Révolution

Spiderman par J. M. Straczynski et Collectif

On lave le mythe et on repart avec un modèle tout propre, tout neuf…

On lave le mythe et on repart avec un modèle tout propre, tout neuf… ©Marvel Comics

AUTEUR : TORNADO 

Éditeur VO : Marvel

Éditeur VF : Panini

Cet article revient sur l’ensemble des épisodes écrits par le scénariste J. M. Straczynski sur la série Amazing Spider-man (N°30 à 58, puis 500 à 542, soit 75 épisodes en tout), qu’il est coutume d’appeler aujourd’hui le « run de JMS »…

JMS est l’un des auteurs ayant officié le plus longtemps sur la série (de 2001 à 2008 !), mais c’est surtout celui qui a, tout seul, plus que tous les autres, dynamité l’univers de l’Homme-araignée de l’intérieur. Les dessins sont l’œuvre de John Romita Jr (grand spécialiste de l’univers du « tisseur » !) sur la toute la première moitié du run, puis de Mike Deodato Jr et enfin de Ron Garney…

Nous allons revisiter cette grande période éditoriale dédiée à Spider-man, en nous attachant aux diverses grandes étapes…

Introduction

Premier changement : Peter Parker devient enseignant. Et ce n’est que le début d’une longue série de transformations majeures dans la vie de notre héros. Second changement : Un super-vilain tout neuf fait son apparition : Morlun, particulièrement puissant, dangereux et charismatique. Et ce n’est que le début d’une longue liste de nouveaux méchants prêts à en découdre avec notre Monte-en-l’air. Troisième changement, et pas des moindres : Un étrange personnage, qui possède les mêmes pouvoirs que lui, apprend à notre héros le véritable secret de ses origines…

Avec le recul, le run de JMS divise largement les fans. Certains continuent de le vénérer, alors que d’autres sont bien content qu’il ait été purement et simplement « effacé ». Car en février 2008, Marvel fera table rase de l’ensemble de ces histoires avec la saga One More Day, dans laquelle le monde entier oublie tout ce qui s’est passé dans l’univers de Spidey depuis qu’il est marié avec Mary Jane ! L’occasion pour la Maison des idées d’offrir à son public le plus frileux et le plus réactionnaire, un Spider-man « comme avant », tel qu’on pouvait le voir du temps de Stan Lee…

Le bilan est facile à dresser : Il s’agit tout bonnement d’une séparation entre un public puriste et passablement réactionnaire et un autre avide de changement. Pour ce second public, le run de JMS fut si novateur et tellement salutaire qu’une majeure partie de ces lecteurs quittèrent le navire lors de son effacement en février 2008 !

C’est une évidence, le gros du public mainstream déteste le changement : Le costume noir (pourtant magnifique) n’a jamais été accepté. Qu’un personnage important meure ? Il y a des milliers de pétitions afin qu’il ressuscite, et tant pis si la solution choisie est pathétique ! Que le personnage évolue et gagne en maturité, et les puristes sont perdus…

Enter… Morlun !

Enter… Morlun ! ©Marvel Comics

Alors effectivement, pendant sept ans, notre scénariste (également connu pour avoir créé la série TV Babylon 5) fait du mal aux puristes : Peter Parker/Spider-man devient enseignant, il fait tout son possible pour préserver son mariage et sa vie de couple, il dévoile son identité à une des personnes qui lui est le plus proche dans un premier temps, au monde entier dans un second temps ; il affronte des nouveaux super-vilains et délaisse ses ennemis classiques (les puristes ne se lassant pas de retrouver les mêmes méchants à chaque fois, ça passe évidemment moyen…), il rencontre son mentor ayant les mêmes pouvoirs que lui et finit par apprendre que l’araignée qui l’a piqué ne l’a pas choisi par hasard, car il est le dernier descendant d’une lignée d’hommes, choisis d’une manière bien ésotérique, pour être les champions d’une sorte de religion « totémique » !

