EXIT par Nabiel Kanan
AUTEUR : 6 PATRICK FAIVRE
VO : Caliber Comics
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Il est temps pour moi de chausser mes bottes rouges, de mettre ma cape, d’enfiler mon slip sur mon collant et de m’élancer à l’assaut d’une des injustices les plus flagrantes du petit monde du comics : Je veux parler du total insuccès de la série de Nabiel Kanan « EXIT » !
Que cette série soit totalement restée méconnue (et même carrément non traduite dans nos contrées) est tout simplement incompréhensible !
Imaginez que L’Attrape cœur de Salinger n’ai jamais été publié en France, imaginez que Le grand Meaulnes d’Alain-Fournier soit resté dans l’ombre et vous aurez une très bonne idée de l’injustice faite à Monsieur Kanan !
La découverte de cette série, au hasard d’un voyage à Londres dans un petit comics shop dans les années 90, provoqua chez moi un choc similaire à la découverte du premier Sin city de Miller quelques mois plus tôt ! Je n’avais tout simplement jamais vu un traitement aussi remarquable et créatif du noir et blanc (dans un genre radicalement différent de celui de Miller, pas de scènes d’action ici, tout est en retenu et en intimité). Un choc pareil ne s’étant plus jamais reproduit par la suite, il n’en est que plus important !
Mais commençons par le commencement : Au début des années 90 l’Anglais Nabiel Kanan se fait publier pour la première fois dans les pages d’un magazine d’outre-manche « Deadline ».
Le graphisme innovant et le scénario traitant de cette zone floue et marécageuse qu’est le début de l’adolescence lui permet tout d’abord d’être republié en comics par l’éditeur Anglais Taxi Comics puis de se faire repérer par l’éditeur Américain indépendant Caliber. Sa première série sera donc republiée en TPB chez l’éditeur. Soutenu par Dave Sim et son Cerebus une seconde série verra le jour quelques années plus tard.
Volume 1 « Into the sun » (1992)
L’histoire suit un groupe d’adolescents Britanniques coincés entre la fin de leurs examens et l’attente de leurs résultats qui va décider de leur avenir. L’été se passe dans l’insouciance à traîner, à faire des pique-niques et à flirter. Le portrait semble idyllique sauf que sous la surface se cache une histoire bien plus sombre… Un gang de mafieux est à la recherche d’un de leur ami, Roger, disparu mystérieusement 18 mois plus tôt…
Dans le cadre d’un échange scolaire des étudiantes Américaines étaient venues dans la petite ville Anglaise de Murton. Roger tomba amoureux de l’une d’elle. Après le départ de celle-ci, il n’eut qu’un seul but : Aller la retrouver aux US ! Pour atteindre son but obsessionnel il s’aidera hélas de très douteuses relations.
Alors qui le trouvera en premier ? Les mafieux ou ses amis ?
Pendant que la menace sourde d’une guerre dans le Moyen Orient se fait sentir, passé et présent se mêlent alors que l’on apprend ce qui est réellement arrivé à Roger…
Entre peur de l’avenir, quête absolue de l’amour, découverte de soi-même et des autres, cette série exprime très bien le malaise adolescent. Le talent de Kanan réside souvent dans les non-dits et dans sa pudeur, seule une deuxième relecture attentive permettra de noter des nuances et de comprendre les détails qui nous aurons échappés à la premières lecture…
Graphiquement dans les premiers numéros Nabiel Kanan n’a pas encore trouvé son style, le travail sur les noirs et blancs est déjà impressionnant (pas de gris dans ces pages, le contraste est saisissant) mais reste un peu confus… On a parfois du mal à déchiffrer les dessins. L’encrage est encore trop épais pour la délicatesse du trait.
Heureusement on peut clairement voir le style s’apurer et s’affiner au fur et à mesure de l’avancement de l’histoire, avant d’atteindre la maîtrise de son art à la fin du premier volume. Les pages sont souvent un montage ou les personnages se répètent plusieurs fois dans un seul et même décor. L’effet est saisissant comme sur la page ci-dessous :
A noter que non seulement ce brillant comics a été peu édité mais il a aussi été mal édité ! le TPB est tellement mal réalisé que toutes les pages finissent par se décoller ! Le seul espoir d’apprécier cette histoire dans des conditions acceptables est de retrouver les comics individuels originaux… Bonne chance à vous !
Volume 2 « Traitors » (1995-1997)
L’école est finie, Karl et Louise profitent de l’été et de leur amour naissant. Un jour lors d’une promenade dans un parc, Karl espionne avec ses jumelles un couple en train de s’ébrouer gaiement sur l’herbe…Quelle ne sera pas sa surprise de se rendre compte par la suite que l’homme qu’il a vu en pleine action n’est autre que le père de sa copine, Louise ! Oups surprendre beau-papa en pleine relation adultérine n’est vraiment pas la meilleure façon de faire connaissance…
En temps normal Karl est déjà un garçon complexe, mais face à cette situation pour le moins inhabituelle il perd carrément ses repères ! Dire ou ne pas dire à sa copine tel est son dilemme ! En attendant de trancher la question, il décide de le prendre en filature…Il ne tardera pas à découvrir que l’infidélité de son beau-père n’est que la partie émergée de l’iceberg.Entre trahisons, désillusions et avenirs bouchées, la série n’est guère tendre avec le monde des adultes…
Outre la qualité de son dessin le grand talent de Nabiel Kanan est de parfaitement retranscrire les affres de l’adolescence : Les ados se cherchent, expérimentent, se trompent, font n’importe quoi… Le scénariste n’est en rien complaisant avec ses personnages. Karl est clairement une tête à claque au comportement tout simplement immature et parfois idiot (Au point de compromettre sa relation avec sa petite amie) mais toujours touchant et émouvant dans ses errances et ses hésitations.
