Captain America: Not my Captain America par Nick Spencer, Daniel Acuña et Paul Renaud
AUTEUR : Présence
VO : Marvel
VF : Panini à venir
Ce tome fait suite à Hydra ascendant de Rick Remender & Stuart Immonen.
Il comprend les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2015/2016, écrits par Nick Spencer, dessinés, encrés et mis en couleurs par Daniel Acuña pour les épisodes 1 à 3 (avec l’aide de Mike Choi pour la fin de l’épisode 3), dessinés et encrés par Paul Renaud pour les épisodes 4 & 5. L’épisode 6 est dessiné par Joe Bennett et encré par Belardino Brabo, avec une mise en couleurs de Romulo Fajardo (pour les épisodes 4 à 6).
L’histoire commence alors que Sam Wilson est toujours Captain America, du fait que Steve Rogers a fortement vieilli. Il se trouve en civil dans l’aéroport de Phoenix. Dans l’avion, il se retrouve entre 2 jeunes gens qui se connaissent et qui l’interpellent en le chambrant, l’un à gauche, l’autre à droite. Quelques heures auparavant, en tant que Captain America, il investissait un ancien Helicarrier du SHIELD, pour délivrer un scientifique, et affronter Crossbones (Brock Rumlow) qu’il livre par la suite à Maria Hill. Il n’obtient pas de remerciements et se fait raccompagner à la porte de manière polie mais ferme.
Alors qu’il pense à la manière dont il avait imaginé sa carrière de Captain America (quelques combats contre des supercriminels, quelques missions avec les Avengers et des défilés dans des parades), il rejoint sa base d’opération à New York, où il retrouve Misty (Mercedes pour son prénom complet) Knight et Dennis Dunphy (en civil, D-Man). Il consulte rapidement ses messages vidéo d’individus requérant son aide et décide de répondre à Marian Torres qui évoque la disparition de son petit-fils Joaquin Torres près dans le désert, près de la frontière mexicaine. Il se retrouve au milieu d’un groupe de mexicains entrant clandestinement aux États-Unis.
Avant de plonger dans ce tome, le lecteur se souvient que Rick Remender avait perdu sa motivation dans les derniers numéros de la précédente série et qu’il a placé beaucoup d’espoirs en Nick Spencer, scénariste original de séries décalées comme The astonishing Ant-Man ou Superior foes of Spider-Man. Il s’interroge sur le sens du titre de ce tome : Pas mon Captain America. Effectivement le scénariste s’attaque dès le début au statut de Sam Wilson. Pour commencer, il refuse de travailler pour le SHIELD, ce qui induit la révocation de son statut prioritaire, mais aussi la suppression de ses défraiements financiers. Il se retrouve à voyager en avion (et non plus en Quinjet, ou en voiture SHIELD) et en classe économique. Il a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a pris position sur quelques polémiques politiques. Il est obligé de demander une aide financière à son frère (pasteur de son état). En venant en aide à des immigrants clandestins, il polarise encore plus une partie du peuple américain contre lui.
Effectivement, ce Captain America n’est pas Steve Rogers, ne bénéficie pas des mêmes prérogatives et ne se place pas au-dessus de la mêlée, mais prend parti dans un sens ou un autre. Il ne s’agit pas pour autant pour Nick Spencer d’envoyer balader tout l’héritage de la série et du précédent porteur du bouclier. Le lecteur retrouve donc le bouclier, le SHIELD et Maria Hill, Crossbones et la Société des Serpents (qui a pris un nouveau nom), et bien sûr une apparition de Steve Rogers pour pouvoir positionner Sam Wilson par rapport à lui. C’est donc le retour en fanfare de toute la clique de supercriminels sur le thème du serpent : Viper (Jordan Dixon), Black Mamba, Black Racer, Anaconda, Copperhead, Cottonmouth, Eel, Diamondback (Rachel Leighton), King Cobra, Princess Python, Sidewinder, et bien d’autres encore. Nick Spencer ne se contente pas d’agiter tous ces personnages sous le nez du lecteur pour meubler, faire genre, et pour fournir une opposition facile à Captain America.
Nick Spencer s’amuse bien à ressortir également un état altéré de Captain America (époque Steve Rogers), datant de 1992, voire Man & Wolf (épisodes 402 à 408) de Mark Gruenwald & Rik Levins. Ce scénariste réussit à rendre hommage à cet état très inattendu en étant premier degré, et en s’en amusant. Il montre Sam Wilson transformé comme le fut Steve Rogers à l’époque, avec une explication rapide sur cette transformation et une résolution dans ce même tome. Il fait des blagues sur les caractéristiques animales qui découlent de cet état, montrant aux lecteurs de longue date qu’il est conscient de la dérision qui plane sur cet état, sans pour autant que sa narration bascule dans la moquerie. Il reste respectueux du personnage. Les autres protagonistes font des blagues sur les caractéristiques de cet état, ce dispositif constituant un clin d’œil à l’adresse du lecteur de longue date, sans tourner en dérision la situation, sans dégrader le niveau de divertissement.