On l’aura compris, le run de JMS développe, à coup de thématiques inédites, une longue série d’épisodes (75 en tout, on ne le rappellera jamais assez !) qui s’écarte trop des rangs bien sages des séries de comics mainstream. Et pourtant. La série n’a jamais été aussi bien écrite, aussi magnifiquement dialoguée, aussi adulte, aussi moderne et aussi profonde qu’avec ces épisodes….

L’un des moments mémorables du run de JMS : La révolution a commencé !

L’un des moments mémorables du run de JMS : La révolution a commencé ! ©Marvel Comics

Chapitre 1 : Le Totem

Dans le premier arc narratif (épisodes #30 à 35), le pseudo-vampire Morlun fait son apparition. Il s’agit ni plus ni moins, en ce qui me concerne, du meilleur passage du run de JMS. Un chef d’œuvre de tension, de terreur et de suspense, dans lequel toutes les thématiques à venir se mettent en place ! Car le scénariste a su insuffler, d’entrée de jeu, une réelle toile (!) de fond à la série, tout à fait complémentaire de celle instaurée par Stan Lee dès 1962, mais qui renouvelle le mythe en profondeur.

C’est donc également le moment pour Ezekiel d’entrer en lice. Un personnage inédit qui possède les mêmes aptitudes que Peter Parker, et qui adopte immédiatement une attitude de mentor. De la rétro-continuité totale, d’autant que le bonhomme va révéler à notre héros que les origines de ses pouvoirs ne sont pas du tout celles qu’il croit… Pour un lecteur aguerri, il pourrait s’agir à priori d’un procédé éditorial factice destiné à créer de l’événementiel. Mais il n’en est rien, car JMS utilise réellement les fondamentaux de la mythologie liée au héros pour la faire évoluer. Bref, tout ce qu’un lecteur « ouvert d’esprit » recherche est ici à l’œuvre : Une évolution du matériel littéraire.

Who are you Sir ? Ezekiel ? What the fuck ?

Who are you Sir ? Ezekiel ? What the fuck ? ©Marvel Comics

Puis c’est le moment pour la vieille tante May de découvrir l’identité secrète de son neveu. L’épisode, sans parole, est superbement raconté et se hisse au niveau des grands moments de l’histoire éditoriale de la série.

Nous avons droit ensuite à un épisode sans titre, hommage au 11 septembre. Celui-ci est un peu pompeux à coup de patriotisme éléphantesque. Il faut tout de même rappeler que cet épisode a été écrit et publié dans les jours qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001. Le scénariste a sans doute été plus ou moins « forcé » de participer à l’événement et l’entreprise est pour le coup assez factice et maladroite…

Spidey s'absente deux minutes pour faire pipi et voilà ce qui arrive...

Spidey s’absente deux minutes pour faire pipi et voilà ce qui arrive… ©Marvel Comics

L’arc suivant voit l’apparition d’un nouveau vilain particulièrement puissant et inquiétant, Shade, ainsi que l’alliance de notre héros avec le Dr Strange (qui reviendra souvent dans le run de JMS). Il développe une ambiance ésotérique totale, assez envoûtante, dans laquelle Spider-man est précipité dans une dimension psychédélique qui permet à JMS de rendre un hommage en bonne et due forme aux épisodes de Steve Ditko…

Ensuite, le scénariste fait une effraction à son règlement en faisant intervenir un des grands ennemis classiques de Spiderman, j’ai nommé le Dr Octopus, dans un combat d’anthologie se déroulant à Hollywood (et renouvelant par la même occasion son hommage à Ditko…) ! A ce stade du run de JMS, le dessinateur, John Romita jr, divise alors toujours autant le lectorat. Ceux qui le désapprouvent pour cause d’anatomies malmenées côtoyant ceux qui l’admirent pour la fluidité des ses planches et son art du découpage. Mais il faut savoir que dans ce dernier domaine, il est ici à son apogée ! Ces seize premiers épisodes, exceptionnels, ont été regroupés dans le Spider-Man par JM. Straczynski tome 1

Le tome suivant  réunit les épisodes de la série Amazing Spider-Man (2°) du N°46 au N°58, puis du 500 au 502 lorsque la série redevient simplement Amazing Spiderman en reprenant sa numérotation originelle (insupportables manigances commerciales…). C’est alors l’occasion pour JMS de nous livrer trois épisodes afin de célébrer comme il se doit l’anniversaire du N°500 de la légendaire série. Avant cela, le scénariste poursuit sa révolution de l’intérieur et continue de confronter Spidey à des ennemis inédits. Les épisodes possèdent encore la thématique très ésotérique du « Totem » dans laquelle il avait encré la série dès le départ.

