Awesome (SUPREME, puis JUDGMENT DAY), par Alan Moore
Par TORNADO
VO : Image Comics / Awesome Entertainment
VF : Delcourt Comics / Génération Comics
Cet article porte sur le run d’Alan Moore au sein de la série SUPREME, ainsi que sur les épisodes publiés sous le titre JUDGMENT DAY pour la maison Awesome Entertainment de Rob Liefeld à la fin des années 90.
Tous ces épisodes ont été publiés initialement entre 1996 et 2000.
En VF, l’intégralité des épisodes de SUPREME par Alan Moore a été publiée en deux tomes chez Delcourt. Les épisodes de JUDGMENT DAY ont fait l’objet de deux magazines chez feu les éditions Génération Comics (ancienne version de Panini qui avait également publié les premiers épisodes de SUPREME).
Tous les épisodes de la série SUPREME dans sa version classique, c’est-à-dire avant l’arrivée d’Alan Moore, ont été chroniqués par l’ami JB dans un article roboratif disponible ICI.
SUPREME :
Tout commence exactement comme avait commencé le premier épisode de Rob Liefeld en 1992 : Suprême, le plus grand super-héros de tous les temps, est de retour sur Terre après des années d’absence. Amnésique, alors qu’il ne reconnait pas sa ville natale apparemment défractée (comme si deux dimensions parallèles se disputaient la même place), il est immédiatement accueilli par plusieurs versions de lui-même, dont une super-souris-suprême…
Très vite, ces avatars l’emmènent dans une autre dimension, celles des Suprêmes, au cœur de la cité Supremacy…
Le rapport avec le début de la version Liefeld s’arrête à son retour sur Terre. Car les versions alternatives de Suprême vont vite lui expliquer le bin’s : Il n’est pas amnésique. Il vient juste d’être créé… Car il est la nouvelle version de Suprême ! La nouvelle itération de la fin des années 90. Toutes les autres versions qu’il rencontre sont des versions antérieures de lui-même, y compris la version super-souris des années 50, y compris la version féminine-noire façon Blaxploitation des années 70, etc. Et donc y compris la version grim’n gritty de Liefeld…
Notre nouveau Suprême est celui du dernier reboot en date, tout simplement !
A partir de là, tout son passé, son présent et son avenir, forment une page blanche. Page blanche qu’Alan Moore va s’empresser de remplir, à sa manière !
Le concept méta se dessine alors : Dans le présent, notre nouveau Suprême est le dessinateur de comics Ethan Crane, qui travaille au sein de son éditeur en compagnie de sa scénariste Diana Dane sur le titre OMNIMAN (ce même personnage destiné un jour à devenir le père de… INVINCIBLE !). Ethan se transforme dès qu’il en a l’occasion en Suprême pour combattre les ennemis de la Terre (ou même pour aider la veuve et l’orphelin) en compagnie de son chien-suprême nommé Radar, de ses robots à son effigie les Suprematons, et de sa demi-sœur Suprema ! Tout ce beau monde se réunit dans la Forteresse Suprême, depuis laquelle notre héros crée de nouvelles technologies, enferme les ennemis de l’univers dans des dimensions alternatives, et convoque quand il le faut ses Alliés super-héros pour combattre les menaces planétaires…
Ça c‘est pour le Fond.
Pour la Forme, notre nouveau Suprême doit retrouver son passé et ses origines. Et c’est là qu’Alan Moore va reconstruire le personnage en effaçant soigneusement la version Liefeld trash et badass (ancienne itération = caractérisation distincte !). Chaque bond dans le temps, chaque flashback se transforme dès lors en épisode narré, dessiné et mis en couleur selon les canons de l’histoire des comics. Et l’on commence avec l’esthétique de la fin des années 30 !
Le lecteur a compris : Moore efface le passé du personnage selon Liefeld et le retrace selon l’histoire éditoriale du premier super-héros, c’est-à-dire SUPERMAN, mais cette fois en reprenant la même caractérisation ! A chaque fois que Suprême revient sur ses souvenirs, ils sont illustrés selon le principe de la période invoquée. L’épisode est ainsi narré, dessiné et présenté comme étaient les comics de l’époque, avec le même style de couverture, de dessin et de couleurs de jadis, ainsi qu’avec les mêmes naïvetés et le même manichéisme !
