Interview Phil Cordier
Propos recueillis par PRESENCE
Aujourd’hui le site Bruce Lit reçoit un expert en comics et en encrage, cette phase cachée et souvent ignorée de la production des comics, mais aussi des bandes dessinées. Phil Cordier est un passionné de bandes dessinées (et d’encrage) qui a collaboré au prozine SCARCE depuis le début des années 2000, qui a initié son propre blog en 2008, et qui a publié plusieurs ouvrages spécialisés.
Un rapide coup d’œil à son blog permet de comprendre au premier coup d’œil l’ampleur de sa passion pour l’encrage (je ne sais plus si je l’ai déjà dit), mais aussi pour quelques artistes fétiches comme Klaus Janson, John Romita junior et Frank Miller. J’en profite pour adresser mes remerciements à Phil pour une interview aussi facile à mener qu’enrichissante, et pour sa patience. La majeure partie de l’iconographie a été pioché dans son site à sa gentille invitation.
Il est aussi l’auteur et l’éditeur de Daredevil : Dossiers secrets (septembre 2007), Spirit (novembre 2009), Spider-Mag (septembre 2011) et John Romita junior Storyteller (décembre 2017).
Présentation et publications
1. Bonjour Phil. Comment es-tu tombé dans les comics ?
Bonjour. Je tente la version courte. En 1985, l’année de mes 12 ans, je ne connais que la BD Franco Belge (Tintin, Gaston, Rahan essentiellement). J’ai probablement feuilleté quelques revues Lug, adepte des kiosques je suis déjà, mais sans plus de souvenirs. Un « train Mattel » est prévu en gare de Lyon Perrache et comme je suis, oh surprise pour un enfant, fou de jouets, mes parents m’accompagnent, avec ma sœur, visiter ce train promo. A la descente dudit train une Dame, que ma mémoire défaillante associe à la célèbre Claude Vistel, distribue des revues Lug pour accrocher de nouveaux fans. Mission réussie, pour moi en tout cas, puisque ce Spécial Strange 35 me reste gravé à jamais. Découverte de héros colorés, d’aventures excitantes et, surtout… à suivre ! Comme le dit Jean-Yves Mitton ces mots, « à suivre » sont parmi les plus beaux de la BD. Après, c’est l’engrenage : fan de Lug/Semic pour de longues années, puis passage à la VO, puis les revues sur les comics, la recherche d’infos sur les techniques de la BD…
2. Comme Bruce Lit, tu sembles animé d’une passion pour Daredevil. Qu’est-ce qui te parle dans ce personnage ?
Si Spidey est mon perso de cœur, d’enfance, Daredevil est mon perso de choix, en très grande partie tout simplement parce qu’il fut, à mes yeux, le mieux traité par des équipes hors normes, sur une période fondatrice pour bien des lecteurs (celle de leurs 10/18 ans). Je suis un peu passé à côté de Gene Colan mais je me suis pris Frank Miller & Klaus Janson de plein fouet (en version charcutée par Lug puis en VO). Mazzucchelli fut la claque suivante et, lorsque les choses semblaient se tasser après le chef d’œuvre Born Again, arriva le trio qui me traumatisa une 3ème fois : Nocenti/Romita Jr/Williamson. Lee Weeks assura une belle transition graphique mais après lui j’ai fais quelques infidélités au titre avant de me dire que ce perso me plaisait trop pour l’abandonner quand les équipes me décevaient. Depuis la relance par Smith/Quesada je ne l’ai plus lâché, en single, pour le meilleur et pour le pire.
On peut ensuite faire une analyse psy à 2€ en liant cette affection pour l’homme sans peur au fait que mon père soit aveugle et qu’il soit, lui aussi, atypique, hors normes (peu d’aveugles ont fait, entre autres, le Kilimandjaro et le Mont Blanc !). Enfin, des études de droit, poussées jusqu’à un essai, abandonné, de l’école prépa des avocats, ont achevé de me rapprocher de Matt.
3. En 2007, tu publies ton premier magazine ; il est consacré au personnage de Daredevil. Qu’est-ce qui t’a donné confiance en toi pour te lancer dans l’édition ? Quelle était la motivation de faire un magazine sur ce personnage ?
Je ne me suis pas lancé dans l’édition, j’ai juste publié un petit fanzine (400 ex)
J’avais accumulé pas mal de matériel sur Daredevil, grâce à des amitiés dans le domaine, et je trouvais dommage d’être le seul à les voir (ce qui reste d’ailleurs une importante motivation depuis, pour d’autres publications ou pour mon blog).
En 2006, j’ai soumis l’idée à l’éditeur us Twomorrows Publishing, de faire un article sur Daredevil vu par Miller/Janson/Mazzucchelli/Romita jr. Le responsable, Michael Eury, fut tellement enthousiaste qu’il décida de réserver la majorité d’un numéro de sa revue Back Issue (21) à cela, et de m’en confier l’écriture. Je fus ravi, mais un peu frustré car tous les doc proposés ne purent pas être présentés, surtout des crayonnés de Miller à comparer avec les finitions de Janson. Avec l’accord de Michael j’ai donc fait l’année suivante, seul, une « VF bien améliorée » de cet article qui devint un magazine rempli de jolies choses pour les fans (et sous couv exclusive de Byrne s’il vous plait)
4. Quand as-tu été amené à collaborer à Scarce et dans quelles conditions ?Quel était ton rôle en tant que réacteur en chef à partir de 2008 ?
A 15 ans j’ai découvert cette revue/fanzine (avec le numéro 20, itw de Mitton et dossier Janson, c’est un signe!) et c’était, à peu de choses près, la seule et unique façon de découvrir les coulisses des comics avant internet. J’étais très assidu et rien que d’avoir quelques courriers publiés en tant que lecteur me comblait (+ quelques dessins !). Puis j’ai tenté de proposer un article sur Mignola (rédigé à la main !?!) Non retenu (je me suis vengé bien des années plus tard en le réécrivant pour le numéro 70). Je ne sais plus pourquoi j’ai à nouveau tenté (je crois que Thierry Mornet, alors au sein de l’équipe dirigeante, m’a contacté) mais je me suis retrouvé à écrire des articles régulièrement. Courant 2007 Xavier Lancel (un quasi voisin à l’époque) m’annonce que le rédac’ chef pense cesser la publication, ou en tout cas qu’il se retire de l’affaire. Xavier me propose de reprendre ce mythique prozine en main, à 2. Banco, dès 2008.
