THE DEVIL IN MISS MAXINE

THE DEVIL IN MISS MAXINE

Focus: la trilogie X/PEARL/MAXXXINE de Ti West

Un article de LUDOVIC SANCHES

D’abord présenté au festival de Deauville, le film X de Ti West sort en salles en France en novembre 2022. Dans la foulée du tournage de X (plusieurs fois reporté à cause du Covid) et en utilisant les mêmes décors, Ti West tourne une préquelle intitulée PEARL mais malgré l’accueil favorable et le succès modeste de X chez nous, PEARL nous parviendra directement en VOD sans passer par le grand écran.

Cet été, Condor Distribution choisit de sortir en salles le dernier volet, MAXXXINE, misant de manière surprenante sur une grosse sortie. Il faut dire que celui-ci a bénéficié d’un budget plus conséquent (20 fois celui des deux précédents films quand même) et on peut aussi préciser que le film peut être découvert sans avoir vu les deux autres. Cela dit, il faut vraiment voir la trilogie pour apprécier pleinement le projet de Ti West et évidemment, nous allons, dans cet article, divulgacher certains éléments de l’intrigue. Vous êtes prévenus.

© A24/Condor Distribution

En préambule, je dois avouer que j’ai mis du temps avant de cerner le cinéma de Ti West. Je l’avais découvert (j’imagine comme beaucoup) en voyant THE HOUSE OF THE DEVIL (2009), film pour le moins curieux qui à l’époque rompait avec une veine du cinéma d’horreur misant sur la surenchère et l’autoparodie par son intrigue minimaliste, une forme modeste et un maniérisme assumé qui semblait l’œuvre d’un fétichiste nostalgique des grandes heures des vidéoclubs, dans la lignée d’une cinéphilie déviante à la Tarantino dont West serait le rejeton en mode mineur.

La place un peu particulière de Ti West dans le cinéma d’horreur américain vient peut-être du fait qu’il se situe au carrefour de deux tendances: celle d’un cinéma de genre fauché et bricolé, fait avec trois fois rien (dans la lignée d’EVIL DEAD de Sam Raimi et de BAD TASTE de Peter Jackson qui lui ont servis de modèle), THE ROOST (2005), son premier long métrage en est l’exemple type. Mais Ti West appartient aussi à la mouvance d’un renouveau du cinéma indépendant américain dans les années 2000: après l’âge d’Or des années 90 qui aboutit à la prise de pouvoir de Miramax et de l’empire Weinstein, le cinéma de studio et les blockbusters reprennent le dessus avec les conséquences que l’on sait, rendant le contexte de moins en moins favorable au cinéma d’auteur. Emerge alors une nouvelle génération qu’on va baptiser Mumblecore qualifiant des films réalisés avec des trés petits budgets autour de toutes petites histoires, du cinéma de chambre en quelque sorte avec des cinéastes comme Joe Swanberg, les fréres Duplass, les fréres Safdie. Par la bande, cette mouvance (qui formait un peu un groupe qui s’entraidait et jouait dans les films des copains) a flirté avec le cinéma d’horreur.

Si Ti West peut être rattaché a ce cinéma Mumblecore, c’est autant par ses budgets minimaux que par le caractère anecdotique de ses histoires: en effet, comme pour les petits films intimistes de ses camarades, les intrigues des films de Ti West semblent tenir sur un ticket de métro et il ne s’y passe des fois pas grand chose. Par ailleurs, il aura fait jouer dans ses films certaines personnalités emblématiques de ce courant devenues depuis très connues comme les actrices/réalisatrices Lena Dunham et Greta Gerwig. En plus, Ti West est l’auteur complet de la plupart de ses films: il écrit, met en scéne et monte lui-même. Il s’aventurera aussi dans le genre du found footage d’abord en participant au film collectif V/H/S (2012) puis en réalisant le plutôt réussi THE SACRAMENT (2013) qui se présente comme un faux reportage tourné par le média américain VICE MAGAZINE. Il abandonne une fois le genre de l’horreur en signant IN A VALLEY OF VIOLENCE (2016), un hommage au western italien avec Ethan Hawke et John Travolta, produit par Blumhouse. Même si il a participé aussi à des séries télé comme réalisateur, il semble vouloir continuer à réaliser des longs métrages pour le cinéma, pour l’instant toujours avec des financements indépendants. Avec la trilogie X/PEARL/MAXXINE produite par A24, Ti West a clairement franchi un cap et signe son œuvre la plus aboutie.