A charge, au départ, pour Joe Bennett et Rick Veitch, de se partager la tâche : Le premier en s’accommodant de faire du Rob Liefeld (du super-héros incroyablement moche, vulgaire et hypertrophié, typique des années 90, mais dans sa version la pire), le second en faisant revivre le style de dessin des années 30, puis des décennies suivantes, avec la même patine vintage.
Durant l’intégralité de son run, Alan Moore sera secondé par bien des dessinateurs (dont Chris Sprouse, qu’il emmènera avec lui pour illustrer une série intitulée TOM STRONG dans la lignée de SUPREME), mais l’essentiel des épisodes vintage sera tenu par son ancien complice de la série SWAMP THING, c’est-à-dire Rick Veitch.
Le lecteur peut ainsi lire une histoire de SUPERMAN version Alan Moore à travers sept décennies de publication (depuis les années 30 jusqu’aux années 2000) !
Un petit détour par les coulisses de l’édition peut nous aider à saisir le concept (n’étant pas docteur es-comics, toutes ces histoires d’editors j’en ai rien à foutre, mais pour une fois non) : Alan Moore avait écrit quelques très bonnes petites histoires pour DC Comics, dont deux très belles dédiées à Superman. Mais il était parti fâché à mort avec l’éditeur, promettant de ne plus jamais travailler avec lui comme il l’avait fait juste avant avec Marvel. Lorsque Rob Liefeld l’approche pour reprendre sa série SUPREME, Alan Moore n’est pas du tout intéressé par cette version moisie de super-héros grim’n gritty, pâle copie abâtardie de son WATCHMEN et du DARK KNIGHT RETURNS de Frank Miller. Seulement voilà : Outre la proposition alléchante de toucher quelque chose comme 10 000 $ par épisode (information à vérifier car je ne suis pas certain de la source), Liefeld propose au génie de Northampton de faire ce qu’il veut avec le personnage et sa série. En gros, il lui laisse une totale liberté artistique ! Profitant de l’opportunité de faire chier par procuration Marvel et DC en travaillant pour l’un de leur principaux concurrents (Awesome Comics), Moore finit par accepter, avec l’idée d’écrire une vraie-fausse mais ultime histoire de Superman (une ultime version de Superman déguisée en Suprême), tout en enrichissant de bout en bout son récit d’un commentaire méta permanent sur l’évolution du medium du comic-book super-héroïque. Bref, plus ambitieux tu meurs !
Le discours méta est donc constant. Le lecteur familier de l’univers de Superman reconnait immédiatement toutes les itérations et références à travers les personnages (Diana Dane = Loïs Lane, Darius Dax = Lex Luthor, Radar = Krypto, Suprema = Supergirl, etc.) et les lieux et autres éléments (Littlehaven = Smallville, Omegapolis = Metropolis, Citadelle Suprême = Forteresse de la solitude, Supremium = Kryptonite, etc.).
Mais tout ceci n’est que la partie émergée de l’iceberg. Car en dessous, le scénariste injecte plusieurs couches de lecture sur l’évolution des comics en analysant chaque période et chaque transformation depuis les débuts de l’histoire du médium. Ce discours est souvent enrobé d’un humour irrésistible et caustique, Moore ne manquant pas de s’autocritiquer et de se moquer de lui-même dans la phase du Dark-âge dont il est l’un des principaux instigateurs (ne pas manquer le passage où il égratigne tous ces « auteurs britanniques prétentieux et intellos ») !
Ainsi, les souvenirs de Suprême sont-ils l’occasion de refaire toute l’histoire des comics en passant peu à peu par toutes ses phases et toutes ses périodes, l’âge d’or, l’âge d’argent, l’époque des récits d’horreur juste avant l’arrivée du CCA, etc. Alan Moore n’en oublie pas pour autant de raconter une histoire au premier degré et les aventures de Suprême au temps présent sont parmi les plus originales et les plus imaginatives de toute son œuvre. Le dernier épisode de son run, soit l’épisode #6 de SUPREME – THE RETURN étant un hommage à Jack Kirby en personne (qui apparait tout bonnement comme le Dieu de cet univers-là !), on perçoit à quel point Moore a tenu à écrire les récits les plus exigeants possibles en terme d’imagination pure. Et chaque aventure de Suprême est donc également l’occasion d’imaginer des concepts et des trouvailles science-fictionnelles souvent incroyablement sophistiquées et poétiques (citons par exemple l’épisode où notre héros retrouve Suprema, retenue prisonnière de Gorrl, galaxie vivante masculine dont l’esprit est tombé amoureux de la jeune sœur de Suprême !).
