Seven to Eternity de Rick Remender et Jerome Opeña
Un article de JB VU VANVO : Image Comics
VF : Urban Comics
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À la croisée des genres
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SEVEN TO ETERNITY est une série en 17 numéros publiée par Image Comics, écrite par Rick Remender, principalement illustrée par Jerome Opeña (et pour les numéros 7 et 8 par James Harren) et mise en couleurs par Matt Hollingsworth.. En France, Panini Comics a publié ce titre en 4 tomes sous le label Urban Indies (ainsi qu’en version noir et blanc, ce qui est un crime lèse-coloriste) puis en une intégrale en 2022. Ce titre est traduit en français par Benjamin Rivière.
Cette chronique va vous murmurer des spoilers, oserez-vous les entendre ?
Connu sous le nom du Maître des murmures par ses sujets ou du Roi Fange par ses ennemis, Garils Sulm règne en maître sur le royaume de Zhal. Son secret ? Il exauce les désirs de certains de ses sujets, et a le pouvoir d’entendre et de voir par l’intermédiaire de ceux-ci. Le résultat : il a un œil et une oreille dans chaque foyer. Rares sont ceux qui ont osé rejeter d’entendre sa proposition, ses murmures. Le premier d’entre eux est Zeb Osidis, qui a été témoin de l’ascension du Roi Fange, qui était son partenaire. En réponse, Garils a détruit la réputation de Zeb, faisant de son nom un symbole de traîtrise. La famille Osidis s’est alors exilée.
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Adam Osidis contre le reste du monde
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Des décennies plus tard, le Maître des Murmures envoie des tueurs supprimer Zeb. C’est Adam, son fils, qui doit alors faire face à Garils alors même qu’une maladie mortelle le ronge. Mais lorsqu’il arrive dans la salle du trône, un groupe de rebelles attaque le Roi Fange et, avec l’aide d’Adam, parvient à le capturer. Un problème se pose : exécuter Garils aurait pour conséquence de tuer tous ceux qui ont accepté son offre et ainsi de décimer la population. Pour libérer le peuple de son emprise, le petit groupe de 7 héros doit escorter leur prisonnier à travers un royaume hostile. Pourtant, quelque chose ne va pas : leur captif a l’air bien trop serein et laisse même passer une occasion de s’échapper…
Dans la postface du premier numéro de Seven to Eternity, Rick Remender évoque la genèse du projet. Lui et son complice Jerome Opeña (Uncanny Avengers) ont imaginé et paufiné cet univers depuis leur collaboration sur Fear Agent, et le départ de Remender de Marvel a permis aux compères de donner corps à ce projet maturé 10 ans durant. A la lecture, on ressent un monde construit, un univers cohérent sans que Remender ait besoin d’écrire un pensum : nous devrons simplement deviner ce qui se cache derrière le Puit Noir ou la mythologie derrière l’incarnation de la Mort, le Grand Archiviste. Plusieurs catastrophes ont frappé ce monde et une seule, la dernière en date, nous est narrée comme une légende fondatrice.
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Sic semper tyrannis !
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Difficile d’ailleurs de classer l’univers de Seven to Eternity. Armé d’un fusil, cheminant dans des grands espaces après avoir quitté sa ferme, le protagoniste principal, Adam, semble tout droit sorti d’un western spaghetti. Une citée volante rappelle fortement le Flash Gordon d’Alex Raymond, et son dirigeant au visage couvert de tentacules paraît descendre de Cthulhu… Mais si je devais assigner un genre à Seven to Eternity, je parlerais de Dark Fantasy. On est ici dans un monde où le mal a gagné, où la liberté semble être un concept accessoire. La magie est une denrée rare, les Mosaks – les héros de ce monde – sont pratiquement éteints.
Remender semble d’ailleurs prendre un malin plaisir à inverser le parcours des héros de l’un des récits de Fantasy majeurs, Le Seigneur des Anneaux. Lorsque la “confrérie” de Seven to Eternity se brise, 2 personnages entreprennent une marche non pas vers la terre désolée du Mordor, mais vers un endroit luxuriant, enchanteur, pour une confrontation finale. Pendant ce temps, loin de réaffirmer leur amitié et leur détermination, les autres membres se séparent et cèdent pour la plupart à leurs pulsions primaires (méfiance, fanatisme, lourds péchés, traumatisme) en oubliant leur mission.
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Le rejet de l’autre, une valeur sûre
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Le récit suit avant tout Adam Osidis. Le cadre narratif fait du comics “son” histoire : chaque numéro (à 2 exceptions) commence par un extrait du journal d’Adam, où il partage ses sentiments sur la situation, ses rêves, ses angoisses et ses espoirs. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’Adam est absent des 2 numéros où aucun extrait ne figure, et que l’artiste change pour ces passages (Jerome Opeña est remplacé par James Harren). Le lecteur partage ainsi la vision du monde d’Adam, monde qui apparaît radicalement différent lorsque l’on adopte un autre point de vue. Subtilement, Remender et ses partenaires artistes montrent qu’Adam est un narrateur peu fiable.
Durant la majeure partie du récit, Garils va pousser Adam à remettre en question sa vie et les valeurs que lui a inculqué son père Zeb. Le caractère inflexible de celui-ci est-il véritablement une qualité ? Vivre en société, n’est-ce pas accepter les compromis, comprendre le point de vue d’autrui ? Garils va évoquer sa propre vie, son point de vue sur les habitants de ce monde issu de son expérience de jeunesse : sa mère assassinée par sa famille pour avoir couché avec un humain et engendré un “sang mêlé”. Son mentor, qui paraissait l’avoir accueilli par bonté d’âme mais avait des motifs très intéressés et ressentait de la haine pour son élève. Adam découvre peu à peu qu’il est difficile de haïr une personne que l’on apprend à connaître et à comprendre.
