Encyclopegeek : The New Warriors
Une rétrospective 90’s écrite par Eddy Vanleffe.
1ère publication le 28/03/19- MAJ le 06/07/23
VO Marvel
VF Semic (Kiosque) – Panini Omnibus
THE NEW WARRIORS est un comics Marvel publié de juillet 1990 à septembre 1996 aux USA et également en France grâce à SEMIC dans la revue Special Strange. Je recouvrirais uniquement les 53 premiers épisodes, soit le run de Fabian Nicieza avec les artistes Mark Bagley et Darick Robertson.
L’intégrale Panini regroupant les 10 premiers épisodes vient de sortir.
Connaissez vous un bon comics des années 90? Question piège s’il en est. Parce qu’entre toutes les décennies qui se se sont écoulées depuis l’existence des funny books, les années 90 sont sans doutes les plus honnies. Le pourquoi de la chose est assez ironique car il est vu uniquement du prisme du comics de super-héros, derrière les «cloneries» ou l’hypertrophie des muscles et la blancheur des sourires à 55 dents, ce fut finalement surtout l’avènement du comics indépendant. La naissance d’Image comics, celle de Valiant, l’essor du label Legend chez Dark Horse (Next Men de Byrne, Sin City de Miller, Hellboy de Mignola et Concrete de Paul Chadwick) transformèrent irrémédiablement la grammaire du genre. Bien sûr, beaucoup de titres furent superficiels et caricaturaux mais étaient-ils fondamentalement différents d’un truc comme Gwenpool?
Image, après des débuts très bas du front, redonna à Alan Moore un micro en état de marche, embaucha des Garth Ennis, Warren Ellis et Brian Bendis, bref prépara étape par étape le comics soi-disant supérieur des années 2000.
Bref, quand on parle de comics Marvel des années 90, on s’imagine des intrigues à la fois débiles et incompréhensibles (sic), des personnages musculeux dessinés par une armada de tâcherons essayant de singer le style de Jim Lee et de manière générale une esthétique sur laquelle il est de bon ton de cracher aujourd’hui.
Chez Marvel, les New Warriors sont même devenus les symboles involontaires de cette période ô combien douloureuse pour la firme. Ainsi l’équipe d’idéalistes engagés devinrent le temps d’une mini série, des putes à la solde de la télé-réalité avant de se transformer en Iphigénies sacrifiées dans Civil War, le crossover qui permit de remettre à flot le navire de la maison des idées durablement pendant la décennie suivante.
Pourtant relire le comics original des New Warriors en 2018 est une expérience incroyablement révélatrice de la profonde métamorphose qui s’est opérée dans la conception d’une nouvelle série de super héros depuis les années 90 et plus particulièrement chez Marvel.
Si aujourd’hui un auteur se fait connaître un peu sur son propre titre indépendant, passe chez Marvel pour obtenir une mutuelle santé, se refait les dents et repart chez Image pour être libre, les choses étaient bien différentes en 1990.
Les New Warriors sont une idée de Tom de Falco et Ron Frenz. Tom est alors rédacteur en chef de Marvel, il a dans l’idée que chaque décennie doit avoir son équipe d’adolescents, à même de capter l’air du temps et les préoccupations spécifiques de la génération du moment, afin de pouvoir renouveler le lectorat. Ne rigolez pas, cette idée donnera par la suite des trucs comme Young Avengers.
Pour son projet, Tom ne crée qu’une poignée de personnages gravitant autour de Night Thrasher une sorte de mash-up entre Batman et Punisher mais en noir, afin de mieux parler de diversité. Pour le reste il s’agit de piocher parmi les personnages ultra-secondaires du catalogue. Parmi lesquels:
Nova: Richard Rider membre d’une police militarisée de la planète Xandar. Pourvu de force, vol et rafales d’énergie.
Namorita: cousine du Prince des Mers: femme poisson
Speedball: Robbie Baldwin manipule des bulles d’énergie kinésique qui permettent de rebondir un peu n’importe où.
Firestar: Angelica Jones: mutante manipule les micro-ondes.
Marvel Boy: Vance Astrovic. Enfant battu destiné à devenir le Captain America du futur. Mutant télé-kinésiste
et enfin:
Silhouette: afro-sino-américaine paralysée qui peut phaser dans les ombres.