La multiplication des araignées…

La multiplication des araignées… ©Marvel Comics

Tout commence avec un arc très « JMS », dans lequel une vilaine « totémique » nommée Shatrah, apparentée au pompile (sorte de guêpe, le pire des prédateurs pour les arachnides dans la nature, qui pond ses œufs dans le corps de l’araignée, cette dernière se voyant ainsi dévorée de l’intérieur par des larves !) poursuit le pauvre Spidey jusqu’en Afrique. On retrouve cette narration haletante qui nous clouait sur notre fauteuil lors des premiers épisodes du run avec la venue de Morlun. Et Shatrah fait vraiment peur !

S’ensuit un arc narratif un peu faiblard, dans lequel Peter Parker part à la recherche de Mary-Jane afin de sauver son mariage. Il croise la route de Fatalis et Captain America dans une suite de péripéties assez tirées par les cheveux. L’arc suivant oppose encore le tisseur de toile à un nouvel ennemi. Celui-ci, nommé Digger, est une sorte de Hulk dont la personnalité se compose d’une douzaine de mafieux assassinés lors d’un règlement de comptes, revenus d’entre les morts et ivres de vengeance ! Sympathique mais pas inoubliable.

Shatra si j’t’attrape !!!

Shatra si j’t’attrape !!! ©Marvel Comics

Le recueil culmine avec les trois épisodes anniversaires formant l’arc logiquement intitulé Happy Birthday, qui conduit la série à son N°500 lors de laquelle elle retrouve sa numérotation originelle. Et ça promet beaucoup : Apparition des Avengers, combat géant à New-York contre les forces de Dormammu, voyage dans le temps en compagnie du Dr Strange et rencontre de Spider-man avec son propre passé. Notre héros se retrouve alors face à un cruel dilemme : Sauver le monde ou inverser le cours du temps…

Je ne suis pas sorti convaincu de cette débauche événementielle. Personnellement, j’y ai vu le début de la fin pour le run de JMS, c’est-à-dire le début de sa soumission à la politique éditoriale de la Marvel (ici, dans le sens où le scénariste sacrifie son run à l’événement éditorial qui consiste à fêter un numéro symbolique de la série !). Cette soumission, sans doute forcée, prendra de plus en plus de place dans l’avenir et culminera avec le statu quo de One More Day

Un N°500, ça se fête !!!

Un N°500, ça se fête !!! ©Marvel Comics

Cette compilation déroule encore quelques épisodes intimistes touchants, toujours aussi bien dialogués, et ponctue chaque arc narratif par des séquences relationnelles très fines entre Peter & Mary-Jane, ou d’autres qui s’aventurent sur le terrain du social entre le jeune professeur qu’est Mr Parker dans le civil et certains de ses élèves. Il s’agit de scènes naturalistes qui apportent de l’épaisseur et de la toile de fond à chaque épisode, et qui se lisent avec autant de plaisir et de délectation que les scènes d’action.

