Final Crisis, par Grant Morrison & collectif
Par TORNADO
VO : DC Comics
VF : Urban Comics
Cet article est consacré à l’event FINAL CRISIS, écrit par le scénariste Grant Morrison et publié initialement entre juillet 2008 et mars 2009. Avant de lire la chose, vous êtes invités à réviser en relisant l’article sur les SEVEN SOLDIERS OF VICTORY, voire celui sur les précédentes crises de l’univers DC COMICS…
Nous nous concentrerons ici uniquement sur le troisième tome de l’édition URBAN COMICS (la dernière en date en VF), qui regroupe les épisodes FINAL CRISIS # 1à 7, les épisodes SUPERMAN BEYOND # 1et 2 et les épisodes BATMAN # 682 et 683. A noter que la plupart des épisodes ont une pagination de 40 planches en moyenne (soit le double d’un épisode normal).
Pour mémoire, les deux premiers tomes de cette collection intitulée FINAL CRISIS regroupaient l’intégralité de la maxi-série SEVEN SOLDIERS OF VICTORY.
– 1ère époque :
Nous sommes en 2010. La publication de FINAL CRISIS vient de se terminer en VF. Au moins les 2/3 du lectorat se plaignent que cet event est incompréhensible, foutraque et inutilement alambiqué. Etant très intimidé par la chose (je ne suis pas encore bien familier de l’univers DC à ce moment là), ayant déjà lu du Grant Morrison et ayant trouvé la chose peu accessible, je décide de passer mon chemin en silence…
– 2ème époque :
Nous sommes en 2018. J’ai lu CRISIS ON INFINITE EARTHS en 2011, IDENTITY CRISIS et INFINITE CRISIS en 2012. J’ai lu tout plein de comics mainstream écrits par Grant Morrison, dont les NEW X-MEN, les ACTION COMICS (sa série sur Superman) et les SEVEN SOLDIERS OF VICTORY (qui ont été conçus comme un prélude à FINAL CRISIS), ainsi qu’une foultitude de comics DC. Et j’ai bien l’intention de me faire MULTIVERSITY, ce projet tellement excitant paru en 2015.
Du coup il me manque la lecture de FINAL CRISIS. Après tout, c’est sans doute le bon moment pour le lire. Avec le temps je suis devenu fort, je connais bien mieux – ET l’univers DC – ET le style d’écriture de Grant Morrison. Il n’y a aucune raison que je ne sois pas de taille à affronter cet event effrayant qu’est FINAL CRISIS. Je suis un fou. Je crains dégun…
– 3ème époque :
Nous sommes en 2019. Je viens de terminer la lecture de FINAL CRISIS sous la forme du gros pavé publié chez Urban Comics.
La vache… Ce n’était pas une sinécure !!!
A tel point que j’ai immédiatement recommencé par le début afin de mieux digérer la chose, car c’est effectivement difficile d’accès. Et je pèse mes mots !
Comme évoqué plus haut, FINAL CRISIS démarre sur le terreau formé par la série de mini-séries SEVEN SOLDIERS OF VICTORY. Morrison y a dissimulé le retour de Darkseid, le principal antagoniste de tout l’univers DC, attirant notre attention sur sa volonté de développer un hommage à Jack Kirby : En effet, le scénariste a, en filigrane (toujours dans SEVEN SOLDIERS), utilisé la mythologie créée par le King au sein de l’univers DC, à savoir le Quatrième Monde et ses néo-dieux de Neo-Genesis et d’Apokolips qui, vous le savez sans doute, mènent une lutte ancestrale du bien contre le mal, Neo-Genesis étant le monde du bien, et Apokolips celui du mal, sur lequel bien évidemment règne le tout puissant Darkseid.
C’est ainsi que démarre FINAL CRISIS, c’est-à-dire avec le retour de Darkseid, cette fois de manière officielle.
Celui-ci a mis au point une arme absolue et définitive : l’Equation anti-vie.
Selon les mots de Grant Morrison lui-même, l’Equation anti-vie est le E=mc2 du désespoir, une formule mathématique donnant le contrôle absolu afin de réfuter le concept même du libre-arbitre et d’asservir tous ceux qui y sont exposés. Et ici ce sont les terriens (pratique pour asservir des super-héros de la tempe de Wonder Woman en les faisant passer du côté des vilains !).
