Première publication le 25.10.2014 / Mise à jour le 15.11.2014
Fox-boy par Laurent Lefeubvre
AUTEUR : JORD AR MEUR
De nombreux scans présents dans cet article ont été gracieusement offerts par Laurent Lefeuvre et certains n’ont jamais été publiés. Et je l’en remercie sincèrement…
Cet article pourrait étrangement faire partie de ceux que Bruce a appelés « Jord Special Origines » et pourtant il parle d’une récente parution chez Delcourt d’une petite BD d’un nouveau super-héros de comics européen : « Fox-Boy ».
Ce personnage frêle et masqué que Tornado a comparé à un ouistiti croisé avec une chauve-souris ne me disait rien.
Et pourtant sa première apparition à eu lieu dans un périodique pour jeunes bretonnants «Louarnig » publié depuis les années 2000 par les éditions « keit vimp bev », la même maison, qui en 1985 , osa éditer ma BD « Hiwell an Harluad » en album.
Elle vient même de sortir une version parallèle bretonne en noir et blanc de cet étrange « Fox-Boy » (sous le titre de « Paotr Louarn, Nozvezh al Louarn »). Mais comme je suis ici pour parler de la BD de chez Delcourt : « Fox-Boy, la Nuit du Renard », je laisserai mes souvenirs et ma nostalgie dans un coin de mon cerveau, ou de ce qu’il en reste.
Je mentionnais donc ce « nouveau » super-héros européen, annoncé par un autocollant sur la couverture : « Les débuts d’un super-héros… breton ! ». Les lecteurs ne pratiquant pas la langue de Per-Jakez Helias (« ahem », je voulais mettre de Père jakez hélas) peuvent donc découvrir ses premières aventures dans celle de Molière.
Laurent Lefeuvre, un auteur de bande dessinée autodidacte né en 1977 à Rennes, n’en est pas à son premier essai. Après avoir été édité dans une série d’albums féériques sur les Lutins dans les années 2000, puis « Tom et William, collection Signé » en 2010, ses reprises du blog des fausses couvertures d’illustrés paraissent en 2012 sous le titre « La Merveilleuse Histoire des Editions ROA », une maison imaginaire dont le sigle ROA vient de Roazhon (Rennes en breton), imitant celui de Lug (Lugdunum, Lyon en gaulois latinisé).
Même le scénariste Alain Chevrel n’est qu’un pseudo de Laurent Lefeuvre.
« Fox-Boy, la Nuit du Renard », le premier comics breton, nous plonge dans les aventures d’un lycéen rennais, Pol Salsedo, issu d’une famille de classe moyenne assez aisée qui obtient les pouvoirs de se transformer en renard-garou et qui se confectionne lui-même un costume de son totem, tout comme le fit jadis un certain Peter Parker il y a 52 ans. De plus, son père étant décédé, il vit seul avec sa mère dans un pavillon rennais. Mais les différences avec le Spider-Man de Marvel se dévoileront petit à petit au fil de l’histoire.
Nous faisons connaissance avec le métamorphe costumé et ses capacités surnaturelles d’une manière pas très glorieuse dans un combat contre un voleur qui tourne à la catastrophe, les deux personnages tombant dans le fleuve. Seul le méchant réussit à s’en sortir, le jeune homme costumé restant bloqué au fond par un caddie au milieu des détritus.
Alors qu’il commence à manquer d’oxygène, Pol hallucine et revit une petite partie de son enfance où il gagne un comics, Fox-Man, dans une fête foraine. Ce Fox-Man, un colosse masqué et puissant, deviendra son héros préféré et le restera même jusqu’à l’époque actuelle. L’adolescent est cependant sauvé de la noyade par un homme mystérieux qui semble tout connaître sur sa vie et qui lui donne l’idée de son pseudo.
On n’en saura pas plus dans cet album sur son identité sauf son nom « William ». Mais ce « William » n’est pas vraiment un inconnu pour ceux qui connaissent l’univers partagé des fictives éditions ROA : Il est un des deux héros de « Tom et William » (Lombard – 2010).
Rentré chez lui, on commence déjà à cerner la mentalité du jeune homme. Ce William est noir et ne peut donc en aucun cas avoir un lien avec sa famille. Après un bain où il doit se raser le corps et limer les griffes, en maudissant la chance des loups-garous du cinéma, il se remémore ses origines surnaturelles. Pol Salsedo n’est pas un adolescent modèle, loin de là. Il fume et passe son temps à dessiner son idole aux gros bras en y mêlant la politique actuelle plutôt que de réviser, bien qu’étant quand même le meilleur élève de sa classe.
