Suicide Island par Kouji Mori
Un article de BRUCE LIT
VF : Kaze
1ère publication le 12/10/14 – MAJ le 25/06/22
Cet article portera sur les volumes 9 et 10 de Suicide Island publié en France chez Kazé. Les scans proviennent de l’édition américaine. Les plus curieux pourront trouver ici le résumé des premiers tomes 1, 2, 3.
Suicide Island est un seinen, c’est à dire au Japon, un manga destiné à de jeunes adultes d’une trentaine d’années. Son pitch et son ambiance ne peuvent que séduire les orphelins de Battle Royale ou d’Ikigami, ces deux magnifiques uchronies sur la jeunesse japonaise.
Par souci de rentabilité, le Japon de Suicide Island déporte sur une île déserte tous ses citoyens ayant tenté de se suicider. Une logique qui fait froid dans le dos: pourquoi dépenser de l’argent pour soigner des gens qui ne veulent plus vivre ? Ce genre de raisonnement vous parait énorme ? Rappelez vous pourtant qu’en son temps, la génisse Bleu Marine avait proposé de ne plus rembourser les cancers des fumeurs pour les mêmes raisons…
Sen, un ado ordinaire a tenté de se trancher les veines. Lorsqu’il se réveille le voila sur une île libre de se pendre ou d’apprendre la valeur de la vie. Alors qu’il se découvre une passion pour la chasse, il intègre une communauté où loin de la folie urbaine, ces amis redécouvrent l’envie d’exister. Tandis qu’une autre faction se livre au cannibalisme, au viol et autres méfaits dans ce nouveau pays de fais ce que tu veux.
L’ironie magistrale de Suicide Island est de réinvestir les codes narratifs obligatoire de l’île déserte ( interaction avec la nature, solitude et restauration de règles sociales) avec ce petit plus : les personnes qui y vivent n’aiment pas la vie et sont susceptibles de se supprimer à la moindre contrariété ! Mori disserte également autour de la légitimité de l’autorité et de la confiance en soi et envers les autres : parmi tous ces suicidaires, qui croire ? qui ménager ? qui éviter ? Confieriez vous votre vie à un type qui a essayé de se pendre ?
Suicide Island respecte à merveille les règles du Survival : des personnages qui évoluent où les barrière morales sont brouillées et pourtant indispensable. Où vivre se mérite : pour rester en vie, Sen apprend à chasser, fabriquer ses armes, lutter contre les éléments, tuer et dépecer une proie, respecter le cycle des saisons et surveiller son alimentation en calories et vitamines! Car l’île est bien entendue dépourvue de médecins.
Au fil d’une intrigue aussi lente que passionnante, des personnages attachants évoluent au gré des dilemmes que leur impose Mori. Et après un dernier tome un peu mollasson, voici que le conflit entre les deux clans est inévitable. Nos amis subissent un assaut où toute la barbarie humaine se montre à visage découvert : otages féminins nues et humiliés, adversaires brûlés vifs ou empalés. Car ce conflit rappelle qu’il n’y a rien à attendre d’un adversaire sans aucun respect de la vie humaine et pour cause puisque toute la population de cette île ne pense qu’à crever !
Le pacifisme de nos amis est mis à rude épreuve et le groupe emmenés par un leader aussi charismatique que tourmenté va devoir décider : attendre le prochain assaut et mourir ou attaquer et terroriser l’adversaire. Mori pousse Sen et ses amis dans leur retranchement : que faire d’ennemis qui ont tuer vos amis ? et surtout quelle légitimité accorder à des types qui ont vu leur jugement si brouillé qu’ils n’envisageaient la mort comme unique échappatoire.
La capitulation ou la mort ? Tuer ou être tué ? Assassiner pour protéger son bien ? La loi du talion ? Toutes ces questions resurgissent au cours de ces épisodes haletants ou Mori ne se défile pas sur le développement à apporter à ces énigmes survivalistes. Il procède parfois sur le modèle de Lost en intégrant des flashbacks en pleine action pour donner du sens aux agissements des personnages.
