Southern Bastards tome 1 par Jason Aaron et Jason Latour
VO : Image
VF : Urban
AUTEUR : TORNADO
Ici Repose un Homme est le premier tome de la série Southern Bastards, une série de l’éditeur Image Comics, reprise chez nous par Urban Comics. Il regroupe les quatre premiers épisodes, réalisés en 2014 par le scénariste Jason Aaron et le dessinateur Jason Latour.
Cette nouvelle série était très attendue car Jason Aaron nous avait offert auparavant Scalped, une série essentielle (10 tomes chez Urban Comics), aussi violente que magnifique ; un polar sur fond de réserves indiennes d’une noirceur abyssale. Pour le moment, puisque la question consiste à savoir si Southern Bastards est à la hauteur de la série précédente, je dirais que nous sommes un ton en dessous, d’une part car les quatre épisodes de Ici Repose un Homme sont linéaires et plutôt simples, mais également parce que, malgré ce que certains en disent, Jason Latour est loin d’être du niveau de R.M. Guéra, le dessinateur de Scalped.
Le pitch : Earl Tubb, à l’aube de ses soixante ans, revient dans l’Alabama de son enfance, où on ne l’avait pas vu depuis quarante ans. Il y revient à contrecœur, uniquement pour vider la maison de son père, décédé depuis plusieurs années. Bien décidé à ne faire qu’un halte passagère et à repartir ni vu, ni connu, d’un endroit qu’il déteste, notre bonhomme commence néanmoins à se remémorer quelques souvenirs plus ou moins douloureux.
Le père de Earl était le shérif de Craw County. Il était devenu une légende vivante après avoir corrigé une bande de la pègre locale à l’aide d’un simple gourdin taillé dans le bois brut. Earl, quant à lui, était avant son départ une petite célébrité, car il était le capitaine de l’équipe de football. Par une succession d’événements au départ banals, Earl va replonger bien malgré lui dans l’enfer de cette petite bourgade du sud, où règne un groupe de voyous qui imposent leur loi, sous la houlette de « Coatch Boss« , l’entraineur de l’équipe de football…
Dans leur introduction respective, Aaron & Latour évacuent toute ambiguïté : Ils sont tous les deux natifs du sud des Etats-Unis et partagent un amour mêlé de rancœur pour leur région natale, peuplée en partie de rednecks dégénérés par lesquels la réputation du sud est devenue calamiteuse. Le projet de nos auteurs est donc de dénoncer les agissements, la violence et la bêtise de ces gens qui font que le monde est pourri. Et qu’il ne fait pas toujours bon vivre dans certains coins de la planète…
Southern Bastards s’annonce ainsi comme une œuvre personnelle, à la fois pour le scénariste, et à la fois pour le dessinateur, qui s’implique totalement dans le projet (dessin, encrage et une partie des couleurs), utilisant à l’envie la symbolique de la couleur rouge, qui sert ici à dépeindre un environnement malsain, allant parfois jusqu’à se répandre dans tous les coins de l’image…
Les quatre épisodes de ce premier tome sont à la fois convenus et surprenants. Convenus car l’histoire est basique. Quelques éléments narratifs usent de grosses ficelles (la foudre qui s’abat sur l’arbre qui surplombe la tombe du père de Earl, appelant à la vengeance), tandis que les épisodes, linéaires à souhait, ne s’encombrent d’aucun détail superflu et ne racontent rien d’autre que l’histoire centrale (par opposition, Scalped multipliait les intrigues secondaires).
Effectivement, les éléments narratifs de Southern Bastards ne s’éloignent jamais de son personnage principal et ne développent, en tout cas pour le moment, aucun personnage secondaire ni aucune sous-intrigue de quelque sorte. Il y a Earl qui arrive en ville, Earl qui se retrouve confronté à la dégénérescence du lieu de son enfance, et Earl qui décide d’abattre son jugement. Point.