Le résultat est donc une proposition du super-héros ultime selon Alan Moore, dans sa version séminale (c’est-à-dire un super-héros premier degré, raconté au premier degré, et non un pastiche, une caricature ou un détournement dont le scénariste –et ses compatriotes britanniques- étaient jusqu’ici coutumiers). En remontant l’histoire des comics super-héroïques, Moore aura donc déconstruit la figure de Suprême version Liefeld pour la reconstruire version « tous les meilleurs auteurs de Superman » fondus en une seule force de creation ! Et Moore de tenter ici de s’imposer comme l’esprit de synthèse de 70 ans de créations de papier !
Un acte de puissance intellectuelle saisissant au service d’un médium généralement cantonné au seul divertissement superficiel. Alors pourquoi pas 5 étoiles ?
Disons que la lecture du run d’Alan Moore est parsemée d’éléments pouvant s’imposer comme autant d’étapes pénibles pour un lecteur lambda (non biberonné à toutes les lectures super-héroïques mainstream).
Les épisodes vintage, pour commencer, puisqu’ils sont écrits dans le plus pur esprit des comics de l’époque invoquée, sont d’un premier degré infantile totalement assumé. Le contraste qu’ils imposent avec les épisodes contemporains en accentue les naïvetés et la purge narrative. Tout aussi joliment dessinés et candides soient-ils, ces petits récits racontés comme au temps des années 30, 40, 50, etc. sont tout simplement lénifiants, ineptes et tartignolles. Et si j’ai lu à droite et à gauche qu’Alan Moore développait ainsi un hommage vibrant aux comics old-school, j’aurais un avis diamétralement opposé en trouvant qu’il s’amuse au contraire (en essayant de les raconter de la même manière, comme s’il faisait ses devoirs) à démontrer à quel point ils étaient ridicules, tout au moins dans la forme ! Nul doute que le scénariste sait que ces épisodes possédaient une profondeur mythologique indiscutable, mais qu’il y avait du boulot quant à la manière de la développer…
Les épisodes contemporains, quant à eux, souffrent tout autant du marasme éditorial et de l’univers imaginé par Rob Liefeld : Un univers super-héroïque hardcore, réservé aux fans ultimes de super-héros en slips flashy, aux costumes ridicules et aux patronymes grotesques, aussi fins et subtils qu’une enseigne lumineuse fluorescente pour devanture de boutique porno. Le lecteur de passage qui n’éprouve aucun atome crochu avec cet univers bariolé et vulgaire ne peut pas faire comme s’il ne voyait pas que tout ça est affreusement boursoufflé. Là encore, Alan Moore ne ment pas : Il prend la chose à bras le corps et épouse l’univers dans lequel Suprême est sensé évoluer. C’est-à-dire un univers peuplé de super-héros au sens premier-degré du terme.
Le résultat est donc souvent indigeste, principalement à la première lecture, alors que le lecteur n’a pas encore assimilé le concept du run Alan Mooresque, qu’il n’en distingue que la surface et qu’il fait connaissance avec un univers Awesome Comics aussi digeste qu’une pizza 7 fromages aux pommes de terre napée de chocolat au lait…
Heureusement, comme évoqué plus haut, certains épisodes sont des bijoux de poésie et d’humour (celui qui met en scène le couple présidentiel américain de l’époque –Bill & Hilary Clinton- est absolument irrésistible !), et l’ensemble assure une seconde lecture incomparable, car une fois que le lecteur possède une vision d’ensemble et qu’il a saisi toutes les couches de sous-texte, il peut relire le run en se délectant cette fois d’une toute nouvelle façon de voir les choses, oubliant au final tous les éléments de mauvais goût de la version Liefeld.