Notre boulot consistait juste à reprendre le titre, et à tout faire, ou presque, en lien bien sur avec une équipe réduite de rédacteurs fidèles. Assez rapidement Xavier s’est davantage investi, proposant plus d’idées. Je ne partageais pas forcément totalement l’orientation, tout en respectant, et en étant admiratif de sa vision. Il a donc récupéré seul le bébé au bout de quelques années/numéros. Il le gère toujours et abat un travail énorme. Je tiens avec plaisir une rubrique régulière sur l’encrage, et quelques articles quand le sujet et le temps me le permettent.
5. En 2009, tu publies ton 2ème magazine ; il est consacré au Spirit de Will Eisner. Qu’est-ce qui t’a fait choisir ce personnage plutôt qu’un autre ? Qu’est-ce qui t’attire dans les dessins de Will Eisner ?
Eisner est, pour moi, au dessus de tous les autres auteurs, tout genre confondu. Il y a de très grands anciens (Sickles, McCay, Caniff, Foster…) mais seul Eisner cumulait l’aura des pionniers avec une modernité de ton et une approche narrative qui m’ont parlé, dès l’adolescence. Pas spécialement le Spirit (que j’admirais tout en le trouvant un peu daté), plutôt tout ce qu’il a fait à partir de Contract with God. Tout. Le trait d’Eisner parle à tout le monde, pour sa partie virtuose, techniquement, surtout sur la dernière période du Spirit. Après, sur ses autres livres, il simplifie son approche graphique, se rapprochant du théâtre plus que du cinéma, et il parle alors au lecteur qui a plus d’expérience. Il fait appel à des souvenirs communs, des sensations qui nécessitent un peu plus de vécu.
À sa mort, Scarce a fait un numéro hommage, dont j’ai pris en charge la partie Graphic Novel (l’occasion, une nouvelle fois, de tous les relire). Des auteurs furent contactés pour des dessins/tribute. Il y avait peu de place, donc peu d’élus. Encore une petite frustration à l’origine de mon second magazine puisque l’idée vient de là : demander à des copains dessinateurs de rendre hommage à Eisner. Le Spirit s’imposait car seul perso récurrent, connu, du créateur. Je ne referais pas ce magazine ainsi si je devais le refaire car il est un peu « fourre tout » à mes yeux, mais il a plu quand même et c’est le seul moyen de voir certains bons auteurs dessiner le Spirit. La couv de Thierry Martin est à tomber, et il y a dedans un petit dessin fait tout exprès par celui qui est juste après Eisner dans mon panthéon perso : Joe Kubert !
6. En 2011 sort Spider-Mag à nouveau réalisé par tes soins. Il répond alors à quel besoin ?
Il ne vient pas d’une frustration cette fois, juste de l’idée de faire comme pour DD avec mon second perso favori : évoquer les périodes qui sont importantes pour moi, et présenter un max de documents inédits. Je choisis donc les créateurs Lee/Ditko (avec un courrier de la main de Ditko !!!), Romita Sr (qui m’envoie aussi quelques mots), Romita Jr (j’ai un bon paquet de choses à montrer, peu ou pas vues, comme des storyboards faits pour une comédie musicale) Klaus Janson (ne serait-ce que pour exposer une histoire inédite en VF, dans sa version crayonnée et encrée) et celui que je considère comme un surdoué, digne successeur de Ditko : Marcos Martin.
Un peu plus de travail de maquette/organisation, Thierry Martin qui signe à nouveau pour une couv du tonnerre, et c’est plié.
7. Pour Noël 2017, la sortie de John Romita junior storyteller ressemble à l’aboutissement d’une admiration de plusieurs décennies. Peux-tu nous en dire plus sur ce qu’il contient ?
C’est en effet une sorte d’aboutissement, même si partiel et imparfait. Je suis un grand admirateur de son travail depuis Daredevil/1988 (avant j’appréciais, mais sans plus). Comme pour tous les artistes que j’admire, j’aime creuser à la fois pour connaitre leur approche, leur technique, leurs influences…
Il est, objectivement, l’un des derniers représentants d’un genre de dessinateurs de comics encore actifs (et demandés) : une approche du métier inspirée des grands anciens du mainstream (Kirby/Buscema /Romita père), une éthique de travail, un respect des délais, et une priorité donnée à la narration. La colorisation actuelle des comics, avec des rendus importants pour les textures, ne colle que très rarement à son style. Des encreurs pas toujours adaptés….Tout cela fait que bien des détracteurs de JRjr ont une vision qui me semble faussée de son travail (d’autres n’aiment pas son style, ce que je respecte). D’où l’idée de montrer les pages crayonnées, et uniquement cela. Pas de texte, pas d’encrage, pas de couleur. Le crayonné brut. Un peu de boulot pour regrouper tout ce que je n’avais pas déjà, afin d’être le plus représentatif possible sur la période que je voulais exposer : à partir de Daredevil, 1988 (avant il ne faisait pas de crayonnés finis) jusqu’à aujourd’hui. Je pensais intéresser 30 fans maximum. Je me trompais.
L’encrage
Il est temps de parler un peu encrage. Tu as créé un site en 2008 dont l’objet est « de parler, en gros, de comics, bd, narration, planches, encre, nouveauté, vieilleries… bref tout ce qui peut me passer par la tête, en vrac, sur le dessin en général, et avec le plus d’images possibles ». Je n’ai pas souvenir d’avoir rencontré un site équivalent sur internet. En parcourant les rubriques, le visiteur trouve effectivement de nombreux exemples de planches non encrées puis encrées, ainsi des dessins rares ou originaux.
8. Qu’est-ce qui te passionne dans l’encrage ?
C’est une partie importante de ce que je présente, mais pas que. Ce blog fut créé pour parler de ce que j’aime, mais surtout montrer, et dans la mesure du possible montrer des choses peu vues de ce qui me plait : les making of, la cuisine interne d’un dessinateur. On arrive forcément à l’encrage puisque c’est une étape de cette cuisine. L’une des dernières, essentielle. Des auteurs se passent d’encrage. Soit parce qu’ils font de la couleur directe sur le crayonné, soit parce qu’ils impriment directement le crayonné poussé…Mais dans tous les autres cas, l’encrage est la mise au propre, l’étape finale (avec la colorisation). C’est ce que le lecteur verra.
Avec le mode de production franco-belge il y a peu d’encreurs spécialisés, le dessinateur est souvent son propre encreur. L’étape reste primordiale en termes de rendu et d’impression laissée au lecteur mais elle est de la même main. Des dessinateurs de comics font aussi leur encrage mais ça reste une industrie faisant appel encore beaucoup à cette décomposition des taches (historiquement pour rentabiliser, gagner du temps et de l’argent). Ceci fait qu’il y a des dessinateurs, qui crayonnent, et des encreurs, qui encrent (et des coloristes, lettreurs… mais on change de sujet).