Sa xénophobie va lui apporter cependant des gros ennuis. Après avoir caricaturé une jeune fille d’origine Maghrébine en lui ajoutant un groin de cochon et envoyé son « œuvre » par son portable l’image modifiée sur son blog, il est poursuivi par les amis de celle-ci qui veulent lui donner une leçon, surtout un certain Nizar. En fait, notre héros, avant de devenir Fox-Boy, n’est qu’un petit salopard admiré par certains pour ses blagues douteuses et détesté par d’autres. Nous sommes ancrés dans la réalité, pas dans un monde fictif. Les informations diffusées par la radio sont celles qui passent tous les jours. Grande différence avec l’univers des comics américains qui font généralement l’impasse sur les événements mondiaux et les personnalités politiques. Le premier chapitre se clôt donc sur une future confrontation…
Comme Peter Parker, Pol est myope et dans sa fuite a cassé ses lunettes. Et c’est à cause de cet inconvénient que le fantastique fait irruption dans son existence. Peut-être en clin d’ œil (sans lunettes ça peut arriver) aux épisodes du genre « The Twilight Zone » ou aux comics américains comme « Creepy », il confond un stand d’occultisme avec le mot oculiste dans une foire où il s’est réfugié pour se perdre dans la foule et pénètre dans l’antre du Fakir Dotki…
Sa destinée va en être totalement bouleversée, mais sans araignée radioactive, la science n’ayant pas sa place dans ses aventures. Le tournant de cette histoire fait bien plus penser au Dr Strange qu’à Spider-Man… Et le deuxième chapitre se termine par un adolescent complétement transformé qui réfléchit déjà au costume que pourrait porter un super-renard.
Contrairement à Peter Parker qui commence à se servir de ses pouvoirs dans un but lucratif alors qu’il était avant un jeune garçon timide et réservé, Pol lui va lentement changer sa façon de traiter les gens, sans avoir besoin d’un oncle Ben pour lui souffler avant de mourir « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. »
Petit à petit, il commence à réfléchir sur l’odieux gamin qu’il était et se réconcilie avec ses ennemis lycéens, tout en reniant pratiquement les autres qui vont d’ailleurs finir par se radicaliser par la suite. Et son amie Anaïs, qui pense qu’il vaut mieux que ses blagues stupides, lui fait prendre conscience qu’il n’est vraiment qu’un sale petit con.
Sur une page entière où il se compare aux super-héros, il s’aperçoit qu’il n’a rien à voir avec leurs débuts souvent tragiques. Et le troisième chapitre boucle le début du premier en tant que super-héros sans nom attifé du costume traditionnel confectionné pendant la nuit.
Le dernier chapitre. Six mois se sont écoulés. Fox-Boy a eu son bac dans le « civil » et il est devenu une célébrité de Rennes dans son « costume de renard-garou ». Les badauds le regardent évoluer dans ses acrobaties sur les toitures de la ville. Et il est même interviewé au 19/20 Bretagne.
Une soirée costumée super-héros est aussi organisée en son honneur où il se rend habillé en Black Panther, les muscles en moins (et son nouveau camarade syrien Nizar en … Fox-Boy). L’auteur s’amuse ici avec sa façon de voir les personnages américains et avec de bons mots (C’est Luke Cage – Non juste un videur !) .
Mais la réalité reprend vite le dessus : de vrais racistes, Un homme de pouvoir et d’argent qui se présente comme le Tony Stark breton (et qui, en plus, s’est acheté la tour France Télécom où j’ai fait tant de formations dans les années 80) et surtout une fin tragique… à suivre !
Dans sa postface de « Tom et William », Laurent Lefeuvre nous apprend qu’il a passé son enfance à dessiner les animaux et les héros des petits formats qu’il collectionnait et que cette première incursion dans la bande dessinée était pour lui l’occasion de saluer cette littérature oubliée et les artisans souvent anonymes qui l’animaient. En lisant « Fox-Boy », on s’aperçoit que les comics paraissant en France à cette époque tenaient aussi une place particulière et importante dans son imaginaire. Son but est très clair : détourner les codes « Strange » en inventant un héros tout droit sorti des années Marvel du début mais évoluant dans un quotidien identifiable et familier.
Contrairement aux épopées cosmiques et super-héroïques américaines souvent calquées dans la BD européenne par les dessinateurs qui s’essayent au genre (sauf dans les parodies comme Superdupont de Jacques Lob et Marcel Gotlib), il ne transfère pas son héros dans la jungle urbaine d’un New-York ou d’une métropole des USA, même si son pseudo est anglo-saxon (explication donnée par le personnage concerné dans son hilarante interview télévisée du troisième chapitre où les médias ne sont pas vraiment mis à l’honneur).
Pol Salsedo est un lycéen européen avant tout, avec les qualités et les défauts de la jeunesse actuelle, qui vit dans une ville de province, Rennes. Fox-Boy devait donc commencer sa carrière dans le paysage urbain de la capitale bretonne. Mais c’est loin d’être la seule différence, car dans ce conte fantastique, le jeune homme n’est confronté à aucun super-criminel et les conflits de cet album se font plutôt sous sa vraie identité que celle de son renard-garou.