Ce deuxième tome s’achève avec l’épisode « You Want Pants With That ? », un récit particulièrement rafraîchissant qui voit notre héros découvrir le « couturier » des super-héros et des super-vilains de New York, qui nous laisse entendre que parmi ses habitués, un certain Thor aime les textiles délicats…

Le concept de la série selon JMS : Super-héros et moments intimes…

Le concept de la série selon JMS : Super-héros et moments intimes… ©Marvel Comics

La série se poursuit avec l’arc narratif intitulé Le Livre d’Ezekiel (The Book Of Ezekiel : épisodes # 509 à 514). Cette saga poursuit et parachève l’orientation ésotérique que le scénariste a donnée à la série dès le début de son run. Après un prologue de deux épisodes dans lequel notre héros rencontre le dieu asgardien Loki sur les toits de new-York, il faut encore attendre et accompagner Mary-Jane dans un troisième épisode intimiste qui s’achève sur un vol de bicyclette ! Après ces trois épisodes, il est enfin temps pour Ezekiel d’embrasser son destin avec la résolution des diverses sous-intrigues laissées en suspens depuis un moment. Car, maintenant que tout a été révélé sur les véritables origines de Spider-man, un danger encore plus grand que tous ceux qu’il a dû affronter est sur le point de tomber…

Arrivé à ce stade de son run, JMS est à son apogée et insuffle une épaisseur inédite à la dimension héroïque du personnage de Spider-man, qui justifie à la fois ses origines historiques, publiées dès 1962 sous la houlette de Stan Lee & Steve Ditko, et celles, mystiques et ésotériques, qui viennent d’y être ajoutées… Une très belle série d’épisodes, originaux, adultes et brillamment racontés. John Romita jr, aux dessins sur la série depuis le début du run de JMS, lui fait alors ses adieux (ou ses au revoir…).

Chapitre 2 : Retour vers le passé…

Cette deuxième partie du run de JMS s’ouvre sur un gros morceau avec la saga Passé Recomposé (Sins Past) : Que s’est-il passé à l’époque lorsque Gwen Stacy, juste avant sa mort, est partie à Paris ? Pourquoi ce départ et qu’y a-t-elle fait ? La réponse, va se révéler inattendue et particulièrement bouleversante pour notre héros… Disons le tout net : Cet arc narratif a été détesté par plus d’un lecteur, qui ont estimé qu’on avait touché à l’intouchable, et que les révélations apportées sur ce douloureux passé, relativement choquantes, relevaient de l’aberration scénaristique.

Il faut avouer que le scénariste ose l’impensable et va au bout de sa logique, en exhumant un passé inconnu des lecteurs de longue date et tellement dérangeant qu’il vient salir l’image si pure qui fut celle de Gwen Stacy dans l’inconscient collectif des lecteurs en question ! Mais il le fait avec talent et parvient à trouver à la fois la bonne tonalité et les bons arguments. Personnellement, je ne regrette pas un instant la lecture de ces épisodes. Il est vrai que JMS est allé vraiment très loin, comme on dit, mais encore une fois il a su faire preuve d’originalité et de courage en amenant son héros là où personne n’était allé. Qui plus-est, il réussit à offrir au personnage de Gwen Stacy, trente ans plus tard, une personnalité plus moderne, nuancée et consistante. De plus, il se dégage de cette histoire, à travers les souvenirs ranimés de ses personnages principaux, un très agréable parfum de nostalgie…

Very schocking ! My Dear !

Very schocking ! My Dear ! ©Marvel Comics

Malgré sa mauvaise réception, une suite a cette saga été écrite dans les pages de la série jumelle Spectacular Spider-man par la scénariste Samm Barnes (épisodes publiés initialement dans Spectacular Spider-man Sins Remembered). Cet arc narratif, qui s’insère à l’époque au beau milieu du run de Paul Jenkins, est la suite directe et complémentaire de l’arc Passé Recomposé paru quelques mois plus tôt dans les pages de la série mère Amazing Spider-man (ben oui, faut suivre !).

Pour le coup, ce Sins Remembered : The Sarah’s Story (titre original) est strictement pensé comme un complément du run de JMS. Une sorte de long épilogue, conçu pour approfondir le dénouement des épisodes parus dans Passé Recomposé et boucler une boucle. La scénariste Samm Barnes est d’ailleurs l’amie et la disciple de JMS. Sins Remembered : The Sarah’s Story n’est ni mauvais, ni transcendant. Le complétiste sera preneur, s’il ne fait pas partie des nombreux lecteurs, souvent réfractaires à toute idée de rétro-continuité, qui estimèrent à sa sortie que Passé Recomposé relevait de l’hérésie scénaristique ! Ne faisant partie ni de l’une, ni de l’autre catégorie, j’ai apprécié. Je l’ai apprécié encore une fois pour ses vertus novatrices qui m’ont emmené là où aucun autre auteur ne m’avait emmené…

La suite de passé Recomposé, mais pas dans la même série...