Voir à quel point le trait d’un dessinateur change selon l’encreur associé est passionnant. On peut aimer Byrne uniquement avec Austin, ou préférer Davis encré par Neary plutôt que Farmer…sans compter que des encreurs sont là pour s’effacer derrière le dessinateur tandis que d’autres sont demandés pour la marque qu’ils impriment en encrant, et du coup on peut se retrouver à suivre un encreur de titre en titre presque autant qu’un dessinateur (c’est mon cas pour Janson ou Palmer)
9. Qu’est-ce qu’un bon encreur ?
Impossible de répondre. Déjà, pour retourner la question, il n’y a pas de mauvais encreur, ou si peu qu’ils ne restent pas dans le business (ça voudrait dire qu’ils ne savent pas tenir un pinceau, ou une plume et qu’ils seraient techniquement mauvais) Il y a des encreurs qui ne vont pas bien avec certains dessinateurs, parce qu’ils ne vont pas dans le même sens. Et encore, même dans ces cas il arrive qu’une association impossible sur le papier se révèle intéressante (je pense à Sienkiewicz encrant Barry W Smith).
L’encreur est bon selon les goûts du lecteur (j’aime les rendus organiques, à la Janson, et moins l’aspect clinique, plus froid des encreurs comme Mark Morales, mais c’est une question de sensibilités). Un encreur est également bon, pour le dessinateur, s’il fait ce que le dessinateur en attend, ce qui n’est pas forcément ce qu’attend le lecteur (beaucoup détestèrent l’encrage de Janson sur Byrne sur des Wolverine, alors que Byrne attendait ça). Si on doit essayer de généraliser, ce qui est dur, un encreur apporte quelque chose quand il dépasse la simple mise au propre du crayonné, et que la somme du travail dessinateur/encreur donne quelque chose qui dépasse l’apport de chacun : on pense à Miller/Janson, Adams/Palmer, Byrne/Austin… le travail de chacun crée une 3ème entité, distincte.
10. Quels sont les outils de l’encreur ? As-tu une préférence pour le travail aux stylos ou pour celui aux pinceaux ?
Les encreurs pro disent que tout ce qui « fait le job » est bon à prendre. Le grand classique c’est la plume et le pinceau (souvent citée, la marque Raphael). Des auteurs sont 100% l’un ou 100% l’autre, ou les deux. Il parait qu’apprendre à encrer au pinceau n’est pas toujours simple alors beaucoup gardent uniquement la plume. Avant que l’objet planche originale ne devienne un vrai marché de revente, seul importait le résultat imprimé, et tous les outils y passaient, tant que le résultat était là : Neal Adams a beaucoup utilisé de feutres, tout comme Gil Kane dont plein d’originaux s’effacent avec le temps du fait de la non permanence des pigments. Un drame pour les collectionneurs/historiens.
Le feutre pinceau, plus simple à utiliser que le vrai pinceau, marche bien aussi chez des pro, qui remplacent alors parfois l’encre intérieure par de l’encre de chine (diluée) pour qu’elle s’efface moins avec le temps. Des encreurs utilisent les doigts pour des rendus d’encrage sur des matières particulières, des tissus… Tout ce qui fonctionne (Klaus Janson a déjà encré des bouts de décors avec un bâton trempé dans de l’encre !) L’arrivée du numérique et de l’encrage à la tablette a encore augmenté le champ des possibles.
Quant à une préférence technique, je n’en ai pas vraiment, tout dépend de l’artiste et de ce qu’il sait en faire. Je pensais préférer, longtemps, le pinceau, pour son aspect sensuel et les jeux de pleins et déliés (merci M. Eisner) jusqu’à ce que Klaus Janson me montre l’importance des contrastes qu’apporte un travail à la plume, confronté au pinceau (trait fin/très gras…).
11. Quel est le risque de l’amenuisement du travail pour les encreurs avec l’avènement d’outils infographiques comme les tablettes graphiques de type Cintiq ?
Aucun lien. Ce n’est pas ça qui entraîne une disparition progressive du travail d’un « simple » encreur. Les tablettes et le numérique permettent au contraire de jouer avec les outils, d’encrer « à l’ancienne » en imitant la plume ou le pinceau, de créer des rendus nouveaux…si la main qui utilise la tablette est talentueuse, ce qu’elle fait sera aussi intéressant que sur du papier. Un encreur qui sait s’adapter à cet outil aura autant de travail, voire plus, qu’un encreur traditionnel. À titre personnel le travail à l’encre sur papier me touche plus de par sa « réalité », et le fait qu’on puisse toucher l’original, l’étudier. Rien n’est plus intéressant que d’observer des planches originales de près, mais si on ne se penche que sur le résultat imprimé la tablette n’est qu’un outil et seul compte celui qui l’utilise.
Ce qui fait progressivement disparaître le métier d’encreur, aux USA, c’est un peu l’impression dont les progrès permettent de partir des fichiers au crayon, sans nécessité d’encrer pour que ce soit imprimable. C’est aussi, beaucoup, la demande des éditeurs d’avoir des crayonnés de plus en plus précis, plein de détails. Ceci fait que l’encreur va juste mettre au propre à l’encre, nettoyer, sans réelle plus-value. Il y a l’aspect financier : un encreur est moins payé qu’un dessinateur (sauf stars de l’encrage, rare espèce en voie de disparition) alors que le temps passé à l’encrage augmente du fait des crayonnés détaillés évoqués à l’instant. Un auteur sera également un peu mieux payé s’il gère l’ensemble de sa page plutôt que de ne faire que le crayonné. Enfin, peut-être plus marginalement, c’est un métier ingrat car seul le nom du dessinateur est retenu par le grand public. Quand les comics étaient une industrie sans vraie stars, chacun bossait dans une forme d’anonymat. Aujourd’hui les crédits prennent plus d’importance et être « juste » encreur attire probablement moins.
Les artistes
Ton site comprend une barre listant les mots clés avec leur occurrence. J’ai pioché dedans pour les questions suivantes, en prenant les noms disposant du plus grand nombre d’articles. Le top est le suivant : John Romita jr (273 occurrences), Klaus Janson (236 occurrences), Frank Miller (125 occurrences).
12. Que penses-tu de la carrière récente de John Romita junior chez DC, et de ses encreurs ? Par exemple Peter Steigerwald pour Dark Knight: The last Crusade ?
