ON THE TURNING AWAY (les principales adaptations du TOUR D’ECROU au cinéma et la télé)

LES INNOCENTS + LE CORRUPTEUR + LES AUTRES + THE TURNING + THE HAUNTING OF BLY MANOR

Par TORNADO

On n’est pas là pour rigoler…
© E-Bookarama Editions

En 2020, la chaine Netflix diffuse la série THE HAUNTING OF BLY MANOR. Il s’agit de la seconde saison de la série anthologique THE HAUNTING, dont le principe est d’adapter, à chaque nouvelle saison, un classique de la littérature de Maison Hantée.

Cette deuxième saison adapte ainsi l’un des grands classiques du genre : LE TOUR D’ECROU, d’Henry James. Classique, le roman l’est à plus d’un titre, tant il a été adapté, en opéra (par Benjamin Button en 1954), en chanson (par Kate Bush dans INFANT KISS), à la télévision (une bonne dizaine de versions, dont une française avec Robert Hossein) et surtout au cinéma, où il a connu ses plus belles transpositions.

Nous allons ici explorer deux de ses plus fameuses adaptations cinématographiques, soit LES INNOCENTS de Jack Clayton, et LE CORRUPTEUR de Michael Winner. Ensuite nous passerons en revue la plus belle des ses itérations, à savoir LES AUTRES d’Alejandro Amenàbar. Puis nous évoquerons les deux dernières adaptations officielles en date, c’est-à-dire le film THE TURNING, et la série THE HAUNTING OF BLY MANOR, tous deux diffusés en 2020.

LES INNOCENTS (1961)

Fantômes ou pas fantômes ?
© 20th Century Fox

Jusqu’au jour d’aujourd’hui, LES INNOCENTS demeure la meilleure adaptation du TOUR D’ECROU, à la fois fidèle et magistrale.

L’histoire : Miss Giddens (Déborah Kerr) est engagée pour être la préceptrice de Miles et Flora, deux jeunes orphelins isolés dans le vieux manoir victorien de Bly. Elle succède à Miss Jessel, décédée dans des circonstances mystérieuses en même temps que le jardinier Peter Quint.

Au fil du temps, Miss Giddens comprend, en filigrane, que Miss Jessel s’était adonnée à des plaisirs interdits avec Quint et que les enfants en auraient été les témoins.
Horrifiée, notre nouvelle nounou, par ailleurs vieille fille frustrée, commence à trouver que les enfants ont un comportement anormal, quelque peu malsain. C’est alors qu’elle croit apercevoir les spectres des anciens amants. Peu à peu, elle va soupçonner ces derniers de posséder les orphelins et va tenter de les exorciser…

Nous avons déjà chanté les louanges de ce film ici. Ce classique absolu du film de maison hantée est un cas d’école, à tel point que LES AUTRES d’Amenabar, dont nous allons parler plus bas, en aura été une variation, davantage qu’une adaptation à proprement parler du TOUR D’ECROU. Et d’ailleurs, à la suite de LES AUTRES mais aussi du SIXIEME SENS de M. Night Shyamalan (1999), toute une palanquée de films d’épouvantes, souvent espagnols ou mexicains, tenteront d’en retrouver l’esprit et la grâce (notons à la louche L’ORPHELINAT (2007), L’ECHINE DU DIABLE (2002), LE SECRET DES MARROWBONE (2017)).

Merci Arte !

Il faut dire que le film bénéficie d’une dream-team d’artisans du 7ème art pour le moins exceptionnelle avec, outre le peu prolifique mais immense Jack Clayton au poste de réalisateur, le compositeur George Auric (sa comptine pour le film est devenu un classique du genre épouvante), le scénariste (et écrivain) Truman Capote, et enfin le chef opérateur Freddie Francis, l’un des meilleurs de l’histoire du cinéma (ELEPHANT MAN, quand même). Quant à l’actrice Deborah Kerr, elle trouve ici, sans doute à égalité avec le tout aussi puissant NARCISSE NOIR (1947), l’un des meilleurs rôles d’une carrière pourtant exceptionnelle, dans une prestation inoubliable d’ambiguïté à fleur de peau.

Tout le sel du film se joue dans la tension psychologique générée par les visions de Miss Giddens, le spectateur hésitant du début à la fin entre le fait qu’elle voie réellement les fantômes, et la possibilité qu’elle les imagine, dans une totale hallucination engendrée par ses préjugés bigots et ses propres frustrations (et le spectateur de bien noter, par ailleurs, son attirance contre-nature refoulée pour le jeune Miles…).

