Peindre la ville en rouge (Maximum Carnage)

VO : Marvel

VF : Panini

Un article de BRUCE LIT

Précédemment publié dans GEEK MAGAZINE de décembre 22.

Je vous entends d’ici rigoler avec cette réédition de Maximum Carnage, le crossover de Spider-Man réédité chez Panini : « c’est criard, daté, ringard et bas-du-front ». Oui et ça l’était déjà en 1993. Et pourtant, tout n’est pas à brûler dans ce crossover en 14 épisodes, loin de là !

Une autre brique dans le mur

A ce moment de son histoire, le génial JM DeMatteis, l’homme qui enterra vivant Spider-Man lors du non moins génial Kraven’s Last Hunt entreprend une déconstruction progressive de l’avatar de Peter Parker.
Certes, le héros aura affronté plus souvent de crises qu’à son tour, mais DeMatteis dirige son héros vers une dépression totale comme le Daredevil : Born Again de Frank Miller ; systématiquement attaqué dans sa vie privée et super-héroïque, l’addiction du jeune homme à l’adrénaline et son sens des responsabilités mettent son mariage en danger.

Lorsque commence Maximum Carnage, il sort littéralement des obsèques d’Harry Osborn son meilleur ami qui terrorisait sa femme et menaçait de révéler son secret.
Affligé, Peter doit affronter sa culpabilité de la mort de ce nouveau bouffon (sic) et le regard d’un petit garçon qui le soupçonne d’avoir assassiné son père.
C’est aussi le moment que choisissent ses parents présumés morts depuis 20 ans, Richard et Mary Parker de revenir d’une prison russe. Loin d’être fou de joie, Parker trouve ses parents étranges, aigris voire violents et peine à leur faire confiance.

Spidey n’est pas au mieux de sa forme
© Marvel Comics

Run Like Hell
Et voilà que Cletus Kasady Aka Carnage, un bâtard du symbiote Venom s’échappe de son asile. Ce psychopathe va, tel Charles Manson, fonder une famille de criminels pour assassiner des centaines de personnes dans les rues de NY. Le vilain n’a aucune limite, aucune pitié et, imprévisible, il est clairement écrit comme Le Joker de Spider-Man.
Seuls les initiés et les lecteurs de cet article sauront que Le Joker sous le maquillage d’Heath Ledger lui rendra la politesse en citant littéralement sa réplique à l’écran Un plan ? Quel Plan ? Le seul plan c’est qu’il n’y en a pas ! L’histoire ne dira pas si Le Joker a payé à Carnage ses droits d’auteurs….

The Trial
L’enjeu de Maximum Carnage est réel : les massacres y sont montrés dans toute l’horreur que le Comics Code Authority autorise. Dans une scène marquante, la ville prise d’hystérie collective, se rabaisse à la violence ambiante et, sans l’intervention de Spidey, une mère jetait son nourrisson du haut d’un immeuble.

Une belle bande de tocards
© Marvel Comics

Spider-Man entouré de Venom, Morbius, Firestar, de La Cape et L’épée voit ses méthodes contestées sur le terrain : alors qu’il prône une approche respectueuse des droits des pires ordures à être arrêtées sans maltraitance pour un procès équitable, ses alliés lui demandent d’ouvrir ses yeux entoilés : on n’arrête des monstres qu’en devenant soi-même un monstre.

Déjà affaibli physiquement, Spider-Man se livre à un long examen de conscience qui résonnera dans notre occident post-attentats : est-il possible de raisonner un terroriste ? D’abandonner toute humanité pour se rabaisser au niveau des persécuteurs ? Comme lors de la Civil War, le compas moral de Spider-Man va alterner entre ses valeurs et la réalité du terrain : Spider-Man est-il un humaniste ou un abruti ?

Sans doute la première fois qu’un jeu vidéo accompagnait littéralement la sortie d’un arc chez Marvel.

Stop !
Certains ont reproché à Maximum Carnage sa longueur et sa construction et ils ont raison : le Crossover a un scénario minimaliste et répétitif où les personnages se battent avant d’obtenir un match nul avant de reprendre leur baston. Il inspirera d’ailleurs un Beat’emup sur Megadrive pour un scénario à peine plus élaboré.
Tout y est fait pour faire cracher le lecteur au bassinet avec des combats interminables, des personnages qui viennent cachetonner pour vendre du papier et se barrer aussitôt (Morlun, Morbius, Nightwatch le Spawn de chez Marvel, lui-même calqué sur Spider-Man !) C’est pourtant ici que le crossover prend toute sa saveur.