Il s’essoufflait, selon moi, chez Marvel après tant d’années à avoir dessiné à peu près tous leurs perso, Passer chez DC lui donne une autre chance. Malheureusement, et c’est un avis personnel, les scénar ne sont pas à la hauteur, et de plus ils sont très/trop détaillés, le limitant souvent dans ce qui est son talent principal : le découpage, la narration. Côté encrage, rien à dire quand il reforme la dream team avec Janson sur Superman, mais quand il est question de changer un peu le rendu de ses dessins, sur Batman, pour ne pas trop choquer le lecteur habitué à un trait plus fin (Capullo/Glapion puis Capullo/Miki), et que l’on confie son crayonné à Danny Miki le résultat n’est pas à la hauteur, selon moi.
L’encreur recherche la finesse et le détail là où l’intérêt du crayonné est dans la force brute. Steigerwald n’a pas encré Last Crusade. Je trouve ce crédit qui lui fut donné dans le livre, mensonger. Il n’y a pas eu d’encrage, ce que le lecteur voit est le crayonné de John Romita jr, boosté, assombri et légèrement remanié sur des zones de gris transformées en noir, par ordi, par le coloriste, Peter Steigerwald. Il a fait un bon boulot je trouve, mais c’est un boulot de coloriste travaillant sur un crayonné qu’il a légèrement adapté sur ordi avant de le mettre en couleur. La VF Urban montre les planches crayonnées et on voit très bien que ces retouches/ajustements bougent un peu le crayonné, mais sans que l’on puisse parler d’encrage.
13. Parmi les autres encreurs historiques de John Romita junior (Bob Layton sur Iron Man, Dan Green sur X-Men, Tom Palmer sur Kick-Ass, Al Williamson sur Daredevil) qu’est-ce qu’ils apportent de différent aux dessins ?
Tu cites là des duos atypiques, pas forcément représentatifs du travail du dessinateur, pour différentes raisons. Déjà, rappelons que JRjr ne fut autorisé par Marvel à faire des crayonnés finis (avec placement des zones de noir…) qu’à partir de Daredevil. Iron Man et les X-Men sont donc situés dans cette période où l’encreur était embauché pour finir les dessins avant de les encrer.
Pour ce premier run sur Iron Man, les lecteurs qui se disent fans, toute nostalgie mise à part, sont en réalité plus fans de Layton que de Romita Jr. Le dessinateur était exclu des discussions sur les intrigues, et n’avait pas son mot à dire sur les finitions de ses dessins. Layton avait la main très lourde et mettait une empreinte énorme sur le dessin. Romita Jr découpait, crayonnait, mais l’encreur représentait bien plus de 50% du résultat final. Il aura sa « revanche » des années plus tard avec un run magistral scénarisé par Byrne et très fidèlement encré par Bob Wiacek. Pour les X-Men, c’est similaire concernant les intrigues sur lesquelles le dessinateur n’apportait rien, ou presque. (Claremont était le démiurge omnipotent de tous les mutants). Quant à Dan Green, même s’il s’agissait alors d’un professionnel un peu plus expérimenté que Romita jr, Il respectait largement plus le trait du dessinateur que Layton. Son encrage au pinceau, tout en souplesse, avait une belle élégance.
Pour Kick Ass, les choses sont bien différentes car non seulement JRjr est alors un dessinateur confirmé depuis longtemps, mais il est également co créateur du titre avec Mark Millar. Tom Palmer est un « salarié » du duo. Salarié de luxe puisque ce géant fait partie des 3 ou 4 meilleurs encreurs en activité, et de loin. Il sait tout faire et peut encrer tous les styles, brillamment.
Dès le lancement de Kick Ass, Romita jr décide de changer un peu son style et d’enlever tous les noirs pleins de son dessin. Palmer suit cette voie et ne met donc pas de noirs. Avec l’accord de son « employeur » il ajoute seulement aux dessins un lavis qui sert de base au coloriste intervenant après lui. Le résultat, à mes yeux, est loin d’être le meilleur travail du dessinateur, et donc de l’encreur, mais c’est une question de goût. Palmer reste l’un des meilleurs encreurs de JRjr, après Janson et celui que tu cites en dernier : Al Williamson.
Quant il est embauché par Ralph Macchio pour travailler sur Daredevil, non seulement on l’autorise à finir ses crayonnés, mais en plus on lui demande quel encreur il souhaiterait avoir. JRjr évoque, sans trop y croire, ce monument du dessin, à l’époque reconverti dans l’encrage depuis quelques années, Al Williamson. Ce dernier est déjà encreur du titre depuis quelques temps. Il accepte de continuer. Les meilleurs encreurs sont aussi de bons dessinateurs. Williamson fut un excellent dessinateur. Il ajoute une finesse, une texture, une douceur incroyable à un dessin qui est alors en train de s’affirmer. Il respecte totalement le trait de crayon mais le pousse plus loin, créant une alchimie qui ne se retrouvera plus nulle part ailleurs. Son trait de pinceau apporte à la fois force et fragilité aux dessins, faisant de ce travail sur Daredevil une sorte de chef d’œuvre (le scénario de la géniale Ann Nocenti ne gâche rien).
14. Qu’est-ce qu’il a de si extraordinaire Klaus Janson ?
Qu’est-ce que c’est que cette provocation gratuite !
Des encreurs qui savent encrer assez fidèlement, encrer avec touche personnelle marquée, dessiner, raconter une histoire, et mettre en couleur, il n’en reste que deux en activité : lui et Tom Palmer. Alors il faut en prendre soin. Je n’évoquerai là que Janson encreur : en partie formé par son mentor Dick Giordano il sait encrer tous les styles de dessins. Il peut encrer des dessins finis, même si ce n’est alors qu’un boulot technique. Il sait apporter à l’encrage, travailler sur de simples découpages (sur John Buscema par exemple), placer des zones de noirs pour guider l’œil du lecteur…
On peut faire appel à lui pour modifier des crayonnés faiblards (je ne citerai pas de noms ici) ou au contraire pour aller dans le sens d’un dessinateur que d’autres ne savent pas approcher… C’est pour cela qu’il fut si bon avec Miller, ou Colan, et qu’il fait des merveilles avec Romita Jr. Le trait de crayon peut être assez précis, mais sans jeux d’épaisseurs (c’est le cas avec JRjr). Le dessinateur fait alors entièrement confiance à son encreur pour apporter ces nuances, ces jeux de textures, de contrastes traits fins/traits épais. Après, bien sûr, on en revient à une question de goût : le lecteur qui veut retrouver le trait de crayon le moins altéré possible à l’encre, ne sera pas fana du boulot de Janson.