Le spectateur est envoûté par l’atmosphère onirique qui se dégage de ces cadrages millimétrés, de cette photographie évanescente en noir et blanc et de ces plans vertigineux à la profondeur de champ digne d’un CITIZEN KANE ou d’un M LE MAUDIT, le tout bercé de manière troublante par les chuchotements d’outre-tombe et le chant tout à la fois juvénile et sépulcral du thème de George Auric, d’une ambiguïté indicible.

Récit initiatique sur le terrible chemin qui mène à la perte de l’enfance, sur la lutte des classes et les changements de mœurs, LE TOUR D’ECROU trouve, avec LES INNOCENTS, l’adaptation idéale qui échappe si souvent à cet exercice de transposition d’un medium à l’autre.

Notons, pour finir, que si l’un des films les plus connus de Jack Clayton par le grand public, à savoir LA FOIRE DES TENEBRES (production Disney dans sa période Dark du début des années 80) n’est guère célébré par la critique, deux autres de ses films figurent parmi les chefs d’œuvre absolus du film noir. Soit LES CHEMINS DE LA HAUTE VILLE (Oscar de la meilleure actrice pour Simone Signoret en 1959) et CHAQUE SOIR A NEUF HEURE, réalisé en 1967, probablement l’un des films sur l’enfance les plus noirs et désespérés jamais tournés, qui permet de relever ce thème récurrent dans son œuvre du passage difficile (impossible ?) de l’enfance à l’âge adulte.

LE CORRUPTEUR (1972)

Tu danses le tango, chérie ?
© MGM

Souvent présenté comme la préquelle des INNOCENTS, ce film de Michael Winner doit plutôt être vu comme une relecture du roman d’Henry James, dont il propose les origines. Car dès les premières secondes, le futur réalisateur du JUSTICIER DANS LA VILLE affiche une volonté évidente de trancher avec le film de Jack Clayton et d’en interdire la filiation. Du choix de la couleur à celui de la musique pastorale, en passant par l’inversion de l’âge des enfants (Miles est ici plus jeune que Flora), interprétés par deux acteurs au physique bien différent de ceux de 1961, il est impossible au spectateur de placer les deux films dans la même continuité. De la même manière, la photographie glauque, rugueuse et naturaliste de Robert Paynter oppose un contraste drastique avec le classicisme baroque et expressionniste de Freddie Francis et place le film dans la droite ligne du Nouvel Hollywood et de son esthétique en totale rupture avec celle du passé.

L’idée forte du film est de confier le rôle principal à un Marlon Brando alors en plein creux de la vague, dont le physique vieillissant ne parvient néanmoins pas à dissimuler une carrure toujours aussi imposante et un regard de braise à l’épreuve du temps, et don le jeu habité n’a pas non plus vieilli d’un yota. Manifestement courtisé par les cinéastes de la nouvelle génération (Francis Ford Coppola fera le voyage en Irlande pour lui proposer, en plein tournage du CORRUPTEUR, son rôle pour LE PARRAIN), son personnage ici-même préfigure celui qu’il interprétera dans un DERNIER TANGO A PARIS tourné également la même année !

Le titre français est en revanche plutôt mal choisi car il oriente beaucoup trop la lecture que peut avoir le spectateur qui approchera le film sans trop chercher à en décoder le sous-texte. Beaucoup plus évanescent, le titre originel THE NIGHTCOMMERS (Les Noctambules), laisse bien mieux opérer la suggestion. Car le principal intérêt de cette préquelle réside dans le décryptage d’une toile de fond aux multiples niveaux de lecture sociologiques.

Le personnage de Peter Quint interprété par Brando, qui est donc le palefrenier du manoir Bly, n’est au final pas vraiment plus corrupteur au jour le jour qu’un Gainsbourg décrit dans 5 BIS par Aude Turpault : Quint est un éternel enfant écorché vif qui offre à Miles et Flora un compagnon de jeu irrésistible car constamment inventif et excitant dans ce qu’il leur permet de braver les interdits dans la plus totale insouciance, tout en gardant la posture d’une figure paternelle protectrice. S’il les amène régulièrement à faire les 400 coups et à franchir les barrières de la bien-pensance (il leur apprend à torturer une grenouille, à brocarder les traditions religieuses, à prendre des risques en jouant les casse-cous), jamais il n’a de pensées ni de gestes équivoques à leur endroit. Et s’il n’hésite jamais à les bousculer psychologiquement (c’est lui qui leur apprend la mort de leurs parents quand tout le reste de leur entourage, à commencer par un oncle tuteur démissionnaire, le leur cache délibérément), sa présence est réellement rassurante et demeure celle d’un père de substitution. Magistral, Brando, qui se flanque pour l’occasion d’un accent irlandais rustre à couper au couteau, compose un personnage ambigu mais truculent à souhait, qu’il est impossible de détester.

