Pale Rider (GHOST RIDER : TRAIL OF TEARS)

GHOST RIDER: TRAIL OF TEARS par Garth Ennis et Clayton Crain

Un article de JB VU VAN

VO : Marvel Comics

VF : Panini Comics

Cet article portera sur la mini-série GHOST RIDER: TRAIL OF TEARS écrite par Garth Ennis et illustrée par Clayton Crain. Publiée en 6 numéros en 2007, elle ne nécessite aucune connaissance de l’univers Marvel et ne reprend pas de personnage déjà connus en dehors d’une apparition éclair. Ce titre a initialement été publié par Panini Comics au format 100% Marvel dans GHOST RIDER tome 5. dans une traduction de Laurence Bélingard

“Un cavalier qui surgit hors de la nuit”
© Marvel Comics
© Panini Comics

Travis Parham, officier de l’armée confédérée, est blessé lors d’une bataille. À sa grande surprise, il est secouru et recueilli par Caleb, un ancien esclave qui a racheté sa liberté et celle de sa famille. Pendant 2 ans, Travis travaille pour Caleb afin de rembourser sa dette tout en se liant d’amitié avec lui. Parham finit par partir pour chercher fortune dans l’Ouest sauvage. Lorsque Travis revient 2 ans plus tard, il découvre que la terre de Caleb est occuppée par des intrus, qui lui avouent rapidement avoir participé au meurtre de l’ami de Parham et de sa famille, mené par un nommé Reagan et un groupe de complices. Parham décide de traquer les responsables afin de venger celui qui l’avait sauvé, mais il découvre bientôt qu’un être surnaturel est également sur leurs traces.

Une bien étrange lecture ! Ce comic book ne cesse de déjouer les attentes que le titre Ghost Rider a pu donner. En tout premier lieu, Ghost Rider lui-même ! En 6 numéros, on voit très peu le personnage éponyme, une trentaine de pages tout au plus, ces apparitions étant principalement concentrées dans le dernier numéro. La narration se rapproche davantage d’un slasher dont Ghost Rider est le tueur et les victimes tuées l’une après l’autre le gang de Reagan. On a droit à la plupart des clichés du genre : le tueur qui apparaît d’un seul coup dans le dos de ses proies (à cheval !), les cris d’une des victimes pour attirer les autres,les cadavres exposés. Garth Ennis verse sans surprise dans le body horror dès le second numéro, avec un corps harnaché en plein jour comme un épouvantail, nu mais sans parties génitales (leur emplacement est “recousu”…), un autre partiellement écorché. Malheureusement, ces scènes d’horreur deviendront de moins en moins lisibles au fur et à mesure du récit. Souvent de nuit et/ou par temps de brouillard, on peine à deviner ce qui arrive aux personnages, et je n’arrive pas à déterminer s’il s’agit d’une censure (volontaire ou imposée) ou d’un problème graphique…

Ne vous retournez pas
© Marvel Comics

En l’absence du personnage éponyme, l’accent est mis sur d’autres. Travis Parham, tout d’abord : après avoir présenté ses origines : le lecteur le découvre soldat de la Confédération puis le voit se séparer de ses préjugés avant de partir chercher fortune vers l’Ouest. Mais après une ellipse temporelle, on le retrouve changer, sans explication directe : alors qu’il hésitait à achever un soldat mortellement blessé sur le champ de bataille, il exécute dorénavant sans sommation les meurtriers de son ami. et évoque les anti-héros de western qu’incarne Clint Eastwood, de PENDEZ-LES HAUT ET COURT à IMPITOYABLE, Ce qui est intéressant, c’est que Parham semble plus proche de l’antagoniste Reagan que de Caleb, dont on devine déjà qu’il est devenu le Ghost Rider. Cultivé, membre de la même armée et croyant en une destinée manifeste de l’homme blanc.

Dans les 3e et 4e numéros, c’est le point de vue du gang de Reagan que l’on suit. S’ils sont aperçus dès la dernière page du premier chapitre, on ne découvre l’horreur de leurs exactions que dans le second, où Parham apprend le massacre de Caleb et de sa famille. Au vu des dates et de leurs costumes, ils semblent membres de la première incarnation du Klan, dont les masques étaient de simples taies d’oreiller. Cependant, toute référence au Klan est oubliée après ces flashbacks, Parham et sa troupe devenant plus proche d’un groupe hors-la-loi comme celui de Quantrill. Finalement, cette association au Klan n’aura permis que de faire un parallèle visuel entre les masques blancs et le crâne de Ghost Rider le temps d’une case. Comme dans la plupart des slashers, les “victimes” n’ont pas de personnalités détaillées : le sergent Billy est un soudard, le nommé Banjo un violeur, les Hollis père et fils semblent entretenir une relation trouble, Nightshade est fidèle à son chef et Reagan cache à peine son mépris pour ses hommes et n’hésite pas à mettre ses idées racistes de côté pour obtenir une échappatoire à son destin.

