Secret Avengers par Gerry Duggan et Collectif
SPECIAL GUEST : BEN WAWE
VO : Marvel
VF : Panini
Juriste dans le civil, un temps auteur amateur de nouvelles et BD (Forgotten Generation, Haiyan), Benjamin Thomas dit Ben Wawe écume Internet dans l’ombre depuis 20 ans, fournissant avis et chroniques sur ses passions sur forums et divers sites (Sanctuary, jadis Top Comics), quand il ne change pas des couches et soigne les gros bobos de sa descendance.
©Marvel Comics
Retrouvailles entre Marvel et Conan
Chanté en héros magique du temps passé par Bernard Minet, Conan est un pilier de la culture populaire grâce à ses nombreuses vies sur plusieurs supports, dont les mythiques comics Marvel des années 1970. La Maison des Idées le récupère en 2019, et en a une bonne : faire de Conan un Avenger ! Ridicule ? Oui, mais cela donne au moins une bonne série…
Conan le Barbare est créé en 1932 par Robert E. Howard dans les pages du magazine Weird Tales. Il a ensuite su s’exporter avec succès sur plusieurs supports pour demeurer une icône, avec bien sûr le film de 1982 qui lance Arnold Schwarzenegger et un genre en lui-même. Mais, déjà avant, sa popularité a été forgée grâce à un écrin idéal pour les récits du Cimmérien : les comics ! Marvel est en effet parvenu à une réussite critique et publique dans les années 1970, grâce aux talents de Roy Thomas, Barry Windsor-Smith et John Buscema qui ont donné pour beaucoup la version définitive du Barbare. La qualité de la publication baisse, et l’ensemble cesse en 1996. Les droits sont repris par Dark Horse avant un retour chez Marvel en 2019.
La situation a cependant changé : les décennies 2000 et 2010 ont mis en avant la puissance des franchises via les productions cinématographiques. Marvel Comics tente de surfer dessus, rarement avec réussite, et mise énormément sur les Avengers, devenus cœur de son univers. La récupération de Conan passe alors par plusieurs formats, dont une série principale scénarisée par Jason Aaron, et d’autres titres annexes. Mais l’éditeur surprend en intégrant le personnage dans sa chronologie et ses titres habituels ! Marvel va ainsi au bout des prémices vus dans les épisodes 13 et 43 de la première série What If, en 1979 et 1983, où on le voyait au présent. Mais là, c’est pour de vrai !
Malgré la crispation et les moqueries, Marvel lance son concept avec d’abord la saga Avengers : No Road Home de 2019, qui achève une période de la franchise et amène Conan au présent, en Terre Sauvage, afin de préparer un titre d’équipe centré sur lui : les Savage Avengers. Après la série animée de 1997, où un Conan très soft dirigeait un super-groupe, le voici accompagné de super-héros dans une série pourtant cohérente et bien cadrée.
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Conan starifié dans une série sérieuse
Soyons honnêtes : oui, l’idée même d’un Conan perdu au XXIe siècle avec des super-héros est ridicule, même pour les fans. Il est probable que les pontes de Marvel l’aient anticipé, car ce titre cocasse en apparence est réalisé sérieusement, intelligemment.
Savage Avengers est lancé sur des bases solides : pas de scénariste star aux idées folles pas forcément adaptées aux personnages, mais Gerry Duggan, artisan appliqué et pertinent capable de donner du sens et de l’émotion à Deadpool. Mais avec un dessinateur populaire et vendeur, Mike Deodato Jr, placé ici avant le retour à l’indépendance. Marvel lui a d’ailleurs laissé choisir ceux qui accompagnent Conan, en lui demandant qui il voulait dessiner ici ; classe et malin pour s’assurer de son intérêt avant la fin de son contrat.
Savage Avengers est un titre de groupe mais bien centré sur Conan, LA star présente dans tous les numéros. L’ensemble est en outre orienté autour du Cimmérien, avec Kulan Gath en grand adversaire. Ce sorcier immortel et cannibale a déjà affronté Spider-Man et les X-Men, mais il est créé en 1972 comme ennemi de Conan mais aussi de Red Sonja. Utiliser Conan contre lui est alors plutôt malin et pertinent.
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29 numéros et 1 Annual pour une saga dense
Gerry Duggan utilise 30 épisodes pour déployer la guerre contre Kulan Gath, avec des hauts et des bas pour les héros. Tout commence en Terre Sauvage, où le Cimmérien vit sa meilleure vie avec les autochtones (tuer, boire, piller…). Il croise Wolverine, venu ici pour retrouver un proche enlevé, et le contact est difficile. Une branche des ninjas de la Main est associée à une secte servant Kulan Gath, et tous enlèvent « les meilleurs des meilleurs » de chaque domaine afin de les sacrifier à Johatun Lau, le Marrow God pour que voler sa puissance. Brother Voodoo aide Logan, mais le regrette vite. Elektra veut stopper la Main, et le Punisher est enragé – car il est « le meilleur des meilleurs » aussi, et ils l’attirent en enlevant les corps de sa famille !