© A24/Condor Distribution

Quand nous découvrons X en 2022, le film se présente comme une énième relecture du cinéma d’horreur des années 70 et principalement de deux de ses sous-genres emblématiques: le survival (on pense évidemment à MASSACRE A LA TRONCONNEUSE de Tobe Hooper) et le slasher movie (dans la lignée de VENDREDI 13 de Sean Cunningham). Autant dire des films qui ont été l’objet d’un nombre incalculable de suites, de préquelles, de reprises, de remakes, de pastiches, de parodies, de copies plus ou moins dégénérées qui continuent d’apparaitre de temps en temps sur nos écrans (au cinéma ou en streaming).

Comme on avait pu déjà le repérer dans ses précédents films, X se distingue par une forme de respect affectueux envers le cinéma dont il s’inspire, loin du recyclage cynique et du second degré facile que revendiquent beaucoup de ces films. De plus, X est un film dans lequel le cinéphile pourra s’amuser à repérer un grand nombre de références, de citations plus ou moins identifiables (et c’est le cas de toute la trilogie) mais elles ne constituent pas l’essentiel du propos du film, cet article n’aura d’ailleurs pas pour objet de les détailler toutes, ce serait d’abord fastidieux et surtout pas très intéressant. Certes, Ti West a une grande culture cinématographique mais heureusement, son talent est ailleurs.

Dans la lignée de ses premières œuvres, X se distingue par un singulier mélange de modestie et de liberté dans la manière de se couler dans le genre de l’horreur: au fond les films de Ti West sont sur le papier d’une grande banalité, le scénario assumant le fait de raconter ce qui a déjà souvent été raconté et que ce qui devra arriver va de toute façon arriver. Il y a presque une dimension déceptive dans ses films (le suspense est d’ailleurs souvent volontairement saboté par la narration: l’issue de X nous est dévoilée des le début du film et dans MAXXXINE, l’éventuel mystère sur l’identité du tueur est de fait inexistant si nous avons vu les films précédents), ce qui exclu chez lui les effets de manche habituels dans pas mal de films d’horreur contemporains (l’usage intensif du jump scare) et aussi lui permet de jouer sur une forme de dilatation de la durée qui retarde sans cesse l’arrivée d’un climax. C’est comme si Ti West se plaisait à avoir une approche de cinéaste de série B au sens où il aborde ses films comme des formes imposées dans lesquelles il va devoir se glisser, c’est la contrainte qui lui permet d’exprimer ce qu’il a envie de dire et alors qu’il est l’auteur absolu de son film, il s’amuse à revendiquer quand même une certaine forme de contrebande. 

© A24/Condor Distribution

Et puis quand il donne une suite à son film (ce qui la plupart du temps est une excuse pour refaire le même film que le précédant… en moins bien), il trouve une idée géniale qui donne tout son sens au projet: PEARL, le second film va faire donc de la méchante du premier film son héroïne et la faire jouer par la même actrice qui jouait l’héroïne de X, c’est à dire Mia Goth qui du coup joue deux rôles différents et par ailleurs deux rôles d’actrices (Maxine et Pearl), le troisième volet MAXXINE prenant place sur le tournage d’un film d’horreur, la boucle est alors bouclée. La trilogie est donc indissociable de son actrice principale, Mia Goth, qui livre une performance remarquable, s’impliquant totalement dans l’œuvre (elle en devient productrice et elle est même créditée comme coscénariste du deuxième volet) et va créer une des héroïnes de films d’horreur les plus passionnantes qu’on aie vue depuis longtemps.

Dans cette optique de mélanger les genres, la trilogie évolue avec son héroïne: dans X, c’est évidemment le cinéma pornographique qui est convoqué, nous sommes en 1979 et le groupe de jeunes gens qui partent passer un séjour dans l’Amérique profonde est en fait une équipe de cinéma qui tente de tourner un film hardcore avec un budget dérisoire. Le porno et le cinéma d’horreur ont souvent été liés (Wes Craven a débuté dans le X en utilisant des pseudos, Ferrara a fait un porno avant de réaliser DRILLER KILLER, Marylin Chambers, la première grande star du X, a ensuite tourné chez Cronenberg…) et comparés comme deux sous-genres, méprisés et ghettoïsés, partageant parfois les mêmes circuits de salles (les fameux cinémas Grindhouse). Dans X, le jeune metteur en scène tente de réaliser un film porno en essayant d’y mettre des intentions artistiques. Si Ti West raconte avec humour le tournage de ce film (qui s’intitule THE FARMER’S DAUGHTER qui est d’ailleurs le titre d’un vrai film X de 1976), il ne fait preuve d’aucune moquerie envers ces personnages, en particulier envers Maxine qui des la première scène, annonce la couleur: elle veut être un « putain de sex symbol« .