Il n’est pourtant pas possible non plus d’aimer complètement Peter Quint. Car dès la nuit tombée, ce dernier se glisse dans le lit de Miss Jessel (la préceptrice des orphelins). Alcoolique et violent, il se plait alors à humilier sexuellement sa maitresse grâce à des pratiques sadomasochistes bien étudiées. Sans tabou et sans filtre, il n’hésite pas à s’en vanter d’une certaine manière devant les enfants, en célébrant les affres d’une relation amoureuse toxique, dans laquelle la haine et l’amour évoluent de concert afin de former une sorte de mantra idéale entre deux amants libres de toute entrave. Irréprochable le jour, Miss Jessel se rappelle dès la nuit tombée que la chair est faible et succombe systématiquement aux plaisirs défendus. Hélas, tout ceci ne serait pas encore trop condamnable (relation certes malsaine, mais consentie entre deux adultes) si les deux amants ne se souciaient guère, dans leur élan torride, que les deux enfants puissent être témoins de leurs ébats !

C’est ainsi que Miles et Flora vont développer, au fil de l’histoire, une vision de l’amour complètement pervertie (d’où ce choix de titre français maladroit) qu’ils vont s’amuser à répéter de leur côté !
Mais le véritable sous-texte du film se joue ailleurs : C’est du côté de la lutte des classes qu’il faut chercher.
Henry James écrit LE TOUR D’ECROU en 1898 et c’est une époque (admirablement illustrée dans la série télévisée DOWNTON ABBEY) de grands bouleversements pour le Royaume-Uni, où la noblesse se retrouve contrainte de renoncer à ses privilèges séculaires, d’abolir la distanciation qu’elle avait imposée au petit peuple, prise à la gorge par une évolution des mœurs qui va bientôt la faire chuter de son piédestal.

En écrivant cette histoire de manoir victorien dont les propriétaires viennent de mourir, et de ces orphelins laissés à la garde (et à l’emprise) de leurs domestiques, qui semblent corrompre le bel équilibre d’un empire en perte de puissance et de noblesse, Henry James tissait la métaphore d’un changement d’époque.

Dès lors que le spectateur a cette vison en tête, la lecture du CORRUPTEUR et le rôle de Peter Quint deviennent limpides : Etant devenu le seul homme de la maison, Quint possède enfin le pouvoir de prendre sa revanche sur cette noblesse qui lui a toujours matraqué son infériorité. Il éduque alors les enfants selon sa propre philosophie, quitte à les détourner de leurs valeurs séminales. Il humilie sexuellement sa maitresse, supérieure à lui dans la hiérarchie et l’ascension sociale (elle vient elle aussi d’un milieu modeste mais a réussi à s’élever dans la société). Il conchie les règles et les doctrines religieuses, auxquelles il oppose un athéisme affirmé et cynique. Il méprise la gouvernante et ses principes embourbés dans l’ancien respect indéfectible de la noblesse et des principes de bienséance (elle demeure sa seule opposante dans le manoir). Et, bien évidemment, il méprise au plus haut point son employeur (l’oncle des orphelins), en bâclant ses tâches et en n’en faisant qu’à sa tête.

Evidemment, Quint n’est pas à la hauteur de ce rôle et de cette liberté soudaine, concédée malgré elle par la noblesse, et il va rapidement tout détruire sur son passage…

On regrettera au final une ambiance typique du cinéma britannique naturaliste de cette période, pas meilleure que celle d’une simple série TV, avec son image délavée et sa musique pastorale (un comble pour Jerry Fielding, par ailleurs compositeur de LA HORDE SAUVAGE !), ainsi qu’un final terrible et jusqu’auboutiste, d’une cruauté qui n’était probablement pas nécessaire en ce qu’elle modifie drastiquement l’approche du livre d’Henry James.

Le film s’achève au moment où commence LE TOUR D’ECROU. Il est tout de même conseillé de commencer par ce dernier, car le final du CORRUPTEUR met un sacré coup au pauvre lecteur (ou spectateur des INNOCENTS) qui aurait un peu trop idéalisé certains personnages…
Film inratable, quoiqu’il en soit. Et, au fait : Celui-ci n’est pas, contrairement aux autres proposés dans l’article, un film fantastique.