Les événements s’enchaînent, les menaces s’intensifient, et l’on croise également Flash Thompson, venu car Kulan Gath retient prisonnier un symbiote. Le groupe improvisé obtient une victoire à la Pyrrhus, faisant fuir le sorcier – qui continue de sévir. Démarre alors une quête bondissante autour du monde, où l’on suit Conan de rencontre en rencontre. Il croise Black Widow et Hellstrom au Brésil (face à un sbire mystique), il est enlevé par Dr Doom pour un dîner en Latvérie (car Conan a une amulette magique), il va sur la Lune et papote avec Dr Strange, qui organise une équipe contre Gath. Magik, Juggernaut, Black Knight, même Ghost Rider passent faire coucou, alors que Kulan s’en prend à Shuma-Gorath.
La série ose même une victoire du sorcier cannibale via massacre des super-héros, et intervention de Kang pour réécrire l’Histoire, avec Conan qui rééduque Kulan Gath enfant pour le remodeler. Le Cimmérien moteur volontaire d’un imbroglio temporel, carrément !
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Une intrigue plus que bourrine
Gerry Duggan forme un récit dense et même prenant, basé sur l’action avec plusieurs localisations et personnages. Une aventure bondissante, diversifiée, pertinente et finalement fort divertissante. Avec, en outre, une dose de bagarres bourrines assumées et bien amenées.
La bonne idée est de faire de Kulan Gath l’ennemi de toute une saga qui fait de lui un opposant pertinent et réussi, grâce à son charisme et sa puissance. Les divers affrontements ne lassent pas, au gré des semi-victoires et presque défaites qui font souffrir des personnages bien utilisés. La série n’utilise que l’image d’Epinal de chaque super-héros, mais via une approche respectueuse et sincère, et Conan est lui particulièrement bien écrit.
Oui, Gerry Duggan s’empare du personnage et caractérise bien un barbare perdu au XXIe siècle. Oui, il tape, boit et ne comprend pas grand-chose à ce qu’il voit, donc re-tape dessus. Mais l’auteur va au-delà de ces clichés, pour montrer un Conan qui se révèle touchant, agréable à suivre, sympathique et même amical, quand il le veut et peut. Les interactions avec autrui sont souvent bonnes, avec des décalages tordants… notamment lorsqu’il utilise un Wolverine aux griffes sorties mais inconscient comme arme. C’est con mais c’est bon.
L’ensemble bénéficie d’un graphisme solide, avec des dessinateurs bien choisis et appliqués : Mike Deodato Jr lance et s’éclipse, Greg Smallwood, Ron Garney, Kim Jacinto, Jackson Guice, Adam Gorham et Kev Walker passent alors que Patrick Zircher signera le plus d’épisodes. Du beau monde, et la preuve que Marvel a respecté la série jusqu’à la fin.
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Bonne série mal nommée mais meilleure production Conan de l’époque
Les 30 épisodes de Savage Avengers sont bien un divertissement sympathique, une aventure globale certes bourrine mais bien menée, bien dessinée et traitée sérieusement, via un scénariste intelligent et appliqué. Dommage, néanmoins, d’avoir ce titre un peu ridicule, dicté par la volonté de tirer sur la corde des Avengers, avec multiplication des spin-offs depuis vingt ans. Le titre ici n’a qu’un lien commercial avec les Vengeurs, et la série est finalement « Conan dans l’Univers Marvel », ce qui aurait été tout autant vendeur.
L’on peut même se dire qu’il s’agit de la production la plus pertinente de cette deuxième ère Marvel de Conan : les séries solos lancées n’apportent rien, alors que Savage Avengers a le mérite de l’originalité qualitiative. Bien plus que Conan 2099, oubliée de tous à raison.
A noter que Marvel confirmera l’importance du titre pour le personnage, car c’est au milieu du deuxième volume de Savage Avengers que Conan est renvoyé dans son passé, lorsque les droits sont épuisés. Tout ça pour ça peut-on se dire, mais avec au moins 30 bons épisodes ici !
