Starman par James Robinson, Tony Harris, Peter Snejbjerg
Un article de JP NGUYEN
VO : DC Comics
VF : Panini ( publication inachevée)
1ère publication le 12/11/15- MAJ le 12/11/23
Starman est une série de DC Comics qui fut publiée mensuellement de 1994 à 2001, du numéro 0 au numéro 80, auxquels s’ajoutèrent deux annuals et quelques numéros spéciaux.
La série fut intégralement écrite par James Robinson, avec l’assistance de David Goyer sur les numéros 48 à 60. Tony Harris en a dessiné la grosse première moitié (à part quelques fill-ins) et Peter Snejbjerg la seconde (après une période transitoire illustrée par quelques intérimaires).
Vous connaissez sans aucun doute les deux personnages phares de l’univers DC Comics : ils ont longtemps porté leur slip par-dessus leur pantalon et arborent leur emblème sur la poitrine. Vous savez, celui avec un grand S rouge et celui avec une chauve-souris noire… Mais connaissez-vous Starman ?
Dans les années 90, alors que les deux héros précités traversaient moult évènements éditoriaux (mort et résurrection, changements de costumes, colonne vertébrale brisée, tremblements de terre et autres joyeusetés), cette série traçait tranquillement sa route pour devenir une référence de qualité dans le comics mainstream.
Starman, lorsque débute la série, c’est David Knight, le fils de Ted Knight. Il a repris le flambeau (et le costume) de son père et il s’élance du haut d’un building dans le ciel d’Opal City pour une ronde nocturne, quand soudain… il est abattu par un tir lointain, et s’écrase sur le macadam. Et on est juste à la page trois du premier numéro !
Alors Starman, pour la majeure partie du reste de la série, ce sera Jack Knight, le frère cadet de David, le « mauvais » fils, le rebelle, celui qui ne voulait pour rien au monde reprendre le business familial. Un type sans pouvoirs mais plutôt original, qui tient une boutique d’objets de collection de style « vintage ». Un brocanteur, geek assumé, qui préférera le blouson de cuir au justaucorps et à la cape. Un gars qui habite Opal City et qui aime sa ville. Cette dernière est d’ailleurs la deuxième « star » de la série, étant donné que James Robinson a créé cette cité et va lui donner une histoire et une personnalité, afin qu’elle ne soit pas interchangeable avec une autre métropole fictive de l’univers DC.
Entre autres clins d’œil, Robinson établit que la ville fut fondée par Burnley Ellsworth (respectivement les noms du premier dessinateur et du premier éditeur de Starman). Son inspiration pour Opal était semble-t-il Boston, une grande ville américaine mais avec des quartiers chargés d’histoire et à l’architecture influencée par l’Art Deco, se distinguant ainsi d’une métropole nord-américaine lambda, dont les buildings modernes sont implantés selon un quadrillage géométrique assez froid.
Jusqu’au numéro 45, Starman évolue donc à Opal City et fait l’apprentissage du métier de super-héros, activité qu’il reprend à contrecœur, tout d’abord pour venger son frère puis pour défendre sa ville. Il affronte divers ennemis, fait équipe avec d’autres héros, renoue des liens avec son père, vit plusieurs relations sentimentales, se cherche un peu.
Puis Jack rencontre le grand amour en la personne de Sadie Falk et répond ensuite à l’appel des étoiles, pour retrouver un ancien Starman, Will Payton, le frère disparu de Sadie. Après un long périple spatio-temporel, Jack revient à Opal, déjoue un grand complot puis dénoue quelques intrigues laissées en suspens avant de raccrocher la cape (enfin, façon de parler…)
Les années 90 sont marquées par une avalanche de séries fades se la jouant « dark » dans une surenchère de violence et de spectaculaire, de costumes improbables et de flingues énormes, badigeonnés de couleurs flashy. A contrecourant de cette tendance, Starman reprend un personnage créé en 1941 dans la foulée des premiers grands super-héros. Vous savez, la courgette bleue et le chevalier noir ! Un héros « old-school » que James Robinson va revisiter et développer de façon moderne tout en montrant un grand respect pour les itérations passées du personnage et en assemblant une trame soucieuse de ménager la « continuité » de ces différentes incarnations.
Mais l’entreprise de Robinson n’est pas nostalgique : les récits du passé servent plutôt à éclairer le « présent » dans une série dont le statuquo ne se fige jamais et dont le héros évolue au fil du temps, gagnant en maturité. Sans costume sombre et inquiétant, sans débauche de violence, avec une personnalité « normale » mais attachante, Jack Knight va apprendre le « job » de super-héros, s’illustrer dans plusieurs hauts-faits, rencontrer les plus grands héros de son univers (vous savez, le fils de Krypton et l’orphelin de Gotham) avant de se ranger pour assumer une autre responsabilité : celle de la paternité.