La suite de passé Recomposé, mais pas dans la même série... ©Marvel Comics

La saga suivante, A Fleur de Peau (Skin Deep) est beaucoup plus anecdotique, mais participe tout autant de cette nostalgie liée au passé de Peter Parker : Ce dernier y affronte un ancien camarade de lycée, devenu fou à la suite d’une expérience qui a mal tourné, et qui a fait de lui un super-vilain. La fin de l’histoire est tout de même assez importante pour l’orientation de la série car le vilain en question détruit tout ce qui appartient à Peter et à ses proches, les obligeant à aller loger chez les Avengers, dont Spider-man fait désormais partie…

Depuis Passé Recomposé, tous les épisodes sont mis en image par un virtuose : Mike Deodato jr. Ils marquent son retour aux comics après une assez longue période d’absence. Et quel retour ! Son style photo-réaliste, tout en clair/obscur, son découpage très « roman-photo » et ses immenses cases montrant Spiderman en pleine action vous en mettront plein les rétines !

Pour être sincère, je dois avouer qu’à partir de là, le run de JMS n’est plus à la hauteur des fantastiques épisodes que le scénariste écrivait au début. Il faut avouer à sa décharge que la présence de Peter Parker au sein des Avengers n’était certainement pas l’idée du siècle tant le personnage, héros urbain et solitaire par excellence, ne se prête pas beaucoup à la vie en équipe. L’ensemble demeure toutefois brillant et inventif, adulte, plein d’esprit et superbement dialogué. Et je continue malgré tout de le considérer personnellement comme le meilleur que j’ai lu à ce jour…

Chapitre 3 : Spider-man the Avenger !

A partir de maintenant, les choses vont se gâter car, comme je l’ai dit plus haut, Spider-man fait désormais partie des Avengers. Il a en effet rejoint le groupe avec Wolverine, histoire de doper les ventes de la série sous la houlette du scénariste vedette Brian M. Bendis. C’est à partir de là que JMS va devoir coller à l’actualité de ces « Nouveaux Vengeurs » et perdre beaucoup de liberté sur le personnage. Mais il nous réserve tout de même encore pas mal de surprises !

Spider-man chez les avengers ? Pour le meilleur ou pour le pire ?

Spider-man chez les avengers ? Pour le meilleur ou pour le pire ?

Brian M. Bendis a donc intégré notre héros dans ses New Avengers lors de la grande saga Breakout . Et Tony Stark accueille désormais la « Spider-family » dans sa tour, sachant que Peter a révélé son identité secrète à ses nouveaux confrères, histoire de leur prouver son allégeance. C’est le moment qu’a choisi l’Hydra pour réapparaître et attaquer New-York en se faisant passer pour les Avengers ! Cet arc narratif naïf, factice et infantile n’a pas d’autre but que de justifier le nouveau statut du héros, à la fois Spider-man comme d’habitude, et à la fois membre des nouveaux Avengers…

L’installation de la famille Parker chez les Avengers aligne ainsi les scènes d’exposition et les réunions familiales, quand le grand combat contre l’Hydra paraît de son côté anecdotique et capilo-tracté. Le tout n’étant absolument pas au niveau des autres arcs narratifs du run de JMS…

La saga suivante est un crossover à cheval sur les trois séries du moment dédiées à Spider-man et regroupe les épisodes Amazing Spiderman #525 à 528, Friendly Neighborhood Spider-Man #1 à 4 et Marvel Knights Spider-Man #19 à 22. Soit le crossover intitulé L’Autre (The Other), publié sur les trois séries en alternance durant l’année 2006. Il s’inscrit à la fois dans la période New-Avengers et dans celle du « Totem », dont il constitue une sorte de coda.