Is There Anybody Out There ?
C’est un cliché de dire que le pire ennemi de Peter Parker est lui-même. Le lecteur de comics se rappellera que son premier super-vilain affronté n’est ni le Super Bouffon ou Doc Ock mais le Caméléon qui avait déjà le pouvoir de prendre son apparence. Autant dire que depuis le début de la série Spider-Man se débat avec des versions de lui-même perverties.
Peter a enfanté de deux monstres et tout au long de cette histoire, il souffre de 2 côtes fêlées. Ce n’est sans doute pas un hasard : rappelons qu’Eve fut elle aussi créée des côtes d’Adam ! De cet accouchement douloureux suivra La saga des clones dont JM DeMatteis sera le meilleur artisan et qui, malgré le feu des critiques marquera suffisamment les esprits pour que les scénaristes des 30 années suivantes tentent de la réécrire.

Une famille pervertie
© Marvel Comics

Don’t Leave Me Now
Maximum Carnage est donc une étape vers une crise d’identité que DeMatteis opère sur un personnage connu pour sa vivacité et son optimisme. Ses enfants ? Des monstres cruels pervers. Ses valeurs ? Dépassées à l’heure du Grim’n’Gritty des comics des 90’s ? Ses parents ? Une illusion cruelle du Caméléon (tiens, tiens).
Les personnages trouvent chacun leur écho, leur effrayante symétrie pour orienter leur gouvernail moral : Firestar s’inspire de Spidey qui s’inspire de Captain America tandis que Venom cherche à imposer sa différence avec Carnage.
Peu après, juste avant La Saga du Clone, Spider-Man, ce héros si singulier qui doit lutter depuis ces débuts contre les copies d’un lui-même qu’il peine à supporter, fabriquera un cocon de ses toiles pour ne plus subir les agressions d’un monde prêt à le dévorer comme une araignée, dépassé par ses pouvoirs et ses responsabilités…

Une exploration subtile de la violence et de la dépression que JM De Matteis tente de soigner soit par un canon de lumière soit, en bon adepte de Meher Baba, par le silence.
Ce qui est sûr, c’est que même le bourrinage de Maximum Carnage propose de forts jolis moments d’introspection. Loin de l’arrogance de ses congénères, c’est cette humilité à douter de tout et surtout de lui-même qui rappelle pourquoi Spider-Man reste le plus humain de toute l’écurie Marvel.

La dépression de Spider-Man arrive à grand pas.
© Marvel Comics

17 comments

  • JB  

    Merci pour cette chronique !
    Il y a 2 scènes qui m’ont marqué, à chaque fois illustrées par Sal Buscema. D’une part, cette arrivée de Captain America lorsque le héros est au plus bas, avec Cap enluminé comme dans un vitrail, la lune lui dessinant une auréole. D’autre part, le discours de « Richard Parker » à MJ sur la noirceur de l’âme humaine, entrecoupée de scènes de folie collective.
    J’ai un petit bingo des histoires de JM DeMatteis (par exemple, une apparition de Meher Baba dans un coin de page). Ici, on coche le choix du héros entre vengeance et rédemption. Malgré les massacres perpétrés par Carnage et sa bande, la fin du récit montre un Clétus encore pris dans ses traumatismes d’enfant (faisant écho au story arc « Parfum d’enfance » / « L’enfant intérieur » dans Spectacular Spider-Man) et un Venom dont la vision du monde devient moins manichéenne et extrémiste.
    Après, les défauts du récit sont indéniables comme la longueur (fallait bien préparer le lecteur à la boucle éternelle des crossovers qu’allait amener la Saga du Clone) ou l’ajout jusqu’à épuisement de personnages supplémentaires (Le Deathlok des années 90, le Bouffon Noir qui passait dans le coin) Le nouveau personnage de Shriek est trop peu développée (une copie de Harley Quinn, qui avait fait son apparition l’année précédente dans le cartoon Batman) pour que sa rédemption finale ait un quelconque impact.

    Tiens, au rayon simultanéité de sortie jeu-vidéo comics, je ne sais pas s’il y a beaucoup d’autres exemples de jeu accompagnant une sortie comics (Death and Return of Superman, peut-être) mais il y a eu des tie-ins comics d’un jeu vidéo Marvel, Questprobe, quasi inédit en VF à part sa conclusion parue dans l’album Les Etranges X-Men intitulé « Sortilèges », largement incompréhensible sans contexte.

    • Bruce Lit  

      Etant peu intéressé par l’univers DC, je n’avais pas pensé au parallèle entre Shriek et Harley. Harley tue autant de civil chez Batman ?
      Et je verrai d’avantage en Joker le Chacal, non ?

      Je n’ai jamais entendu parler de Questprobe.