15. Tout au long de sa carrière, Frank Miller a fait évoluer sa manière de dessiner, des chorégraphies de Daredevil, aux images chocs de Dark Knight returns, jusqu’au contraste total de Sin City. Qu’attends-tu de Xerxes: The Fall of the House of Darius and the Rise of Alexander ?
Je n’attends plus grand-chose de Miller. Ce fut l’une de mes idoles, et il restera comme un incontournable absolu chez moi, mais depuis quelques années il est plus dans la provocation gratuite, graphiquement, flirtant même avec le foutage de g…
Je reste curieux de savoir s’il est capable de se donner les moyens de dessiner à un niveau rivalisant avec ses grandes heures, que l’on parle de DD et DKR (bien aidé par Janson), de Sin City, ou de 300. J’en doute, mais je ne demande qu’à me tromper. Sans compter qu’actuellement on lui colle des coloristes modernes qui ne lui conviennent pas (cf. ses mini comics de Dark Knight III) et qu’il a décidé de n’utiliser quasi exclusivement que la plume pour s’encrer, ce qui rend plus froid un dessin déjà très raide. Dommage, quand on sait que l’un de ses mentors, Will Eisner, lui a dit l’une des choses les plus belles concernant l’encrage, mais qui ne s’applique pas si on n’utilise qu’un trait de plume sans personnalité : « inking is sexy » !
16. Sur ton site il est également possible de trouver des photographies prises lors de festivals de bandes dessinées où il t’arrive d’animer une conférence sur l’encrage, dont une avec la participation de Klaus Janson. Qu’est-ce qui te plaît dans ces festivals ?
Cela fait de nombreuses années que je ne fréquente plus les festivals pour avoir des dédicaces. J’ai peut être passé l’âge d’attendre dans une file pour un dessin qui ne correspond pas à une vraie rencontre. J’ai eu la chance d’intervenir pour des conférences ou évènements et là c’est un grand pied, autant qu’une grosse angoisse. Se dire que ce que l’on va raconter peut intéresser du monde est prétentieux, mais quel plaisir de sentir une passion partagée, et de pouvoir échanger ! C’est ce que je fais sur mon blog dans les commentaires. En festival c’est juste plus direct, en live.
Qu’il s’agisse de présenter le travail de et avec Klaus Janson (scoop : ce devrait être encore le cas à Lyon, en septembre prochain), de parler pendant 2 heures de l’encrage dans un amphi à St Malo, de passer les plats à des invités de marque sur le thème de Lug, ou de mieux faire connaitre le boulot de Thierry Martin (plus connu des artistes que du public)… je me régale de ces échanges
Les français
Toujours sur ton site, le lecteur découvre la présence d’auteurs français comme Denis Bodart (Green Manor), Laurent Lefeuvre (Fox Boy), Thierry Martin (Le roman de Renart, Myrmidon) et Olivier Vatine (Niourk, Cixi de Troy). Le lecteur de superhéros repère tout de suite le nom de Ciro Tota, connu pour les Conquérants de Troy, Aquablue, et bien sûr Photonik.
17. Peux-tu nous en dire plus sur les spécificités des dessins et de l’encrage de Ciro Tota ?
Déjà,en préambule, tous les auteurs cités sont excellents, pour une raison ou pour une autre. Ils perpétuent une forme de narration, en la modernisant (Laurent Lefeuvre), ils peuvent être des surdoués du dessin trop peu reconnus (Thierry Martin, Denis Bodart), des virtuoses du trait dynamique (Vatine)… Quant à analyser le trait de Ciro Tota, c’est compliqué car il a évolué avec le temps. Assez rond sur Photonik, il s’est un peu « angulé » après Aquablue. Un peu plus cassant. Son encrage, au pinceau à la grande époque Lug est devenu, à mes yeux du moins, plus « dessin technique ». Je veux dire qu’il ne vient pas finir le dessin, il le met au propre. Le crayonné est très précis, souvent plus encore que ce que ne rendrait un dessinateur américain à son encreur.
Ciro Tota se donne peu de marge de manœuvre à l’encrage, qui donne presque l’impression d’être un mal nécessaire. Comme Vatine, Tota est clairement de l’école américaine, de par son admiration pour des grands anciens comme Hal Foster, et le dynamisme de son dessin, mais il a intégré depuis très longtemps des codes plus franco belges, un sens du détail un peu plus européen (à l’époque où il quitte le format kiosque/Semic). Donnant un coup de main à l’éditeur concerné sur ce projet, je peux vous dire que vos lecteurs vont constater cette année, croisons les doigts, que cet auteur en a encore clairement sous le pied, avec la conclusion qu’il doit nous offrir, de sa grande saga de l’Homme Lumière !
18. Peut-on dire qu’il existe une différence d’approche dans la narration visuelle entre les comics et la bande dessinée franco-belge ?
Je pense que cette distinction, pour autant qu’elle ait fondamentalement existé un jour, n’existe plus, ou presque. Historiquement, les comics étaient réalisés dans une sorte d’urgence, avec une volonté d’efficacité narrative, usant et abusant de raccourcis graphiques, de personnages sortant des cases… La BD classique FB (prenons en références les Tintin et autres grands anciens) correspondait davantage à une idée de produit plus fini, léché, accordant un soin particulier à une narration claire, propre, intellectualisant davantage le geste.
Résumer est toujours caricaturer mais avec les années il y a eu des tas de passerelles entre les deux approches, d’allers retours entre les créateurs, d’influences réciproques. Que l’on parle d’auteurs américains influencés par les grande européens, ou le contraire, voire carrément d’auteurs traversant l’atlantique pour travailler « en face ». Aujourd’hui, des dessinateurs de l’hexagone ont une volonté de travailler à la façon des comics d’antan, avec une production plus soutenue (par choix ou, malheureusement, obligation financière liée à la précarisation du métier de dessinateur).
A l’inverse, il y a pas mal d’années que des auteurs de comics apportent un soin particulier à leurs planches, les rapprochant des standards européens (Dave Stevens, Geof Darrow, Art Adams, Travis Charest…). Au-delà du format (le comics restant souvent plus petit que l’album FB) je pense donc qu’il devient difficile de généraliser et d’évoquer une différence fondamentale entre les deux approches (tandis que le manga, que je connais bien moins, permet à mon avis plus facilement d’étudier ces différences, mais c’est une autre histoire)
19. En conclusion, un message pour les lecteurs de Bruce Lit ?
À part qu’ils ont bon goût, et que je remercie ceux d’entre eux qui auront eu la patience de me lire jusqu’au bout ?