La grande saga en question est, soyons sincère, très fluctuante. La faute à cette insupportable tare commerciale qu’est le « crossover », ici conduit par six personnes : trois scénaristes, trois dessinateurs. Le dit-crossover s’étend sur douze épisodes : Les trois premiers sont écris par Peter David, les trois suivants par Reginald Hudlin, les trois autres par JMS. Les trois derniers successivement par chaque scénariste. Chaque épisode est respectivement dessiné par Mike Wierengo (sur la série Friendly Neighborhood), Pat Lee (sur Marvel Knights) et Mike Deodato sur Amazing. Au niveau du scénario, Peter David s’en sort honorablement avec des épisodes efficaces et bondissants. Hudlin nous livre des numéros pathétiques et plombe l’ambiance avec des idées ridicules (Tante May dans la vieille armure d’Iron-Man. Ah non ! Ah là vraiment, non !!!) qui ne servent en rien le récit principal.

Marvel chez les débiles !

Marvel chez les débiles ! ©Marvel Comics

JMS sort du lot et livre les épisodes les mieux écrits et les plus profonds. Il apparaît évident que c’est lui qui mène la barque tant la saga est intrinsèquement liée à son run : Peter est atteint d’une maladie inconnue et incurable. Le vampire Morlun fait son retour. L’araignée qui vit (symboliquement) au cœur de notre héros le ronge de l’intérieur et le mène à sa perte. A moins qu’il ne finisse par accepter « l’Autre »…

Au niveau du dessin, Mike Deodato écrase la concurrence avec son style photoréaliste tout en clair/obscur. Son découpage très « roman-photo » et ses immenses cases montrant Spider-man en pleine action font des merveilles !

Yeaaah ! Mike Deodato Jr !!! (bis)

Yeaaah ! Mike Deodato Jr !!! ©Marvel Comics

Avec le recul, la saga The Other, au départ pensée comme un événement majeur de la vie du héros, est devenue bien anecdotique. Personnellement, j’ai bien apprécié cet arc (exception faite des épisodes d’Hudlin !) et je trouve qu’il ne mérite pas sa très mauvaise réputation. Il est dans la lignée du run de JMS. Le dénouement vous réserve par ailleurs les épisodes les plus violents (et nullement gratuits) de toute l’histoire du Tisseur de toile !

Quasiment tous les défauts de cette saga sont imputables à la politique éditoriale de Marvel et à son chef Joe Quesada. Nul doute que sans les contraintes imposées par sa hiérarchie, JMS ne se serait jamais embourbé dans ce que son run a de plus embarrassant : L’installation des Parker chez les Avengers, le crossover impliquant les autres séries (histoire de lancer les nouvelles franchises…), etc. En revanche, à charge de JMS de nous expliquer pourquoi et comment Morlun a ressuscité (zéro explication, carrément !), et que fabrique Tante May avec Jarvis, le majordome des Avengers (au bout d’un moment, il faut arrêter avec les hormones de tout le monde. ça devient lourd…) ? Un ensemble inégal, donc. Et un autre événement censé « changer la vie du Tisseur à tout jamais » réduit à l’obsolescence pure et simple dans les mois suivants…

L’autre : Une couverture qui est restée dans les esprits, contrairement à la saga !

L’autre : Une couverture qui est restée dans les esprits, contrairement à la saga ! ©Marvel Comics

L’arc narratif suivant sert de prologue au gigantissime crossover Civil War et montre Peter Parker et Tony Stark en voyage à Washington. On voit les personnages « affronter » les membres du parlement et tenter de négocier la future loi sur le recensement des surhumains, loi qui aboutira au déclenchement de la « Guerre Civile des super-héros ».

C’est également dans ces épisodes que Tony Stark offre à Peter Parker son costume high-tech copié sur celui d’Iron Man. Ces épisodes n’ont rien d’exceptionnels mais, entant que réel prologue au crossover à venir, ils sont indispensables pour le complétiste souhaitant contempler les événements liés à Civil War dans leur ensemble.