Tom a dans l’idée de leur donner une série après le galop d’essai sur Thor. Apparemment les retours furent assez positifs puisque la série débute peu après. Avec aux manettes deux débutants: Fabian Nicieza et Mark Bagley.
Le jeune scénariste d’origine argentine a rapidement une idée précise de ce qu’il veut faire. Les précédents sont nombreux. Frank Miller a remis en selle Daredevil, Jim Starlin a popularisé Captain Marvel, Chris Claremont a transformé le ver Mutant en un magnifique papillon, Marv Wolfman a relancé les Teen Titans et Alan Moore a fait rentrer le Swamp Thing dans la légende. Tous étaient au début de leurs carrières et tous ont eu carte blanche pour relancer des personnages moribonds. C’en est presque devenu une légende dans le milieu. Fabian est donc bien décidé à ne pas couler avec ces inconnus mais au contraire de démontrer à chaque bulle, chaque page, chaque épisode sa connaissance du monde Marvel et sa maîtrise du langage super-héroïque. La grammaire, il la connaît sur la bout des doigts et tout est bon pour réaliser le comics Marvel qui pourrait se faire remarquer par sa constante fiabilité.
Et c’est exactement ce que vont accomplir Fabian Nicieza et Mark Bagley qui ne cédera qu’une seule fois au fill-in en 25 épisodes (et c’est pour terminer un «double-sized anniversay issue»).
Le premier épisode est à ce titre une sorte de Curriculum Vitae condensé sur 22 pages de bande-dessinée. Il s’ agit de réintroduire 7 personnages, un ennemi et d’esquisser des enjeux propres à parler à cette nouvelle génération. Malin, Fabian va pourtant parsemer son récit de petits décalages propres à donner une autre saveur à une recette en passe de devenir déjà éculée.
Night Thrasher, dont le background est une imitation de Batman, est rapidement décrit comme un colérique incapable de se faire des amis. Sa fortune dont il néglige totalement la gestion-ce qui lui causera des soucis, on le verra- lui sert uniquement à financer les équipements pour sa croisade aveugle. Pourtant il est conscient contrairement aux autres archétypes auquel il emprunte, de ne pas pourvoir ni vouloir y parvenir tout seul. Il veut former une équipe et privé depuis toujours de sa famille, il décide s’inspirer des Quatre Fantastiques, le seul modèle qui s’impose à son esprit. Malheureusement rien ne va vraiment se passer comme il l’a prévu au départ.
C’est là l’humour de Nicieza, incarner un destin capricieux pour mieux divertir.
Thrasher va tour à tour prendre à rebrousse poil toutes ses recrues, en jetant Nova du haut d’un immeuble pour déclencher son pouvoir latent, en faisant irruption dans l’intimité de Firestar et en repêchant Marvel Boy juste après son éviction des Avengers par un Captain America condescendant de paternalisme. La présentation rapide des personnage a ceci de remarquable de replacer chacun sans aucun flashback là où le lecteurs les avaient éventuellement laissé. Firestar habite chez son père avec son fameux chat confident Pumkin, Nova est «réactivé» en une page justifiant le fait qu’on n’avait plus entendu parlé de lui depuis des lustres et Marvel Boy se retrouve aux prises avec le système de sécurité des Avengers, dont le lecteur imagine bien l’existence, mais que le connaisseur reconnaîtra pour l’avoir vu dans la célèbre saga UNDER SIEGE.
Et alors que le nouveau leader a bien de la peine à convaincre, à quelques centaines de mètres de là, la société Genetech étudie sur le terrain les radiations issues des combats entre super-humains afin de les étudier et d’en trouver des applications. La presse et certains manifestants s’inquiètent de la pollution occasionnée . Parmi les étudiants, Namorita la cousine de Namor le Prince des Mers est particulièrement sensibilisée aux causes écologiques et se montre sceptique. Ici le scénariste tout en restant fidèle au thème typiquement marvelien de la science sans conscience, fait un nouveau lien qui sera l’un des principaux fil rouge des New Warriors: la sensibilité écologique. L’expérience tourne court et ressuscite par mégarde Terrax, dont les cendres imprègnent le sol depuis son combat contre les Fantastic Four du run de John Byrne. Surgit de nulle part, Speedball qui veut juste échapper à ces parents et en profite pour sauter dans le premier combat venu.