A l’arrivée, 21 épisodes denses, originaux et ambitieux, illustrés par divers artistes au style parfois très contrasté pour le meilleur comme pour le pire (Joe Bennett, Rick Veitch, Mark Pajarillo, Chris Sprouse, Richard Horie, J. Morrigan, Keith Giffen, Dan Jurgens, Melinda Gebbie, Gil Kane, Jim Starlin, Matt Smith, Jim Baikie, Ian Churchill, Rob Liefeld, avec quelques illustrations d’Alex Ross pour la version recueil), souvent brillants, mais également réservés à un public averti car au départ très hermétiques de par leur contenu super-héroïque mainstream hardcore intrinsèque…
JUDGMENT DAY :
Le pitch : Knightsabre, l’un des membres de Youngblood (première et principale équipe super-héroïque de l’univers Awesome), est accusé du meurtre de la jeune Riptide. Meurtre dont il ne se souvient pas puisqu’il était en état de très forte ébriété.
S’ensuit alors, depuis l’enceinte de la Citadelle Suprême à l’intérieur de laquelle tous les héros de l’univers Awesome sont convoqués, un procès qui va prendre des proportions gigantesques. Car, pour mettre à jour une preuve qui viendrait confirmer ou pas la culpabilité de Nightsabre, la solution se trouverait dans un mystérieux livre relatant tous les événements super-héroïques survenus à travers les différentes époques de la Terre version Awesome.
C’est ainsi que le lecteur va remonter le temps et découvrir les origines, le passé et l’histoire de cet univers partagé…
Après avoir confié à Alan Moore la série SUPREME, Rob Liefeld va rapidement demander au créateur de WATCHMEN d’imaginer les origines de son univers partagé Awesome. L’idée est d’écrire une mini-série relatant l’histoire de cet univers, depuis ses origines à l’aube du temps jusqu’à nos jours (en 1997, date de la publication de la dite-mini-série pour être plus précis).
La mission est de grande envergure : Déconstruire puis reconstruire les fondations de l’univers Awesome en offrant une origine globale et cohérente à tous ses personnages, puis créer un nouveau terreau afin de les engager dans une toute nouvelle direction. Dans l’idée, bien sûr, nul autre qu’Alan Moore ne pouvait être l’homme de la situation !
Le scénariste va ainsi imaginer une trame tentaculaire à base de procès, renvoyant chaque accusation ou chaque simple instruction, via des flashbacks, à diverses époques du passé, mettant en scène des dizaines de personnages super-héroïques inventés pour l’occasion, avec le leitmotiv du mystérieux livre comme dénominateur commun…
Alors que la série SUPREME permettait de réinterpréter l’univers partagé DC Comics et l’histoire de Superman en particulier, JUDGMENT DAY fera sans cesse référence à l’univers partagé Marvel. A cette occasion, Alan Moore va puiser dans les recoins les plus obscurs de cette mythologie et invoquer des références non pas à Spiderman ou aux 4 Fantastiques, mais à des personnages moins connus ayant évolué dans le passé. Ses choix se portent la plupart du temps sur des personnages à la résonnance universelle, comme par exemple un ersatz de Conan le barbare (devenu une icône générique de l’heroic fantasy) ou un autre évoquant Ka-zar, c’est-à-dire, par extension, Tarzan ou n’importe quel autre bon sauvage héroïque…
Evidemment, le docteur es-comics se régalera de reconnaitre toutes ces références cryptiques allant de Black Knight (personnage ridicule ayant fait partie des Avengers) aux Howling Commandos de Nick Fury, en passant par Two-gun Kid et ses pistoleros, en bref, tout un tas de personnages qui peuplaient apparemment le passé de l’univers Marvel.
Le lecteur plus intellectuel féru d’ésotérisme pourra même trouver dans les diverses couches de lecture, notamment dans l’épisode dédié au personnage de Glory, une interprétation de la Kabbale et plus précisément des Sefiroths, ces royaumes symboliques superposés le long d’un arbre géant sacré (plus on monte, plus on se rapproche du divin, et plus on descend, plus on se rapproche du matériel, le dixième royaume, celui d’en bas, étant la Terre des hommes…). Un épisode vertigineux, cryptique et amphigourique à souhait dans la lignée d’un PROMETHEA, qu’il vaut mieux ne pas lire un soir de fatigue après une dure journée de labeur…
Une nouvelle fois, Moore se sert de l’histoire éditoriale d’un éditeur important pour nourrir l’histoire fictive d’un nouvel univers partagé, faisant œuvre de collecte « archéologique » dans le domaine du comic book super-héroïque. Une manière de mettre en lumière la richesse d’un médium qui a réussi à évoluer et à se débarrasser peu à peu de ses naïvetés pour trouver une forme de noblesse à travers certains auteurs talentueux, pour se hisser au rang de véritable mythologie moderne.