La chevauchée du Klan, une imagerie proche du Ghost Rider
© Marvel Comics

C’est amusant de voir à quel point le récit s’apparente peu à une histoire Ghost Rider, et évoque davantage d’autres anti-héros avides de vengeance. Je pense notamment aux victimes de meurtre ramenées à la vie dans The Crow de James O’Barr. En effet, ni Johnny Blaze, ni Dan Ketch n’ont eu à mourir pour obtenir leur pouvoir et malédiction. Caleb, comme Eric Draven, ne revient pour sa vengeance que bien après sa mort (2 ans pour Caleb, 1 an pour Eric). Pas de Penance stare pour faire vivre aux coupables le poids de leurs péchés, le Ghost Rider de cette histoire ne fait “que” projeter des boules de feu par ses orbites. Enfin, il est explicitement indiqué que cet être n’est lié ni à l’enfer ni au paradis, contrairement à Johnny Blaze. Une seule scène vers la fin du récit relie cette histoire à la continuité, une double page proposant la vision de Ghost Riders passé et à venir, parmi lesquels on peut reconnaître ceux de l’ère moderne, tout de cuir vêtus, ainsi que la moto du Ghost Rider du XXXème siècle. Je dois avouer m’être demandé s’il ne s’agit pas d’un script préexistant de Garth Ennis recyclé pour Marvel !

Garth Ennis récupère d’ailleurs des éléments de précédentes histoires. La plus notable est une mini-série dérivée de PREACHER consacrée au Saint des Tueurs, qui dévoile ses origines. Homme au passé violent, le Saint des Tueurs trouve l’amour et vit en paix jusqu’à ce que sa compagne et son enfant meurent d’une maladie. Tué par un gang, il passe un pacte avec l’enfer et devient le Saint des Tueurs. Une fois revenu sur terre, sa vengeance ne se limite pas à ses assassins : il emporte une ville entière avec lui. Dans GHOST RIDER: TRAIL OF TEARS, un pacte similaire est passé, le twist étant que ce sont les antagonistes qui en bénéficient. Dans le 5e numéro, Parham découvre une ville massacrée par ses ennemis, et le désir de vengeance des “héros” menace d’en emporter une seconde dans le grand final de l’histoire. Travis Parham lui-même semble régulièrement attiré par la violence malgré ses dires et évoque le Soldat Inconnu d’Ennis ou sa série FURY.

I am he as you are he as you are me and we are all together (Goo goo g’joob)
© Marvel Comics

C’est justement cette violence intrinsèque du personnage humain qui est au centre du récit, plus que les apparitions de Ghost Rider. Celui-ci ne semble finalement qu’une projection du désir de vengeance de Parham. Après tout, le Ghost Rider ne venge pas immédiatement les morts de Caleb et de sa famille, il ne réapparaît qu’au retour de Parham après 2 ans d’absence. Lorsqu’il semble horrifié par la violence du justicier fantomatique et par les dommages collatéraux qu’il commet, Parham est renvoyé à sa propre image : avant d’être recueilli par Caleb, il combattait pour les esclavagiste et la guerre lui a couté toute sa famille. Après avoir quitté Caleb et les siens, il part pour la Conquête de l’Ouest, une voie dont Caleb lui prédit qu’elle le conduira à nouveau à tuer pour prendre les terres des amérindiens. Le Travis Parham qui revient 2 ans plus tard est un être consumé par ses actes. Lorsque le Ghost Rider lui dit qu’il ne reste presque plus rien de Caleb en lui, il en va de même pour Parham, l’idéaliste des premières pages a disparu depuis longtemps. La conclusion de ce récit très noir est proche de celle, plus récente, de A WALK THROUGH HELL : l’humanité s’achemine elle-même vers sa propre damnation.