Mais ces épisodes sont pourtant surprenants car, arrivé au dénouement, le scénario impose une rupture inattendue et brutale, relançant pleinement le récit et redistribuant les cartes de manière complètement inhabituelle.
A plusieurs reprises, Earl téléphone à quelqu’un qui ne lui répond pas, et à qui il laisse un message en espérant être rappelé. Si au départ le lecteur ne prête pas beaucoup d’attention à ce détail, ce dernier va se révéler crucial à postériori, justifié par une toute dernière vignette totalement inattendue.
On tient donc un premier arc narratif bicéphale, dont l’apparente banalité des trois premiers épisodes ne sert en définitive qu’à nous endormir, pour que l’on se prenne le dernier segment comme on se prendrait un uppercut. Finalement, le quatrième de couverture ne nous mentait pas : « Le résultat est un thriller dont personne ne sortira indemne, auteurs comme lecteurs« …
Il est encore trop tôt pour savoir où va nous emmener Jason Aaron. Mais certains éléments de ce premier tome creusent déjà un sous-texte qui promet une belle richesse à la toile de fond de cette nouvelle saga. En revenant au seul endroit au monde qu’il ne voulait pas revoir, celui de ses origines, Earl plonge en enfer. La part de « l’héritage » s’impose ainsi comme l’un des thèmes principaux de Southern Bastards. Il fait écho, de manière limpide, à ce que tentaient de nous dire les auteurs dans leur courte, mais édifiante introduction, dans laquelle ils traduisaient le sud des Etats-Unis comme un être humain, avec ses qualités et sa lumière, mais aussi avec ses défauts et sa noirceur…
Je fais confiance à Jason Aaron. Et j’imagine que l’auteur va nous emmener très loin dans le monde viscéral des rednecks du sud, au cœur d’une œuvre personnelle, sans concessions et brutale comme un match de football américain baigné dans la sueur et le sang.
Vivement la suite, tiens…
Merci pour l’article qui présente bien la série sans trop en révéler. Je pense que je vais essayer cette série.
Il est aussi possible que cette apparente linéarité découle du format retenu. La politique de publication d’Image (soutenue et validée par les auteurs) est de mettre un recueil sur le marché le plus vite possible. C’est l’une des raisons pour lesquelles il n’y a que 4 épisodes, ce qui constitue plus une introduction qu’un chapitre conséquent.
Je fais également aussi confiance à Jason Aaron. Je n’ai pas encore décidé à sauter le pas de cette série pourtant, parce que celle ci met en scène le monde du football américain, et que le sport réel ou virtuel me sort par les yeux. Qui a lu le volume 2 ?
En fait même dans ce tome le football américain n’est pas du tout présent. Il ne faut pas se fier à la couverture.
Bonjour,
Et merci pour cet article.
Tu relates bien l’ensemble de cet ouvrage.
Je suis d’accord sur le fait que les épisodes sont un peu linéaire mais je pense aussi que cela participe à rendre Earl plus sympathique.
Lors du dernier chapitre on comprend que les auteurs vont aller plus loin que ce qui nous est présenté au début. Ce dernier chapitre a été pour moi une vraie claque.
Merci pour cet article.
Bonne journée
Merci pour la nouvelle ! C’est bon de savoir qu’il se passe encore des choses autres que de Marvel !
J’ai bien apprecié ce 1er tome même si il se lit plutôt rapidement et que les dessins ne sont pas du même niveau que Guera comme tu le dis si bien Tornado. Mais ce ne sont que les 4 premiers numéros, faisons confiance à Aaron pour nous conter une histoire sombre et complexe (j’espère !). Aura-t-il le même niveau que Scalped pour autant je ne pense pas. Chaque oeuvre est différente. Merci Tornado !
