Cet été là par Jillian et Mariko Tamaki
1ère publication le 25/07/16- Mise à jour le 29/08/17 puis le 27/07/20
Un article de BRUCE LIT
VO : First Second
VF : Rue de sèvres
Traduit dans nos contrées sous le titre Cet été là, This one summer est un roman graphique écrit par Mariko Tamaki et dessiné par Jillian Tamaki. Après Skim, il s’agit de la deuxième collaboration entre ces deux cousines canadiennes. Une collaboration portées aux nues par l’intelligentsia du circuit indépendant comme Craig Thompson ou Vera Brogsol.
Je vous invite à lire une autre critique remarquable de cet album sur un blog découvert à l’occasion: Due 9
Quelques spoilers mineurs viendront s’échouer sur les rivages de cet article. Ils seront si doux que vous n’en soupçonnerez même pas l’existence !
Dans la famille, je-veux-du roman-graphique-pas-trop snob-avec-de-vrais-êtres-humains-à-l’intérieur, je demande Cet été là !
Comme chaque année depuis son enfance, Rose, 13 ans, vient en vacances avec ses parents dans la petite station balnéaire de Awago. Dans ce trou paumé avec une épicerie et une pizzeria pour seuls commerces, elle retrouve son amie Windie, 11 ans, petite fille adoptée rigolote et boulotte.
Pourtant, cet été là, une chaîne d’événements imprévus vont venir bousculer la routine estivale de Rose et ses parents.
Je vous avertis/rassure tout de suite : ces événements n’ont rien de fantastique (Black Hole de Burns) ou de tragique (pas de viols, de meurtres ou d’inceste : Comment j’ai tué Pierre). Notre récit a pour cadre la normalité et la routine de l’existence. Est-ce à dire que Cet été là est ennuyeux ? Et bien non, et ce n’est pas le moindre mérite des Takami que de pondre une histoire sur la vie paisible sans faire bailler son lecteur. Il s’agit de la chronique douce amère de l’été d’une jeune fille profondément attachante qui réveillera en vous un nombre de sensations oubliées.
Cet été là, c’est d’abord un humour subtil associé à une infinie délicatesse dans la description dans la vie dans un petit camping américain. Ne serait-ce que pour nous éviter la beauferie 100% matière grasse de Dubosc, une génuflexion respectueuse s’impose devant les cousines Tamaki.
La séquence la plus réussie reste indéniablement lorsque les deux copines se demandent qu’est ce qu’une salope (« Slut »). Là dessus entre le père de Rose qui lui interdit de prononcer ce mot. L’ado s’éloigne alors en faisant claquer ses tongs tout en onomatopées : « slut », « slut », « slut » ! Irrésistible !
Tout comme cette séquence où Rose et Windie font croire à leur mamie un peu sourde et miro qu’ils regardent un film de camping alors qu’il s’agit en fait de Vendredi 13 !
Si Rose et Windie se servent d’Internet, de portables et toute la quincaillerie new age, la BD parlera d’avantage aux gamins des années 80, ceux des vidéo- clubs. Car toute une partie du récit leur est adressée. Pour tromper leur ennui, les gamines s’amusent à louer des films d’horreur qui les fascinent et les révulsent à la fois : Vendredi 13, Jaws, ou la saga des Freddy sont les seuls films que peuvent s’offrir deux nénettes dans un trou perdu des Etats-Unis.
C’est aussi inconsciemment, un voyage imaginaire au pays de la jeunesse des parents. Et Cet été là joue à merveille la partition de la complicité entre une jeune adolescente et son père faîte de respect, de tendresse et d’humour.
Inversement, Rose entre dans un grave conflit avec sa mère victime d’accès dépressif dont le mystère n’est dévoilé qu’en toute fin du récit. Tout à coup, cette femme murée dans sa souffrance, une souffrance qui la rend antipathique, apathique et incomprise aux yeux de sa fille, devient un exemple de dignité terriblement émouvante. La preuve par mille que derrière toute attitude désagréable se cache un symptôme qu’amour, patience et empathie peuvent décrypter.
Les cousines Tamaki abordent ainsi par petites touches de petits drames qui ne pèsent rien à l’échelle mondiale mais capables de gâcher des vacances : une grossesse non désirée, un géniteur qui se défile, une fausse couche. En fait tous les symboles de la naissance ou de la renaissance. Et tout ça, sans l’ombre d’un cliché.
Rose, est une brave môme attachée à son père qui conçoit ses vacances sans forcément vouloir boire, baiser ou sniffer. Ce n’est pas non plus une puritaine obsédée puisque on sent que par moment l’appel hormonal résonne au loin. Et qu’au détour de conversation avec Windie, on aborde quand même la taille des seins qui ne veulent pas pousser et l’intérêt du sexe oral.
