Sup’Héros par Thierry Mornet et Michel Montheillet
Special Guest : David BREHON
VF : Black and White
1ère publication le 07/06/21 – MAJ le 19/08/21
Ah la belle génération d’irrécupérables geeks nostalgiques, s’agrippant désespérément à leurs souvenirs. Ils vénèrent Goldorak et Casimir comme de saintes icônes, Strange leur tient lieu de Bible et ils ne se sont jamais remis de la mort de Phénix et de Gwen Stacy.
Ils sont désormais quadras ou quinquas, se sont embourgeoisés et affichent tous les atours de la respectabilité. Mais ils n’ont jamais réussi à tourner la page de leur enfance idéalisée, perpétuellement hantés par l’écho lointain du bonheur puéril que leur procurait leur dose mensuelle de l’Homme-Araignée et consorts. Alors ils achètent tout ce qui pourraient les aider à retrouver cette magie qui a enflammé leur imagination de marmot. Et ils sont insatiables.
Après les soirées Gloubi-boulga et la pléthore de publications sur les dessins animés des années 70-80, nos nostalgeeks jettent leur dévolu sur les vieux super-héros français. Certains éditeurs l’ont bien compris et rééditent à tour de bras Mikros, Photonik, Epsilon, Cosmo, Kronos…, sans parler de la production de nouvelles aventures.
A cela s’ajoutent les ouvrages qui les évoquent. Si on pense évidemment au travail de référence de Xavier Fournier dans Super-Héros, une histoire française, il ne faut pas oublier Nos années Strange, Spécial Origines Sup’Héros et, plus récemment, Mitton Universe (réédition très augmentée de Spécial Origines Sup’Héros). Bref, la littérature sur ce le sujet ne manque pas, de quoi rassasier les collectionneurs les plus acharnés.
On peut alors légitimement se demander ce qui est passé par la tête de Thierry Mornet et son compère Michel Montheillet pour sortir Sup’Héros, la grande aventure du magazine Mustang dans un marché déjà bien encombré. Et que raconter qui n’ait pas déjà été dit ? C’est donc avec méfiance et scepticisme que j’ai vu arriver cet énième bouquin sur Mikros et Photonik. Mais bon, Thierry Mornet a deux mérites qu’on ne peut pas lui enlever : c’est un éditeur ayant très bon goût (le catalogue comics Delcourt dont il est responsable en est la meilleure preuve) et il est très sympathique. Je lui ai donc fait confiance sur ce coup. Et je ne l’ai pas regretté.
Avant de parler du livre en question, il peut être utile pour nos lecteurs de moins de 40 ans d’évoquer ce que représente le magazine Mustang. Fin des années 70, une terrible vague s’abat sur la France : la spidermania. Les enfants en sont fous, notamment grâce au célèbre dessin animé dont le générique est entré dans la légende. Les ventes de Strange (le journal de Spider-Man) s’envolent et son éditeur, Lug se dit que ça pourrait être une bonne idée de capitaliser sur le succès des super-héros pour créer leurs propres personnages. Après quelques essais (dont la réalisation d’épisodes inédits du Surfeur d’Argent, rien que ça), Lug passe à la vitesse supérieure en lançant un nouveau magazine dont il produit 100 % du contenu. C’est ainsi que débarque en juin 1980 une génération de super-héros français, qu’on appelait alors Sup’Héros (le terme super-héros était à l’époque l’apanage de Marvel et DC). Mikros et Photonik y font leurs premiers pas sous les pinceaux respectifs de Jean-Yves Mitton et Cyro (Cyrus) Tota. Pour d’obscures raisons administratives et fiscales, Lug décide d’utiliser le titre Mustang, un Petit Format dédié au Far West, plutôt que de créer une revue ex nihilo. Alors, comme il faut bien justifier le nom de ce mensuel, on y ajoute une 3e série avec le sup’héros amérindien Ozark, dont le cheval se nomme… Mustang. Oui, c’est une idée pourrie et le personnage sera d’ailleurs rapidement abandonné.
Mikros et Photonik remportent davantage de suffrages que leur camarade sioux et restent au sommaire les 17 numéros que dure l’aventure. Mais si le magazine n’arrive pas à s’imposer auprès du public, Lug ne veut pas abandonner ses créations et les rapatrie au sommaire de ses autres mensuels. Mikros se fait une place dans Titans, entre La Guerre des Etoiles et Dazzler tandis que Photonik brille aux côtés des rééditions des premiers X-Men dans Spidey. C’est donc dans ces deux revues que nombre de lecteurs français de Marvel découvrent les sup’héros made in France. Le talent de Mitton et Tota valant bien celui de leurs homologues ricains, les fans les adoptent rapidement. Photonik et Mikros deviennent aussi appréciés pour cette génération que Daredevil ou Iron Man. On comprend mieux pourquoi leur souvenir perdure chez les nostalgeeks.