FINAL CRISIS démarre dans la préhistoire (à la manière du film 2001 L’ODYSSEE DE L’ESPACE de Stanley Kubrick) car Darkseid aurait commencé la quête de son arme ultime en activant l’Equation anti-vie au plus profond des brins d’ADN des premiers humains.
Lorsque s’achève SEVEN SOLDIERS OF VICTORY et que démarre FINAL CRISIS, Darkseid vient d’acquérir la maitrise de l’Equation anti-vie et a précipité une guerre désastreuse qui a provoqué la mort des Néo-dieux et leur chute dans le monde matériel des hommes à travers lesquels ils se sont réincarnés. Là, tous les dieux de Neo-Genesis sont relégués à l’état de SDF, tandis que ceux d’Apokolips occupent des postes importants.
C’est donc sur Terre que la guerre pour le pouvoir absolu commence. Mais afin que l’event puisse impacter sur tout l’univers DC, et donc également sur son multivers (!!!), entrent également en jeu la race des Monitors, et avec eux tous les super-héros (et vilains) des autres univers parallèles…
A la fin de FINAL CRISIS, Darkseid est défait, Mandrakk le Monitor noir aussi, et les super-héros de la Terre 1, c’est-à-dire celle de l’univers DC que nous lisons globalement depuis sa création, pleurent leurs compagnons tombés au combat, en particulier Martian Manhunter et… Batman.
Ce résumé est certes déjà alambiqué mais il est assurément succinct en comparaison du contenu réel de FINAL CRISIS. Et si vous trouvez les ressorts de l’intrigue extrêmement capilotractés, sachez que votre serviteur partage également cette impression.
Je l’ai lu à plusieurs reprises de la part d’une partie du lectorat : FINAL CRISIS est un récit qui prend une forme amphigourique pour rien. Car en fait son pitch tient en réalité en ce simple postulat : Darkseid décide d’envahir la terre et à la fin il perd contre les super-héros DC. Point final. Et c’est exactement ça !
Alors pourquoi Grant Morrison a-t-il choisi de raconter cette histoire qui pourrait tenir sur un timbre-poste de manière aussi complexe ? Tout tient en fait aux multiples niveaux de lecture qui se cachent derrière la saga…
Pourquoi l’écriture de Morrison est-elle aussi alambiquée ? Alors que le bonhomme est capable de raconter les choses de manière linéaire avec beaucoup de talent, pourquoi faut-il qu’il nous impose quasi-systématiquement cette construction narrative tellement complexe qu’il faut s’y reprendre plusieurs fois avant d’y comprendre goutte ?
Je pense que la chose m’est apparue clairement évidente pour la première fois à la lecture de FINAL CRISIS : Tandis qu’un Alan Moore traite toujours la figure du super-héros de manière biaisée (ou plutôt contournée), anti-manichéenne et hautement adulte, Morrison, lui, embrasse le genre de manière franche, en assumant complètement les codes du genre : le manichéisme basique, les collants flashy, la mythologie canonique et le fan-service. Du coup, cette façon de raconter les choses en déconstruisant la structure narrative, en la rendant hautement complexe et bourrée à craquer de sens cachés, est sa propre manière d’élever le niveau et de ne jamais tomber dans la naïveté infantile qui colle à la peau du genre consacré.
Tel est le principal intérêt de FINAL CRISIS : Ajouter diverses couches de lectures à un récit basique de héros contre méchants. Creuser en sous-texte diverses strates afin de créer un terreau riche en engrais sémantique, à même de faire de toute la mythologie DC un univers évolutif, toujours proche de ses racines, mais capable aussi de s’en émanciper afin d’explorer des terres vierges et de s’enrichir encore.
Cherchons alors les divers degrés de lectures qui se dissimulent derrière le pitch de FINAL CRISIS. Et il y en a effectivement plusieurs…
Le point de départ est cette exploration quasi-archéologique du leg de Jack Kirby. Grant Morrison déterre presque littéralement le Quatrième Monde et les éléments mythologiques créés jadis par le King en les ramenant sur le devant de la scène. Il lie par ailleurs tous les héros Kirbyens en les faisant partager le même univers (quand bien même il s’agit là d’un multivers) en les faisant se côtoyer, ne serait-ce que par le biais de quelques scènes de regroupement (voir par exemple la planche où l’on peut reconnaitre KAMANDI ). Puis il offre à cette mythologie dans la mythologie un nouveau développement destiné à s’installer durablement et officiellement au sein de l’univers DC, en l’occurrence celui du Cinquième Monde.