Rose, c’est simplement une jolie gamine, bien dans ses tongs qui ne cherche rien de mieux que marcher au soleil couchant avec son père pendant que sa mère pleure, qu’à sentir le poids de son corps se dissoudre dans l’océan, dessiner en silence tandis que sa boulotte de copine se déchaîne devant elle, un très beau moment d’art séquentiel où la justesse des expressions faciales et corporelles m’ont paralysé, ce qui ne m’arrive que très rarement !
Comment font’elles ces Tanaki ? A chaque fois que l’on se croit en terrain connu, elles arrivent à déminer le terrain des stéréotypes avec une grâce admirable : la jolie maigre et la boulotte un peu fofolle évoquent un couple comique façon Laurel et Hardy ? Oui, mais la plus maline n’est pas celle que l’on croit et un incident presque imperceptible viendra plomber leur amitié. Avant que l’insouciance ne reprenne ses droits !
Nos amies enquêtent sur un petit mystère local ? Celui-ci ne se résoudra sans effusion de sang mais avec un zeste de suspense qui viendra perturber la vie paisible d’Awago.
Car mine de rien, Cet été là propose un beau voyage immobile : on y visite brièvement une petite réserve indienne, on y mange quelques barbecues, mais surtout on profite des silences d’une jeune fille qui observe le monde autour d’elle, s’interroge sur ses propres réactions et réalise que cet été là marque peut-être la fin de son enfance. Sans drame. Sans larme. Sans amertume. Juste une résignation emplie de quiétude.
Vous l’avez compris, c’est un coup de foudre que cet amour de vacances qui sent bon les cigales, le rire lointain d’une partie de pétanque, le plaisir du sable chaud sous un pied nu et les cheveux séchés par le sel de mer. Les Tamaki viennent ni plus ni moins d’écrire leur Blankets au soleil. Et comme les vacances, j’aurais souhaité ne jamais finir cette histoire ! Il faut pourtant se quitter, peut-être pour toujours, oublier cette plage Encore un dernier baiser ?
Et c’est naturellement ici que je remercie du fond du coeur Manue Pichu pour ce beau cadeau. Comme l’eut dit Vador : You were right about me !
Hum que dire à part que tu nous l’a fort bien vendu ? Quand l’intime rejoint l’universel… Bref je vais tacher de me procurer cette BD (vive l’indé et merci à toi !).
Je l’ai déjà aperçu en médiathèque et j’en avais lu du bien sur des sites VO. Bon, plus le choix, faudra que je le lise 😉 !
ça a l’air bien.
Après je suis rarement fan de ce genre d’histoire à cause de son côté trop proche du réel. C’est un sentiment purement subjectif. Comme je l’ai déjà dit, Daytripper qui abordait certains passages de la vie et ses difficultés m’a fichu le cafard. Je sais que tu n’as pas aimé Bruce, mais était-ce à cause de ce côté déprimant ou simplement que ça ne t’a pas touché ?
Parce que finalement si je reste à l’écart de ce genre de récit, c’est parce que, comme tu le dis, ça peut nous rappeler des souvenirs. Mais pas forcément bons selon notre vécu. Tout ce qui titille une nostalgie, un passé très proche du réel…je me méfie. Je ne sais pas si c’est vraiment universel comme thème. On peut parfois avoir l’impression que les problèmes relevant du vécu des auteurs sont trop éloignés des nôtres ou peuvent paraître dérisoires (même si rien n’est dérisoire bien sûr…mais ça dépend de la sensibilité de chacun)
Ce que je trouve intéressant cela dit dans ton article c’est cette façon de présenter la manière que ces filles peuvent avoir de concevoir leurs vacances, leur temps libre. Et sans jugement. Combien de fois m’a-t-on emmerdé à me dire que j’étais coincé et solitaire parce que j’allais pas en boite de nuit…alors que j’ai en horreur les bringues ultra bruyantes et que je ne vois pas en quoi ça ferait de moi un mec bizarre. J’apprécie la compagnie, mais je préfère largement une soirée ciné peinard avec quelques amis plutôt qu’une orgie de son et lumière avec 50 personnes.
Je n’ai aimé ni DayTripper et Deux Frères car je trouvais ça un peu prétentieux et inabouti.
J’aimais bien les discothèques, mais rock et seulement rock… Comme toi, j’étais très timide et nullissime avec les filles. personnellement, sortir en groupes je détestais ça, les soirées étudiantes c’était horrible aussi. je me rappelle qu’à l’une d’elle je m’étais ennuyé, consterné de voir des gamins prendre des drogues. l’un d’eux était en train de se noyer…dans ses pâtes…Je préféreais être bien chez moi avec un bouquin, mes disques et mon frangin…
Plus tard, la guitare sur la plage m’a permis de créer un pont avec les autres. Aujourd’hui ça va plutôt mieux, c’est le blog . je garde des campings et hôtels de vacances des souvenirs….sociologiques et beaucoup de tendresse avec ma famille.