Le scénariste est ici accompagné d’une pléthore d’artistes venus se partager le labeur en illustrant chacun une époque du passé de l’univers Awesome. Se succèdent ainsi rien moins que Rob Liefeld, Chris Sprouse, Stephen Platt, Keith Giffen, Adam Pollina, Dan Jurgens, Steve Skroce, Jim Starlin, Terry Dodson, Marat Mychaels, Cedric Nocon, Jeff Johnson, Rick Veitch, Ian Churchill et enfin Gil Kane, à qui l’on offre l’honneur de conclure le récit dans un épisode à sa propre gloire de légende du comic book.
Alors, vous allez encore me dire : « <em>Et pourquoi pas 5 étoiles</em> » ? D’autant que j’ai lu moult dithyrambes à propos de cette mini-série, fréquemment qualifiée de chef d’œuvre, bien que pas grand monde encore avant moi ne s’était risqué à la chroniquer…
Mon avis est donc à prendre pour ce qu’il est : Une critique complètement personnelle et subjective.
Dans l’éditorial consacré aux deux magazines publiés en VF par Génération Comics, Christian Grasse tente de rassurer le lecteur en lui promettant qu’il n’a pas besoin de connaitre les antécédents des héros de cette histoire pour bien comprendre et prendre plaisir à lire ces aventures. Soit le bonhomme était alors d’une mauvaise foi édifiante, soit il venait de se fumer 27 moquettes au moment de sa rédaction. Car très franchement, je n’ai pas saisi grand-chose de toute cette histoire à ma première lecture au milieu de ce maelstrom de personnages flashy et, il faut bien le dire, particulièrement antipathiques (c’était les excès de la période grim’n gritty, quand les auteurs de comics exerçaient leur écriture sans talent : remplacer les personnages vertueux de jadis par de simples connards…) ; de ces bonds dans le temps intempestifs au changement de dessinateurs et de styles constants, pour un résultat très indigeste frôlant dangereusement la migraine carabinée…
Davantage encore que SUPREME, cette mini-série s’adresse, selon votre serviteur, à des lecteurs bien précis, fans et familiers de l’univers Awesome, et avant tout amateurs de super-héros mainstream basiques et, comme le décrit Christian Grasse dans son éditorial, « <em>In your face</em> ». Car c’était la mode dans les années 90, les lecteurs fans de super-héros recherchant avant tout des histoires prétextes à de l’action principalement représentée par des dessins pleine-page semblant déborder des planches. Et diable que tout cela a extrêmement mal vieilli…
Mon verdict est donc le suivant : Malgré mon admiration sans bornes pour Alan Moore, cette mini-série est au jour d’aujourd’hui son travail que j’ai le moins aimé. Ça reste de la bande-dessinée de qualité, principalement pour son second niveau de lecture et ses nombreuses couches de sous-texte (là aussi, la chose gagnera en plaisir de lecture à chaque nouvelle approche). C’est évidemment largement au-dessus du tout-venant super-héroïque, surtout à l’époque de sa publication et davantage encore au sein de l’univers partagé en question. Mais ça reste avant tout un travail de commande réservé à un public averti, venu à la fois pour lire du Alan Moore, et à la fois pour lire du Awesome. Disons que, pour ma part, je n’étais bien sûr pas venu pour le deuxième…
La BO : Sweet Smoke : DARKNESS TO LIGHT
Quand un chevelu-barbu sorti des vapeurs psychédéliques de la génération Hare Krishna déterre un super-héros de ses ténèbres pour le remettre dans la lumière…
Une synthèse effectuée avec maestria ! Je me suis ressorti quelques magazines Supreme de Panini afin de redécouvrir cette période 😉
Mazette ! Quel Article ! On est gâté cette semaine.
J’ai ces trois tomes en VO dans ma pile. je ne les ai pas encore lus mais j’avais lu les premiers épisodes en parution mensuelle à l’époque.
Pâle copie abâtardie de son Watchmen et du Dark Knight returns de Frank Miller : tu es encore trop gentil, j’aurai dit une version dégénérée au sens premier du terme, une version affaiblie, qui a perdu les qualités de l’originale.