A l’arrivée, Morrison opère une véritable déclaration d’amour au travail passé de Jack Kirby, en lui offrant un tout nouveau développement et en installant sa mythologie du Quatrième Monde sur le devant de la scène pour une place à la hauteur de son mérite (comme s’il s’agissait de corriger une injustice). Dans le même temps, l’auteur des INVISIBLES utilise sa liberté créative totale afin de clore l’ère des Crises avec FINAL CRISIS, et d’ouvrir une nouvelle ère sur le Cinquième Monde, bouclant ainsi la boucle à l’aune du leg de Jack Kirby.
Derrière cette toile de fond mythologique, Morrison tisse un entrelacs si dense qu’il semble également vouloir pointer du doigt, à la fois la richesse d’un tel univers partagé, et à la fois ses absurdités. Absurdités éditoriales en premier lieu, d’un univers en perpétuelle déconstruction syncopée, secoué et malmené par des éditeurs tout puissants prompts à effacer tout un pan de leur mythologie, que les auteurs doivent sans cesse réparer et dont ils doivent sempiternellement justifier les multiples incohérences. Absurdités commerciales ensuite, dictées par un lectorat rétif aux changements, annulant ainsi toute tentative de repartir de zéro ou de transformer en profondeur l’univers consacré. Soit plusieurs absurdités en totale opposition que Morrison semble fusionner à travers cette histoire alambiquée derrière laquelle personne n’est dupe, puisqu’au final tout le monde en devine l’échéance !
C’est ainsi que FINAL CRISIS s’impose entant que métaphore de ce qui se cache réellement derrière la publication des grands events de l’univers DC (et Marvel !) : On part du postulat que tout va changer, que rien ne sera plus jamais comme avant et que le lectorat va en avoir le souffle coupé. On vous promet un truc de fous ! Et à l’arrivée on fait retomber un statuquo comme un soufflet, qui efface tous les changements en profondeur pour ne garder que l’impression de changement, tout en recommençant exactement comme avant puisque c’est exactement ce que veut le lectorat…
Et de fait, FINAL CRISIS ne raconte, en surface, effectivement rien de plus que l’histoire suivante : Darkseid décide d’envahir la terre et à la fin il perd contre les super-héros DC. Point final !
Puisqu’il embrasse entièrement les codes du comic-book super-héroïque, Morrison se lâche complètement et décide de monter un cran au dessus des précédentes Crises en termes de densité, que ce soit au niveau de la complexité évidemment (mais à ce stade on l’a compris), du nombre de personnages, du poids de la menace ici décuplée et multipliée quasiment à l’infini (plus importante encore que dans les trois précédentes Crises réunies), des retombées dramatiques (ici on fait carrément mourir Batman, soit le principal héros – notamment d’un point de vue commercial – de cet univers partagé !), de la création de nouveaux personnages (que je me risquerais pas à vous énumérer), ainsi que du fan-service en plaçant dans les moindres recoins des éléments et des détails que seuls les plus fins connaisseurs de l’univers DC seront capables de reconnaitre !
Et enfin, puisqu’il s’agit d’assumer complètement cet univers de super-héros en collants flashy, autant lui rendre hommage en dissimulant in fine un commentaire quant à leur nature profonde et leur importance dans l’imaginaire collectif. C’est manifestement ce qu’à souhaité faire Grant Morrison, notamment dans les deux épisodes SUPERMAN BEYOND. C’est là que le premier héros de l’histoire des comics découvre le Livre qui contient tous les livres et prend conscience (avec le lecteur) du pouvoir des histoires et de leur puissance magique. Nous ne sommes pas loin du travail d’Alan Moore sur PROMETHEA ou PROVIDENCE, dans le sens où Grant Morrison offre à l’écriture (et par extension aux histoires, et notamment celles des comics de super-héros) une aura de magie pure, capable de modifier ou, à tout le moins, d’influencer le réel. Son hommage est touchant car, en laissant le soin à Superman (le tout premier super, donc) de remporter la bataille finale, il boucle la boucle en faisant cohabiter le présent et le passé, comme si finalement tout cela n’était qu’une seule et unique grande histoire, hors du commun, qui aurait également dans notre monde réel une importance toute particulière. C’est-à-dire celle de l’imagination…
Comme à son habitude, Grant Morrison ne prend guère le soin d’expliquer grand chose et fait le pari que le lecteur viendra à lui alors qu’il n’ira pas vers le lecteur.