En forme de clin-d’oeil à une création de Steve Ditko, Nicieza est bien décidé à faire de ce repoussoir éditorial, le spider-man des années 90, c’est à dire une boule bondissante d’altruisme et de maladresse. De son côté Night Thrasher trouve que ce serait bon de rôder sa nouvelle équipe et c’est dans ce joyeux foutoir super-héroïque vont se former presque malgré eux les New Warriors. En conclusion, après un combat rapidement expédié, mais malin. L’ironie du sort voudra que les seuls vraiment intéressés par l’offre de Thrasher sont ceux qu’il n’avait pas appelé. Les autres sont bien plus dubitatifs sur la question. La créature échappe donc déjà à son créateur. En 22 pages, Nicieza, replace sept personnages, leur contexte, le vie civile, leurs personnalités, leurs enjeux et une ligne de direction épousant l’air du temps.
Dès le deuxième épisode, il est plus que temps que de développer l’histoire personnelle de Night Thrasher en fouillant les squelettes de son placard. Alors que nous faisons plus ample connaissance avec ses deux tuteurs pas des plus affables Chord et Taï la gouvernante cambodgienne, un ennemi issu de son passé fait de nouveau parler de lui. Alors que d’habitude Thrasher semble toujours vouloir foncer dans le tas, il laisse son équipe le diriger. C’est ainsi que sont introduits Midnight’s Fire et Silhouette, deux jeunes issus des quartiers un peu ghettos de New York. Prétexte à effleurer des thèmes à cette période où le hip-hop connaît un nouvel âge d’or au cœur de la jeunesse de toute la planète. Comme dans n’importe quel groupe de Rock, le leadership semble peu à peu se morceler entre Night Thrasher le fondateur et Namorita bien plus douée malgré elle pour ce rôle.
En terme de narration, il adopte un style qui chez Marvel a fait ses preuves. A grand renfort de sublots à la Claremont, il avance ses pions comme sur un échiquier, pas pressé. Une simple enveloppe mis en évidence sur une commode peut annoncer une aventure dix épisodes plus loin et chaque personnage secondaire peut avoir un rôle dans la grande histoire que tisse l’artisan. Dans ses poupées russes, Fabian écrit des «histoirettes» qui introduisent en catimini une autre fresque plus imposante.
D’abord les New Warriors soupçonnent Genetech de traficoter les radiations pour fabriquer d’autres surhumains comme ces instables de Psionex, avant de s’interroger sur le fait qu’on puisse envoyer impunément nos déchets dans l’espace. Oui mais ça dérange personne sur la Lune, vous allez me dire. Ben si: les Inhumains qui vivent dessus à l’époque. Par la suite Projet Terre, une bande d’écoterroristes embrigadent la mère de Speedball, l’occasion cette fois de parler de la déforestation au Brésil. Après s’être pris pour Nicolas Hulot, voilà que le scénariste imite Sting.
A ce stade tout en alternant name dropping pour bien installer les Warriors dans l’univers Marvel et création de concepts propre à la série (Projet Terre ou Psionex), Fabian sait qu’il doit trouver une menace d’envergure pour donner une stature plus ambitieuse à son équipe.
Il choisit pour cela Le Sphinx où plutôt sa concubine qui en retrouvant le Kâ (la perle qui donne les pouvoirs à cette entité) possède le même pouvoir. Si cet ennemi de Marvel n’est pas le plus attrayant, il est néanmoins très puissant et son histoire décrite dans les Quatre Fantastiques se résume très vite surtout quand on le filtre à travers sa nouvelle itération. La nouvelle Sphinx réécrit tout simplement l’histoire.
Malin et ambitieux, Nicieza, écrit ici son propre crossover cosmique à grande portée en 66 pages, frais de port inclus. Le modèle est évidemment le Days of the Future past dont la première page est un remake.
Dans cette histoire qui pourra rappeler House of M (genre 15 ans plus tôt), le Sphinx a humilié Moïse et réécrit la balance des pouvoirs, ainsi par un truchement de circonstance, c’est le monde arabe qui a pris le pas sur l’occident, découvert L’Amérique, réduit les caucasiens en esclavage pendant des années avant de lever la sanction et de se rabattre sur les mutants.