Quant à savoir pourquoi Thierry Mornet s’est lancé dans l’aventure, c’est assez limpide : il suffit de regarder son parcours. Lorsqu’il s’est retrouvé éditeur chez Semic (successeur de Lug), il ramène tous les héros créés par Lug (hors Photonik et Mikros, propriétés de Tota et Mitton) au sein d’un univers cohérent (Hexagon parfois surnommé le Semicverse). A la tête du département comics de Delcourt, il réédite Mikros et lance une nouvelle vague de comics français (dont Fox-Boy). Enfin, il auto-édite les aventures d’un super-héros qui est quasiment l’incarnation de la France : Le Garde Républicain, personnage qu’il a créé dans sa jeunesse à l’occasion d’un concours pour Strange 100. Autant dire que nul ne peut nier l’amour de Thierry Mornet pour les Sup’Héros à qui son ouvrage rend hommage. Il s’est associé à Michel Montheillet, dessinateur de talent, pour rédiger ce livre. Et pour le publier, ils ont fait appel à un éditeur on ne peut plus légitime sur ce sujet, Black and White, qui réédite déjà Photonik sous 3 formats (très beaux) formats différents et orchestre son retour dans un ultime récit signé Ciro Tota.
Si l’on peut être rassuré par l’équipe aux commandes, on aurait pu craindre que le livre se limite à une déclaration d’amour ou à un rappel des plus belles heures de Photonik et Mikros. Il n’en est rien. Les auteurs nous racontent avant tout l’aventure éditoriale des sup’héros, de leurs prémices (Fantax, leur ancêtre) à leurs différents retours, en passant par l’influence qu’ils ont eu sur la nouvelle garde d’auteurs de french comics. Pour ce faire, Michel Montheillet et Thierry Mornet ont interrogé les différents artistes de la mythique revue pour en connaître les coulisses. La part belle est bien évidemment faite aux deux stars que sont Tota et Mitton. Les questions sont pertinentes et les réponses sont généreuses en informations pour les fans, même si Ciro se montre un peu moins disert que son camarade.
Preuve de l’exhaustivité qui caractérise cet ouvrage, les auteurs sont également allés chercher André Amouriq qui a joué l’intérimaire sur quelques épisodes de Mikros. Evidemment, ils ne pouvaient pas faire l’impasse sur Claude Vistel, la PDG des Editions Lug à l’époque. Si elle a accepté de répondre aux questions, force est de constater qu’elle se montre laconique et ne nous apprend finalement pas grand-chose de neuf. Cependant, cet entretien permet de mettre en valeur celle à qui les lecteurs français de comics doivent tant. Thierry Mornet et Michel Montheillet se sont fendus d’un article pour chacune des séries qui ont eu l’honneur d’apparaître au sommaire, ne serait-ce que pour un épisode (Le Gladiateur de Bronze)… et même pour la série qui a été recalée, Zolt Zam, création des époux Chantereau.
Outre la période Mustang, Sup’Héros évoque très rapidement Fantax, l’ancêtre des super-héros français, et, bien plus longuement, le destin de Photonik et Mikros dans Spidey et Titans ainsi que les tentatives pour les ramener au fil des ans. Là encore, le propos est complété par des interviews d’artistes ayant travaillé sur les personnages. On découvre ainsi des projets de reprise qui n’ont pas été menés à terme, avec les explications des dessinateurs concernés et même des extraits de leur travail jusque-là inédit. Ces témoignages précieux nous laissent entrevoir ce qui a failli être proposé aux lecteurs. C’est tout un pan méconnu de l’aventure éditoriale des french comics qui se dévoile devant nous.
Bien entendu, les différents retours réussis de Mikros et de Photonik sont détaillés, jusqu’à leurs apparitions les plus confidentielles. Articles et entretiens avec les collaborateurs de Mitton (Reed Man, Oliver Hudson) nous éclairent sur les coulisses des nouvelles aventures de Mike Ross et des autres sup’héros. Même le destin d’Ozark au sein de l’univers Hexagon est dévoilé, pour les fans les plus acharnés.