Je viens régulièrement sur ce site parce qu’il correspond à tout ce que je suis incapable de faire : disséquer des scénar, des histoires, des approches, des genres…Un lecteur de Bruce Lit est forcément curieux, gourmand, alors je l’incite à creuser le dessin comme il peut creuser une histoire, à regarder de près le dessin qu’il aime, à le déconstruire, à chercher d’où il vient, comment il est fait, quelles sont les influences derrière, que raconte-t-il et comment… Pas besoin d’être un spécialiste, la passion suffit, et c’est un plaisir sans fin.
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Aujourd’hui chez Bruce Lit, on vous invite à découvrir un métier aussi méconnu qu’indispensable à la bande dessinée : Encreur. Auteur d’un livre déjà épuisé sur Jr Jr, spécialiste de Will Eisner et de Klaus Janson, Phil Cordier est aussi notre expert national sur l’encrage. Il vous dit tout dans une interview exclusive illustrée par les grands maîtres de l’ombre en comics.
La BO du jour : l’idole de Phil s’appelle Johnny et a créé Thyphoid Mary
Ça fait maintenant plus de 10 ans que j’ai fait la connaissance de Phil sur un forum de comics. Le temps file…
Il n’a pas mentionné avoir largement contribué à une exposition des planches de JR Jr au musée d’art contemporain de Lyon, à une époque où les super héros n’étaient pas encore aussi hype qu’aujourd’hui.
Même si son côté « Jansoniste » est parfois extrême, je profite de l’occasion pour le remercier pour le contenu de son blog, qui m’enchante de mille riens chaque fois que j’y erre (Jr).
merci à toi JP et à ceux qui, comme toi, viennent régulièrement lire et échanger, avec ou sans jeux de mots hors du commun
Comme le fait remarquer JP, le site de Phil est beaucoup plus fourni que ne le laisse supposer l’interview, forcément réductrice… et les échanges des lecteurs sont très intéressants.
Et concernant le « bon encreur » , j’avais eu l’occasion de lui poser la question dans une conf il y a quelques années. A l’époque, la réponse était légèrement différente, de mémoire :
« Un bon encreur, ce n’est pas un simple traceur mais quelqu’un qui respecte l’intention du crayonné tout en y apportant quelque chose… »
Et du coup, si un encreur efface ou recouvre de noir des zones de dessin comme Vince Colleta à ses heures sombres, on peut quand même dire qu’il a, pour le coup, fait un mauvais encrage.
je ne donne pas une définition si éloignée en parlant d’apport au crayonné
Quand Coletta recouvre des zones de dessins il trahit, et du coup j’imagine qu’on peut parler de mauvais encrage, mais pas de mauvais encreur car quand il s’en donnait la peine Coletta était, techniquement, très bon (un as pour les cheveux par exemple)
Évidemment la question du bon encreur était formulée de manière réductrice, afin de provoquer une réponse détaillée. 🙂
bonjour,
interview passionnante portée principalement sur les coulisses de ce qui fait le comics un truc unique: le statut d’encreur/embellisher si typique à cette école de BD.
Jr Jr est un de mes dessinateurs préférés…
Cette interview fut également passionnante pour moi, car j’y ai appris beaucoup de choses alors que je pensais m’être déjà fait une bonne idée de ce que recouvre le travail d’encrage.
Excellente interview sur une des phases de production les plus passionnantes de ce médium, mais moins mise en avant que d’autres, un peu comme pour le lettrage dans une moindre mesure.
Chez ces héros urbains que sont Spidey et DD, il y a quelque chose qui semble vraiment avoir tapé dans l’oeil du lectorat français, et pas seulement en raison de leurs présence commune au sommaire de Strange (Iron est apprécié, mais n’a peut-être pas autant la même côté de popularité chez les « Lugiens »). Sachant que Colan est un de dessinateurs les plus difficiles à encrer, Hardman s’est plutôt bien débrouillé je trouve.
La mise au second plan de cet métier pourtant essentiel d’encreur serait-il aussi lié à cette période des coloristes « stars » ?
À propos de l’encrage de Janson sur le Wolverine de Byrne, l’appréciation négative du lectorat ne serait-elle pas lié au fait que beaucoup ne savaient pas que Byrne avait fait intentionnellement des crayonnés pas très poussés (d’où un rendu un peu particulier au final, plus rêche que d’habitude) ?
oui aux deux
les coloristes stars, post 92/Image ont fait du mal aux encreurs car le côté photoshop in your face des couleurs « qui font vrai » a donné des ailes aux coloristes qui ont clairement oublié l’intention de certains dessinateurs, intention souvent respectée par l’encreur et annulée par la colo
On remarque plus facilement un verre colorié avec plein d’effets qui en jettent, qu’un encreur capable de restituer la texture du verre
quant à Byrne, en fait il n’ a pas poussé les crayonnés, en partie car Williamson devait encrer à l’origine, et il était intéressé par la finition de ce géant; Du coup quant Janson est arrivé il a en effet mis sa patte sur ce que le lecteur ignorait être des découpages non poussés
La seule case encré par Williamson sur ce run est vraiment splendide d’ailleurs (elle doit se trouver dans le premier numéro, quand Wolverine pourchasse un bovidé en Australie, dans le seul but de se sustenter), et c’est grâce à Phil que j’ai découvert cela, donc merci beaucoup !
http://philcordier.blogspot.fr/2014/07/wolverine-par-byrne-et.html
@PierreN – Le dessin de Gene Colan encré par Gabriel Hardman est extrait du site de Phil, dans une entrée consacrée à ce même dessin, encré par 5 encreurs différents, ce qui se permet de voir ce qu’apporte chacun d’entre eux par comparaison. Les encreurs sont Ande Parks, Chris Samnee, Gabriel Hardman, Mitch Breitweiser, Dan Panosian.
La page en question:
http://philcordier.blogspot.fr/2015/01/colan-dans-un-sang-dencre.html
« Les encreurs sont Ande Parks, Chris Samnee, Gabriel Hardman, Mitch Breitweiser, Dan Panosian. »
Ça me rappelle l’existence du collectif formé par Samnee et d’autres dessinateurs talentueux à leurs débuts (the Comic Twart sketchblog).
https://www.newsarama.com/39286-chris-samnee-on-his-career-life-after-marvel-comics.html
Hé ben, il y avait du beau monde dans ce collectif, en particulier 2 artistes qui m’ont fortement impressionné ces dernières années : Francesco Francavilla et Mitch Gerads, ce dernier étant très inventif avec le format gaufrier pour les scénarios de Tom King.