Un super-héros premier degré, raconté au premier degré, et non un pastiche, une caricature ou un détournement : et ça, c’est très fort. C’est la marque de l’amour de l’auteur pour le genre lui-même et pour ses conventions les plus ridicules, allant des costumes moulants aux superpouvoirs.
Les épisodes vintage, pour commencer, […] à démontrer à quel point ils étaient ridicules, tout au moins dans la forme ! Nul doute que le scénariste sait que ces épisodes possédaient une profondeur mythologique indiscutable, mais qu’il y avait du boulot quant à la manière de la développer… – Et c’est là que le câblage de notre cerveau diffère : je me rends compte que je suis capable (sans effort conscient, il n’y a donc pas de mérite) d’apprécier la lecture d’une partie de vieux épisodes pour ce qu’ils sont. Je pense que pour se livrer à un tel exercice d’hommage et de À la manière de, il faut qu’Alan Moore ait également du respect pour ces œuvres, et prenne une forme de plaisir à leur lecture. Je pense que c’est le cas : c’est ce qu’il exprime dans In Pictopia (dessiné par Don Simpson), contenu dans le recueil Brighter than you think: Ten short works by Alan Moore. Il y professe un respect, une admiration et un amour de l’imaginaire enfantin.
Le résultat est donc souvent indigeste, principalement à la première lecture, alors que le lecteur n’a pas encore assimilé le concept du run Alan Mooresque. – Lorsque ces épisodes sont parus, le contexte éditorial de l’époque et les précédentes œuvres d’Alan Moore permettait de comprendre dès le départ le concept, sutout en repensant à Whatever happened to the man of tomorrow?
Évidemment, le docteur es-comics se régalera de reconnaitre toutes ces références cryptiques : je suis gêné que tu parles autant de moi dans cet article. 😀
Bram le berserk : j’ai tout de suite identifié l’énergie tesotstéronée de Stephen Platt dans cette une illustration.
Cette mini-série, fréquemment qualifiée de chef d’œuvre, bien que pas grand monde… Je pense que je n’ai lu que le premier épisode de ce récit, et je n’avais aucune idée que ce soit une histoire aussi ambitieuse. J’ai bien cru que la fin de ta phrase serait différente : bien que pas grand monde… n’ait lu cette histoire. 🙂
Ce que je retiens de ton commentaire (toujours bienveillant), c’est que tu n’as pas encore lu ces comics nioudidiou ! 😵
Je me joins à cet avis sur les pages vintage, qui relèvent pour moi du pastiche à l’humour taquin mais bienveillant et non de la méchante parodie, qui est à mon sens débordant d’amour pas tout à fait aveugle, surtout de la part de Veitch (je garde un souvenir ému de leur version Mad de Supreme), dans la lignée de 1963.
Des comics chroniqués dans cet article, je ne possède que 2 tomes VF de Supreme et le premier tome de Judgement Day. J’ai lu/survolé le tome 2 en ligne il y a quelques mois.
Je trouve que les dessins sont trop inégaux, avec des parties faibles vraiment peu agréables à lire. J’en avais dit deux mots dans mon article sur les transitions images/échos. À l’époque,sur certaines séquences, je m’étais dit « Punaise, ça aurait été tellement mieux, dessiné par d’autres ! » C’est principalement ce sentiment que je garde à propos de ces œuvres et qui ne m’incite pas à m’y replonger car j’anticipe que le plaisir de lecture ne sera pas là. Dans une approche un peu similaire, le SENTRY de Jenkins/Jae Lee and co me paraît autrement plus réussi.
Le début du run d’Alan Moore sur Supreme est dessiné par Joe Bennett. C’est du pur style Image 90’s et c’est purement abominable. C’est beaucoup plus soft au fur et à mesure qu’on avance dans le récit et que de nouveaux dessinateurs prennent le relais. L’air de rien, on a la transition entre les années 90 et les années 2000 qui prend forme sous nos yeux !
LA BO !!!!!
Bonjour Tornado. pas encore tout lu, mais du SWEET SMOKE pour attaquer la journée : Mille fois suprêmes mercis.