D’ailleurs tout du long de ces 6 épisodes, le lecteur constate que Nick Spencer s’amuse bien car il y a des blagues régulièrement, qui jouent aussi bien sur une forme de connivence discrète avec le lecteur, que sur des jeux de mots, ou des situations amusantes. En termes de connivence avec les lecteurs de longue date, il y a donc cet état altéré, l’historique de la relation entre Sam Wilson et Misty Knight, ou encore celui de la relation entre Steve Rogers et Rachel Leighton. Nick Spencer fait en sorte que ces éléments soient intelligibles pour des nouveaux lecteurs, et que les lecteurs assidus puissent se remémorer leurs souvenirs ayant trait à ces historiques.
En termes de jeux de mots, cet auteur s’avère tout aussi adroit pour jouer avec des expressions toutes faites et leur donner un autre sens, créant ainsi un comique sur le décalage. Par exemple dans l’épisode 6, il utilise l’expression boursière « panique à Wall Street » en la plaçant dans un autre contexte (un affrontement physique dans cette rue), tout en conservant une connotation boursière, car de l’issue de ce combat dépend la valeur des actions d’une société. En termes de situation, il pousse la logique jusqu’au bout, en utilisant un contexte inattendu. Par exemple, Viper (Jordan Dixon) s’est présenté comme consultant auprès d’entreprises de premier rang, et tout naturellement le lecteur le retrouve sur un parcours de golf à discuter affaire avec des PDG. La logique narrative est sans défaut, la représentation de Viper avec son masque et en tenue de golfeur fait naitre un sourire irrésistible.
Nick Spencer s’amuse tout autant à repositionner la Société des Serpents (le groupe de supercriminels ayant tous un patronyme en rapport avec une race de serpents) et à les renommer pour leur donner une légitimité vis-à-vis de leurs clients de grosses entreprises. Ce scénariste réalise bien un comics de superhéros, avec des costumes moulants, des capacités incroyables (le lien télépathique qui unit Sam Wilson à son faucon Redwing), des supercriminels, des affrontements physiques, une technologie, d’anticipation, un nouvel assistant adolescent (sidekick), etc. Mais il s’avère que le choix de démettre Sam Wilson des prérogatives qui étaient celles de Steve Rogers n’est pas un simple artifice narratif. Effectivement, Wilson est plus près du citoyen lambda. Il est obligé de prendre l’avion comme le premier venu, de supporter les quolibets du vulgum pecus face-à-face, de faire face à des problèmes de financement, de ne pas pouvoir compter sur le respect dont jouissait Steve Rogers. En plus, Sam Wilson prend parti dans des questions d’actualité, comme celle des migrants. Son positionnement correspond à une action citoyenne sujette à discussion, et contraire à la loi.
Jusqu’ici, Nick Spencer ne fait que placer son superhéros du côté des petites gens, à défendre les opprimés et à secourir les individus en danger (la traversée des zones touristiques étant à haut risque). Il s’avance sur un terrain plus complexe avec les agissements de ces entreprises ayant pignon sur rue et réalisant un chiffre d’affaire conséquent. Le traitement habituel dans les comics de superhéros est de les décrire comme des organismes sans âme, dont les dirigeants n’hésitent pas à recourir à des moyens illégaux pour accroître les profits aux dépends des lois et des de la sécurité des vies humaines. Le scénariste s’amuse bien avec le concept de délégation et d’externalisation des basses besognes, ce qui permet aux donneurs d’ordre de garder les mains propres, et d’appuyer leur défense un déni plausible (= ils n’étaient pas au courant). Déjà à ce niveau, Spencer met en scène ces mécanismes avec intelligence et pertinence. Mais la résolution de ce conflit montre qu’il ne s’arrête pas à une simple dichotomie entre gentils superhéros et méchantes corporations. Il franchit le palier suivant quant aux mécanismes économiques et juridiques qui permettent ces situations et même poussent les dirigeants à y recourir.
Pour les 3 premiers épisodes, Daniel Acuña donne une forte identité graphique aux aventures de ce Captain America qui n’est pas le précédent. Cet artiste travail à l’infographie réalisant la totalité de ses pages : dessins, encrage, mise en couleurs. Il échappe ainsi au mode de production à la chaîne habituel des comics (1 dessinateur + 1 encreur + 1 metteur en couleurs), aboutissant à un résultat beaucoup plus intégré. Ainsi il ne se retrouve pas contraint à détourer chaque surface par un trait au crayon qui sera repassé par l’encreur pour être sûr au final que les formes soient facilement comprises par le metteur en couleur. Il peut penser son dessin directement de façon globale. Par rapport à ses débuts, il a choisi malgré tout de délimiter les surfaces par des traits noirs (encrés donc à l’infographie), certainement parce que c’est plus facile de construire sa composition ainsi. Par contre, il ne recourt pas à des petits traits ou à des aplats de noir pour faire apparaître les ombres portées, il joue directement avec des teintes de couleurs plus foncées pour ce faire.