Tous les « jeunots » se réclamant de Toth sont également assez bluffants (Evan Shaner par exemple).
Je n’ai rien lu d’Evan Shaner que je ne connaissais même pas de nom. Je jetterai donc un coup d’œil aux Terrifics de Jeff Lemire. Merci du conseil.
C’est une fort belle passion commune et communicative qui anime cette discussion !
Concernant l’encrage, je fais également partie des lecteurs qui accordent beaucoup d’importance à cet élément. Ayant longtemps dessiné et encré mes dessins à la plume, je perçois très bien ce qui fait la difficulté, voire la virtuosité de cette étape importante de l’édition d’une BD.
Depuis longtemps, j’admire ainsi certains encreurs, que je préfère à certains dessinateurs lorsque je m’aperçois que sans les premiers, les seconds sont nettement moins bon. C’est le cas de Terry Austin, que j’admire aux dépends de John Byrne, ou de Karl Story qui parvient à magnifier le trait de Chris Sprouse, nettement moins bon lorsqu’il est encré par un autre collaborateur. L’association Steve Bissette/John Totleben est également somptueuse sur Swamp Thing.
Je suis moins fan de Janson. Par contre j’apprécie aussi que certains dessinateurs s’encrent eux-mêmes. Barry Winsor-Smith brille de mille feux lorsqu’il applique lui-même l’encrage sur ses dessins, et John Buscema, même s’il trouve son âme-soeur avec Alfredo Alcala, confère un dynamisme d’une âpreté étonnante lorsqu’il finit lui-même le boulot.
Si je n’avais pas craint d’abuser de la patience de Phil et de celle des lecteurs potentiels, j’aurai volontiers développé une autre partie en citant des noms d’encreurs qui m’ont marqué, à commencer par Alfredo Alcala que tu cites, certainement plus un Embellisher qu’un simple encreur pour les dessins de John Buscema, et d’autres moins prolifiques comme Kevin Nowlan.
Sur cette idée d' »Embellisher », je suis totalement d’accord avec toi. C’est pour ça que j’évoquais les planches où John Buscema s’encre lui-même (ce qui est très rare, pour le coup), comme sur ses « Tarzan », par exemple. Si on compare ce boulot avec ses Conan encrés par Alcala, c’est très différent. Le résultat n’a rien à voir. Et ma foi, malgré toutes ces différences, je dois avouer que j’aime bien les deux ! Mais là, on a vraiment affaire à deux grands artistes.
et on revient vite à la notion subjective de goûts du lecteur; Alcala est admiré sur Buscema (même si je préfère Nebres) alors que ce dernier ne jurait quasi que par son frangin à l’encrage
Je l’avoue : lorsque j’ai proposé à Présence de cuisiner l’Cordier, c’était pour des raisons principalement égoïstes : je suis nul en dessin et l’encrage je n’y comprends rien. Enfin, maintenant avec cet échange à la passion réciproque pour cet étape décisive en BD, je me coucherais moins bête. A ce titre les crayonnés de JrJr, je les trouves magnifiques.
Je trouve que Phil contourne élégamment la question posée sur la baisse de niveau de JrJr depuis quelques années. Il n’aurait pas les histoires ou les encreurs qu’il mérite. Pour ma part, j’avais adoré son Kickass. Depuis, rien…. Son AvsX est médiocre, il faut le dire. Se pourrait’il qu’avec le temps, certains dessinateurs comme Miller ou lui soient justes moins bons voire mauvais ? Ce n’est pas une controverse que je lance là, juste une interrogation.
En ce qui concerne l’encrage, j’en ai le même rapport qu’avec la cuisine ou la musique. Disons que je sais apprécier un bon plat exotique ou français, mais que je ne vais pas forcément en demander la recette. Tout comme en musique où le volet il joue sur quelle guitare avec quels tirants et sur quel ampli me gonfle. J’aime le produit fini, dûe à mon approche émotionnelle de ces médiums.
Je suis donc ravi que l’on puisse aborder chez moi quelque chose qui ne m’aurait jamais intéressé.
Merci Phil.
Et Présence.
Bon allez, je peux essayer de me la ramener un peu.
Phil, lorsque Romita reprend les Xmen, ses dessins sur Lifedeath sont impressionnants. Je dirais jusqu’au mariage de Kitty avec Caliban. Après, ça part en vrille. Je n’ai jamais su l’analyser : c’est le même encreur (Dan Green) et de mémoire la même coloriste. Partages-tu mon analyse et qu’en penses tu ?
il faudrait que je relise ça mais tu sais maintenant que avant Daredevil il n’a jamais été autorisé à rendre du crayonné finis, le résultat dépendait donc en grande partie de Dan Green
Après il faudrait que je revois les dates mais même s’il a toujours eu 2 boulots en parallèle, quand les deux boulots étaient prenants (genre X-Men + Spidey) l’un des boulot morflait forcément un peu
« quand les deux boulots étaient prenants (genre X-Men + Spidey) l’un des boulot morflait forcément un peu »
C’est peut-être pour ça que je trouve Byrne légèrement moins bon au dessin sur la période post-Secret Wars de ses FF ; ça doit correspondre à la période où il entame ses runs en tant que scénariste et dessinateur sur Alpha Flight et Hulk.
Non, c’est bien avant…
un point de repère, il y a un épisode des FF où Namor roule une pelle à Sue avant qu’elle se fasse embarquer par le surfer sauver son mari détenu par les shi’ar pour avoir sauvé Galactus.
le mois précédent, elle sauvait Marina des mains du Maître en compagnie de Namor et de Sasquatch et Aurora…
ça correspond à Alpha Flight 3-4
Les Hulk sont facile à situer aussi, puisqu’ils ont fait un switch de série avec Bill Mantlo…donc autour de Alpha flight 28…
oui John Byrne était une machine de guerre! 🙂
En encreur, j’ai toujours aimé Bob Wiacek sur Byrne perso…ça faisait précis et propre…
John Byrne était une machine de guerre. – J’étais, moi aussi, très impressionné par sa capacité à produire mensuellement une série Scénario + Dessins, une deuxième série Scénario + Breakdowns, et un projet annexe au scénario. Par exemple : Superman, Action Comics + Minisérie World of (Krypton, Smallville, Metropolis).