Nous arrivons maintenant dans les épisodes de la série qui racontent la vie de Peter Parker et de sa famille durant la Guerre civile. C’est à ce moment que, sous l’influence de Tony Stark, il dévoile son identité secrète au monde entier avant de quitter le camp des « pro-recensement » pour rejoindre la résistance. Si JMS était depuis quelques temps obligé de coller aux événements d’autres séries de l’univers Marvel, nous n’avions encore rien vu ! Il doit ici jongler entre la mini-série Civil War, la série des New Avengers, dont le personnage fait désormais partie, ainsi que les deux autres séries dédiées à Spider-man !

Il s’en sort néanmoins avec un récit d’excellente facture. Le travail du scénariste est impeccable, son talent de dialoguiste et son sens du réalisme assurant le spectacle (à ne pas manquer : la réaction de J.J. Jameson face au dévoilement d’identité de son souffre douleur !), et les dessins de Ron Garney sont très bons. Par contre, c’est sûr, on est très loin de l’orientation ésotérique et émancipée des débuts de son run…

La révolution… Encore !

La révolution… Encore ! ©Marvel Comics

Le dernier arc du run de JMS à proprement parler est le fameux Back In Black. Au lendemain de la « Guerre civile », Spider-man, après avoir révélé son identité au monde entier, voit sa chère tante May blessée à mort par un tireur d’élite mandaté par le Caïd (Civil War, Tome 2 : Vendetta, dont la présente histoire est la suite directe). Celle-ci tombe dans le coma et notre héros réendosse son costume noir afin de montrer à ses ennemis sa détermination.

A l’époque, toutes les séries dédiées au personnage sont estampillées Back In Black (voir le recueil Spider-Man : Retour au noir), mais le véritable Back In Black se trouve ici, dans ces cinq épisodes de haute volée. JMS offre au lecteur un Spider-man inédit : Si vous voulez le voir dans une posture brutale, sans humour, violent et jusqu’auboutiste, si vous avez toujours rêvé d’un Spider-man utilisant sa force à l’extrême, renonçant aux limites dictées par l’éthique, ce récit est pour vous. A côté, les histoires relatées dans les séries connexes, portant également l’étendard Back In Black, apparaissent bien édulcorées ! A ce titre, ne pas manquer le combat ultime et inoubliable -façon Gladiateur- avec le Caïd !

Cette fois ça va chier !

Cette fois ça va chier ! ©Marvel Comics

Ron Garney met le tout en image de façon efficace mais sans classe. Son style évoque parfois celui de John Romita jr., mais n’en possède ni l’effet d’urgence, ni la science du découpage. Le meilleur de ces épisodes demeure le scénario de JMS, qui est à présent aux commandes de la série depuis sept ans (le record après Stan Lee !) et qui s’apprête à lui faire ses adieux. Le fond, la forme, les dialogues, tout est parfait !

Le scénariste sort enfin d’une période sclérosée pour son personnage, puisqu’il n’est plus obligé de coller au crossover Civil War et à la série New Avengers et retrouve enfin une relative liberté. Superbe.

Chapitre 4 : Un jour de trop…

Et il est temps, à présent, de terminer cet article par le très controversé One More Day.

Bon. A l’époque de sa sortie, une grande partie du lectorat a conchié cette saga (voir les avis assassins postés sur le site d’Amazon !). Il faut avouer que la politique éditoriale de Marvel est alors infiniment putassière : Pour récupérer les jeunes lecteurs ayant fuit une série devenant un peu trop adulte, pour préserver une franchise lucrative à base de héros en costume d’araignée combattant des méchants en costumes d’animaux, Spider-man doit redevenir comme avant, célibataire, étudiant, avec ses copains, sa vieille tante et son identité secrète. Alors nous devons effacer les vingt dernières années de la mémoire collective.

