RG par Pierre Dragon et Frederik Peeters
AUTEUR : JP NGUYEN
VF : Gallimard
RG est une BD policière en 2 tomes, « Riyad-sur-Seine » et « Bangkok-Belleville », parus respectivement en 2007 et 2008 dans la collection Bayou de Gallimard.
Une intégrale regroupant les deux récits a également été publiée en 2012.
Les histoires sont basées sur l’expérience d’un véritable agent des RG, Pierre Dragon (c’est un pseudonyme), qui est donc crédité en tant que « co-scénariste » et prête son nom au protagoniste principal de la série. Suite à une rencontre organisée par Joann Sfar et à partir d’entretiens avec Pierre Dragon, Frederik Peeters a construit son scénario, qu’il a ensuite dessiné et mis en couleurs.
Les deux tomes d’une centaine de pages chacun nous emmènent donc au côté de Pierre Dragon quadragénaire divorcé, originaire du Sud-Ouest et travaillant pour les Renseignements Généraux depuis cinq ans, après un parcours dans l’armée et d’autres services de police.
Riyad-sur-Seine se déroule pendant l’été 2003 et suit les investigations sur un trafic de limousines finançant le terrorisme islamiste. Bangkok-Belleville se déroule sur janvier-février 2004 et raconte le démantèlement d’un réseau de travailleurs clandestins en provenance de Thaïlande.
Dans les deux récits, on est frappé par le côté réaliste de chaque scène. L’influence des anecdotes recueillies par Peeters auprès de Dragon est vraiment prégnante : on nage dans le vécu.
Planques longuettes, plans drague inopinés, vies personnelles compliquées, relations ambigües entre flics et magistrats; jalousie entre collègues, guerre des services et des agences; bien plus que l’avancement des enquêtes, c’est tout le quotidien du policier qui passionne. Très vite, on s’intéresse surtout à lui, ses amis, ses amours, ses emmerdes.
Non pas que les enquêtes soient bâclées, au contraire. Elles sont très vraisemblables et très éloignées des schémas manichéens auxquels les fictions policières nous ont habitués. Il n’y a pas de grand méchant, de serial killer ou de génie du mal qu’il faudrait traquer. Sur l’ensemble des deux tomes, Pierre Dragon ne sort son arme de service qu’à deux reprises et n’en fait usage qu’une seule fois pour tirer en l’air.
Les renseignements ne sont pas collectés via des interrogatoires musclés mais via des écoutes téléphoniques, du chantage aux papiers, des pressions psychologiques ou encore par ruse ou débrouillardise. La scène d’action la plus notable est une course poursuite sur les toits parisiens et même dans ce contexte, Peeters ne fait pas de concession au spectaculaire.
La mise en images de l’histoire est remarquable de maîtrise. Si les visages sont dessinés de façon caricaturale, les décors et véhicules sont traités de manière plus réaliste. Une grande attention est portée aux détails sans que les planches n’en soient pour autant surchargées. La colorisation est également très bien pensée. L’un des tomes se déroule en été et l’autre en hiver et cela se perçoit immédiatement à travers la gestion de la lumière et des couleurs. Celles-ci amènent aussi parfois une touche impressionniste qui, alliée au dessin précis évoqué plus haut, renforce l’authenticité du récit. La façade d’un bistrot parisien, l’intérieur d’un restaurant thaï, les bureaux des RG, le salon de l’hôtel Crillon, l’aéroport de Roissy, les couloirs du métro, tous ses décors et bien d’autres sont superbement rendus.
Même si les enquêtes progressent assez vite et comportent quelques rebondissements ou à-côté, donnant beaucoup de scènes à dessiner pour Peeters, ce dernier s’autorise des pages quasi-muettes et des plans s’attardant sur les décors de Paris. Avec Pierre Dragon, la ville lumière est l’autre personnage principal de la série.
Si on revient au personnage, tous sont pourvus d’attributs physiques bien distinctifs, qui permettent de les reconnaître facilement et rapidement : le nez de Pierre Dragon, la moustache de son co-équipier Cyril, le regard fourbe et dérangeant de Bertier, le collègue jaloux, la barbe bouclée de « Papa Noël », le chef de service.
Lors des quelques scènes déshabillées, la nudité n’est pas racoleuse et les corps sont « normaux » (Dragon n’est pas un dieu grec et ses conquêtes ne sont pas des top-models). Une attention particulière est également accordée à l’éclairage des visages, les couleurs venant souvent modeler ces derniers pour, à nouveau, donner un côté très réaliste à un dessin pourtant « simple ».
Une intrigue solide et des dessins maîtrisés, pour un récit ancré dans le réel, alors pourquoi seulement quatre étoiles ? Le personnage principal glisse une phrase assez appropriée à la fin du premier tome : « Une vraie vie de flic ne peut pas faire une bonne histoire… Une bonne histoire doit avoir une bonne fin… » Et en effet, la conclusion des deux enquêtes est quelque peu décevante. Réaliste jusqu’au bout, Peeters montre la realpolitik qui fait clore prématurément la première enquête tandis que pour la seconde, le succès de Dragon semble bien relatif et dérisoire.
