Dark Night – A True Batman Story par Paul Dini et Eduardo Risso
Un article de : JP NGUYEN
VO : DC Comics
VF : Urban
1ère publication le 19/07/16 – MAJ le 19/07/21
Dark Night – A True Batman Story est un one-shot de 128 pages, sorti en juin 2016. C’est un récit autobiographique de Paul Dini, scénariste de cartoons (Tiny Toons) et de comics ayant beaucoup œuvré sur le personnage du justicier de Gotham City. Tournant autour de l’agression dont l’auteur fut victime, en pleine rue, une nuit à Los Angeles, au début des années 90, ce comicbook raconte comment Dini s’est reconstruit après cet épisode traumatisant, en partie en convoquant mentalement le Dark Knight et son univers.
Au détour d’un paragraphe, deux ou trois spoilers pourraient bien vous tomber sur le râble !
Paul Dini, sur le blog, on vous en a déjà parlé, et plutôt en bien, au sujet des comics Batman : War On Crime, Mad Love ou du dessin animé BTAS . Rien d’étonnant donc à le voir signer un nouveau titre batmanien. Le lecteur attentif remarquera tout de même que le one-shot sort dans la ligne Vertigo de l’éditeur DC Comics et qu’il se présente comme « A True Batman Story ».
Comment, Batman existerait vraiment ? Je ne vous parle pas des acteurs ayant pu l’incarner, ersatz de Julien Lepers, vendeur de capsule de café ou interprète de Daredevil reconverti. Non, je vous parle du vrai de vrai, LE Batman.
A la manière de Steven T Seagle avec le personnage de Superman dans It’s a Bird , Paul Dini va entrecroiser sa biographie avec une exploration du mythe du Chevalier Noir.
Débutant « in media res » par une pleine page montrant le visage très amoché d’un jeune Paul Dini hospitalisé, accompagné de pavés de texte énumérant les traumatismes subis ; le récit révèle rapidement sa singularité avec un Paul Dini contemporain qui effectue une introduction et annonce la couleur : ce sera une histoire différente de celles auxquelles il nous a habitué. Une histoire dont Batman ne sera pas le héros proprement dit mais dans laquelle il occupera tout de même une place de premier plan.
Ensuite, sur une dizaine de pages, Dini raconte son enfance de geek, solitaire et socialement inadapté, une période où il développe sa passion pour les cartoons et pour un certain super-héros au costume de chauve-souris. Ce passage parlera sans doute à nombre de vieux lecteurs de comics VF, fans de super-héros avant l’heure et ayant souvent du vivre leur passion isolément. Puis, Dini évoque rapidement ses débuts dans l’industrie de l’animation pour en venir à la période où il travaillait à Warner Bros Studios sur Batman : The Animated Series.
Si professionnellement, la période est faste pour l’auteur, au niveau vie privée, c’est beaucoup plus mitigé. Il n’a pas encore trouvé l’âme sœur et est embarqué dans une relation asymétrique, avec Vivian, une starlette cherchant à lui faire partager son carnet d’adresse hollywoodien mais ne songeant aucunement à partager son lit. C’est après un énième dîner décevant que la route de Dini va croiser celle de trois malfrats qui vont le dépouiller et le rosser sévèrement.
Ayant regardé la mort en face, gravement blessé au visage, il devra subir une lourde opération et gardera à vie des cicatrices, physiques et mentales. Sombrant un temps dans la paranoïa et dans l’alcool, Paul Dini remontera la pente en dialoguant notamment avec des personnages de fiction mais aussi en reprenant pied dans le réel. Il nous raconte son parcours, son Born Again personnel, avec une relative distance (23 années le séparent désormais de cette nuit fatidique) mais aussi honnêteté et précision. L’étendue des blessures subies, le déroulement des opérations chirurgicales, le professionnalisme détaché et peu zélé des policiers en charge de l’enquête, les réactions de son entourage, tout respire le vécu, sans exagération ni travestissement.
Mais l’irruption fréquente de personnages Batmanien avec lesquels Dini converse « mentalement » dans les planches de ce récit naturaliste lui donne une saveur très particulière. Batman et toute sa « Rogue Gallery », défilent au fil des cases, pour accompagner l’auteur pendant sa convalescence, le questionnant sur ces choix, pointant ses lâchetés et ses renoncements, pour finalement le pousser à repartir de l’avant.
Ecrire des histoires de super-héros qui sauvent le monde et subir une agression sauvage et arbitraire où personne n’est venu vous porter secours. C’est ce qui est arrivé à Paul Dini et il le raconte courageusement, sans se donner le beau rôle mais en ne versant pas non plus l’auto-apitoiement à outrance. Dini confesse avoir beaucoup fréquenté les cabinets des psychanalystes (avant même son traumatisme) et il semble en effet avoir effectué un travail certain sur lui-même.
Sans aller jusqu’à subir des agressions aussi violentes que celle dont il est ici question, nous devons tous, dans nos vies, traverser des épreuves et subir des blessures narcissiques. Des moments où le réel est justement trop réel et froid. Où l’exaltation de l’adversité, fantasmée dans les récits de fiction, se trouve remplacée par la banalité d’un problème ne pouvant se résoudre par un coup de baguette magique ou un élan de bons sentiments. Où on l’on réalise que l’on n’est pas aussi fort qu’on l’imaginait, qu’on est loin de l’idéal qu’on s’était fixé.