LES AUTRES (2001)

Mais qui sont donc les autres ?
© Cruise/Wagner Productions

Le pitch : Sur l’île de Jersey, en Grande-Bretagne, dans un manoir isolé, Grace Stewart élève seule ses deux enfants, car son mari est parti au front (nous sommes en pleine seconde guerre mondiale) et ses domestiques ont également démissionné. Les enfants de Grace, Anne et Nicholas, sont atteints d’une grave maladie photosensible qui leur interdit d’être exposés à la lumière. Soit un mode de vie extrêmement contraignant qui oblige tous les habitants de la maison à vivre constamment dans une angoissante obscurité.

Au moment où trois nouveaux domestiques viennent sonner à la porte du domaine en quête de travail, Grace commence à percevoir quelques inquiétants phénomènes qui suggèrent une nouvelle présence dans la maison, manifestement d’origine surnaturelle…

A l’inverse du CORRUPTEUR, LES AUTRES se base avant-tout sur le film LES INNOCENTS. Il ne s’agit donc nullement d’une adaptation du TOUR D’ECROU, ni même d’un remake des INNOCENTS, mais d’une sorte d’hommage au film de Jack Clayton, qui mettrait en avant une certaine volonté de filiation et d’héritage.

L’histoire est donc totalement différente de celle du TOUR D’ECROU, et pourtant le spectateur ne peut s’empêcher d’avoir cette référence en tête, tant les détails apportent de points de comparaison : Une jeune femme (blonde et diaphane, de surcroit) flanquée de deux enfants, une fille et un garçon de huit à dix ans. Trois domestiques, soit un homme et deux femmes. Qui plus-est, un bon connaisseur des INNOCENTS va sans cesse remarquer les clins d’œil à destination du film de 1961 (le style de la maison, le tableau à craie de la préceptrice, les poupées, etc.). Au final, c’est une histoire distincte racontée avec les mêmes éléments !

Et enfin, il y a cette ambiance : Comme nous en parlions dans l’article dédié à la peur de l’indicible selon Maupassant, LES AUTRES, tout comme LES INNOCENTS, instille du début à la fin le doute dans l’esprit du spectateur, qui se demande s’il y a vraiment une présence surnaturelle, ou si tout n’est pas simplement dans l’esprit du protagoniste principal…

Le twist final apportera toutes les réponses aux questions soulevées (contrairement aux INNOCENTS), mais ne desservira jamais le film. Effectivement, là où le twist de SIXIEME SENS ne fonctionne réellement que la première fois, LES AUTRES est tout aussi passionnant au second visionnage, le spectateur ayant cette fois-ci en tête de le regarder selon un point de vue tout simplement opposé à la première fois. Sans divulgâcher la surprise, disons que le second visionnage nous permet de nous positionner de l’autre côté du surnaturel, et de reconsidérer entièrement les événements en décortiquant les mécanismes du script et de la mise en scène, le film devenant pour le coup encore plus passionnant que la première fois !

Evidemment, LES AUTRES n’est pas seulement un chef d’œuvre en ce qu’il parvient à faire renaître les sensations des INNOCENTS, mais aussi et surtout grâce au talent exceptionnel de son metteur en scène, le tellement brillant et hitchcockien Alejandro Amenàbar, également scénariste et compositeur de la musique du film (et donc auteur complet, qui recycle par ailleurs son thème récurrent sur l’Acceptation de la mort), ainsi qu’à celui de Nicole Kidman, qui porte le film sur les épaules fragiles d’un personnage si bien nommé, et qui trouve également, comme l’avait fait Deborah Kerr avant elle dans LES INNOCENTS, le rôle de sa carrière.

Attention cependant au petit cœur de certaines âmes sensibles : Si le film joue essentiellement sur le terrain de la suggestion en ne montrant quasiment jamais d’image réellement effrayante, son dénouement est d’une noirceur si implacable que vous n’en sortirez certainement pas indemne…

THE TURNING (2020)

Et si on faisait un peu peur ?
© Amblin / Vertigo

THE TURNING est une adaptation résolument moderne du TOUR D’ECROU, qui fait cette fois fi des INNOCENTS et qui transpose les événements du roman dans notre époque contemporaine.