Si l’on s’attache à Jack au fil de la série, c’est aussi via ses interactions avec le casting pléthorique que James Robinson développe dans la série : le clan O’Dare, grande famille de policiers dévoués à la protection d’Opal City, the Shade, un métahumain à la grande longévité et aux pouvoirs mystérieux, personnage trouble et ambigu, Charity, la diseuse de bonne aventure, Mikaal Tomas, un alien ayant porté le nom de Starman dans les années 70 ou encore Jake « Bobo » Benetti, un super-criminel repenti.
Tous ces personnages, et bien d’autres encore, disposent de personnalités suffisamment bien esquissées pour être crédibles aux yeux du lecteur et contribuent à plonger ce dernier dans un univers riche et vivant. Les numéros « Times Past » que Robinson disséminera à travers la série seront aussi l’occasion d’étoffer l’histoire d’Opal City et du casting, en particulier celle des prédécesseurs de Jack.
Mais les relations les plus fortes développées dans la série sont celles entre Jack et sa famille. Avec son père, avec qui il est en froid au début de la série et avec lequel il renoue, en apprenant davantage de choses sur sa carrière passée de héros; mais aussi avec son frère, David. Comment, David n’est-il pas mort au début de la série ? Robinson instaure astucieusement un rite annuel dans la série : les numéros spéciaux « Talking with David », où l’esprit de Jack visite le monde des morts et peut converser avec son frère décédé. Ces épisodes, souvent intimistes, partagent une même convention graphique : les décors sont en niveau de gris et seul David apparait en couleur.
Mais ces intermèdes dans l’au-delà ne signifient pas que la mort soit minimisée dans Starman. En règle générale, les trépas sont définitifs (à part un clonage providentiel qui sauvera Jack dans l’espace…). Ainsi, Ted Knight décédera dans un ultime duel avec son ennemi juré, the Mist et sa mort donnera lieu à des funérailles très émouvantes dans le numéro 73.
Il m’est impossible de résumer en ces lignes toute la richesse narrative de cette série, et j’ai déjà dévoilé quelques moments clés de l’intrigue alors je m’arrêterai là pour ce qui est du scénario. J’ai lu certaines critiques qualifiant le Starman de Robinson d’œuvre proustienne et si cela peut sembler un peu prétentieux ou déplacé, s’agissant d’un « simple » comic-book, je trouve cet adjectif assez mérité.
Avec sa riche galerie de personnages, son traitement du passage du temps, l’exploration de la mythologie de l’univers DC en général et du concept de Starman en particulier, cette série propose à la fois une grande fresque super-héroïque et un récit plus intimiste sur le parcours de Jack Knight qui débute en tant que geek, un peu ado attardé, fuyant ses responsabilités et qui embrasse son héritage, devient un homme, un héros et un père.
Quelques mots sur les deux principaux dessinateurs : Tony Harris et Peter Snejbjerg. Leurs styles sont très différents. Harris possède un trait plus réaliste, qu’il stylise en accentuant les contrastes à grand renforts d’aplats noirs. Il signe aussi bon nombre de covers de la série, en affectant parfois l’usage d’ornementations très « art nouveau ».
Le dessinateur danois Peter Snejbjerg use d’un trait plutôt « semi-réaliste », qui lorgnerait parfois presque vers le cartoon. La transition entre les deux peut sembler difficile mais, si leur esthétique diffère, les deux artistes savent raconter une histoire et garder le lecteur investi dans le récit. Je trouve même que Snejbjerg rattrape son dessin moins « beau » que celui de Harris par un meilleur storytelling. Par exemple, son usage du gaufrier en 9 cases dans l’épisode 73 pour les hommages rendus à Ted Knight par ses pairs est à la fois simple et ultra efficace.
Faisant fi des conventions du « grim and gritty » qui étaient de mise dans les années 90, James Robinson a repris et enrichi un personnage obscur de l’univers DC pour l’emmener dans des aventures exaltant le sens du merveilleux et les valeurs de l’héroïsme traditionnel tout en adoptant un point de vue original, celui de Jack Knight, justicier malgré lui, au départ brocanteur-collectionneur, procurant un fort potentiel d’identification pour le fan de comics.
Robinson ayant conclu un accord avec DC Comics, depuis l’arrêt de la série, Jack Knight n’a pas été réutilisé dans d’autres séries. Ceci dit, j’ignore les termes de l’accord. « Gentlemen’s agreement » ou formalisation plus contractuelle ? En tous cas, les jurisprudences Elektra ou Before Watchmen ne présagent rien de bon sur le respect de cet engagement. Mais avec cette seule série, Starman aura mérité une place très particulière dans le panthéon des héros DC Comics. Vous savez, aux côtés de l’homme d’acier et du meilleur détective du monde…
Un très bel article qui ne peut que donner envie de lire le Proust de la BD. Quelle est sa madeleine?