Laurent Lefeuvre n’a pas une épée de Damoclès au-dessus de la tête, aucun risque de voir son histoire traitée de « publication extrêmement nocive en raison de sa science-fiction terrifiante, de ses combats de monstres traumatisants, de ses récits au climat angoissant et assortis de dessins aux couleurs violentes. » par l’avis de la commission de Censure sur les Publications destinées à la jeunesse des années Fantask, Marvel et Strange. Si la violence physique et gratuite est pratiquement absente des aventures de « Fox-Boy », le harcèlement moral, les travers extrêmistes de notre société, les allusions à la politique et aux événements mondiaux y sont évoqués clairement, parfois de manière directe, mais aussi dans des éléments du décor.
Il est trop tôt pour se faire une idée de l’évolution future du frêle super-héros rennais, mais ses aventures, qui ont commencé, ne l’oublions pas, dans une revue pour la jeunesse, vont sortir du carcan urbain et se tourner vers plus de fantastique.
On ressent tout de suite une profonde admiration de Laurent Lefeuvre pour Bernie Wrightson dans les visages et les attitudes de ses personnages, son graphisme sombre prévu à l’origine pour du noir et blanc ainsi que la similitude des certains décors. Sur certaines de ses premières moutures et croquis de « Fox Man » cette tendance est encore plus visible. Mais Bernie Wrightson a aussi été comparé en son temps à un honnête plagiaire de Frank Frazetta. Je trouve pour ma part que les illustrations de Laurent Lefeuvre sont beaucoup plus expressives que ceux de bien des dessinateurs américains absolument incapables de dessiner un animal ou un arbre correctement.
Pour résumer, cette petite BD tout public et vite lue m’a donné envie d’en savoir plus. J’ai discuté avec l’auteur pour l’article, mais ce qui est plutôt ressorti de notre conversation à vite divergé sur un dialogue de scénaristes et dessinateurs, bien que je ne le suis plus depuis des années. Il y a beaucoup de points communs dans notre manière de juger la BD autant américaine qu’européenne. Je n’ai pris aucune note sur le coup et j’avais un peu peur de me lancer dans un article qui fausserait mon jugement en ayant l’impression de mélanger ma propre biographie alors que nous vivons dans un monde différent.
Je rejoins Présence. En plus je trouve que tu donnes très envie de s’y attaquer, tout comme donner une bande-son est toujours un plus. Superbe article.
Laurent,
plus je regarde ton dessin, plus j’y vois une filiation évidente avec Spider-man. Notamment autour du langage corporel du héros qui ne m’est pas sans évoquer celui de son ennemi juré The Jackal ! VEest ce incosnscient ? Tout comme d’affubler le héros du totem du renard, l’ancêtre du super héros masqué ? Fox = Renard = Zorro !!!
Conscient ou pas, voila plusieurs pistes qui m’intéresseraient d’explorer. C’est avec grande joie que je te souhaite bienvenue sur Bruce Lit ! Et une interview le plus vite possible, ce serait Fantask !!
Et j’oubliais, j’ai aussi adoré les petites citations en début de chapitre. Ca m’a trop rappelé les FF de la période John Byrne…
Louarny boy, 1000 excuses. Mes doigts sont trop malhabiles avec la tablette
Mes collègues me l’ont offert pour mon pot de départ hier ! J’ai bcp aimé et l’ai dévoré dans le train.
Le style de Lefeubvre est très polyvalent. Plein de clins d’oeils adorable à Spider-Man puis DD. Lorsque William le traite de DD justement, il le dessine façon Frank Miller. J’ai trouvé ça vraiment très, très malin.
En plus de l’histoire d’un super héros en devenir, Lefeubvre injecte une dose de sociale sous fond de montée du Front National à laquelle je suis très sensible. C’est direct, sans aucune ambiguïté.
J’ai eu un peu peur au moment des origines, allergiques à la magie que je suis, mais finalement là aussi ça passe. Beaucoup de similarités avec Kickass en nettement moins bourrin.
Côté dessin , je trouve les couleurs extras. J’ai beaucoup aimé l’ouverture du deuxième chapitre avec Rennes vue d’avion et les traces du petit renard parsemée dans toute la ville.
Merci de cette découverte.
Un peu de teasing avec ce post intéressant du blog de Laurent Lefeuvre. En attendant la suite des aventures de Fox Boy en octobre prochain
http://laurentlefeuvre.blogspot.fr/2015/06/fox-boy-planche-51-lignes-de-forces.html#gpluscomments
Je crois bien que Laurent Lefeuvre a annoncé un décalage à janvier prochain…
Merci pour le lien Lone : assez passionnant ces lignes de forces, surtout pour un nul comme moi !
Oui, l’initiative est stimulante et donne envie de se plonger dans la (re)lecture de cases connues. Un type bien ce Laurent 🙂