiter au mieux l’espace à sa disposition. Sur WALKING DEAD, Kirkman était partie sur un format feuilleton, mensuel, en noir et blanc avec au départ une publication illimitée. Cela change la donne par rapport à 5 tomes d’une quarantaine de page étalés sur plusieurs années.
Un peu comme l’ouvrage présenté hier par Présence, je pense que c’est exactement le type de série que je pourrais emprunter à ma bibliothèque pour du binge-reading lors de vacances. Je pense que je passerais un bon moment, pas prise de tête, à lire une série B de qualité.
La BO : excellent, bien dans l’ambiance pour lire l’article.
Je suis un fan de littérature zombie. A l’écran désormais un peu moins mais en BD, il y a toujours des choses intéressantes à glaner.
Comme je l’ai décris, la résurrection des victimes d’Alice met son alibi en péril puisque de nouvelles autopsies la mettent directement en cause.
Parmi celles que j’ai lues, la seule bd zombie que j’ai trouvé convaincante, c’est Crossed dans une grande partie de ses incarnations.
Alice Matheson, je sens bien que c’est pas du tout pour moi. Et comme en plus, je n’ai jamais aimé Dexter, ça m’intéresse d’autant moins.
Mais merci pour l’article quand même. 😉
Techniquement, Crossed n’est pas du zombie, si je ne me trompe
On va dire que c’est une variation.
Je ne connaissais pas du tout cette série de bds, merci donc ! J’aime bien les dessins, ils me rappellent ceux de CROSS FIRE (bedetheque.com/serie-9676-BD-Cross-Fire.html) dont j’ai dû lire les 6 premiers tomes, une série sympathique qui assume son côté léger.
Bon ici ça a l’air un peu chargé tout de même, ce pitch de départ. Mais j’apprécie en effet le clin d’oeil à RE-ANIMATOR. Tout cela a l’air sympathique, mais à emprunter en médiathèque pour une lecture automnale du dimanche.
La BO : je me souviens que le générique de Dexter est un des plus réussis de ces vingt dernières années (pour ceux que j’ai vus), ici le morceau rappelle bien certaines ambiances, c’est pas mal.
Evidemment, l’idée d’un crossover entre DEXTER et WALKING DEAD me fait sourire mais à part pour la blague, je ne me vois pas me lancer dans ce genre de lecture
Matheson, je note une homonymie avec un auteur d’horreur célèbre, ça change des allusions à Lovecraft, Poe ou King.
Bien vu !
C’est effectivement un clin d’œil intentionnel.
Vous êtes des légendes, les gars.
À voir. Le principe me paraît alléchant, les clins d’œil me parlent mais l’élément principal qui va faire que l’on s’accroche ou non à l’histoire est l’intérêt que l’on va porter à la protagoniste qui n’est l'(anti-)héroïne que par le contexte. Autant j’ai regardé Profit ou Les Soprano, autant j’ai évité House of Cars (US), Dexter ou encore Hannibal. Compatibilité à tester !
« j’ai évité House of Cars »
Tu as bien fait, c’est un des moins bons Pixar.
Cars : j’avais préféré le film originel, Doc Hollywood 😉
J’étais tombé dessus en cherchant des trucs écrits par Istin (vu qu’il a fait de bonnes BD dans le genre fantasy/mythologie celtique)
Mais j’avoue que j’avais été refroidi par les zombies. Je sais que la mode est passée mais ça m’avait tellement gonflé d’en voir de partout à l’époque que je crois que je me suis toujours pas remis de l’overdose.
Mais bon dans le genre, ça a l’air sympa…pour le public adéquat.
Cette série ayant régulièrement été mise en avant dans les rayonnages BD, j’ai souvent été tenté de m’y plonger, et une fois n’est pas coutume, j’ai résisté parce que j’éprouve une méfiance irrépressible vis-à-vis de ce qui m’est présenté comme comics à la française, souvent une bonne excuse pour une narration visuelle pauvre. Je n’en suis que plus content de pouvoir la découvrir par cet article.
Nurse Rosetta : trop facile ! Une référence à Alice Cooper pour se faire bien voir du rédacteur en chef. 😀
L’arrogance et le sang-froid du personnage garantissent presque un asile de certitudes dans un monde devenu fou. – Superbe comme remarque analytique : à la fois totalement évident pour le besoin de pouvoir se rattacher à un point de stabilité, et totalement pervers que ce repère soit une meurtrière.
En cela, Alice est un véritable personnage de BD avec ce qu’il peut y avoir de romanesque et d’incrédule : […] Il s’agit d’un contrat entre son lecteur et elle qu’on ne questionnera pas : bel exemple de suspension d’incrédulité consentie, démarche qu’il m’est toujours facile d’accomplir.
Ton choix de planches pour illustrer l’article me fait revoir mon a priori sur la pauvreté visuelle des cases : les planches sont plutôt bien fournies.
Est-ce que ça vous arrive ? : le crush pour une cover sans rien connaître du contenu. J’ai été tout de suite happé par la beauté froide d’Alice Matheson.
Je trouve qu’elle crève l’écran.
Ca m’arrive.
Mais pas du tout pour cella-là. 😉
ça arrive.
Mais hélas des fois c’est la déconvenue quand on lit l’intérieur et qu’on se rend compte que la cover était le meilleur truc.
Ah tiens une cover justement que j’avais trouvé super, sans pouvoir spécialement expliquer pourquoi, c’était la couverture du tome 7 de La geste des chevaliers dragons, d’ailleurs utilisée en première image sur mon article sur la série :
https://www.brucetringale.com/dragon-gest-la-geste-des-chevaliers-dragons/
Je sais pas si ce sont les teintes, la sobriété du truc, mais c’est une des plus jolies de la série je trouve.
Encore un thème à creuser:
-Les couvertures qui m’ont marqué!
-Les couvertures qui m’ont donné envie d’acheter!
Pour ma part, si je reste fidèle au blog en terme d’informations, j’essaie de retrouver le plaisir de craquer en Librairie pour un visuel, un pitch, un dessin qui est possible quand on est moins informé…
Retrouver l’instinct de « trouver » plutôt que celui de chercher.