Même s’il dialogue fréquemment avec des personnages imaginaires, Dini ne semble pas prôner la fuite de cette réalité, pourtant si dure à affronter. Le message de son Dark Knight serait plutôt de puiser notre inspiration dans ces héros de papier (ou de cellulo). Cette confiance et cet investissement dans ces créatures fictives sont vraiment la marque d’un auteur qui aime ses personnages et cherche toujours à en exprimer l’essence, en ne se limitant pas à simplement les animer pour dérouler une intrigue. D’ailleurs, même si le Joker, Harley Quinn, Poison Ivy et tous les autres n’ont aucun méfait véritable à accomplir dans l’histoire, aucun maître-plan à exécuter, toutes leurs apparitions sont signifiantes, car placées dans des contextes propices à des jeux de miroirs et des allers-retours entre fiction et réalité.
Au restaurant avec Vivian, Dini s’imagine que Bruce Wayne le playboy le rejoint à table pour se moquer de son plan drague timide et voué à l’échec. Juste après l’agression, Dini rêve de se plonger dans un puits de Lazare pour guérir instantanément. Il songe également à ce que Batman aurait pu infliger à ses agresseurs. Il imagine le Pingouin comme propriétaire du bar où il va vainement noyer sa peine. Son appréhension de l’opération chirurgicale et sa peur des seringues le fait dialoguer avec l’épouvantail.
Dini use à plein de tout le décorum batmanien pour faire écho à ce qu’il a vécu dans cette période de sa vie. Il se met ainsi à nu avec une sincérité touchante.
Penser que Dini a pu être confronté de manière si brutale au crime et écrire, quelques années plus tard, Batman : War On Crime, où il envisageait la lutte contre la criminalité sous un angle davantage social que répressif ; cela renforce mon respect pour cet auteur. Certains passages de War On Crime résonnent d’ailleurs différemment une fois que l’on connaît cet élément de la biographie de son auteur.
« Que les cicatrices soient physiques ou mentales, le crime blesse tous ceux qu’il touche. Il apporte la souffrance et la mort. Il empoisonne et l’esprit et l’âme. Et à la fin, ne laisse que la désespérance. »
De l’espoir, pourtant, il en sera forcément question, lorsque, grâce à l’aide de sa famille, de ses amis , collègues, et compagnons imaginaires, Paul Dini se relèvera.
Toutefois, comme énoncé plus haut, le scénariste ne se donne pas le beau rôle et évoque ses errements, comme son manque d’entrain à reprendre le travail ou la tentation de faire l’acquisition d’une arme à feu. Le souvenir d’enfance qu’il partage pour expliquer son renoncement à ce « moyen de défense » est à la fois poignant et glaçant. Il examine aussi avec lucidité l’impasse sentimentale dans laquelle il se trouvait à l’époque et admet avoir fréquenté certaines femmes uniquement pour l’image qu’elle pouvait renvoyer de lui. Après cette prise de conscience, il apprendra à s’aimer lui-même avant de se faire aimer des autres.
Ce récit biographique et intimiste est superbement illustré par un Eduardo Risso au sommet de son art. Assurant le dessin et la couleur, il combine et alterne plusieurs styles graphiques tout au long de l’album. Il y a bien sûr les contrastes marqués auxquels il nous avait habitués dans 100 Bullets, mais aussi des planches colorisées à l’aquarelle et aussi quelques passages cartoony. En élargissant ainsi sa palette, Risso a rendu avec plus de force et de texture toute la beauté et l’étrangeté du monde intérieur de Paul Dini.
Le passage où Dini évoque l’échec de sa vie sentimentale en parodiant Bip-Bip et le Coyote est un petit bijou d’art séquentiel, immédiatement parlant, qui fait passer toute l’autodérision dont fait preuve l’auteur dans sa confession intime. La scène de l’agression fait penser aux meilleures heures de 100 Bullets avec un équilibre entre violence graphique et suggestion.
En tant que fan de Risso, j’ai été ravi de pouvoir lire toutes ces pages de dialogues si bien mises en scènes, avec en prime des textes plein d’authenticité et où les personnages s’expriment de manière non-cryptiques et ne finissent pas les phrases des autres (n’est-ce pas, Mister Azzarello ?).
Paul Dini nous avait promis dans son titre, « Une histoire vraie de Batman ». Et il a tenu parole. Oui, Batman existe ! Et, par extension, tous les super-héros que, sur Bruce Lit, nous sommes pas mal à avoir connu dans notre enfance, oui, tous ces héros existent ! Ils ne sont pas réels (et vouloir les rendre « réalistes » à coup de costumes pompés sur le cinoche et de violence « mature » n’est pas l’idée la plus heureuse qui soit). Mais ils existent, ils peuplent notre imaginaire et dans leurs meilleures itérations, ils peuvent nous inspirer. Nous aider à nous relever, nous inciter à nous dépasser, à nous rapprocher de notre inaccessible étoile…
Refusant de se faire passer pour un héros, livrant davantage un témoignage qu’une leçon de morale, Paul Dini, brillamment servi par un Eduardo Risso au top, a signé un récit inspiré et inspirant.
Merci Matt, pour ce retour sur ta lecture et ce partage d’expérience perso. J’étais en effet trop à fond sur le FR (et les autres choses de la vie…) pour venir commenter ces jours-ci. Ce que j’apprécie dans le récit de Dini, c’est qu’il n’y a pas d’effet « magique » qui ferait qu’à un moment tout va mieux. L’auteur fait un travail sur lui, mais c’est toujours en cours, jamais vraiment terminé.
Bon, il se fait vraiment tard, la Dark Night m’attend…