© A24/Condor Distribution

A l’opposé des familles de bouchers et de dégénérés qui peuplent les films d’horreur des années 70, le danger viendra ici d’un couple de vieillards décrépis et en apparence inoffensifs (le troisième âge est d’ailleurs souvent source de terreur chez Ti West). Face à la jeune équipe venue tourner en loucedé un porno dans leur ferme, le vieux couple de fermiers incarne l’Amérique du passé, traditionnelle, pudibonde et possiblement rétrograde. Or le cinéma des années 70, le cinéma d’horreur était aussi à sa manière le véhicule d’un certain puritanisme et de pulsions réactionnaires, les familles de boogeymen et autres tueurs masqués des slasher movies s’en prenant violemment à une jeunesse libérée et hédoniste sur un mode punitif. L’héroïne féminine, celle qu’on appelait la final girl, devait pour survivre rester pure et moralement irréprochable, autant dire ne jamais succomber à ses désirs sexuels. Que Ti West fasse de son héroïne, Maxine, une actrice porno, une femme sexuellement active et qui assume de s’en servir pour ses ambitions professionnelles, n’est donc pas innocent.

Mais West ne va pas se contenter d’opposer une vieillesse austère à une jeunesse décomplexée, dans X, le désir sexuel est une pulsion de vie, c’est sa négation, sa privation qui produit de la violence, amène la mort et la destruction. Or quand Pearl, la vieille fermière, rencontre Maxine, elle se retrouve d’autant plus face à ce qu’elle voudrait être puisque c’est son double qu’elle a face à elle, Mia Goth jouant donc les deux rôles. Le désir est donc clairement du côte des femmes sauf qu’il est ici totalement monstrueux, scandaleux et irréalisable: le désir narcissique de la vieille dame pour un corps de femme plus jeune renvoie à Maxine la vision cauchemardesque de tout ce qu’elle ne veut pas devenir, de tout ce qu’elle va chercher à fuir. Avec beaucoup d’humour et de malice, West dresse aussi le portrait d’une masculinité bousculée par l’affirmation de ce desir féminin: le pauvre cinéaste, malgré sa passion sincère, en fera les frais quand sa petite amie (jouée par Jenna Ortega), d’abord un peu prude, voudra à son tour tenter l’expérience devant la caméra.

© A24/Condor Distribution

Dans PEARL, nous découvrons la jeunesse du personnage en 1918 cette fois-ci et Mia Goth endosse la tenue de Pearl, la jeune fermière sage qui vit avec sa mère prude et abusivement autoritaire et son père malade et invalide, attendant le possible retour de son futur mari parti faire la guerre en Europe. Tel la Judy Garland du MAGICIEN D’OZ, elle rêve à une vie idéale, quelque part au delà de l’arc en ciel, que le film recrée avec une imagerie de grand mélodrame hollywoodien aux couleurs chatoyantes, dans un générique à l’humour noir tout à fait jubilatoire. West s’amuse à introduire dans cette forme sublimée de l’Hollywood de l’âge d’Or la possibilité de la transgression, de la monstruosité et de l’horreur. Evidemment, le rêve de Pearl, c’est celui du cinéma, l’image d’un monde merveilleux qui pourrait la faire fuir de sa vie morne. Le cinéma incarne cet interdit (au point que Pearl finira par se lier d’amitié avec un jeune projectionniste qui, un soir, lui montrera un film porno clandestin) mais aussi la part d’illusion de son rêve. La mère de Pearl n’hésite pas à la punir de vouloir échapper à la vie de malheur et de frustration qu’elle a elle même subi.

L’horreur, le sang, la pourriture (ce cochon peu à peu dévoré par les mouches sur le palier de la maison), les meurtres sont tout autant la révélation de l’envers de ces films célébrant la vie idyllique d’une Amérique éternelle (même quand le danger guette à l’extérieur comme la guerre ou l’épidémie de grippe espagnole) que la tragédie de Pearl qui se voit cantonnée au seul rôle acceptable: celui de la femme au foyer et toutes les valeurs respectables qui vont avec. Encore une fois, Ti West détourne les attentes, ménageant au sein d’épisodes sanglants deux morceaux de bravoure: le climax du film, c’est le long monologue de Pearl d’autant plus émouvant qu’il signe la fin de tous ses espoirs. La satire grinçante de l’American Way of Life culmine dans un final macabre, en forme d’happy end atroce, tableau grotesque d’un foyer enfin réuni et le rictus monstrueux de Mia Goth, comme figé pour l’éternité. Le Keep Smiling comme idéal ultime, quoiqu’il arrive. Et c’est peut-être cela qui unit Maxine et Pearl, leur volonté obsessionnelle qui leur confère une capacité de survie quasi-surhumaine (on comprendra que Maxine elle-même a fui un milieu familial répressif) faisant d’elle une héroïne de film d’horreur tout à fait singulière: pour susciter la peur et notre empathie de spectateur, on devrait insister sur sa fragilité face au danger, or chez elle(s), la survie confine à la folie, le danger ne les atteindra jamais.