Il dissémine ainsi partiellement une multitude d’informations comme un puzzle lorsqu’il s’agit de replacer patiemment les pièces : Imaginez ce moment où vous renversez la boite avec pour mission de remettre ensuite les centaines de pièces dans l’ordre afin de reconstituer le puzzle, et vous aurez une idée de ce qui vous attend à la lecture de FINAL CRISIS…
Cette complexité conceptuelle fait à la fois la richesse du travail de Morrison mais en constitue également le principal défaut. Car il peut paraître extrêmement agaçant et somme toute assez prétentieux de promettre autant quand effectivement on ne raconte rien d’autre, en premier lieu, que Darkseid décide d’envahir la terre et à la fin il perd contre les super-héros ! Du coup, un lecteur n’ayant pas forcément l’envie de s’investir autant dans ce type de lecture pourra regretter en premier lieu qu’une telle débauche d’éléments créatifs et conceptuels n’aboutisse que sur un statuquo de si peu d’importance en termes de premier degré de lecture. Et enfin, moult lecteurs moins indulgents que ses fans pourront regretter une certaine évidence concernant le travail de Morrison : Le jeu en vaut-il la chandelle lorsque l’on met en place une menace soi-disant imbattable alors qu’elle sera au final vaincue bien plus facilement que toute la complexité du récit ne le promettait ?
Et enfin, Morrison pourrait-il nous expliquer à quoi aura servi toute cette débauche d’énergie pour préparer le terrain avec les SEVEN SOLDIERS OF VICTORY et la menace des Sheedas si c’était pour ne rien en faire au moment du dénouement que représente FINAL CRISIS… (?)
La partie graphique est l’œuvre de tout un tas d’artistes mais ce sont principalement Doug Mahnke et surtout J.G. Jones qui effectuent l’essentiel du travail sur les épisodes principaux (hors les épisodes consacrés à Batman). Si le résultat n’est pas aussi iconique et inoubliable que celui effectué par George Perez sur CRISIS ON INFINITE EARTHS ou par Phil Gimenez sur INFINITE CRISIS, il est tout de même magnifique et plutôt assez lisible, ce qui représente bien évidemment une gageure étant donné la complexité du récit et la densité d’éléments à y insérer.
A l’arrivée, FINAL CRISIS est à la fois une œuvre d’auteur au sens strict, un event unique en son genre, mais également une lecture difficile, qui nécessite un gros effort de la part du lecteur, et qui ne raconte rien en surface qu’une histoire basique, derrière laquelle se dissimulent plusieurs niveaux de lecture disséminés avec une très grande virtuosité.
Le problème reste entier : Grant Morrison ne mâche le travail à personne. Au lecteur de décider s’il est suffisamment passionné pour passer outre toutes ces difficultés afin d’accomplir le parcours. Quelque part, nous ne sommes pas loin d’une œuvre d’art contemporain telle que l’on en trouve dans les arts plastiques. On peut parfaitement ne pas aimer. Mais ne crachons pas dans la soupe : Le fait que le medium du comic book de super-héros, souvent assimilé à un divertissement infantile, possède ce genre d’auteur dans son rayon le plus mainstream, est une très belle opportunité pour s’en défendre.
Tous les FINAL CRISIS sont disponibles chez Attilan Comics juste ICI.
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La Bo du jour ;
Bon alors tant qu’à rester chez les zozos qui ne font pas dans la simplicité, autant taper dans la discographie de Magma pour la BO. Mais je suis gentil j’ai choisi un des titres les plus authentiquement rock. C’est issu de l’album ATTAHK. De circonstance, quoi…
Et je précise que je ne vise personne hein. Je suis satisfait de la façon dont nous commentons. Ce n’est que la suite du questionnement soulevé plus haut sur le fait qu’on se répète parfois, mais est-ce mieux de se taire ? etc.