Ah ça j’ai toujours trouvé que les musiciens avaient un avantage pour créer des « ponts » comme tu dis avec les autres. C’est pas en dessinant dans ton bureau que tu crées des ponts…alors qu’en jouant d’un instrument à des soirées, c’est différent. D’ailleurs j’étais un peu jaloux quand un mec se mettait à jouer de la guitare (souvent une guitare, c’est moins simple de ramener un piano en soirée) et que tout le monde le félicitait, voire une fille qui lui faisait les yeux doux.
On n’a pas forcément une passion qui colle avec la sociabilité.
« On n’a pas forcément une passion qui colle avec la sociabilité. »
C’est joliment dit !
A part le fait qu’il vaut mieux utiliser ses deux mains pour tenir le livre et tourner les pages, la lecture, c’est un peu l’autre plaisir solitaire…
Avant Internet, je n’avais jamais croisé de lecteurs de comics avec lesquels sympathiser. Parfois, on lisait les mêmes séries mais on en avait quasiment jamais la même lecture… De plus, « quand j’étais jeune », je devais être moins ouvert d’esprit (si, si…).
Merci beaucoup pour cette présentation. Comme JP, j’en ai beaucoup entendu parler en bien et ça fait un petit moment -plus d’un an) qu’il est dans ma liste d’achats potentiels. Je passe qu’il va remonter dans la liste.
Je ne connaissais pas du tout mais ça a l’air bien ! On sent que tu as eu le coup de foudre. Cela me rappelle d’autres bds dans le genre que je vous conseille : Celle que, en trois volumes ou une intégrale, par Vanyda (http://www.bedetheque.com/BD-Celle-que-Tome-1-Celle-que-je-ne-suis-pas-73747.html), Same Difference par Derek Kirk Kim (http://www.bedetheque.com/serie-10053-BD-Same-difference.html) et les bds de Adrian Tomine en général, mais sans doute en moins cynique. Le trait fait fortement penser à du Craig Thompson.
C’est marrant que tu découvres du9 seulement maintenant, c’est une mine d’informations avec de très chouettes chroniques. Mais comme celle que tu as mises en lien, je les trouve souvent trop théoriques voire un peu prétentieux, mais cela dépend des auteurs. Il faut surtout éviter Jessie Bi, mais s’il dit parfois des choses très belles.
@Matt : ce qui a flingué mon adolescence, c’est la fête….Bon dieu, j’ai horreur de ça : les chorégraphies aliénantes, le disco, le funk et le rap pour un morceau de Queen…..seule concession rock de la soirée, les gens qui parlent fort et se forcement à rigoler, qu’est ce que ça me déprimait. Mais pour faire la fête, il faut choisir et aimer les gens avec qui l’on est, c’est un dévoilement intime quoi…..Fraction sur Iron Man est ok. Mais j’ai revenud car la deuxième lecture ne m’apportait rien de plus.
@JP, avant Internet je n’aurai jamais pensé lire autre chose que les Xmen de ma vie, Steve Dillon était un grand dessinateur à mes yeux, le Punisher une série de beaufs et j’ignorais l’existence de tellement d’auteurs que c’en est embarrassant….
@Cyrille: à mon grand dam, je n’ai que très peu de temps de lire d’autres blog : un peu comixity, celui de Sonia et Patrick et Nikolavitch.
@Omacspyder : merci, très joli compliment. Cette plongée dans la douceur et la tendresse m’a fait un bien fou.
Grâce à la gentillesse d’un certain Bruce L., j’ai eu l’occasion de lire One Summer. L’honnêteté me contraint à avouer que l’article de Bruce s’avère un peu trompeur. Il n’est pas assez dithyrambique. Ces 2 cousines réalisent un récit de petits riens, évitent l’écueil du mélo larmoyant, transcrivent les émotions d’une adolescente normale, ont su digérer des influences manga et les utiliser avec intelligence. Le résultat est un récit exceptionnel de justesse, faisant ressentir l’état d’esprit de Rose, sans mièvrerie ni explications pataudes, montrant le monde étrange et merveilleux, mais aussi incompréhensible et sans queue ni tête des adultes. Ce récit mérite amplement toutes les louanges dont il a fait l’objet. Merci pour cette découverte, Bruce.
Ca me branche bien aussi et j’ai tellement Souchon dans la tronche quand je je lis ton papier, Bruce, que j’ai envie de poster ça:https://www.youtube.com/watch?v=V65-n6qNMaY
C’est une très chouette reprise Lone, entre Souchon et Taxi Girl. Je connaissais pas. Mais je vois pas le rapport avec l’article (ou alors mon cerveau est en jachère pour le biberon de 3h00) !
Julian et Mariko TAMAKI sont de retour avec NEW YORK, NEW YORK !!!!
Actuellement en vente dans les meilleurs librairies, toujours chez Rue de Sèvres.
Julian TAMAKI sera normalement présent au festival d’Angoulême dans le cadre des animations sur la bd au Canada (mais triste pas de Michel Rabagliati pour PAUL)