On adore à la casa.
cette critique vient à point nommée pour ma rappeler à quel point j’ai adoré le SUPREME d’Alan Moore, c’était la période où les auteurs creusaient le pourquoi du comment du super héros…
SUPREME est pour moi la matrice de tout ce que fera Moore sur la ligne ABC… surtout évidemment sur TOM STRONG dont c’est le prolongement sémantique.
comme le précise Tornado,Moore n’oublie pas de faire une intrigue au premier degré, sinon autant aller lire un ouvrage historique sur l’évolution du super héros comme je ne sais pas moi au hasard….MYTHES ET SUPER HEROS…
je ne suis pas tout à fait d’accord sur les intentions supposées de l’auteur par contre parce qu’il me semble avoir lu dans une interview quelque chose de bien plus nuancé…
il me semble que Moore aime vraiment les récits vintage et s’il leur réserve une ironie certaine, c’est la même que réserve parfois GOTLIB à certains de ses collègues (Druillet dans les rubrique à brac par exemple!) et il affichait pas mal de distance par rapport à son propre WATCHMEN (qui contenait déjà un récit vintage enchâssé dans le récit principal, tout comme MIACLE MAN…)
Quoi qu’il en soit, gràace à SUPERME j’ai appris à aimer SUPERMAN, rigolo non?
« Quoi qu’il en soit, gràace à SUPERME j’ai appris à aimer SUPERMAN, rigolo non? »
Pareil ici. Supreme est la tentative de Moore de distiller la substance de Superman, et ça marche. Comme je ne suis pas un érudit de DC, ça reste probablement la meilleure histoire de Supes, officiel ou de contrebande, que j’aie pu absorber jsuqu’ici.
Excellent article Tornado, pleins de vannes et de bons mots ! Et surtout qui résume parfaitement tout ce que Moore a fait de Supreme, un truc pas facile à résumer.
Pour ma part je n’avais jamais entendu parler ni de JUDGEMENT DAY ni de l’univers Awesome… j’apprends donc plein de choses. Je ne sais pas si Judgement Day est facilement trouvable et conformément à tes réticences, rien ne me donne vraiment envie. Comme je le disais hier, les parties dessinées de Supreme dans le style des années 90 fait tout de même très mal à mes yeux. Par contre j’avais été très étonné de certaines cases dans des épisodes à la mode ancienne, où par exemple un personnage se faisait une injection d’héroïne. J’ai pris en effet plus de plaisir à la seconde lecture, et tu me donnes envie de me lancer dans une troisième, que je pourrais prolonger avec le BLUE ROSE de Ellis…
Je te tire vraiment mon chapeau, et je me rends compte que j’ai donc déjà vu du Rick Veitch, mais pas en solo !
La BO : jamais été fan de ce disque (c’est Just a poke ?), c’est pas trop mon délire mais de temps en temps c’est cool.
Rick Veitch forever
http://www.brucetringale.com/detour-libre-cant-get-no/
http://www.brucetringale.com/de-loeuf-et-de-la-poule-the-maximortal/
http://www.brucetringale.com/surexploiter-brat-pack/
Cela a beau être du Moore…je n’ai pas envie de lire ce truc. Je suis allergique au graphisme des années 90.
Pour moi la BD est avant tout un art visuel. Un bon scénario ne fait pas tout c’est juste une plus value.
La BO : j’aime bien le rock psychédélique en général. Ce morceau de Sweet Smoke est sympa👍
« aussi fins et subtils qu’une enseigne lumineuse fluorescente pour devanture de boutique porno »
Je ricane comme un couillon, c’est bien résumé.
Bonsoir Tornado,
merci pour cet article qui me rappelle plein de souvenirs, d’une époque où je pense j’ai du acheter presque l’ensemble de la production Panini.
Cela fait quelques années maintenant que les 4 premiers albums de Panini sur SUPREME sont dans ma pile à relire et je n’y arrive pas. A l’époque je ne mesurais pas qui était Alan. Moore et maintenant que je le sais je bloque. Je bloque sur les parties datés et hommages au style des époques. Je vois les hommages, les caricatures mais cela m’ennuie. Et puis à force on a lu cela plein de fois. Mais j’ai me beaucoup ton analyse et que tu donnes clairement ton avis sans tomber dans la secte des Alan Moore The best Forever whatever he wrote.
J’avais acheté JUDGMENT DAY, que je ne possède plus, que pour Adam Pollina et Steve Skroce. Un jour si je tombe dessus d’occasion je craquerai à nouveau, c’est sur.