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La BO du jour pour le fun
Merci pour cette chronique ! Les réactions sur les RS, comme souvent, montrent une mémoire sélective. À croire que les anciens lecteurs ont oubliés Two-Gun Kids membres des Avengers ou encore Jonah Hex projeté dans un futur apocalyptique. Et que les nouveaux qui reproche l’association entre le Cimmérien et les superhéros ignorent le récent crossover Wonder Woman/Conan…
Ce qui est amusant, c’est que Dynamite Entertainment a également une série qui suit les aventures de Red Sonja qui se retrouve au XXIe siècle, devient une motarde et pourchasse Kulan Gath…
Les bonnes idées sont souvent reprises. 🙂
J’admets avoir fait partie de ceux critiquant l’arrivée de Conan au présent, et chez les Avengers. J’ai cependant pris le #1, dans l’idée de me moquer… mais j’ai été vite happé par les bonnes vieilles recettes de Gerry Duggan ici.
J’apprécie particulièrement l’honnêteté de la série, qui ne veut rien raconter d’exceptionnel mais s’en tient à une bonne intrigue, bien menée, et des personnages bien tenus.
Et Kulan Gath, quel bon vilain !
Merci pour ce retour.
Certes, mais aucune des ces idées anachroniques ne furent concluantes à mes yeux.
Mais oui c’est pas plus absurde pour ce titre que pour les autres.
si, j’aime bien (mais ce doit être surement sentimental, les crossovers REDSONJA/SPIDER-MAN)
J’aime bien la série HEX, souvenirs de lecture chez Artima ^^ Et puis, Conan a déjà croisé d’autres personnages : un crossover avec le vampire Rune du Malibuverse, ainsi qu’Iron Man 2020 et Scott Lang dans les Fantastic Four de Tom DeFalco.
J’avoue ne pas avoir lu ce crossover Red Sonja / Spider-Man.
Concernant Savage Avengers, je l’apprécie pour un divertissement limité, qui respecte son ambition. Ca me va !
Intriguant, en effet je n’aurais pas misé un kopek sur ce titre ! Mais oui ça a au moins le mérite de sortir le barbare de ses pérégrinations habituelles. Si les personnages sont respectés, c’est le principal, merci pour cet article, ça donne envie !
Merci de l’avoir lu. 🙂
Je pense que le premier tome peut valoir le coup d’oeil, pour tenter !
Non mais la vraie info c’est Bernard Minet qui chantait le générique du dessin-animé !!!! 😱
Et quel générique, n’est-ce pas ? 🙂
J’avais du lire en ligne une douzaine de numéros avant de laisser tomber. Je suis d’accord que la série est très centrée sur Conan, au détriment des autres équipiers, qui vont et viennent (j’ai un vague souvenir d’une scène de coucherie entre Strange et Elektra, ce qui plombe toujours plus le récit pour moi, car on a l’impression d’un grand bac à sable où tout le monde tape sur tout le monde et/ou couche avec tout le monde).
Autant je peux m’amuser avec des figurines, autant, pour un récit « officiel » de l’éditeur, j’attends un peu plus de « cohérence ». L’article d’hier, consacré à Diablo, mettait en exergue l’attachement qu’on peut développer pour un personnage, même au fil des années et des créateurs.
Lorsque la déclinaison varie trop et trop souvent, le personnage n’est plus qu’un nom et un look…
Totalement mon ressenti…ce ne sont plus que des porte-manteaux
C’est certain ; mais c’est désormais le lot des personnages qui n’appartiennent pas à leurs créateurs ou à des entreprises dirigées par des personnes soucieuses de la dignité de la licence.
A l’heure des grandes franchises et du geekisme agressif, de tels crossovers sont une évidence. Ready Player One a finalement été en avance sur son temps.
Concernant Conan, je n’ai aucun attachement donc la série n’a eu aucun impact sur moi. Ca aide !
Bonjour Benjamin. Merci pour cet article que j’ai lu avec intérêt. Je dois dire que je n’ai pas été convaincu par cette proposition de Marvel. La série est arrivée à un grand moment de fatigue pour moi concernant les Avengers. Après 20 ans de New, Secret, Dark, Uncanny, All New, All Uncanny etc … j’ai eu l’impression désagréable que les Avengers devenaient un jeu télé où tout le monde passe en ayant plus cet attachement aux personnages qui m’ont fait aimer les premières versions des Avengers que j’ai découvert avec Buscema chez Arédit il y a fort longtemps. Peut être aussi que la série régulière Conan n’a pas aidé, j’en avais été fortement déçu aussi, à la hauteur de l’enthousiasme que le retour du Barbare chez Marvel avait suscité en moi. Il manquait fondamentalement quelque chose j’ai trouvé et je suis sans doute resté sur cet impression. Ton article me donne cependant envie, avec le recul et plusieurs années de plus, de retenter ma chance. J’avais je crois pris les trois premiers volumes chez Panini. Maintenant que je n’en attends plus rien l’impression sera peut être différente. Je n’ai rien contre les « mélanges » d’univers. Souvent c’est bien fait (Batman / Tortues Ninja ou Transformers / GI Joe), c’est parfois curieux (Transformers / Star Trek) mais à de rares reprises répulsif (Transformers / My Little Pony ? ). Allez je vais ressortir les volumes … C’est ce qui est fantastique chez Bruce Lit : des avis variés et pouvoir voir les choses d’un point de vue différent.