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Une leçon à retenir : la bienveillance n’existe pas
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Interrogé sur la dictature qu’il fait subir au monde de Zhal, le Roi Fange donne son point de vue sur la société, assez proche de celle du philosophe Thomas Hobbes : les êtres vivants sont naturellement mauvais, et ont besoin d’être soumis à la volonté d’un seul, d’un dictateur, pour être en état de paix. Quand à sa prise de pouvoir, elle est montrée dans des scènes évoquant des situations bien trop familières : dans chaque ville, une personne influencée par Garils entame un discours populiste, encourageant la méfiance envers l’étranger, désignant les minorités comme la source de tous les malheurs, évoquant des espions de l’intérieur, promettant de fermer les frontières pour protéger les valeurs du peuple. Pourtant, Garils argumente qu’il n’exerce pas un contrôle absolu. Le secret, c’est de laisser les gardes se garder eux-mêmes : le repli sur soi-même diminue le risque de conflit direct. Quant aux grandes idées d’humanisme, d’alliance, d’égalité ? L’absence de consensus et le fanatisme qu’elles engendrent en font les plus grandes causes de guerres destructrices.
Peu à peu, Adam se laisse toucher par ses arguments. Mais Remender montre très rapidement que son point de vue est biaisé. Lorsqu’Osidis se lamente du sort de sa famille, mise au ban de la société, d’autres membres du groupe révèlent que leurs races ont été purement et simplement annihilées. Alors qu’Adam croit que seul Zeb a refusé d’entendre les propositions de Garils, il découvre qu’une cité entière a rejeté le Roi Fange quitte à encourir une punition terrible. Le lecteur qui s’attarde sur les passages manuscrits du journal d’Adam réalise bien vite qu’il projette ses failles sur d’autres. Il parle d’un personnage, enfant bâtard de Garils, comme d’un enfant en colère contre son père, cherchant en vain son respect, sans réaliser qu’il écrit sur son propre ressentiment envers Zeb.
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La déception d’un père, la honte d’un fils
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Tout l’intérêt vient ainsi du principe de moralité centrée sur le protagoniste : partageant le point de vue du héros tout le long de la série, le lecteur peut penser que le protagoniste œuvre pour le bien commun. Mais alors qu’Adam se trouve de plus en plus convaincu de la justesse de ses choix, nous réalisons qu’il se ment à lui-même. Alors qu’il prononce les mots “Je suis Zhal”, estimant représenter l’ensemble de ce monde, il commet l’acte le plus égocentrique possible. Remender propose d’ailleurs deux logiques contradictoires, laissant le lecteur choisir : Adam était-il destiné à cette voie (et donc prisonnier de ses choix) ou pouvait-il tracer son chemin ?
Au niveau graphique, Opeña est un régal pour les yeux, brillant autant dans la représentation des paysages diversifiés de Zhal que dans les scènes d’action – on notera d’ailleurs qu’il a une certaine affection pour les scènes où un personnage assène un coup mortel à un autre.Opeña montre également en filigrane la corruption progressive de Zhal et de son au-delà. Le style de James Harren tranche avec celui d’Opeña : bien plus cartoonesque, très dynamique et expressif, il décrit une aventure loin de la gravité du périple d’Adam, et comme dit auparavant, illustre la subjectivité du point de vue du personnage principal.
Seven to Eternity est l’une de ces histoires qui s’enrichit à chaque relecture : ici, l’annonce de la chute de toute dictature ; là, une révélation presque imperceptible sur l’origine du mal du héros. Tiens, l’objectif de tel personnage était pleinement évoqué dès le début. Si j’ai donné l’impression d’un pensum théorique, ce n’est pas le cas. Les personnages discutent philosophie, politique lorsqu’ils cheminent d’un lieu à un autre, mais c’est l’action qui domine, le combat entre le bien et le mal. Tout le problème est de savoir les différencier…
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La BO du jour
Bon article, on retrouve la même philosophie que l’attaque des titans, manga qui reprend entre autres les pensées de Thomas Hobbes. J’ai pas forcément été très fan de la trajectoire de l’histoire qui était une longue descente fataliste pour moi, en revanche les dessins et l’univers sont incroyables.
Merci pour cette chronique, qui me conforte dans le fait d’avoir acheté cette série, une des dernières que j’ai achetées sans réfléchir (parce que je suis fan de Remender) à une époque où j’achetais encore des comics, notamment sans réfléchir…
Je pense effectivement qu’un Remender peut supporter plusieurs lectures qui vont en s’enrichissant. C’est un vrai auteur qui développe ses thèmes et injecte des couches de lectures à ses récits pourtant bourrés d’action. Son principal défaut selon moi étant la compression narrative (soit l’inverse de la décompression). Comme Grant Morrison (mais en plus facile à comprendre quand même…), il en met tellement en peu de pages, que la lecture est parfois pesante. Malgré la tonne d’action, ça ne se lit pas comme un simple divertissement. Faut avoir l’esprit alerte et ne pas être trop fatigué pour « affronter » la lecture. En tout cas c’était comme ça avec BLACK SCIENCE, surtout au début. Un peu moins (mais à peine) avec DEADLY CLASS.
Je n’achète plus aucune nouvelle série aujourd’hui. Mais je reste attentif à ce que produit cet auteur. Si une de ses nouvelles séries collecte des avis comme celui de cet article, alors je me laisserai tenter…
La BO : Je n’écoute pas cette « proto-période » des Stones. Je n’accroche pas à ce vieux son. Je commence à me passer leurs albums à partir d’AFTERMATH (et j’arrête après SOME GIRLS).