Les Avengers de ce monde sont donc arabes, noirs ou égyptiens. Cette redistribution des cartes est à la fois convenue et hyper originale puisque la seule itération de ce genre dans toute l’histoire Marvel. Mention à Thor carrément remplacé par Horus ou à Storm qui donc n’a jamais été recrutée par Xavier mais bien par ces Nouveaux Avengers des Etats Unis d’Assyrie. L’ouverture récente a permis le recrutement de Nova qui doute malgré tout. Thrasher lui, vit donc une vie de rêve jusqu’au jour où ses parents aident les époux Richards eux-même taupes de la résistance. Ils vont donc enclencher toutes de séries de situations menant à la confrontation finale où La Sphinx paraît finalement bien plus tragique que vilaine.
Le petit jeu se termine très vite mais il démontre avec quelle aisance le scénariste et son dessinateur peuvent manier avec justesse de ton, une masse considérable de personnages. C’est pas un crossover qui leur fera donc peur.
Par la suite, le retour aux affaires se fera discret avec quelques épisodes mettant certains membres en lumière comme Firestar qui voit revenir ses anciens camarades du Club des Damnés, ou Namorita poursuivant un trafiquant des trésors atlantes. Marvel Boy et Nova se distinguent lors d’un nouveau combat contre Terrax qui amènera le jeune homme télépathe à sauver une femme sur le point d’accoucher. De quoi réconforter ce héros qui cache bien ses fêlures.
A ce stade, Le lecteur réalise que l’auteur s’est fendu d’une saga tranquillement planifiée sur vingt cinq petits chapitres dont chacun participe à l’élaboration d’une trame qui verra bientôt sa conclusion.
Il est temps de secouer les fondations. Fabian décide d’abattre ses cartes de manière brutale et pourtant annoncée. Il va détruire les vies de deux personnages de manière irrémédiable. Night Thrasher d’abord de façon évidente. Ce dernier découvre que son entreprise est en fait totalement corrompue par la faute de son tuteur Chord qui n’assume pas et préfère se mettre une balle dans la tête. Pire ce serait sa vieille gouvernante Taï qui l’aurait manipulé depuis son enfance. Il quitte alors l’équipe qu’il a fondée pour rejoindre le «Folding Circle», l’association de jeunes gens plutôt borderline qui ont le même parcours que lui. Ensemble, ils vont découvrir le secret de leurs passés.
De son côté, Vance-Marvel Boy- tue accidentellement son père en ripostant sous ses coups. C’est donc naturellement qu’on se dirige tout droit vers une saga en quatre parties: «Nothing but the Truth». En démolissant deux des pôles les plus importants du groupe, Nicieza joue vraiment sur l’instabilité des ces personnalités disparates. Marvel Boy, celui qui incarnait le super-héros parfait se retrouve sur le banc des accusés, tandis que Night Thrasher voit son histoire totalement remodelée. C’est encore l’occasion de jouer les cartes de l’univers partagé en faisant intervenir le débonnaire Foggy Nelson, le pote de Daredevil ainsi que Darkhawk et Rage deux autres seconds rôles pour remplacer les absents. La nouvelle équipe s’envole donc pour le Cambodge pour découvrir l’origine de cette histoire. Une secte garde donc un puits de pouvoir mystique connectés aux mêmes entités que celles que connaît bien le Docteur Strange. Ce puits distribue le pouvoir à ses gardiens en échange de sacrifices. Gourmands, ils veulent dévorer des enfants du monde entier. Un pacte est alors scellé: le pouvoir contre des bébés représentant le monde seuls à même de maîtriser le pouvoir du puits. C’est à ce moment là que choisissent une poignée de GI américains perdus en pleine jungle pendant le conflit Vietnamien, pour accoster le temple de la secte. Ils se verront obligés de consommer une union avec les filles de la dernière Prêtresse.
Révélations en cascades, parfois un peu perchées mais s’imbriquant de manière à la fois naturelle et implacable. Chacun à leur façon, Marvel Boy et Night Thrasher vont devoir faire l’expérience du choix cornélien, donner la mort ou pas et faire face aux conséquences de ce choix. La morale devient soudainement plus floue aux contours. Cette génération de héros part la fleur au fusil et revient étrangement bredouille. Pas de discours méta mais bel et bien un constat défaitiste sur l’héroïsme. Un discours qui ne peut être mis en scène que depuis Watchmen. Ou comment, sous toutes les formes, ce pavé hante chaque page de chaque récit.