La réalisatrice, Floria Sigismondi, jusqu’ici brillante enlumineuse de clips et réalisatrice sur la série DAREDEVIL, fait objectivement un superbe travail de mise en forme, et la photographie de David Ungaro est elle-même au diapason du genre, emballée dans une somptueuse imagerie gothique de circonstance. C’est hélas tout ce qu’il y a à sauver du film, mise à part l’interprétation des acteurs, tous irréprochables (on aura notamment reconnu Mackenzie Davis et Finn Wolfhard, respectivement transfuges de TERMINATOR DARK FATE et BLADE RUNNER 2049 pour la première, et bien sûr STRANGER THINGS et IT pour le second).


Le film est objectivement raté entant qu’adaptation.Bien sûr, il souffre d’emblée de la comparaison avec LES INNOCENTS. Mais même autrement, il n’est pas bon.

Infidèle au roman, il ne propose aucune relecture non plus et se vautre tout du long dans un enchainement inepte de scènes d’épouvante essorées jusqu’à la lie en répétant, une heure trente-quatre durant, les mêmes jump-scares, les mêmes apparitions fantomatiques dans les reflets, toujours les mêmes effets en boucle, qui deviennent à la longue ridicules, tant la protagoniste principale semble ne pas s’en apercevoir, laquelle se laisse sans cesse attirer dans les pires recoins du manoir où, très vite, tout le monde a compris (sauf elle !) qu’ils seront truffés d’apparitions spectrales tonitruantes. Toujours les mêmes, en boucle…

Pire encore, le final est absolument incompréhensible, le temps de deux twists illisibles, échouant brutalement sur un générique de fin obligeant les spectateurs à se regarder l’air mutuellement hébété…

Le roman était entièrement basé sur la suggestion, le doute entant qu’élément fédérateur (défrichant le thème du Fantastique cher à Maupassant, c’est-à-dire de la frontière ténue entre le réel et le surnaturel). THE TURNING met ainsi le pied dans le plat en troquant cette subtilité pour un agglomérat d’effets horrifiques vus et revus, usés jusqu’à la corde, et surtout complètement hors-sujets, avec fantômes sanglants et effrayants dans tous les coins. Et forcément, ça tâche !

Le verdict est sans appel : THE TURNING est aux INNOCENTS (et bien évidemment au TOUR D’ECROU) ce que THE HAUNTING de Jan DeBont était à LA MAISON DU DIABLE de Robert Wise…

L’amateur de films d’épouvante n’ayant aucun rapport affectif avec LE TOUR D’ECROU pourra éventuellement passer un bon moment de cinéma, car le film est plastiquement très beau et les acteurs, excellents. En ce cas, pourquoi pas. Mais le résultat restera extrêmement balisé et surtout complètement raté et passablement incompréhensible dans son dénouement…

THE HAUNTING OF BLY MANOR (2020)

C’est reparti pour un tour… d’écrou…
© Netflix

Comme nous le disions en introduction, THE HAUNTING OF BLY MANOR est la seconde saison de la série anthologique THE HAUNTING, qui adapte à chaque nouvelle saison un classique de la littérature de Maison Hantée.
C’est donc, à l’heure d’aujourd’hui, la dernière adaptation en date du TOUR D’ECROU.

Les trois premiers épisodes forment un remake, à la lettre, des INNOCENTS en moins bien : Réalisation, interprétation, ambiance et musique, tout sent la redite aseptisée sous la reprise du thème de Georges Auric. C’est à partir de l’épisode 4 que le récit se met soudain à ignorer complètement le modèle original. La série réinvente alors le récit, ses fondements et son concept ; le prolonge, le dépasse, le remue dans tous les sens pour finir par le reconstruire avec de nouveaux enjeux (et de nouvelles origines). Une véritable relecture.

Autant la série était insipide tant qu’elle faisait office de copié-collé des INNOCENTS, autant elle décolle enfin à mi-saison, avec une forme libre et envoûtante désormais autonome.

Certes, les constituants thématiques semblent avoir été, avec le recul, introduits au forceps afin de flatter les inclinations de tous les bienpensants et autres SJWs de la planète, en ce que les personnages remplissent le cahier des charges des melting-pots raciaux et autres orientations sexuelles en tout genre (pour ne pas choquer ces messieurs-dames des réseaux sociaux et ne pas soulever d’émeutes virtuelles aujourd’hui : prière de flatter tout le monde…). Mais, force est de constater que l’ensemble est bien troussé et que les personnages sont indéniablement attachants.