On quitte Pierre à un moment où il est engagé dans une relation sans que l’on sache trop si celle-ci pourra durer ou pas. A l’origine, Frederik Peeters avait prévu un troisième tome. Je ne sais pas si celui-ci aurait permis de clore certains fils narratifs de manière plus satisfaisante mais le lecteur ressent comme un manque à la fin des deux tomes. Il a partagé plusieurs tranches de vie avec Pierre Dragon et doit lui dire au revoir sans trop savoir ce qu’il adviendra de lui. L’arrêt de la série étant apparemment dû à un désaccord entre les auteurs, RG se termine sur un certain sentiment d’inachevé.
Je garde de très bons souvenirs de cette bande dessinée. Je l’avais également offerte à ma mère qui avait bien aimé.
L’absence de troisième tome ne m’avait pas gêné. Ces 2 tomes correspondant à des tranches de vie, il m’avait semblé cohérent que toutes les « intrigues » secondaires n’aboutissent pas, où ne connaissent pas une fin bien propre, comme dans la vie réelle.
A revoir ces planches dans ton article, je suis frappé par la sophistication de la mise en couleurs.
Moi aussi j’ai ressenti un manque à la fin de ma lecture, mais je suis comme Présence, j’avais oublié la beauté des couleurs et des planches. Comme d’habitude ton analyse est pertinente et intéressante. Ca me donne une furieuse envie de relire cette très belle mais courte série que j’ai un peu oubliée !
Hourra ! une chro qui rend hommage à l’un de mes dessinateurs contemporains favoris. Avec Manu Larcenet et Matthieu Bonhomme, je trouve que Frederik Peeters est l’un des rares auteurs complets (scénario et dessin) dont le travail me surprend et m’intéresse de façon renouvelée.
Sur le fond, je trouve ta chronique pertinente, JP, et tes réserves quand à l’absence d’une trame complétée sont fondées. Ce parti pris BD documentaire, tout en ne négligeant pas les aspects intimistes du personnage principal, peut être un écueil pour un lectorat dans l’attente d’une histoire avec un début et une fin.
Mais je partage également l’avis de Présence, puisque je n’avais pas d’attente particulière quand au destin de Pierre Dragon. Le plus intéressant dans cette BD c’est l’aspect formel, le découpage et la colorisation.
Ainsi que cette façon surprenante de dessiner Paris, comme tu le soulignes. Un Paris familier et identifiable et en même temps pétant de couleurs vives, une aubaine pour cette ville tant magnifiée par le N&B de Tardi.
Merci Sloane, tu as fort bien reformulé mon avis sur cette BD. J’ai commencé à me renseigné pour d’autres BD de Frederik Peeters mais pas encore franchi le pas… Des conseils ?
@Bruce : l’absence de 3ème tome n’est pas rédhibitoire, les 2 histoires racontées sont conclues correctement. C’est juste que je fonctionne en m’attachant aux persos, donc je regretterai toujours un peu de ne pas savoir ce qu’est devenu « Pierre Dragon ».
@Présence et Cyrille : oui, les couleurs sont chouettes, travaillées mais discrètes (ça fait pas flashy ni super-peint mais quand on regarde de plus près, on voit qu’elles sont bien pensées et insufflent une ambiance)
Pour démarrer je te conseille Les pilules bleues, un one shot autobiographique en N&B chez Atrabile dont la lecture procure son content d’émotion et de surprise.
Après il y la chouette série jeunesse Koma ( 6tomes et en couleur) scénarisé par Pierre Wazem aux Humanoïdes associés. Ne te laisse pas décourager par l’aspect jeunesse, une fois embarqué dans les basques de l’attachante Adidas, tu pourras apprécier un récit fantastique qui laisse toute sa part à la sensibilité comme à l’étrange.
Retour au N&B avec Lupus (4 tomes) chez Atrabile. Série de SF dont je ne me hasarderais pas à tenter un résumé, mais qui provoque chez le lecteur de l’incrédulité quand au traitement du genre avant d’apporter son adhésion sincère au projet. La conclusion est toute aussi surprenante que réussie.
Enfin son dernier travail en date Aâma (4 tomes couleur) chez Gallimard. Nouvelle série de SF, différente de Lupus et où le traitement graphique (et la colorisation) de Peeters montrant un artiste à maturité. Le type de série qui mérite une lecture, puis une relecture, puis une re-relecture…
Bon, mon enthousiasme est fort et peut ne pas être partagé. Mais tu as de quoi faire selon ton humeur et toutes ces séries sont achevées, sans reboot possible ni problème de rétrocontinuité 🙂
Bien d’accord avec toi Lone ! Bon, je n’ai pas lu Koma ni Aama, mais je pense le faire un jour. Faut que je relise Lupus tiens, c’est trop chouette.
Il y a également un one shot très lynchien qui est vraiment beau, c’est Pachyderme. L’autre one shot Chateau de sable fait penser à du Twilight Zone, est bien sympa mais moins marquant ou abouti peut-être.