Que dire de Clayton Crain dans cette mini-série… J’aime beaucoup son style dans les 2 premiers numéros mais, comme je l’ai indiqué plus haut, l’action perd en lisibilité au fil de l’histoire. La faute à une ambiance visuellement de plus en plus sombre et à une timidité grandissante quant aux scènes gores. J’ai également tiqué sur des choix étranges : l’un des hommes de Reagan a les membres attachés à des chevaux et est sur le point de se faire écarteler. Clayton Crain représente la scène vue du dessus en se focalisant sur la victime. Le rendu donne l’impression que le malheureux est attaché à une boule de foin plutôt qu’étendu sur une plaine. L’idée est de retranscrire le point de vue du supplicié mais j’avoue avoir simplement été perplexe, pensant à un changement de scène.

En conclusion, je dirais que GHOST RIDER: TRAIL OF TEARS propose une réflexion subtile sur les conséquences de la violence (guerre, conquête, soif de “justice”), et les mensonges que les hommes se racontent pour la justifier. Des idées fascinantes que j’ai trouvé gâchées par un style graphique trop timide ou confus. De plus, les ellipses et non-dits mènent à des retournements de situation incompréhensibles. Apparemment capturé par Reagan grâce à des outils spécifiquement fournis pour le soumettre, Ghost Rider retourne la situation en quelques instants sans réelle explication. Preuve supplémentaire que Ghost Rider n’est guère qu’un outil scénaristique pour explorer la psychée de Travis Parham, physiquement et moralement marqué par ses épreuves et symbole d’une humanité irrémédiablement damnée.

Un plan à la Sam Raimi ?
© Marvel Comics

15 comments

  • Jyrille  

    Merci JB pour cet article enlevé ! Je n’avais jamais entendu parler de ça, et au final cela ne m’intéresse pas trop. Les scans ne sont pas si laids même si l’effet oeil de chat final est un peu bizarre. Ca a l’air chargé, visuellement. C’est un travail de commande pour Ennis, non ?

    La BO : je n’aimerais jamais AC/DC. Ce titre n’y fera rien. Et le clip d’époque, typique de la scène hard (le groupe qui joue en playback) me fait penser que ce sont, eux aussi, des boys bands ^^

    • JB  

      « C’est un travail de commande pour Ennis, non ? »
      Je l’ignore, j’avoue que j’y suis allé sans me renseigner sur le contexte de l’écriture de ce comics

  • JP Nguyen  

    Je ne savais plus si je l’avais lu en médiathèque il y a longtemps ou pas, alors je suis allé le lire en ligne.
    Je trouve que le style de Clayton Crain donne une vraie ambiance au récit. Je partage l’impression que certains éléments de l’action ne soient pas toujours lisibles ou clairs à comprendre. Au final, ça m’a donné le sentiment d’un « tout ça pour ça »…
    Oui, « la guerre c’est pas bieng » et l’homme est une saloperie avide de violence et de vengeance…
    A partir de là, je crois que bon, on n’a qu’à tous aller se jeter dans un ravin…
    Le mix entre western crépusculaire et récit surnaturel n’est pas très bien géré et le récit est artificiellement étiré.
    En résumé, de mon point de vue, quelques qualités graphiques mais une intrigue bof avec un sous-texte déprimant.

    • JB  

      « « la guerre c’est pas bieng » et l’homme est une saloperie avide de violence et de vengeance »
      Il faut dire que c’est un peu le thème fétiche de Garth Ennis ^^

      • Matt  

        D’où mon impression que le mec a tout dit en 2 ou 3 comics (même sur son opinion sur les super héros) et qu’il ne fait que ressasser indéfiniment.
        Jamais compris comment on pouvait suivre cet auteur avec intérêt, à part si on est complètement d’accord à 100% avec lui et qu’on veut se sentir validé dans nos opinions par un auteur influent^^
        Les qualités de ses comics sont rarement graphiques, il s’entoure de dessinateurs moyens à la mise en scène très plate (Steve Dillon…paix à son âme tout ça, mais ça ne va pas me faire dire que j’aime son style^^)
        Clayton Crain j’ai beaucoup de mal aussi. Tous les persos ont une machoire à la Schwarzenneger et on arrive à les confondre tous. C’est beaucoup trop sombre, on voit souvent que dalle à ce que ça veut représenter, etc.

        Alors oui on me dit toujours qu’il faut que je lise les récits de guerre de Ennis.
        Mais bon, même quand je fais des efforts et que j’apprécie une de ses séries moins putassière comme RED TEAM, ben Paninouille décide d’arrêter la publication (jamais vu le tome 2 de RED TEAM en VF)

        Les 2 mini Ghost Rider restaient sympa malgré tout, mais rien de transcendant.