Si les vingt cinq premiers épisodes pourraient parfaitement conclure, une saga équilibrée, nous savons parfaitement que les comics ne se terminent jamais. Fabian Nicieza dit alors adieu à Mark Bagley, et accueille un nouvel inconnu, enfin jusque là: Darick Robertson (THE BOYS).
Le tournant se fera donc à partir de là, de plus en plus sombre et amer. La mise en scène plus spectaculaire et aussi plus dramatique le travail sur les expressions du visage primant sur la narration invisible propre à l’artiste précédent. Cela sied au scénariste qui va de toute façon, boxer sans pitié ses personnages et voir à quel round ils vont bien finir par s’écrouler.
D’abord, débarrassé de Night Thrasher qui se repose nerveusement, ils vont se croire très malins d’intervenir dans un conflit en Amérique Latine, un conflit où ils ne comprennent pas grand chose et d’où ils sortent humiliés. Déjà le spectre médiatique point le bout de son nez, puisque c’est dans un talk show et dans un tribunal militaire qu’ils devront justifier de leurs actes. C’est totalement dépités qu’ils rentrent à la maison. Quelle est la place de l’idéal dans un monde dont la crudité de la réalité rattrape chaque jour les costumes un peu plus?
Une dernière fois Fabian fera montre de sa connaissance fine du monde Marvel en refabriquant un crossover auto contenu mettant en scène des guests aussi prestigieux que Spider-Man, la Chose (désormais habitué à hanter ces pages…) et la Cape et L’épée, en les plaçant directement au centre d’un thriller autour de l’énergie noire. Un jeune mutant perturbé dans un asile possède donc un pouvoir qui va entraîner tous ceux qui manipulent cette forme d’énergie. Ce jeune home va devenir Darkling pour une dernière once de légèreté dans une série qui va progressivement s’enfoncer dans une sorte de défaitisme un peu contraire aux premières intentions qui étaient quand même de mettre en valeur la relève du monde Marvel.
Des anciens ennemis de Night Thrasher, de la pègre qu’il combattait à ses débuts, s’infiltrent chez Namorita et obtiennent les identités secrètes de toutes l’équipe. Alors le cauchemar souvent formulé du super héros qui prétend protéger ses proches en mettant un masque devient réalité.
Meurtres, mutilations, tortures et chantage font irruption dans la vie des familles de nos adolescents. C’est un peu le Mutant Massacre de la série.
En Amérique, le comics code authority a créé un monde de publications très balisé entre ce qui est mature ou pas. Certains labels comme Vertigo chez DC se sont affranchis de ces limites pour pouvoir écrire d’autres types d’histoires, mais ici, on a préféré les contourner.
Non, pas de «fuck» ou de tétons pour montrer qu’on est un rebelle. Non sans prévenir, une mamie se fait shooter chez elle au bazooka, un petit frère se fait trancher un doigt, un père lui est enlevé à sa fille unique. Encore une fois, le crime, la réalité vient démontrer qu’on ne devient pas héros qu’avec de bonnes intentions, que des gamins restent des gamins. La délivrance se fera une nouvelle fois au détriment d’un ultime pétale d’innocence au gré d’un vent mauvais.
Blessés, meurtris, Nicieza ne semble pas laisser à ses personnages le moindre atome de répit. Il semble avoir franchi ce Rubicon invisible qui sépare les genres, puisque la violence loin d’être gratuite, se base sur une réflexion pessimiste à propos d’une décennie où guerres des Balkans, Irak, Couche d’Ozone et soudaine mise en lumière des ghettos par le hip-hop vient souvent flanquer des taches de boues, sur la réussite illusoire de nos sociétés policées.
L’arc contre le gang des poisons (même pas des super vilains en armures et cartouchières flashy), marquera une césure dans le ton de la série. Fini l’aspect léger, le grimm and gritty a repris le dessus, époque oblige sans doute.
Nova, de son coté, ressuscite Xandar, la planète du Nova-corps pour en devenir l’unique gardien, l’occasion pour se relancer une nouvelle série à son nom.
Et puis Marvel Boy sort de prison pour bonne conduite, mais un comité d ‘accueil hostile aux mutants l’attend. Lorsqu’il tente de parlementer, il aperçoit la femme enceinte qu’il avait sauvé bien des années avant. Il apprend que l’enfant est gravement malade irradié sans doute par l’énergie du combat et de la radio-activité du terrain. Mortifié de comprendre qu’un de ses rares fait de gloire s’est mué en nouvel échec, le jeune garçon se fait récupérer par les Parvenus.
