Feynman par Jim Ottaviani et Leland Myrick
Première publication le 31 mars 2014- Mise à jour le 22 aout 2015
AUTEUR : MAT MATICIEN
VO : First Second
VF : Vuibert
Feynman est la biographie en BD de Richard Feynman scénarisée par Jim Ottaviani et dessinée par Leland Myrick.
Il était une fois un petit garçon très curieux qui s’interrogeait sur la nature et ses mystères. Ses parents étaient très modestes et ne savaient pas toujours répondre à ses questions. Aussi ils décidèrent d’économiser pour l’envoyer étudier à l’université. Sage décision, car le parcours de cet enfant allait changer notre regard sur le monde…
La vie de Richard Feynman (1918-1988) a tout du conte de fée. Un cerveau brillant auquel rien ne résiste : il obtient les premiers prix à l’université, brise aussi facilement les combinaisons des coffres forts de Los Alamos – la base secrète américaine où la bombe atomique a été conçue, que les lois les plus essentielles de la physique moderne. Une trajectoire linéaire de génie qui révèle un des personnages scientifiques les plus savoureux du XXe siècle. Cet homme pose un regard neuf sur le monde qui l’entoure.
Un regard simple, ouvert et pénétrant. Simple car Feynman n’a rien à prouver ; il évitera les honneurs et cherchera d’ailleurs le meilleur moyen d’éviter la remise d’un prix Nobel en 1965 qu’il juge encombrant. Ouvert car il n’a pas d’a priori, pense différemment et n’hésite pas à remettre en question Niels Bohr, le « pape » de la physique quantique ou les responsables de la NASA qui l’appellent pour résoudre le mystère de l’explosion de la navette Challenger en 1986. Pénétrant car il finit toujours par expliquer en équation une observation du quotidien comme les reflets d’une bulle de savon ou la vitesse de rotation d’une assiette à la cafétéria.
Ce regard singulier est porté par la qualité essentielle de Feynman – qui en fait d’ailleurs le candidat idéal pour une biographie : le cabotinage. Feynman fait le malin. Il est vif et aime être là où on ne l’attend pas. Cette qualité piquante en fera un professeur très apprécié et un théoricien audacieux qui n’hésitera pas à aller contre l’intuition à la recherche de la logique pure. Elle l’empêchera parfois d’écrire des articles scientifiques, travail qu’il juge trop laborieux. Heureusement, deux amis le séquestreront dans une chambre jusqu’à ce qu’il écrive un article et reste ainsi dans la course au savoir.
La biographie que livre le scénariste Jim Ottaviani, ancien ingénieur nucléaire, est très savoureuse. Elle présente dans une continuité savamment orchestré l’extraordinaire parcours de cet enfant new yorkais qui aura toujours cherché à comprendre et à transmettre ce qui se passe dans notre monde physique.
Ce livre relate de nombreuses anecdotes qui ont fait la légende de ce savant malicieux et notamment la lettre par laquelle il refuse un poste à l’université de Chicago payé une véritable fortune : « Je dois refuser votre offre. Si j’avais un tel salaire, je prendrais une maîtresse, je lui louerais un appartement, je lui achèterais des cadeaux. Et voilà ce qui arriverait : elle me causerait des inquiétudes et des disputes à la maison. Je serais malheureux, incapable de faire de la physique. Ca serait la débâcle. Donc ce dont j’ai toujours eu envie serait mauvais pour moi, je ne puis accepter ».
La force de cet ouvrage tient dans le fait qu’il vous met en présence de Richard Feynman. Vous cheminez ainsi durant 300 pages au côté d’un esprit certes brillant mais aussi drôle et surprenant. Ce portrait réussi est le fruit d’un dialogue intelligent entre le scénariste et le dessinateur, Leland Myrick, qui pour chaque cartouche (rectangle en haut de chaque case où Feynman s’exprime) trouve une illustration pertinente.
La tonalité des planches souligne en général le découpage narratif : les pages de jeunesse sont plutôt jaunes, les pages consacrées à l’université plutôt rouges… Je me suis demandé un instant si les couleurs choisies par Hilary Sycomore respectaient la décomposition du spectre lumineux sur lequel a travaillé Feynman… mais la réponse est non.
Le scénariste nous offre à la fin un aperçu sérieux des travaux de Feynman. Sur une dizaine de pages, il donne à voir de façon pédagogique mais exigeante l’électrodynamique quantique. On y découvre enfin la vraie nature de la lumière, le comportement hallucinant des électrons et des photons (qui sont capables de remonter le temps !) et le langage qu’a inventé Feynman : des diagrammes qui selon le physicien Schwinger « [mettent] la théorie quantique des champs à la portée de tout le monde ».
Cette BD est à la vie de Feynman, ce que ces diagrammes sont à la théorie quantique : une superbe porte d’entée.
* Expression attribuée à sa mère lorsqu’un magazine américain distingua son fils, citée en couverture de l’ouvrage.
Je l’ai acheté et lu l’an dernier suite à l’article de Matt.
Le personnage est séduisant et passionnant. En revanche, en tant que BD, c’est assez basique (je ne me rappelle pas de séquences ou de mises en pages marquantes).
Heureusement, le sujet lui-même est captivant. Merci pour la découverte, Matt !
Je suis heureux que cela t’ait plu. Le scénario est très bien construit (avec un personnage de départ passionnant ce qui aide).
Les dernières pages sur les diagrammes m’ont beaucoup marqué et je me souviens avoir mis un certain temps à comprendre 😉