Plus anecdotique, le concours de dessin de super-héros français paru dans Mustang 59 fait l’objet d’un chapitre de 10 pages, avec la participation du lauréat et de plusieurs participants qui ont depuis œuvré dans l’univers des comics et de la BD. Le sujet ne mérite sans doute pas la large place qui lui est faite mais il est l’occasion de montrer une planche inédite de Mikros pas Mitton remportée par l’heureux gagnant et de donner la parole à des fans plus ou moins célèbres.
Et quitte à donner la parole à des fans, presque toutes les vedettes de la comicosphère française ont été convoqués pour rendre hommage à cette revue fondatrice. De Xavier Fournier à Laurent Lefeuvre en passant par Paul Renaud, Thomas Frisano, Fabrice Sapolsky, Jean-Marc Lainé ou Jean-Marc Lofficier, tous se prêtent au jeu sur une trentaine de pages. Et c’est un peu là le point faible de l’ouvrage. Avait-on vraiment besoin de consacrer autant d’espace à des témoignages d’anciens lecteurs, fussent-ils connus pour certains d’entre eux ? Le contenu de ce livre est suffisamment riche pour qu’on nous dispense de ces textes sympathiques mais pour certaines superflues. Heureusement, cette section Hommages contient une galerie d’illustrations réalisées par une pléiade d’invités talentueux. En admirant certains dessins, on se dit que la relève des auteurs de french comics est assurée.
Et puisqu’on parle de dessins, il serait impensable de ne pas évoquer la riche iconographie de cet ouvrage. Affiches, croquis, sérigraphies… On sent que Thierry Mornet et Michel Montheillet ont voulu faire plaisir aux fans. Ils nous offrent en effet les plus beaux dessins que Tota, Mitton et les autres ont pu réaliser sur nos sup’héros préférés après l’arrêt de leurs séries. A cela s’ajoute les couvertures des différentes rééditions et des récits inédits qui sortent actuellement aux éditions Original Watts et Black & White. Evidemment, on retrouve également des dessins d’époque : les couvertures des 17 numéros de Mustang, des planches originales, des publicités, des couvertures non retenues… C’est un véritable feu d’artifice qui séduira autant le nostalgique à la recherche de sa madeleine que le complétiste en quête d’illustrations rares et inédits.
Enfin, le livre s’achève par un dernier hommage sous la forme d’une courte BD scénarisée par Thierry Mornet et illustrée par un Marti inspiré. Ce mini-comic book est l’occasion de réunir Photonik, Mikros et Ozark, comme sur la couverture de Mustang 54, histoire de boucler la boucle.
Au final, ce qui aurait pu s’annoncer comme une redite du récent Mitton Universe s’avère une excellente surprise qui évite les écueils du panégyrique lyrique ou de l’hommage facile et sans valeur ajoutée. Bien documenté, riche en informations et magnifiquement illustré, ce livre s’adresse tout aussi bien aux quadras nostalgeeks qu’aux lecteurs curieux d’en savoir plus sur les plus célèbres super-héros français.
… Un pavé !
Pardon, mais c’est très spontané : je suis très attaché aux deux séries phares du magazine…
Yves Mitton a souvent mentionné son peu d’intérêt pour l’univers des Super-Héros. Cependant, lui et Olivier Navarro se sont attelés avec pas mal de sérieux à l’élaboration des scénarios du trio microscopique : si on peut leur reprocher -à postériori- le ton ampoulé des dialogues (fait exprès moitié par esprit moqueur vis-à-vis du médium américain plein de suffisance, moitié en hommage aux mêmes productions néanmoins talentueuses et efficaces), on ne peut que constater la rigueur du travail accompli : régularité et quasi absence de redite, avec un soucis plutôt novateur pour l’époque de varier au maximum les antagonistes (assez caricaturaux et, du coup, plutôt iconiques) ainsi que les ambiances. Des S’vizz plutôt fun au flippant Vaudou (le coup de la navette !), de leurs démêlées avec la justice (et la populace !) à leurs voyages autour du monde (Cagliostro, Microbios, Psi…), Mikros, Saltarella et Crabby s’ennuient beaucoup moins que leurs voisins transatlantiques ; le seul véritable point d’achoppement, pour le lecteur Lambda, restant cette absence de proximité dont bénéficient les Super-Héros Anglo-saxons du fait de leur plus longue fréquentation -et de l’imposant « réalisme » apporté par leur réalité partagée.