      • JB  

        Apparue durant No Man’s Land dans les comics, elle est largement complice de l’enlèvement de nouveaux nés par son Puddin’. Sa violence varie en fonction des auteurs et des périodes. Sous Palmiotti/Conner, il me semble qu’elle envoie des consoles piégées à des gosses, laissant entendre un massacre de masse, ce qui a été rapidement glissé sous le tapis. Même durant le run de Dini de Detective Comics à Gotham Sirens, on a une Harley qui entame une certaine rédemption pour finir par retomber dans ses travers dans Gotham City Sirens, où elle tue sciemment des gardes d’Arkham afin d’assassiner le Joker.

        Le problème du Chacal est que la longueur de la Saga du Clone en fait un type dont le lecteur (et probablement les auteurs) n’a aucune idée des objectifs. Il est aussi trop peu utilisé dans la « vie » de Spider-Man pour en faire un nemesis à la hauteur du Joker (je trouve que Norman Osborn ferait une meilleure alternative Marvel au clown de DC, mixé avec le chauve de Metropolis)

  • JP Nguyen  

    Punaise ! J’avais totalement oublié Nightwatch ! McFarlane n’a jamais fait de procès à Marvel ? Parce que si il y avait eu des contestations sur Captain « Shazam » Marvel et Superman, je trouve que la décalque de Spawn est encore plus flagrante.

    Sur le crossover, on me l’avait prêté en VF à l’époque et je ne l’ai plus jamais relu. J’avais trouvé ça long et le pire c’est que ça allait embrayer sur la saga du clone, encore plus longue.
    Tu mentionnes BORN AGAIN, l’une des nombreuses forces de cet arc, c’est d’être contenu dans la seule série régulière de DD, avec chaque numéro qui fait avancer l’histoire…

    • Bruce Lit  

      En terme d’écriture et de drama, rien n’égale la maestria de BORN AGAIN, oui. Mais les années 90 ont été celles de la déconstruction mémorable de Peter Parker. Il n’y a plus eu pour moi d’histoires aussi dramatiques le concernant, hormis le final de CIVIL WAR et OMD.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Salut Bruce.

    Merci pour cet article. Je me suis acheté l’EPIC sur Maixmum Carnage (au passage Panini a annoncé la fin de la gamme EPIC, cela ne vendait pas en France).

    J’en avait de bons souvenirs et en effet cela passe plutôt bien à la relecture. Un comics à l’ancienne.

    Bon la bande des J (B et P) est passé avant moi. La mention à BORN AGAIN est judicieuse car même ado je l’avais remarqué et je m’étais demandé jusqu’où ils iraient. Comme Pour Iron Man et son alcoolisme (ou sa dépression en chaise roulante) qui se passe, bien évidemment des années avant (mais cela tu le sais).

    Comme le signale JB on est bien dans les années 90, avec des éditeurs qui ont encore du mal à digérer l’année 86 (DKR et Watchmen) mais aussi la création d’Image. Donc il fallait inonder le marché, et ce fût l’ére des cross over sans cesse.

    Etrangement j’ai souvenir d’une grande période, certes sombre, pour Spider-Man, déjà car les scénaristes étaient quand même assez inspirés (De Matteis en tête), graphiquement aussi (même si ce n’était pas que des cadors, ils faisaient le job, Bagley et Buscema surtout) et puis il y a un boulot énorme des éditeurs. Chaque série (4 plus les annuals et Unlimited qui allait arriver) avait sa voix et ne se contredisait pas.

    A noter que pour une fois, les autres héros réagissent au fait que New York est à feu et à sang. Logique, pas comme Morrison qui décrit un Magneto-Xorn ravager NY et une partie des USA dans Planet X sans qu’aucun autre héros, à part quelques X-Men, ne soit là pour le contrer.

    En tout cas, malgré sa longueur (le point faible) MAXIMUM CARNAGE propose plus de fun, de réflexion et de cohérence que bons nombres de comics actuels.

    • Bruce Lit  

      Oui, la déconstruction de Tony Stark est effectivement judicieuses à citer.
      Sur l’apparition des héros, tu as raison : c’est peu crédible chez Morrison. Il arrive déjà à peine à écrire convenablement ses x-men, alors Spider-Man et sa clique…
      Ceci dit, je n’ai jamais été très fan des univers partagés. La contrepartie sera les insupportables Avengers de Bendis, finalement très cohérents et réalistes : l’union fait la force. Mais on perd en intimité du récit.

    • Eddy Vanleffe  

      Sale coup pour les EPIC. J’ai suivi cette collection qui permettait de compléter des collection avec des parpaings encore abordables…
      il y avant encore un Avengers annoncé…

  • Jyrille  

    Merci pour le tour d’horizon d’un comics que je ne lirais jamais. Je note les titres des paragraphes qui sont tous une chanson de THE WALL, « some things never change » comme disaient Supertramp.