Je reste fasciné par ce passage des années 90 où des Images boy (Jim Lee, Rob Liefeld) ont réussi à attirer Alan Moore sur leurs personnages. Des alliances improbables, contre nature grâce aux quelles ont a eu la ligne ABC (PROMETHEA, TOM STRONG, TOP 10, 3 chefs d’oeuvres). Les comics c’est magique.
Merci Tornado. Pour une non docteur ès comics, tu fais quand même preuve d’une belle érudition.
Autant ce concept de réinterprétation et de citation m’avait enchanté pour TOP 10 autant là les clins d’oeil aux pulps et aux supes des années 30 ça va me faire fuir. C’est notamment la cause pour laquelle je n’ai jamais pu aller au delà d’un arc de Tom Strong.
Il se trouve que j’avais trouvé ce volume 2 de Suprême chez Delcourt. Ca coutait bien 50€ à l’époque et je pensais pouvoir tout lire et tout aimer de Moore. Hélas, je trouvais ce héros très moche, les dessins datés et surtout chiant. Je n’y comprenais rien, j’avais l’impression de lire une histoire dont j’avais loupé le début. Je l’ai ramené dans les 24 heures qui ont suivi mon achat.
Effectivement le pitch de départ évoque Sentry.
Au final de toute l’oeuvre d’Alan Moore je ne garde « qu’une » dizaine d’oeuvres que j’adore. Le reste c’est trop hermétique pour moi.
La BO : on dirait du Love non ?
Merci pour vos retours (retardataires ! 😀 ).
La première lecture de SUPREME est une expérience assez pénible. On ne comprend rien, c’est plutôt moche (ou daté), les personnages génériques sont absolument inintéressants. C’est du super-héros qui tâche pour les fans hardcore de super-héros 90’s.
A la seconde lecture par contre, une fois qu’on a déblayé le souk apparent et bien saisi le concept et les enjeux, qu’on s’est familiarisé avec le tout, c’est aussi jouissif qu’un tour de montagnes russes.
Les épisodes hommages au style de l’époque sont effectivement très ennuyeux et trop premier degré, ce qui me fait dire que Moore pense comme moi (que c’était pourri), ce qui ne l’empêche pas d’avoir de l’affection pour cette période candide, les dessins de Rick Veitch étant suffisamment jolis pour nous laisser feuilleter les pages sans être obligés de lire de telles purges. Et puis c’est passionnant de voir se succéder toutes ces périodes historiques or/EC Comics/argent/bronze etc. C’est très pédagogique et joyeusement bariolé.
La BO : Je n’avais pas une seconde songé à Love. Faudrait que réécoute Love avec cette idée en tête.
Sweet Smoke, c’est peut-être trop connoté hippie hare Krishna mais je suis fan de leurs trois albums. Je n’arrive pas à comprendre que Marvin Kaminovitz n’ait pas fait autre chose avec une telle voix et un tel jeu de guitare (que je trouve exceptionnel et reconnaissable entre mille). C’est fou de se dire qu’il y a des musiciens comme ça : Pourquoi John Densmore n’a jamais rien fait en dehors des Doors par exemple ? Pourquoi Carlos Santana a-t-il connu une carrière aussi extraordinaire après son groupe ? Pourquoi une telle différence entre des musiciens tous aussi doués les uns que les autres ? Mystère…
Moore pense comme moi (que c’était pourri), ce qui ne l’empêche pas d’avoir de l’affection pour cette période candide. – Je me demande si on ne pourrait pas envisager ça comme étant un créateur adulte qui regarde la production artistique d’un enfant : au regard de la sophistication des techniques de narration d’Alan Moore, c’est pourri, naïf, maladroit, et en même temps, il y a une forme d’admiration et d’envie pour cette imagination enthousiaste des enfants, dépourvue de cynisme ou de principes trop limitatifs.
« il y a une forme d’admiration et d’envie pour cette imagination enthousiaste des enfants, dépourvue de cynisme ou de principes trop limitatifs. » Exactement ce qu’énonce clairement et sans ambiguïté Morrison dans son FLEX MENTALLO.
Mais oui, ce n’est pas contradictoire (« pourri » mais en même temps charmant). Je n’ai pas de problème avec ça. Je m’agace souvent auprès de ceux qui essaient d’avancer que c’était mieux avant, alors que non, ce n’était pas mieux, même si c’était charmant…