Les Parvenus sont des vilains typiques aux années 90. Une sorte de club qui consiste à relever des défis idiots dans une sorte de compétition du crime. Rétrospectivement, je ne trouve pas cette idée si stupide que ça. Nous avons eu notre quota de tyrans, de dictateurs, de psychopathes, c’est assez original d’avoir une poignée de vilains riches qui s’emmerdent comme des rats et qui s’organisent des petits jeux stériles et malveillants. On peut même voir ça comme une lubie de l’époque. Cette histoire sera d’ailleurs le prétexte pour organiser un petit crossover avec X-Force, l’autre titre fétiche de Fabian. Les deux bandes de jeunes comparent alors leurs plaies tandis que les Warriors voient le retour définitif de Marvel Boy, renommé Justice et de Namorita transformée en poiscaille. Elle et Rick vont enfin se rouler une pelle marine assez dantesque, eux qui sont pour rester dans les références 90, les Ross et Rachel de la série.
Malgré tout, on sens poindre la fatigue, Darick Robertson ne tient pas le même cadence que son prédécesseur, et il y a pas mal de fill-ins. Nicieza décide donc d’organiser une dernière grande saga/crossover/final pour le numéro anniversaire 50. Pour que la fête soit complète, c’est la femme du Sphinx qui revient se venger, dispersant les New warrriors à travers le temps. Et pendant que tout ce que la série a compté de guests de puis le début se rassemblent pour retrouver l’équipe d’origine. Night Thrasher retrouve le temps de l’esclavage et leurs lynchages. Firestar elle affrontent l’ire populaire à Salem. Justice a une nouvelle fois un traitement de faveur. Il revoit la jeunesse de son père. Lui aussi devait affronter un père réactionnaire. En effet celui-ci refusant son homosexualité, ordonna à son fils de faire un choix. Il était chassé ou rentrait dans le rang. Obéir lui donc coûté sa vie, son identité et ce malheur se transforma en violence lorsque Vance devint à son tour un mutant ne rêvant que d’assumer ce qu’il était. Découvrant le douloureux secret de son passé, le héros pardonne à son père.
Totalement écrit en embuscade rien ne vous prépare à cette révélation, d’autant qu’elle s’avère minime, pour un impact maximum. Le monde du comics mainstream opérait sa métamorphose après des années d’omerta. On pourrait même y voir une sorte de commentaire méta sur les années «No gay rule» de Marvel des années 80. Un secret du passé, resurgissant pour mieux appuyer sur l’effet nocif d’un silence hypocrite. Hélas, l’interaction entre les personnages, ce qui fonctionne le mieux dans la série, n’est que peu présente, effacée par cette structure narrative séparant les protagonistes. À la place, nous observons le sauvetage des héros par une sorte d’équipe bis formée autour de Darkhawk, Turbo, l’Épée et d’autres bêtes de concours. Noyée sous la masse, la conclusion peine à être saisissante. Fabian Nicieza se penchera après ce rendez-vous manqué une dernière fois sur vilains de Psionex qui à leur tour font l’expérience du deuil à leur manière. Le scénariste argentin quitte donc son bébé au numéro 53, avant de se ridiculiser laissant à Evan Schlonick et à Patrick Zircher le soin de conclure la série pendant la vingtaine d’épisodes restant.
Alors que dire de cette série qui avait l’ambition d’incarner la dernière décennie du 20e siècle chez Marvel? A-t-elle réussi son pari?
Et bien pour le meilleur et le pire, sans doute. Le fait qu’elle ait été écartée et chassée de l’inconscient collectif Marvel, en est presque une preuve en soi. Ces 90 honnies, cette période noire et honteuse qui avait vu la bulle spéculative exploser et Marvel presque mettre la clef sous la porte, sont porteurs d’une douloureuse mémoire que l’initiative Heroes Return n’a pas suffi à effacer. Il aura fallu Joe Quesada, ses Marvel Knights et ses Ultimates pour oser ressortir un comics Marvel de son sac en public sans rougir.