Même si c’est très tentant (le cliffhanger fait partie de ton – très bon – commentaire, Tornado !) il faut d’abord que j’achète les Scalped. Me manque sept tomes quand même…
Voilà, j’ai lu les deux premiers tomes. Je me reconnais totalement dans ton article. La maîtrise d’Aaron est ici. On est tout de suite happé par l’ambiance. Je trouve que l’on est pour l’instant en dessous de Scalped. Certes, il y a le Twist du premier épisode. Et tous les thèmes Aaroniens : l’impossible retour chez soi, l’héritage paternel, l’ambiguité des racines…. Mais, à la fin du deuxième arc, la série fait déjà du surplace je trouve. Il faut dire que tout le deuxième arc construit autour du football américain m’a gonflé profondément, c’est exactement ce que je ne voulais pas lire. Ca manque un peu de consistance pour l’instant et d’intrigues secondaires. Aaron survole rapidement tous les personnages qui pourraient la construire, là est ma source d’espoir. Le tome 3 sera déterminant si je continue cette série ou non.
Et pendant toute la lecture, je me marrais tout seul à cause de toi….Je repensais à ton expression : » on appelle ça se prendre une frite« …Impossible de poursuivre ma lecture sérieusement après ça.
Et bien j’ai quant à moi préféré le deuxième tome, où justement l’on retrouve les intrigues secondaires de Scalped. Et la plongée dans l’univers du Football ne m’a pas dérangé. Je l’ai simplement pris comme un truc régional, une manière de vivre propre à cette population.
En revanche je trouve que tu as raison en ce qui concerne les seconds rôles : Ils étaient mieux explorés dans Scalped. Le destin du vieil aveugle m’est apparu aussi capilotracté que le coup de l’arbre qui se prend la foudre dans le 1° tome. Ce n’est pas très réaliste en regard de l’ambiance générale de la série…
Le Foot : Bon, il faut dire que le sport et moi, ça fait 4. Ça manque un peu de profondeur et oui, tout n’est pas très réaliste. J’ai pour l’instant du mal à me sentir concerné par les quelques personnages. Et le dessin de Latour ne me touche pas beaucoup….
J’ai lu le premier tome et c’est vrai qu’il faut faire le deuil de la fin de la série Scalped, pour être dans un état d’esprit permettant d’accepter de découvrir cette nouvelle série de Jason Aaron, avec d’autres caractéristiques, et un autre dessinateur.
Avec des yeux neufs, j’ai trouvé que ce tome correspond à un premier chapitre et qu’il tient sa promesse de le plonger dans un Sud poisseux, dans une petite ville où il règne un esprit de clocher pernicieux. Comme le met en lumière Tornado, Aaron aborde son thème de prédilection du scénariste : la transmission de père en fils (surtout dans ses mauvais côtés). Il aborde aussi son second thème de prédilection : le poids de la violence.
C’est sûr que Jason Latour n’est pas RM Guéra et que ses dessins sont un un peu lâches, un peu simplifiés dans leur façon de représenter, mais installant une personnalité graphique et narrative très forte. Petit à petit, Latour installe une ambiance très dense, avec des découpages de planches d’une efficacité brutale. J’ai du mal à me remettre de la description du match de baseball sur une demi-douzaine de pages de l’épisode 2 : les joueurs mettre du cœur à l’ouvrage, l’implication des spectateurs dans la force des attaques, la vigueur des chocs, comme une forme légèrement plus civilisée (mais pas de beaucoup) des jeux du cirque.
À propos de Latour, ça me rappelle que sa brève reprise de Wolverine & the X-Men (après la fin du run d’Aaron) a plutôt mauvaise réputation.
Une réputation calamiteuse qui a abouti à l’annulation pure et simple du titre.
Je n’ai aucun regret d’avoir revendu ce titre. A ce jour, Aaron étant pris sur autre chose, rien n’est sûr que cette intrigue plus lente que la tortue de La Fontaine n’aille quelque part.
Surtout si son agenda est de plus en plus chargé (le relaunch de Conan le barbare chez Marvel, la suite de Goddamned qui ne donne plus de nouvelles pour le moment).
Vous avez tous tort (à part Présence) : La série reprend en VF en novembre : 🙂