    Je ne connaissais pas l’anecdote sur le film de Nolan. Tu es sûr que ça vient bien de là ?

    Je note que les dessins sont très laids. En tout cas pas pour moi du tout. Et je suis allé chercher le nom de Meher Baba, je ne connaissais pas, merci.

    • JB  

      Pour les dessins, c’est très variable. Entre le trait simple de Sal Buscema, le style fluide de Bagley, l’intro et la conclusion par Ron Lim, les pages plus portées sur l’action de Tom Lyle et le graphisme plus difficile de Saviuk, il y a à boire et à manger

    • Bruce Lit  

      Tout ce dont je suis sûr, c’est que ne suis sûr de rien.
      Tu me connais avec le temps : la littérature comparée est mon péché mignon, et je ne pouvais pas m’empêcher de noter la comparaison entre la ligne de conduite de ces deux psychopathes.
      Pour les titres de paragraphes, c’était assez amusant à placer dans de la presse écrite tout comme les paroles d’une chanson de JJG dans ma préface de ROCK STORIES 2. Vous, vous êtes habitués certes… mais je m’amuse à imaginer la tête des primo lecteurs.

  • Doop  

    faut que je le relise.

  • sébastien zaaf  

    Merci pour cet article qui refait le tour de cette toile … discutable … en fait ce crossover synthétise presque à lui seul les errements des comics dans la première moitié des années 90. Plus, plus plus, encore plus. Plus de violence, plus de méchants hors normes inarrêtables façon Doomsday et Bane, plus de numéros pour rallonger la sauce d’une histoire qui dans les années 80 aurait été bouclée en 3 ou 4 épisodes. Hobgoblin Saga, long aussi, est un peu différent dans le sens où il y a(vait) un réel enjeu sur l’identité du personnage et autant le début de l’histoire avec Stern aux manettes est passionnante autant la suite est un peu torchée. Pour en revenir à Maximum Carnage, je n’ai jamais été fan de ce crossover. Kasady m’a toujours semblé être un double négatif raté de Peter et une manière un peu vaine de rallonger la sauce avec Venom qui était pressuré comme un citron à l’époque en apparaissant partout. La sous-intrigue du retour des parents de Peter ne m’a pas passionné non plus. J’ai eu l’impression de voir le même effet que les scénaristes en manque d’idée sur Captain América qui faisaient régulièrement revenir des clones de Bucky. C’est un peu une période de transition pour Spidey je trouve entre les grands runs de la fin des années 80 et du début des années 90 et avant l’interminable Clone Saga. Tout n’est pas à jeter mais ça patine un peu. Pas ma période préférée du Tisseur.

    • Bruce Lit  

      Contre toute attente, moi si.
      C’est encore l’époque d’une certaine rigueur éditoriale où la continuité du personnage et son destin ont une importance.

  • Présence  

    Je n’ai pas lu ces épisodes : cet article vient à point pour alimenter ma culture comics.

    Ses valeurs ? Dépassées à l’heure du Grim’n’Gritty des comics des 90’s ? – Pour avoir lu quelques histoires sur ce thème-là, des scénaristes regrettant la facilité d’écriture de la violence sadique et tire-larme, elles me réconfortaient, entre retour à des conflits plus simples, et des comportements plus mesurés.

    Fabriquer un cocon de ses toiles pour ne plus subir les agressions d’un monde : un très belle image d’un repli intérieur pour se mettre à l’abri.

    Une exploration subtile de la violence et de la dépression : c’est dans ces moments-là et au travers de ces thèmes que la spiritualité de JM DeMatteis rayonne.

    Un très bel article rendant un hommage touchant à l’humanité de Peter Parker.

    • Bruce Lit  

      Oui l’image du cocon m’avait bcp marqué dans les années 90. JM de Matteis a écrit de grandes pages pour ce perso et j’espérais bien t’appâter avec Meher Baba.

  • Eddy Vanleffe  

    Je suis arrivé péniblement au bout de cette histoire .Quelques fulgurances, des planches de Sal Buscema que j’adore d’avantage chaque année.
    mais oui, une histoire qui avance au rythme des coups de lattes, c’est inintéressant. C’est la Chatte Noire que j’ai préféré dans l’histoire, les autres sont divisés entre ceux qui vont tenter Peter à devenir plus violent et ceux qui restent purs…
    Sur un ou deux épisodes, ça peut être sympa mais sur 14, ça ronronne un max…
    quelques séquences très tendues font quand même leurs effets.

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