Et pourtant. Lorsque Fabian Nicieza accepte d’écrire les NEW WARRIORS, il en est à son tout début de carrière. A peine un an plus tard, on lui confie d’aider Rob Liefeld et de reprendre X-FORCE, un titre qui vient monter très haut dans le classement. Encore six mois et la maison des idées lui confiera les clés de la série X-MEN des mains même de Jim Lee, le Midas de l’époque, tandis que Mark Bagley sera promu sur AMAZING SPIDER-MAN. Il est ainsi à la tête de la plus grosse franchise commerciale de son temps. Sans jamais céder à la facilité en faisant apparaître Wolverine partout, il continue d’écrire ses Warriors comme une récré entre deux labeurs plus contraignants. Le résultat? Night Thrasher aura droit à une mini série, puis à une régulière et Nova bénéficiera de même traitement. Ce qui n’aurait pu être qu’une simple parenthèse devient une petite franchise à part entière. Loin de s’éteindre, l’idée de créer une équipe de jeunes incarnant son époque est même devenu une tradition qu’ont perpétué chacun leurs tours les RUNNAWAYS dans les années 2000 et les CHAMPIONS version «united colors of Beneton» actuellement. On verra donc lequel aura le meilleur destin à travers les années.
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La Hype c’est de flinguer tous les comics Marvel des 90’s au profit des années Quesada. Seul contre tous, Eddy Van Leffe se dresse pour vanter une série audacieuse, violente et impitoyable : Les New Warriors de Fabian Nicieza. Une encyclopegeek à retrouver chez Bruce Lit.
Notre BO du jour, un retour en cette année 1991, pour dire que les années 90, c’est pas seulement le rap, le grunge ou la dream music.
Kaori, l’épisode que tu évoques avec le jeune Vance et le vieux, c’est un numéro de Marvel Two in One (les teamups de la Chose), et il a été publié dans Spécial Strange 46.
Ah merci !!! J’avais complètement occulté le rôle de la Chose… J’aimais bien les Team-up, ça permettait de découvrir d’autres héros que je ne suivais pas, ou de retrouver des connaissances, et même confronter des personnalités qui n’allaient pas vraiment bien ensemble. C’est comme ça que j’ai découvert The Punisher.
Comme toujours, merci pour la culture, Eddy ! Je ne lirai sans doute jamais ça, surtout que je ne suis pas du tout client de ce genre de comics en fait… Surtout quand je vois les dessins ! Mais au moins j’aurai appris plein de choses, comme quoi le grim and gritty ne s’arrête pas à Vertigo ou Image. J’ai bien aimé tes explications sur le travail du scénariste, de longue haleine et réfléchi.
La BO : effectivement, c’était le mélange du rap (basé sur la disco et le funk) et du rock. Ce titre restera un classique et le clip est sympa.
en fait grim and gritty ne s’applique qu’aux super héros sinon on dit adulte ou mature…
Jyrille, je réalise que je te dois une réponse un peu plus développée ^^
voilà un résumé de ce qu’on peut lire un peu partout.
Tout commence-ou finit c’est selon- avec Watchmen et Dark Knight retruns. cle succès massif de ces oeuvres propulse le super héros dans une nouvelle sphère, plus violente et plus noire. il se dit qu’elles ont même respectivement enterré et fait l’élégie du genre.
mais rapidement, les éditeurs s’adaptent en commandant tout d’abord La mort de Jean Dewolff ou Kraven’s last Hunt chez Spider-Man. Les vannes étaient ouvertes et ce qui aurait pu rester une « anomalie éditoriale » devint une mode avec la popularisation des Ghost Rider, Wolverine, Punisher etc… le tout mena à la fondation d’Image.
Frank Miller pris ses distances avec le mainstream et Alan Moore rejeta en bloc toute parenté avec les comics qui se réclamaient de son magnum opus. il en prit même le contrepied et voulant revenir à une certaine forme de folie douce. il reprend Suprême de Rob Liefeld et quitte à en faire un pastiche de Superman, il lui rend son lustre du silver age en lui rendant son chien, ses cousins, ses ennemis WTF, le tout noyé dans les paradoxes temporels, les versions loufoques etc…
d’où vint l’expression du grim and gritty? de cette manie de faire grimacer de manière menaçante des héros mal rasés,
la caricature devenant ces archétypes de héros hypertrophiés, balafrés, négligés faisant la gueule en guise de personages torturés…
Je trouve qu’on a beau se moquer de cette tendance, on en n’est jamais vraiment sorti…
les alternatives sont aujourdhui dans le méta (Deadpool, Nextwave), un retour à l’innocence (Le Daredevil de Mark Waid), un contenu sur la diversité(Miss Marvel ou Batgirl ou les Chamions) où une sorte de retour au silver age comme chez Morrisson ou Goeff Johns.