© A24/Condor Distribution

Dans MAXXXINE, Ti West radicalise le personnage qui, malgré son désir de devenir une star au yeux de tous, refuse le regard de celui qui voudrait en faire sa proie. Des la première irruption du danger (un pauvre type qui tente de l’agresser dans une impasse), elle se transforme en justicière impitoyable digne de ces vigilantes qui peuplaient les thrillers urbains des années 70/80 auquel le film emprunte son atmosphère à la fois clinquante et poisseuse. Son ambition obsessionnelle fait d’elle d’un personnage bigger than life, trouble, peu sympathique en fait, une créature presque monstrueuse au dela de toute morale et c’est toute l’audace de Ti West d’oser pousser le personnage dans cette direction, nous faisant accepter qu’elle fasse des choses qu’on ne tolérerai pas d’une héroïne classique de cinéma et surtout parce que le magnétisme de Mia Goth bouffe tellement l’écran qu’on lui permet tout, sans qu’il y ait une forme de cynisme derrière cela.

C’est peut-être aussi parce que derrière le récit de la revanche ultra-sanglante et la dimension cathartique du personnage de Maxine, une inquiétude demeure: quand on lui demande ce qu’elle veut, elle répond « Je veux que ca ne s’arrête jamais« . Le réve de la gloire porte en lui-même l’angoisse de sa propre finitude que lui renvoyait le personnage de Pearl comme l’étrange image sur un écran, qu’elle regarde en prononçant ces mots, d’une tête coupée factice moulée à son effigie au regard éternellement figé comme le sourire de Pearl à la fin du deuxième film. Pas de clap de fin pour elle.

© A24/Condor Distribution


5 comments

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonjour Ludovic.

    je vais faire court : depuis que tu as annoncé ton article, j’ai essayé de voir les films de Ti West. J’ai fais choux blanc jusqu’à présent. Et comme je n’ai pas envie de gâcher mon plaisir à venir, je résiste à la tentation, à mon grand regret, de lire l’ensemble de ta prose.

    Je découvre néanmoins avec ton introduction, la mouvance Mumblecore, à laquelle certains cinéaste français semble plus ou moins affiliés (VINCENT DOIT MOURIR, GRAVE…). Sean Baker également même si il ne part pas dans le cinéma dit de genre souvent assimilé à l’horreur.

    Ce n’est que partie remise pour venir discuter de Ti West. Les images choisies donnent envie.

    • zen arcade  

      Non, Vincent doit mourir ou Grave, ça n’a pas grand chose à voir avec le mumblecore. Et Sean Baker pas vraiment non plus.
      Le mumblecore, j’associerais plutôt ça esthétiquement à une poursuite au niveau cinématographique de la vague lo-fi dans le rock indépendant américain (exemplairement représentée par les premiers albums de Sebadoh).

      • zen arcade  

        En plus, Vincent doit mourir, c’est complètement nul.

  • Jyrille  

    Salut Ludo, comme Fletcher, je n’ai pas vu les films présentés ici. Je sais que Pearl est sur Netflix, mais je n’ai pas encore sauté le pas. Je garde donc ton article sous le coude jusqu’à ce que j’y arrive (ça commence à faire beaucoup d’articles pour ma part…).

  • zen arcade  

    J’avais été teasé sur la prochaine parution de l’article en écoutant l’épisode de La caverne de Lug auquel tu as participé récemment (celui où tu causes de Jack Hill) et je l’attendais donc impatiemment.
    Bon ben, une nouvelle fois, il me semble que tu mets bien en évidence le coeur du projet de Ti West et les qualités de la trilogie, notamment dans sa manière de taper à côté du genre (absence de jumpscares,…) pour proposer autre chose.
    On ne passera pas à côté évidemment du rôle essentiel de Mia Goth.
    Après, j’ai certes passé de bons moments à la vision des trois films mais je serais sans doute un peu moins enthousiaste que toi.

    « Son ambition obsessionnelle fait d’elle d’un personnage bigger than life, trouble, peu sympathique en fait, une créature presque monstrueuse au dela de toute morale et c’est toute l’audace de Ti West d’oser pousser le personnage dans cette direction, nous faisant accepter qu’elle fasse des choses qu’on ne tolérerai pas d’une héroïne classique de cinéma »

    Ce passage de ta chronique me rappelle que j’ai plusieurs fois pensé à la vision de Maxxxine et de son personnage principal au personnage joué par Elizabeth Berkley dans le « Showgirls » de Paul Verhoeven, film très régulièrement traîné dans la boue, radicalement incompris et que je tiens personnellement pour un grand Verhoeven.
    Tu as fait le même rapprochement ?

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