Ryo le leader était chef d’entreprise. Suite à la crise économique au Japon, il doit licencier son personnel. Ereinté par l’obligation de travailler, il s’endort au volant et tue 4 personnes. C’est ce type qui a craqué sous le poids des responsabilités qui préside désormais à nos suicidaires. Nao, jeune prostituée tombe enceinte sur une île dépourvu de service obstétrique. Face à l’angoisse d’un nouveau né dont elle n’a pas voulu, elle tente de se suicider et survit. Convalescente, elle réalise que les garçons de l’île ne voient en elle qu’un objet sexuel sans aucune considération pour ses souffrances.
Mori brosse des portraits assez authentique de personnages pour qui la mort a semblé la seule échappatoire, pris entre la survie instinctive que l’île leur impose et la fragilité, les doutes que les relations humaines entraîne inévitablement. Sen, notre héros, considère une troisième alternative : fuir les conflits et les relations humaines pour s’enfermer dans un cercueil de solitude dans la montagne. Aucun de de ces insulaires ne fait preuve d’héroïsme traditionnel. Tous sont soumis à une pression énorme, aux doutes et à la peur.
Suicide Island à bien des égards est aussi ambivalent que ces héros : de réelles problématiques sociales traitées sans concession par un auteur parfois moralisateur et paternaliste qui a parfois du mal à ne pas enfermer des personnages unidimensionnels dans des archétypes de naïveté. Pourtant, la lecture de Suicide Island est souvent haletante, très efficace et guidée par l’attachement envers des personnages pour qui l’empathie du lecteur est immédiate.
Avec un scénario aussi long que cohérent, des mises en situation intelligentes et des dialogues gentillets, la cruauté de certaines scènes l’opposant à un discours écolo de circonstance, Suicide Island a les défauts de ses nombreuses qualités. Véritable manifeste de la vie et de son respect dans un pays qui pratique le suicide comme sport national, Suicide Island reste une plongée fascinante dans les doutes d’une nation qui n’en finit plus de s’interroger sur les conséquences morales et humaines de la puissance de son économie. Maline et divertissante Suicide Island est une alternative plus soft aux Walking Dead de Robert Kirkman.
Ca m’a l’air vraiment terrible, je ne sais pas si je pourrait lire ce manga.
Il me rapelle l’intrigue de Sa Majesté desMouches lorque des gamins soi disant civilisés retournent )à l’état sauvage.
Tu voulais dire pas terrible ?
Sa majesté des mouches est effectivement un grand classique de l’île déserte au même titre que Robinson. La différence c’est que nous avons ici à faire à des ados en pleine possession de leurs moyens et non des enfants au coeur pur.
Je suis bien plaçé pour te dire que les enfants ont rarement le coeur pur dans uen cour de récréation : ce sont des petits sauvages qui ne se font pas de cadeaux entre eux.
Je voulais dire terrible par rapport au sort réservés aux ados dans ce manga et surtout aux filles, sans cesse battues et violées.
Ce nouveau commentaire sur cette série m’a bien plus donné envie de la lire que les précédents. Il m’a permis de mieux comprendre la dynamique et la structure du récit. Il faudrait déjà que je parvienne à lire une demi-douzaine de séries de mangas, accumulées alors que je ne lisais plus de comics, et abandonnées quand je me suis remis aux comics.
Les planches numérisées servant d’illustrations montrent que le mangaka s’investit dans les décors (ce qui n’est pas le cas dans toutes les séries, Dragon Ball je pense à toi). Par contre les expressions des visages semblent assez limitées, en particulier au niveau du dessin de la bouche. C’est très intéressant de pouvoir ainsi comparer les conventions graphiques des BD, des comics et des mangas, dans un même site.
Décidément cette série m’interpelle. Je note.
Ah et j’adore ton titre en plus de ton analyse 🙂