Bonjour et merci. 🙂
J’espère que la relecture sera agréable ! C’est tout ce que l’on peut se souhaiter !
Voilà un article qui m’a surpris à plusieurs reprises.
Mais l’éditeur surprend en intégrant le personnage dans sa chronologie et ses titres habituels : la surprise vient surtout de l’absence de toute limite mercantile.
Oups : j’ai réagi trop vite, tu l’écris juste après : l’idée même d’un Conan perdu au XXIe siècle avec des super-héros est ridicule, même pour les fans.
Kulan Gath en grand adversaire : pas une grande originalité non plus, déjà utilisé dans Uncanny X-Men 190 en 1985.
La bonne idée est de faire de Kulan Gath l’ennemi de toute une saga qui fait de lui un opposant pertinent et réussi, grâce à son charisme et sa puissance. – Ah ben zut, deuxième fois où j’ai parlé trop vite. 😀
notamment lorsqu’il utilise un Wolverine aux griffes sorties mais inconscient comme arme. C’est con mais c’est bon. – Excellent, je suis également preneur de ce type d’humour.
Ben mince, je ressors de cet article avec l’envie de lire cette série, alors que j’aurais parié que ce serait le contraire. Bravo le rédacteur !
Oh, ça me fait plaisir, ça ! Merci !
Bienvenue sur le blog Ben Wave ! J’ai dû lire tes participations sur FB. Merci pour le tour d’horizon. Je ne lirai sans doute jamais ça mais maintenant je sais que ça existe.
La BO : c’est nul mais encore une fois je découvre. Je ne savais même pas que ce dessin animé (par Jean Chalopin !!) existait. Merci pour tout ça.
Plaisir de faire découvrir. 🙂
Les dessins animés des années 90 ont participé à me lancer dans la culture populaire, notamment en lien avec les comics !
Bonsoir Benjamin.
J’ai lu tout l’article car profiter de ta prose est toujours un plaisir.
Je reste impressionné par ton émerveillement pour les comics mainstream.
Voilà, tout cela pour dire que désormais même si on me payait je ne lirais jamais ce comics. Trop de guest star. Trop de WTF. Une blague niveau What if qui ne devrait pas durer plus de 2 numéros. Où alors à incorporer dans la série régulière mais vu le niveau et l’ambition de cette dernière….
Cela aurait pu m’intéresser il y une dizaine d’année, voire plus en fait.
A bientôt et la bise à la famille.
Merci pour l’honnêteté, que je comprends, et les gentils mots. La bise à tous et bonne rentrée !
Hey Ben ! Ca fait vraiment plaisir de te relire. Ca m’avait manqué. Rien d’autre à dire, les savage Avengers j’ai tenu 3 numéros. A très très vite j’espère.
De même !
Merci Benjamin et welcome back sur Bruce Lit.
Je me retrouve assez bien dans ton papier car, contre toute attente j’ai beaucoup aimé cette mini série. La séquence Wolverine est absolument géniale et les interactions entre Conan et le Punisher, délicieuses. J’en garde un souvenir marquant, ces séquences où Conan par loyauté refuse d’abandonner le Punisher qui se traine les cercueils de sa famille en pleine antarctique
Cependant je n’ai investis que dans les douze premiers numéros. Il me semble qu’après, c’est la valse des dessinateurs intérimaires et que la série perd tout son cachet. Je crois aussi me souvenir que c’est purement orienté sur la magie, ce dont je me fous éperdument.
J’ai bcp aimé ta remarque sur la mauvaise dénomination de la série.
Merci encore pour cet article aussi limpide.
Merci Bruce pour l’opportunité de l’avoir écrit. 🙂
Patrick Zircher reste et accumule les numéros mais il y a quelques remplaçants, ça coupe un peu le milieu avant qu’il revienne pour stabiliser.
La magie est bien au cœur de l’ensemble, je trouve ça cohérent avec Conan mais j’admets que ça peut rebuter.
Je suis content que ça t’ait plu aussi. Au plaisir d’en reparler et de reparler sur Bruce Lit !