Hélas, le dernier tiers de la saison s’emmêle dans d’obscurs écheveaux scénaristiques et, telle une malédiction, s’engouffre dans les mêmes embrouillaminis que THE TURNING, par le truchement d’un script incongru, voire incohérent, qui régurgite toutes ses ramifications labyrinthiques dans une fin ouverte complètement loufoque, démontrant clairement le marasme dans lequel les scénaristes ont fini par se perdre, à force de s’éparpiller…

Dommage, La relecture du TOUR D’ECROU et l’hommage aux INNOCENTS, soumis au principe de déconstruction et de reconstruction thématique de scénaristes contemporains avides de transpositions postmodernes, promettaient de faire des étincelles (c’est toute l’œuvre d’un Alan Moore sur le principe !).

Au final, on peut apprécier le spectacle comme un show de très bonne qualité (j’ai vraiment passé un bon moment, c’est bien fait et bien joué, avec une atmosphère envoûtante), mais sans être dupes : la seule chose vraiment claire, c’est que les scénaristes se sont complètement perdus dans les dédales de leur manoir avant de rendre leur copie…


La BO –

58 comments

  • Bruno. :)  

    …!
    J’ignorais complètement la relation entre la chanson de Kate Bush et le sujet du roman ! J’avais toujours pensé que, talent romantico-subversif oblige, elle s’était permise cette incursion poétique très politiquement incorrecte (tu parles, tCharles !) par simple inspiration/caprice artistique.

    Je n’ai jamais vu le film avec Deborah Kerr, même si j’en ai entendu parler ; et ça semble bien intéressant, au niveau du chevauchement des sujets (Fantastique et étude de mœurs). Et, si je vous ai bien lus, une analyse socio-politique, sauce torturée (!) pour celui avec Brando -acteur décidément sacro-saint, chez vous, les amateurs de Ciné.
    Je vais chercher tout ça sur la toile.

    Bon, je ne vous rejoins pas, dans l’ensemble (article et commentaires), sur un film comme Les Autres, pendant lequel je me suis beaucoup ennuyé, tant sa mise en scène est appuyée, le jeu des acteurs complètement théâtral et le « twist » évident -Kidman est si franchement surréaliste, si hiératique et stylisée, qu’elle induit derechef le Fantastique dans l’histoire, ruinant le « suspense » d’un seul coup. Dans Birth, elle est beaucoup plus subtilement employée, même si l’exploitation du sujet du film, ainsi que le jeu de son conjoint (!), sont beaucoup moins judicieusement rendus.
    Je confirme qu’il faut voir Prête À Tout et, dans une moindre mesure, Malice : elle est excellente dans les deux.

    J’ai, quant à moi, magnifiquement fonctionné au film de Shiabalabalamanne, Le Sixième Sens ; le seul truc vraiment manifestement incohérent de l’histoire -c’est très personnel !- étant la crédibilité de Bruce Willis en pédopsychiatre. 🙂
    Mais je remarche à tous les coups, tant le sujet objectif n’est pas le Fantastique de la situation (pourtant prodigieusement anxiogène), ni le malentendu scénaristique impliqué par lui ; mais bel et bien une présentation du lâcher-prise et de la reconstruction après la perte (la séparation entre Bruce et sa femme, l’absence du père pour le gamin); l’originalité intrinsèque et intérêt du long métrage n’étant pas tant le pouvoir du garçon que l’assimilation par le pédopsychiatre de sa situation objective, paradoxalement (quoi que…?!) très humainement bouleversante.
    Pas trop fan du jeu lourdingue de Tony Collette, par contre (toujours un mystère pour moi, son succès…) ; mais absolument soufflé par Halley Joel Osment ; qui fera encore plus fort, au niveau expressivité subtile (niveau Bernadette Peters, quand elle ne chante pas seule…) dans A.I., de Spielberg -exercice filmique complètement mal fichu, de mon point de vue : beaucoup trop chargé en sujets potentiels non-exploités, inconfortablement écartelé entre plusieurs publics (la course-poursuite !), mal équilibré dans la mise en avant des scènes (l’abandon, la « réincarnation », complètement outrées…), et avec, genre, vingt minutes de film (un autre film ?!) en trop.
    À ceux que ça intéresseraient, je conseille la lecture de la nouvelle dont a été -douloureusement, manifestement- tirée le film : Supertoys Last All Summer Long, de Brian Aldiss. Un summum d’intelligence et d’émotion en seulement quelques brèves pages, et dont l’angoissante tristesse du sujet m’a longtemps poursuivi.

    • Tornado  

      N’hésites pas à voir LES INNOCENTS, d’abord. Et à nous dire comment tu as trouvé ça !