Et même l’encrage aussi sur ses premiers FF (sous l’anagramme de Bjorn Heyn) ou Next Men.
Merci à toi, et à Presence
Mais je persiste : à part une légère baisse notable de motivation sur la fin de son passage Marvel, Romita Jr n’ a pas baissé. Il a toujours fait des boulots plus vite, et ça se voit, depuis très longtemps (tu as lu Cable? Une horreur) Chez DC il a fait de très belles pages, très techniques te poussées, souvent masquées par l’encrage et la colo
Ca n’empêche pas du très moyen (Suicide Squad) mais on est sur des fluctuations, pas une baisse
L’une de mes fierté avec le bouquin sur Jr, 100% crayonnés, est que des lecteurs m’ont écrit pour me dire qu’il ne se doutaient pas, voyant le résultat imprimé, de la qualité des crayonnés (cf Batman)
Comme Phil, j’adore Janson.. même gamin j aimais son encrage.. Parmi mes premiers comics achetés il y a Thor 16 avec les dieux egyptiens ou Sal Buscema est encré par janson et les Vengeurs 7 avec l’homme absorbant où il encre déjà Byrne… j adore!!!
Merci à Phil pour ces bouquins et mags.
Et une question.. je me suis abonné à Scarce à l’époque où le daily scarce était devenu un supplément abonné (et parceque j etais passé à coté de la couv exclusive de Palmer). Dedans il y avait un dessin encré par 10 personnes différentes… pour montrer les différences. C etait ton idée?
J adorais!! Ca me rappelait une rubrique de marvel vision (mag US) où un même script était donné à deux dessinateurs differends et donnait des pages totalement différentes: j adorais!!!
Comme phil j adore les encreurs à personnalités.. cela manque aujourd’hui… cela et les délais tenus.
pas mon idée Fred j’étais trop jeune : ) mais j’avais adoré aussi et j’aimais ces suppléments dans leur ensemble
Merci. Ce fut un vrai plaisir que de découvrir les réponses de Phil, à mes questions les plus fanboy possible. En plus, ça m’a donné l’occasion d’explorer son blog sur plusieurs années d’archives et de découvrir une iconographie d’une richesse épatante et d’une pertinence pédagogique inouïe.
Même moi j ai appris des trucs! Sans Phil, je sais si j aurai tenu au moment de la reprise laborieuse de scarce@neuf avec le n 71, et Angoulême qui approchait. Le n 71 à demande autant de travail que il est moche au final, c’est pas peu dire!.
Après, c’est vrai que si on avait des sous, j aurai aime suivre l orientation plus graphique que Phil souhaitait pour la revue. Mais la trésorerie ne le permet pas, limitant le nombre de pages. Mais depuis l Anne dernière, on va sortir un hors série plus axé graphisme par an. Moins de pages, mais meilleur papier et un peu de couleurs, sur le modèle du horse série geek touche. Donc malgré mon côté nazi, je l avoue, dans ma gestion du magazine, je ne reste pas sourd aux idées reçues, même si ça met 8 ans pour les mettre en place!
c’est vrai que le 71 pique les yeux mais faut voir le contexte de prod (et dans mon salon à Villeurbanne, si j’ai bonne mémoire 🙂 Avec de bon souvenirs de tous les copains dessinateurs qui nous ont aidé sur celui ci et les quelques suivants (Momo, Franck B, Paul Renaud, Laurent Sieurac…)
Tu n’es pas nazi tu as juste une sorte de vision et c’est très bien comme ça, ca offre un vrai positionnement à la revue
Quelle superbe interview roborative (tellement qu’il m’a fallu deux jours pour la lire) ! Je suis à la fois incapable de fournir une telle somme d’informations, et incapable de voir toutes les différences entre encreurs… Tout comme l’interview de JPJ, je me rends compte que je suis passé à côté de Scarce, qui me semble être ce que les Inrocks ont été pour moi dans les années 90. D’ailleurs c’est une interview qui me rappelle fortement celles des Inrocks : très pointue, longue, qui laisse la place libre à pas mal de choses.
Les couvertures de Thierry Martin sont splendides, surtout celle sur le Spirit. J’adore le trait de Vatine, et je suis d’accord, tous les dessinateurs cités dans cette partie de la discussion sont excellents. La distinction entre comics et franco-belge est très pertinente, j’ai l’impression que pas mal d’auteurs français se tournent désormais vers le comic (comme Bengal, un de mes chouchous). Et puis ces dessins de Moebius… je me répète mais j’avais l’Iron Man en poster, ramené de Londres. Ma fille me l’a déchiré, quand elle avait deux ans. Cela m’a rendu très très triste. Quand même.
J’ai beaucoup apprécié le découpage en partie des questions, c’est mieux pour le référencement. Je reviendrai forcément ici quand je commencerai à m’intéresser à une tonne d’auteurs, notamment Eisner dont je ne possède qu’une seule bd (Petits Miracles je crois) et qui ne m’avait pas impressionné. Je manque de repère pour apprécier son poids…
La BO : un classique des années 80, qui fonctionne toujours.
J’avoue tout : je suis aussi passé à côté de Scarce. Une fois n’est pas coutume, je n’ai pas été assez curieux pour m’y intéresser. Mon goût pour les interviews longues est venu avec la lecture du Comics Journal où le journaliste pouvait réaliser une interview de 12 pages, sans donner l’impression de manquer de matière ou de se répéter, avec également des parties clairement affichées.
Comme toi, j’ai vu que Bengal va collaborer avec Rick Remender, un de mes scénaristes préférés, et je me suis souvenu que tu avais déjà cité cet artiste. Je suis très impatient de découvrir ce que cette association va donner.
Oh oui moi aussi ! J’ai lu le dernier Low de Remender, toujours sympa mais assez éloigné de ce que j’en attendais (et je dois relire les précédents, j’oublie plein de trucs entre chaque tome), et j’ai le tome 6 de Deadly Class qui m’attend. Mais je n’ai toujours pas continué Black Science (je n’ai que le premier tome) ni tenté Seven To Eternity : as-tu lu ce dernier ?
D’ailleurs je dois dire que je n’ai jamais vu non plus les magazines de Phil, ce qui m’aurait sans doute interpellé si j’avais eu le loisir de les feuilleter…
J’ai ces 4 séries de Rick Remender qui m’attendent dans ma pile de lecture. Pour l’instant, je n’en ai lu que le tome 1 de Deadly Class. C’est un choix pour pouvoir lire plusieurs tomes de manière rapprochée, afin de mémoriser plus facilement les personnages et les développements des intrigues.