Oula, Matt, en voilà une question !
Je n’ai pas souvenir d’une correspondance exacte avec la scène de la madeleine. En revanche, à la fin de la série, Jack quitte Opal City et se fait la réflexion que même s’il aime toujours beaucoup cette ville, ce n’est plus là qu’il souhaite vivre. Sa pensée fait écho aux réflexions du narrateur de la Recherche… qui énonce à un moment l’impermanence des lieux : même s’ils ne bougent pas, le temps fait son oeuvre pour changer la perception qu’on en a.
Désolé, je ne peux rien évoquer de plus avec juste mon smartphone et sans les deux oeuvres à portée de main. 😉
Bonne journée à tous!
Ça valait la peine d’attendre cet article. Je dois tout à Tornado qui m’a poussé à me plonger dans cette lecture, dont l’article de JP fait bien ressortir les spécificités.
Traitement du passage du temps, exploration de la mythologie DC, et du concept de Starman – J’en garde le même souvenir. Avec le recul, c’est presqu’incroyable que James Robinson ait pu raconter une histoire si personnelle (son amour de l’histoire de l’univers partagé DC, sa progression personnelle) pendant 8 ans.
Magnifique série, sur le thème de l’héritage. Avec un parallèle assez extraordinaire entre l’auteur et son personnage, tous les deux ayant hérité d’un vieux super-héros ringard ! Que pouvaient-ils en faire sinon tout révolutionner !
Par dessus tout, comme l’explique très bien JP, cette série était en avance sur son temps et, parce que c’est un chef d’oeuvre, devrait rester intemporelle. c’est assez incroyable de se dire que, dans le même temps, on publiait les trucs d’Image avec les séries de Rob Liefeld, les X-men et tous leurs dérivés affreux et tous ces trucs aujourd’hui atrocement kitsch avec des planches atroces bourrées à craquer de testostérone !
Depuis, j’ai tenté de suivre attentivement la carrière de James Robinson, et il me semble que Starman reste sa grande oeuvre, unique réussite véritablement marquante de la carrière en question.
Mais ça m’a l’air tout à fait dans mes cordes ça ! Le peu que je connaisse de cet univers se résumé au premier arc de Ex Machina par Tony Harris qui ne m’avait pas convaincu. Natrurellement, le fait de devenir un super héros en devenant père me parle particulièrement.
Ai-je bien compris, Panini, n’a pas été au bout de sa publication ?
« Devenir super-héros en devenant père » : ce n’est pas exactement le sujet dans Starman, vu que Jack abandonne le job précisément pour se consacrer à sa famille. ..
C’est plus la thématique de l’héritage qui est explorée comme l’a rappelé Tornado.
Panini : je crois qu’ils ont seulement sorti 3 omnibus sur les 6…
Oui. Les gars de Paninouille n’ont publié que la moitié.
Auraient-t-ils poursuivi la publication au delà des 3 tomes ? On ne le saura jamais étant donné la reprise du catalogue DC comics par Urban.
De mon côté Je ne pense pas qu’ils auraient publié les 6 tomes. Ils sont allé jusqu’au 3ème grâce à l’insistance du traducteur Jeremy Manesse. Mais les ventes n’étaient pas fantastiques et la sandwicherie n’est pas réputée pour mener à terme des séries qui ne marchent pas d’emblée.
Cela-dit, même s’il est dommage, rageant et désespérant de ne pas avoir la série en entier, les 3 premiers tomes peuvent être lus pour eux-mêmes.
A noter qu’il s’agit d’une série très adulte qui, comme l’a dit JP, offre une relecture d’un personnage ringard et obsolète sans moquerie, avec tout un tas de niveaux de lecture, dont l’un est adressé aux fans de la continuité de l’univers DC. Et ce dernier niveau de lecture ne parasite que très peu la compréhension générale de l’intrigue (un peu, mais pas trop…).
Je ne connais pas du tout mais ça donne très envie de le lire ! Serait-ce un comic de la période « baroque », comme nous en avions parlé sur Planetary ? Les dessins me bottent, ils me rappellent le trait de JH WIlliams III, ce qu’il a pu faire avec Batwoman récemment.
Décidément ce site est un vrai grenier à merveilles. Merci JP pour cet article, toujours impeccable.
Parmi le to 3 des séries mainstream de son époque.
Et les deux autres ? 🙂
Alléchant, mais difficile a trouver en VF
Un lecteur nous a informé d’une réédition Urban imminente.
Côol. Un truc que j’attends