    • Jyrille  

      J’ai vu Malice cette année, c’est très sympa, mais ça ne dépasse pas le statut de série B agréable. A.I. est clairement un film avec divers passages, hérités ou non, puisque au départ c’est Kubrick qui devait le réaliser. Quant à Haley Joel Osment, pour le revoir avec un physique, un jeu et un personnage totalement différent que l’enfant en apprentissage (que ce soit dans A.I. ou Sixième sens), il faut regarder la série télé LA METHODE KOMINSKY.

  • Bruno. :)  

    A-Y-EST pour Les Innocents -en VO, sur le Tube.
    Ho dis donc, c’est bien barré !
    Je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi « vieillot », niveau jeu et mise en scène : je n’ai que The Haunting, avec Julie Harris, pour comparer, et ça m’avait semblé beaucoup moins raide, en ce qui concerne la direction d’acteurs. Mais ça n’enlève rien au film, en lui-même. C’est plein de très beaux plans -la « baraquasse » et la propriété s’y prête !

    Si je devais avoir un avis, je dirais que le personnage joué par Deborah Kerr a TRÈS manifestement un grain… Rien que l’entretien avec l’oncle ! Ça renforce la crédibilité de son personnage à lui, d’ailleurs : égoïste et insensible, au point de ne pas voir d’inconvénients à confier ses neveux à une cinoque pareille. Les mimiques compassées de Deborah Kerr, ainsi que ses -impossiblement !- lents mouvements de tête m’ont filé un malaise immédiat. Heureusement que ça se dégèle, une fois rendu sur place. Et tout ce qu’elle assène au minot, vers la fin, et notamment la nécessiter d’aider l’autre « même si ça doit le faire souffrir », éducation religieuse oblige, tend à renforcer l’idée qu’elle est un poil déséquilibrée.

    C’est prodigieusement glauque, la supposition du « jeu » des gamins, qui (possession spirituelle ou simple perversité ?!) reproduiraient les mœurs dissolues des amants trépassés. On est clairement loin de l’argument Fantastique premier du film, simple prétexte qui permet de vendre le sujet, plutôt scabreux, de l’influence mauvaise de l’ancien valet sur « l’éducation » de ses pupilles.
    Je ne connais pas le roman et j’ignore dans quelle direction il va, mais le film m’a semblé avoir le cul entre deux chaises, du coup ; le baiser de l’adulte sur les lèvres de l’enfant n’ayant rien à voir avec le reste, n’étant, dans ces circonstances précises, qu’un chaste adieu à l’être aimé -et à jamais le seul.

    Sacré exercice, n’empêche : je me demande si le public a suivi, à l’époque ? Ça a du dérouter les amateurs d’étrange, car ça rejoint d’avantage le genre du drame psychologique ; avec simplement une touche de Fantastique qui renforce l’intensité des émotions mises en scène ; un peu comme pour Les Hauts De Hurlevent.
    Té ! J’ai pas perdu mon après-midi. 🙂

    • Tornado  

      Tu peux lire aussi le bouquin. Je l’ai relu il y a pile un an et c’est passé comme une lettre à la poste (lu en deux jours ou quasiment). C’est pareil dans le bouquin : Très ambigu sur le fait qu’on hésite entre les fantomes ou entre le fait que la préceptrice est folle.
      À mon avis, le public de l’époque a sans doute pris le parti du fantastique. Je dis ça j’en sais rien. Mais je pense qu’ils n’était sans doute pas habitué à ce genre de nuances.
      Je te trouve dur avec la forme du film. Par exemple je le trouve plus moderne et subtil que THE HAUNTING. Et pourtant dieu sait que je vénère également ce dernier.

      • Bruno. :)  

        Voui, tu as raison : je crois que je n’ai pas complètement pris en compte l’époque où c’est sensé se passer -ainsi que le milieu, franchement suranné, lui aussi. Seulement deux/trois années séparent la réalisation des deux films, mais The Haunting dépeint quelque chose de plus contemporain, d’où mon ressenti plus emphatique -et son sujet est franchement Fantastique, par contre.
        Je suis d’accord aussi sur le côté démonstratif de ce dernier, qui a presque un côté « série B » en ce qui concerne les personnages. Les Innocents témoigne d’avantage de ses volontés cinématographiques : c’est plus « grand », mais plus théâtral, aussi ; ne serait-ce qu’au travers des échanges, mises à part les dernières scènes. Il appartient à une tradition dont l’autre se détache -un peu-, ne serait-ce qu’avec sa longue scène d’introduction, qui situe socialement, et de manière un poil insistante, l’héroïne ; ainsi que via ses dialogues, plus directs et signifiants.