Grim and gritty est assez péjorative mais il faut bien avouer qu’il en existe aussi du très bon comme à Wildstorm,
Alors ça n’a presque rien à voir mais je le mets ici parce que ça parle du film THE WARRIORS de Walter Hill, et que je trouve l’article excellent : https://www.chacuncherchesonfilm.fr/actualites/351-retour-sur-the-warriors?fbclid=IwAR102VEbpatfIQ43NP7roz8QDSFXuC7_FlGEQtb7Dm04XIhsB3m3ik92BPI
Je me demande qui l’a vu. Bruce ? Tornado ? Mattie ? Je l’ai revu récemment et c’est toujours un sacré film même si évidemment certaines choses ont bien vieilli (les bastons notamment).
Alors merci pour les précisions Eddy, tu as raison, cela ne s’applique qu’à du super… Tu parles de Supreme, j’ai adoré (et même relu) cette bd qui, sous la plume de Ellis, est devenu incroyablement élaborée avec Supreme Blue Rose (magnifique article de Présence – un de mes préférés du sieur – ici-même sur le site).
J’en garde un magnifique SOUVENIR, merci !!
Excellent article, même si on y parle surtout de Nicieza sur les scénarii, et quid de Mark Bagley et de son influence sur les intrigues ? On retrouve en effet en filigrane nombre d’éléments qui seront mis en scéne dans les « Thunderbolts » pourtant écrits, dans un premier temps, par Kurt Busiek : le héros « fana des héros Marvel » (Marvel Boy dans New Warriors, Jolt dans Thunderbolts), l’amour qui se développe rapidement entre deux membres du groupe (Marvel Boy/Firestar et Mach 1/Songbird), le binôme masculin qui doit quitter l’équipe car accusé de meurtre (Marvel Boy et Mach-1), et le leader assez tyrannique (Night Fighter et Zemo). Je dois ajouter que je trouve tous ces points mieux agencés dans Thunderbolts que dans New Warriors, dont j’étais déjà fan.
J’ai trouvé l’après-Bagley totalement déprimant et donc inintéressant, alors même que je trouvais que l’équipe Nicieza/Bagley trouvait un équilibre parfait entre drame et légèreté.
Encore une fois, je trouve que Fabian Nicieza a utilisé l’expérience de ce qu’il ne fallait pas faire sur New Warriors, pour en trouver le parfait achèvement dans Thunderbolts, mais c’est peut-être juste mon impression. 🙂
On pourrait même parler de parcours inversé : les Thunderbolts de Busiek et Nicieza sont des adultes qui retrouvent un idéalisme, les New Warriors sont de jeunes adultes qui perdent peu à peu leurs illusions. Mais les Thunderbolts de Nicieza reprennent également plusieurs éléments de ses New Warriors : je pense à l’influence du CSA ou encore au personnage de Cardinal qui va intégrer l’équipe des Thunderbolts d’Hawkeye.
D’ailleurs, les Thunderbolts voient passer non seulement Bagley mais également Zircher qui avait illustré la dernière période des New Warriors
Bonjour,
Merci pour votre commentaire.
J’avoue ne pas connaitre à fond les coulisses de créations des New Warriors et je n’ai jamais pris connaissance de l’implication de Mark Bagley aux scénarios, à part le fait qu’ils devaient fonctionner selon la « méthode Marvel » et donc laisser une certaine autonomie à l’artiste.
Oui la série possède deux cycles assez distincts avec d’un coté une parti Bagley qui trousse une histoire vraiment sympa autour des origines de Night Thrasher et une seconde sur la « gueule de bois super héroïque » et la désillusions de ces jeunes adultes idéalistes.
J’aime les deux. j’aime aussi les deux artistes d’ailleurs au passage.
Bien joué pour le parallèle avec les Thuderbolts auquel je n’aurais pas pensé…(même si évident) Je connais mal cette dernière et compte bien me rattraper avec le prochain Omnibus de la fin d’année.