Le dessin de Mitton est fantastique d’énergie et de clarté : il a beau moquer les Comics, il est plus que digne de figurer parmi les plus grands de l’époque pour son travail sur Mikros et Cosmo : synthèse très maitrisée entre le sérieux d’un Buscema (sa reprise du Surfer D’Argent est sublime !) et les fantaisies illustratives et punchy des héritiers de Kirby : Big Crabb aurait pu naitre sous le crayon du King. Quant aux planches de sa série de Science-Fiction, même si celle-ci aurait mérité un traitement scénaristique et graphique beaucoup plus « Hard Science », elles sont riches de la même beauté dépouillée : planètes et vaisseaux juxtaposés avec bonheur, sans excès, tout à l’honneur du véritable Space-Opera présenté. La fuite perpétuelle de ces « Évadés De L’Espace » était une échappatoire DANS les échappatoires offerts par ces magazines : rien dans la production Lug n’y ressemblait.
Epsilon m’avait également enthousiasmé : le premier épisode semblait promettre une nouvelle métamorphose dans le travail graphique de Mitton (qu’on pouvait espérer être encore plus spectaculaire que le bon évolutif du dessin en plein milieu de la saga des Svizz !). Mais la série a rapidement perpétuée certains tics de l’auteur, à savoir les dialogues « dramatiques », beaucoup moins justifiés dans ce contexte de Science-Fiction. Quant à l’artiste, fort de son aisance, il va souvent s’appuyer sur sa technique quasi sans faille, quitte à diminuer la séduction purement visuelle de cette BD : peu sinon aucune expérimentation stylistique après le premier épisode (Epsilon ne se ressemble plus, dès le suivant) ; et les personnages manquent tous d’un chouïa de chaleur. On a du mal à s’attacher à eux. Mais ça demeure de très bonne facture.
Beaucoup plus « européen » dans son style, Ciro Tota s’est taillé une place à part dans le coeur de ceux qui ont apprécié à sa juste valeur l’univers beaucoup plus poétique mis en scène autour des aventures de son trio à lui. Photonik, le Dr Ziegel et Tom Pouce bénéficient de dialogues beaucoup plus naturels et ressentis, qui les rendent tout de suite plus familiers et « proximiteux » aux lecteurs français.
Copiés-collés de leurs homologues américains, les trois personnages n’en expriment que plus surprenamment un discours bien plus singulier tant leur profonde humanité réverbère une sensibilité franchement Latine : la chaleur de leurs sentiments réciproques, ainsi que le soucis de leur prochain, sonnent de manière infiniment moins sophistiquée que les envolées lyriques de leurs compères à antennes -sauf Crabby, bien entendu : il est direct, lui aussi (et n’a pas d’antennes !). Par la même occasion, l’humour de la série est plus spontané : aucun des trois n’est le boute-en-train, mais chacun d’eux peux faire preuve, à tour de rôle, d’esprit et de dérision : Tom Pouce : » … la trépanation n’est pas mon dessert favori ! »…!
Par voie de conséquence, l’émotion s’y exprime aussi de manière plus subtile : on sous-entend, on suggère (la très lointaine explosion du « building » du Minotaure, les solitudes sociales et affectives des trois, les souvenirs voilés de tristesse de Tom…).
Très consciencieusement, Tota s’est appliqué à rendre ses planches dynamiques et lisibles : un sens très efficace de la stylisation des décors ainsi que des expressions, souvent très justes. Si Thaddéus a (c’est volontaire, pour accentuer sa « différence ») un regard un peu hagard, Ziegel, pourtant plus que sexagénaire, irradie quant à lui toute la joyeuse malice de l’enfant qui a plus d’un tour dans son sac ! J’ajouterais que la présence de ce grand-père au sein d’un trio de Super-Héros ne semble jamais incongrue (!) car le personnage est utilisé avec une facilité qui affirme encore la maitrise du scénario par l’Artiste.
J’avoue avoir ADORÉ Photonik, vraiment. Tout ce dont je parle ci-dessus et jusqu’à son apparence, impossiblement originale, elle aussi, avec ce masque qui reprend la forme des excroissances si stylistiques de son menton. Complètement fou, comme idée : une part de la poésie mentionnée plus haut.
C’était très chouette, Mustang, ce magazine ; et, grâce à la simplicité de ton voulue par les auteurs, ça a beaucoup mieux vieilli que plein d’autres publications de l’époque, bien d’avantage ancrées dans les modes du moment.
…! « Olivier Navarro » !! N’importe nawak ! MARCEL !! Marcel Navarro, bien sûr !
Plus d’cerveau, ma pov’ dame !