        J’assimilerai probablement mieux ce classique à l’occasion d’un re-visionnage (c’est toujours comme ça, avec moi).

        • Jyrille  

          Merci Bruno, j’ai pu moi aussi regarder THE INNOCENTS sur le Tube, en VO sous-titré VO, et, il faut le noter, sans aucune coupure pub. J’ai trouvé un autre article où ce film est déjà chroniqué par Tornado. Il dit ceci avec lequel je suis totalement d’accord :

          « Toute la force de ce chef d’œuvre réside dans sa mise en scène toute en nuance et en tension psychologique (la bande son venant renforcer les images, avec écho lointain et chuchotements). »

          Il faut ajouter la très belle photo et toute l’ambiance portée par l’éclairage qui a dû pas mal demander de boulot sur le tournage. Au premier abord, j’ai envie de croire au fantastique, on voit tout à travers des yeux du personnage, mais il subsiste en effet un doute tout du long puisque personne ne confirme ses dires. Cela dit, le comportement des gamins est terriblement ambigu lui aussi. Très beau boulot quoi qu’il en soit, même si je ne comprends pas vraiment comment cette fin puisse arriver, et puis il reste des zones d’ombres, beaucoup, sur la suite des événements.

          Coïncidence ou presque : cette année, j’ai vu pour la première fois LES AUTRES et j’ai trouvé ça excellent de bout en bout. Je te rejoins totalement dans ton analyse. Sauf que je n’avais pas vu les références au film LES INNOCENTS puisque je ne l’avais pas vu. Sait-on jamais si l’envie me reprend de me le revoir (plastiquement il est très beau, mais je n’ai vu aucun autre film de son réalisateur).

          • Bruno. :)  

            C’est vrai que la dernière scène de Les Innocents est un poil tirée par les cheveux : autant le paroxysme de l’angoisse du garçon, forcé par le personnage de Deborah Kerr à regarder la réalité en face -il n’est pas la « réincarnation » des désirs de son ancien modèle, mais bel et bien le seul responsable de ses actions- peut justifier une syncope, due au choc psychologique insoutenable pour son esprit conscient, autant son décès consécutif (et instantané !) à ce traumatisme émotionnel parait peu crédible, à moins qu’il n’ait eu une faiblesse physiologique de naissance, cardiaque ou autre, le rendant particulièrement vulnérable à un accès d’émotions violentes.
            J’imagine que la gouvernante, à l’issue de ce drame, finit jugée pour maltraitance… Sauf si on lui fait passer des tests psy : dans ce cas-là, c’est l’asile, directement.
            Ah, c’est gai ! 😉

          • Tornado  

            Que ce soit Jack Clayton (LES INNOCENTS) ou Alejandro Amenábar (LES AUTRES), on tient-là deux réals dont la filmo vaut franchement le détour.
            Essayez CHAQUE SOIR À NEUF HEURES de Jack Clayton, et vous verrez, malgré son âge, le film le plus douloureux sur le monde de l’enfance (également teinté d’une pointe de fantastique) de toute l’histoire du cinéma…
            Alejandro Amenábar il y a bien sûr OUVRE LES YEUX (VANILLA SKY en est le remake) et AGORA que vous pouvez essayer sans risque d’être déçus (je pense).

  • Bruno. :)  

    Ben, heuu… L’enfance malheureuse, c’est pas vraiment un sujet qui m’appelle : j’ai pas assez de distance pour ça. J’ai récemment vu Close, de Lukas Dhont, because le film a fait du bruit à sa sortie -dans les milieux du cinéma, en tous cas- et que j’ai cru être concerné par le sujet ; mais finalement pas tant que ça : je n’ai pas vraiment connu les situations mises en scène, même si je les ai observées autour de moi, chez certains camarades -sans les analyser consciemment, bien sûr- dans mes jeunes années (et même jeune homme, plus tard. C’était particulièrement bien rendu, et LES sujets (!) très bien amenés ; et puis les gosses étaient extraordinaires.
    À l’occasion, je me ferais la version originelle de Vanilla Skies, histoire de, parce que je n’ai pas fonctionné à Les Autres du tout ; même si je comprends que des amateurs de genre puisse l’apprécier pour ses qualités formelles : je suis loin d’être aussi pointu, et cet aspect-là du travail cinématographique passe « après », dans mes ressentis de spectateur. Ça ne suffit pas à me happer « dedans ».

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