Par une pirouette scénaristique et une infernale série d’événements funestes le menant à un choix ultime, il redevient tel qu’il était à l’époque de Stan Lee : Il n’a jamais aimé Mary Jane, n’a jamais dévoilé son identité, ni au monde, ni à sa tante… Et elle n’est pas morte ! Pour le coup, on peut se demander pourquoi la « Maison des idées » tient à ce point à cette vieille dame ! Après tout, si Gwen Stacy est morte et enterrée depuis 1973, pourquoi diantre une vieille femme fragile et toujours malade survivrait à tout depuis des lustres ? What’s the problem ?!!!

La saga la plus controversée de tous les temps !

La saga la plus controversée de tous les temps ! ©Marvel Comics

En 2008, j’ai assisté au gigantesque concert de hurlements des fans qui reprochaient, avec raison, un si brutal statuquo. Et sans avoir lu le récit en question (sic !), j’ai hurlé avec eux. Notamment parce qu’il rendait obsolète le run de JMS. Rendez-vous compte : un run brillant, innovant, mature et subversif, peut-être le meilleur de toute la carrière de Spider-man ! Un sacré gâchis, quoi ! J’ai ainsi conspué, sans l’avoir lu, une des plus belles histoires jamais contées sur le héros fétiche de l’écurie Marvel… Et oui, je suis forcé de l’avouer… Aujourd’hui que j’ai pris du recul et que j’ai enfin lu cette histoire, je la trouve magnifique.

Principalement pour ses qualités : Le scénario est dense, fin et bouleversant. Il ne tombe jamais dans le ridicule (si l’on excepte un pacte avec le Diable dont le but -obtenir l’amour des protagonistes plutôt que leur âme- est un peu tiré par les cheveux !) et réussit à faire passer la pilule d’une manière si élégante que je finis par m’incliner ! Jouant sur l’émotion, tout en retenue, sur les sentiments et la fragilité à fleur de peau de ses personnages, tourmentés et lessivés, il frappe au cœur avec subtilité et profondeur. Jamais on ne les a vus si humains et crédibles. Revenant sur la continuité, il offre un condensé du parcours de Peter Parker inédit et incroyablement définitif.

One More Day : Honteux, ou beau à pleurer ?

One More Day : Honteux ou beau à pleurer ? ©Marvel Comics

Les dessins de Joe Quesada sont splendides, son découpage est d’une richesse et d’une inventivité inouïe. Une mise en forme conceptuelle absolument somptueuse (qui annonce les événements à venir par de petits détails placés ici et là), qui finit par s’affranchir de toute narration autre que celle des images (où la preuve de l’effacement progressif de JMS, qui, évidemment, ne supportera pas un statu quo rendant obsolète sept ans de travail acharné).

Si Quesada est lui-même l’architecte de ce retournement de situation, puisqu’il est alors le rédacteur en chef de la Marvel, il s’applique à rendre le résultat le plus abouti possible. Mettons-nous d’accord : Je n’approuve pas le principe du statu quo. Loin s’en faut ! J’ai horreur de ces débilités éditoriales ! Je ne supporte pas les résurrections diverses et variées qui boursouflent l’univers des comics mainstream depuis des lustres. Mais dans ce cas précis, le statuquo était inévitable. Je veux dire qu’il était inévitable que la situation du personnage ne pourrait pas durer. Pour le coup, j’ai du mal à comprendre que les lecteurs n’aient pu supporter cette situation alors qu’ils voient sas cesse ressusciter tous les super-héros (parfois sans explication particulière) sans sourciller ! En définitive, je trouve qu’ici, une fois n’est pas coutume, les auteurs ont amené le statuquo d’une manière infiniment plus subtile qu’à l’accoutumée.

Nous faisons ainsi nos adieux à J.M. Straczynski sur la série Amazing Spider-man. Finalement, je garde le run de JMS pour ce qu’il est : une des meilleures périodes qu’ai jamais connu le personnage. La plus adulte, la plus originale et la plus profonde de mémoire de « Spiderophile ». Et One More Day est la meilleure fin qu’on pouvait lui proposer. Une fin véritable, tout simplement.

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