Cette approche intégrée du dessin lui permet de modeler chaque surface par le jeu des couleurs donnant une apparence plus texturée et avec plus de relief que les dessins traditionnels, sans que le lecteur n’éprouve l’impression que le metteur en couleurs se fait plaisir en jouant avec les capacités illimitées de son logiciel. Le rendu final sur la page déjoue les attentes du lecteur. En comparant des cases, il se rend compte que Daniel Acuña peut aussi bien réaliser des images réalistes, presque photoréalistes (le passeur dans le désert avec sa casquette Caja Rura, les détails dans le hall de l’aéroport), que des dessins plus simples (comme par exemple une explosion avec des grosses flammes et beaucoup de fumée), ou encore des images semblant avoir été réalisées à gros traits, rapidement. Pourtant il n’y a pas de solution de continuité graphique.
L’artiste peut aussi bien s’attarder sur un reflet dans les lunettes de Captain America, que sur le visage de Maria Hill. Il peut aussi bien jouer sur une composition allant vers l’abstraction (les couleurs des moniteurs informatiques dans le poste de commandement du SHIELD), que vers la caricature (Sam Wilson sur un char de parade, avec un travesti à ses côtés). Il peut aussi bien réaliser une composition chromatique pour rendre compte de la luminosité et des ombres portées (la séquence dans le désert), que s’amuser avec les couleurs (la scène sur le char de parade, et un violet des plus acidulés). Il réussit à rendre compatibles dans un même dessin les éléments les plus idiots des superhéros (le costume surchargé de Captain America, avec un bouclier, des ailes, des lunettes de protection, des pochettes à la ceinture, ou encore les costumes de tous ces supers serpents), avec des éléments plus prosaïques (comme un éclairage industriel dans un faux plafond).
Paul Renaud prend la suite avec une approche graphique plus classique, un encrage traditionnel, et une mise en couleurs réalisée par une autre personne Romula Fajardo. Ce dernier effectue un travail très soigné et élaboré, en ajoutant un peu de volume à chaque surface par le biais de camaïeux, mais sans trop en faire, en jouant aussi sur le contraste entre une palette naturaliste, et quelques touches plus vives pour les éléments superhéros (comme le rose du costume de Diamondback). Renaud utilise une approche plus réaliste et descriptive que celle d’Acuña, sans aller jusqu’au photoréalisme. Les dessins sont très agréables à regarder (quelques petits arrondis discrets de ci de là), avec un bon niveau de détails. Les expressions des visages sont variées et parlantes, permettant au lecteur de bien saisir l’état d’esprit du personnage, générant ainsi un bon niveau d’empathie. Les scènes d’action sont vivantes. L’artiste réalise à plusieurs reprises des images saisissantes, qu’il s’agisse d’une quinzaine de dirigeants autour d’une grande table de réunion, ou de l’irrésistible Viper en tenue de golfeur.
Le dernier épisode est dessiné par Joe Bennett, avec cette fois-ci un encreur et un metteur en couleurs. Son travail s’inscrit dans la continuité de celui de Paul Renaud, avec un encrage un peu moins délicat, et une mise en page plus convenue. Ses dessins ne jurent pas par rapport aux 2 épisodes précédents, mais ils ne présentent pas le même degré de nuances et de précision.
Avec cette première histoire de Captain America version Sam Wilson, Nick Spencer confirme ses talents de scénariste. Il réussit à assumer les caractéristique d’un récit de superhéros (des superpouvoirs abracadabrantesques, sans parler de la condition de Redwing et de la ménagerie des serpents), à ramener son personnage à un niveau plus humain, à le mettre au cœur de problématique de société sans les simplifier à outrance, à rendre hommage à ses prédécesseurs, et à raconter une histoire divertissante. La première moitié du récit bénéficie des dessins d’un artiste avec une forte identité graphique (à savoir Daniel Acuña), les 3 épisodes suivants présentent des pages dans une approche graphique plus traditionnelle, très professionnelles, et très plaisantes à l’œil pour les 2 épisodes de Paul Renaud.
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La BO du jour :
Le nouveau Captain America est noir ! Et alors ?
Youhouu Présence ! ^^
J’ai décidé d’abandonner l’idée de suivre le run de Spencer puisque ses séries sont des tremplins à crossovers…(secret empire, tout ça…)
Mais ses plus courts récits peuvent être intéressants, comme les 16 épisodes de Secret Avengers.