          • JB  

            Le voyou au cœur arraché au début de Terminator, le Chasseur de prime métamorphe de X-Files, l’un des vampires de Fright Night 2… Que de rôles doux et sensibles !

        • JB  

          C’est un peu le propre des auteurs d’avoir leur marotte, leur obsession. Starlin répète lui aussi la même histoire entre les mésaventures de Warlock, celles de Dreadstar et du héros de The Breed. DeMatteis poursuit sa réflexion sur la distinction entre justice et vengeance entre ses contributions au mythe de Batman, son court run sur Moon Knight, son Doctor Fate ou encore ses Spider-Man. La difficulté, c’est de savoir renouveler la manière dont le message est transmis.

  • Tornado  

    J’ai lu les deux mini-séries sur GHOST RIDER de Garth Ennis il y a longtemps et je n’en garde aucun souvenir. Il me semble que celle-ci était quand même meilleure que la précédente (ENFER ET DAMNATION). Mais ce n’est clairement pas le meilleur boulot du meilleur scénariste de la planète encore en activité.
    Je suis convaincu que cette incursion dans une série Marvel soit effectivement un prétexte pour Ennis qui y glisse un de ses scénarios déjà prêts. Il fera la même chose avec WAR IS HELL dont on va parler bientôt…
    Quoiqu’il en soit j’ai gardé ces deux albums (les deux minis sur Ghost Rider) par Ennis. Parce que je sais bien que je les relirai volontiers, contrairement à toute la X-smala et autres mélasses à base d’Avengers ou de Fantastic Four que j’ai bazardés.
    Merci pour cet article en forme de piqure de rappel. Même un Ennis moyen, ça vaut toujours mieux que la moyenne des autres. Et on le voit bien à travers cette analyse.

    La BO : Fan ! 🙂

  • Bruce lit  

    Tu es bien trop innocent JB : il s’agit bien d’un homme attaché à un testicule qu’Ennis a réussi à insérer dans ton scan final. Il s’agit de la reprise d’un plan peu ou prou analogue de JUST A PILGRIM.
    Pour le reste , ton article me conforte que je ne suis pas preneur : ce sont les années alimentaires d’Ennis chez Marvel, et le héros, son univers ne m’interessent pas même s’ils n’y figure pas.
    La BO 10/10

    • JB  

      Je crois me rappeler dans JUST A PILGRIM d’un type qui se fait infecter et dont le corps se met à ressembler à un testicule géant… Ennis, quoi !

  • Bruce lit  

    Et je n’aime pas le style de Crain qui m’évoque tellement les dégueulasseries commises par les AI !

  • Présence  

    Une série que j’aurais bien aimé lire, mais elle n’est plus rééditée en VO depuis un certain temps. Peut-être un jour un Epic Collection, qui sait ?

    Voilà qui ressemble bien à Garth Ennis de s’approprier un personnage, voire plutôt de le réinventer et de raconter ce qui l’intéresse, en plus avec un genre qu’il affectionne, le western.

    J’aime bien les dessins de Clayton Crain, même si comme toi, je trouve qu’ils nécessitent parfois une luminosité intense pour pouvoir les lire. Je garde d’excellents souvenirs des épisodes X-Force, et de Rai (Valiant).

    Une autre utilisation inventive de testicule dans The Rifle Brigade, avec Carlos Ezquera :

    brucetringale.com/a-la-recherche-du-testicule-perdu/

  • Fletcher Arrowsmith  

    Bonjour JB,

    merci pour cette review d’un comics qui m’a souvent fait de l’oeil mais que je n’ai jamais acheté car il me semblait justement éloigné de la mythologie autour de Ghost Rider. Tu confirmes cela.

    J’apprécie assez Clayton Crain et je me demande comme toi , si Ennis n’a pas recyclé un scénario pour un comics dans l’univers de SPAWN (Crain ayant notamment œuvré sur le rejeton de l’enfer).

    Je trouve cela intéressant finalement même si je me le procurerai pas pour Ennis.

  • Eddy Vanleffe  

    Comme je suis un primaire, je me prendrais bien ce petit volume because: WESTERN, mais pour être honnête, ça n’a pas l’air extraordinaire et Clayton Crain n’est pas très lisible avec ses couleurs toujours nocturnes, grisâtres et dégueulasses.
    En occas’ pourquoi pas?

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