La série ne sera éditée qu’en comics (toujours chez Caliber) et ne connaîtra jamais les joies d’une édition reliée. 6 numéros au total publiés à un rythme très erratique.
Post-Exit
Le moins que l’on puisse dire c’est que Mister Kanan ne fut pas prolifique ! Après Exit il disparut des radars ne publiant que trois romans graphiques au cours de ces 20 dernières années ! Ces trois BD ont été publiées en Français (Miracle !) chez l’éditeur La boite à bulles.
Lost girl (1999) encore une histoire de passage à l’âge adulte mais cette fois ci vu du point de vu féminin. Beth une adolescente sans histoire rencontre, au cours des vacances avec ses parents, « Une fille perdue » (dans tous les sens du terme) à la vie dissolue et sexuellement déjantée qui va radicalement la changer le cours de son destin…
Graphiquement les expérimentations d’Exit sont terminées et ont fait place à un style plus dépouillé et épuré.
Birthday riots (2001) Max Collins est un homme marié, sa carrière est à son apogée (au service du futur maire de Londres) il a tout pour être heureux, mais l’anniversaire des 15 ans de sa fille vont réveiller en lui des vieux rêves et mettront en lumières toutes les trahisons, toutes les compromissions qui ont jalonnées son parcours…
La crise de la quarantaine sur fond de crise sociale. Un petit bijou parfaitement bouleversant, même si une fois n’est pas coutume le monde des adultes n’en sort pas grandi…
The Drowners (2006) Plongée en apnée dans le monde peu reluisant de la sphère médiatico-financière, avec cette fois ci une intrigue qui se rapproche bien plus du polar ou du thriller sur fond d’érotisme, de violence et de lutte des classes ! Avec cette histoire de vengeance ou personne n’est exactement ce qu’il parait, Kanan s’éloigne de ses thèmes de prédilections tout en gardant une atmosphère so British.
En guise de conclusion je ne pourrais vous donner qu’un seul conseil : Si vous trouver un jour par chance une Bande dessinée avec le nom Nabiel Kanan écrit dessus, achetez la vous ne le regretterez pas ! Vous voilà avertis.
Quelle trouvaille, Patrick ! Et une prose limpide pour présenter l’oeuvre.
Le noir et blanc est superbement exécuté, avec beaucoup de finesse mais la faible disponibilité de l’oeuvre et les thèmes abordés douchent mon enthousiasme. Du coup, cette BD ne « m’excite » pas plus que ça (sic).
Effectivement, c’est un très joli noir & blanc qui évoque tour à tour (au moins à mes yeux) Matt Wagner, Tim Sale, ou même Eddie Campbell. En farfouillant, il semblerait que le petit éditeur Desperado Publishing (2004-?) ait un temps envisagé une intégrale d’Exit, mais vraisemblablement jamais sortie. Il a quand même droit à une page sur le site de Forbidden Planet.
http://www.forbiddenplanet.co.uk/blog/2013/lost-works-exit-by-nabiel-kanan/
En tout cas, ton article donne une furieuse envie de lire Exit. Je le verrais bien réédité par un éditeur comme Top Shelf.
Mais tu es le diable ! Petit allumeur va ! Ouais, cette BD est géniale, mais elle n’existe pas ! J’aime beaucoup les dessins, notamment les panorama. L’histoire du Beau père de KArl m’évoque « Premier Amour » de Tourgueniev. Frustration……
Merci, tu me fais perdre 20 ans. J’ai eu le même coup de foudre que toi au même moment. J’adore Kanan. Quand Scarce a fait un spécial inde il y a déjà 8 ans j’ai pu faire une page sur lui et réparer, à ma petite échelle, une injustice m’a ravi. Dommage que la faible production de cet artiste fait que 8 ans plus tard mon article est encore presque exhaustif.
Exit à une place à part dans mes lectures et je l’avais presque oublié. Merci pour ce rappel
Merci à vous ! Je pense que pour trouver ce brillant comics de nos jours il n’y a que 3 solutions :
1/ Faire une pétition pour demander son retour
2/ Detestination ebay, amazon et autres…
3/ Quelqu’un connait un éditeur parmi vous ?
Hey, tu sais, le Phil a des contacts aux Editions Black and WHite…
Aguichant ! Intéressant ! Rassurant en cette période au cours de laquelle il n’est question de « Grexit » ! Merci !
hey Kanan a annoncé pour 2016 un omnibus de Exit!!!!!!!!!
C’est pas la classe!!!!!!
Concernant Catcher in the rye à ma connaissance il n’y a pas de BD (inadaptable !) Pour le Grand Meaulnes il en existe une mais j’ai un comme un doute sur la qualité du résultat…
J’ai lu Lost Girl et Les Noyés cette semaine.
C’est effectivement du pur comic indé avec la volonté de ne pas plaire à tout le monde, un joli dessin épuré et une exploration des émotions humaines. Cependant quand ‘s’est terminé Lost Girl, même symptôme que pour le Gaiman/Ba/Moon : »Et…? ». Bon j’ai trouvé ça à un 1€ ceci dit, on ne pourra pas dire que ma curiosité m’a ruiné…
Ahah je me doutais que Lost Girl ne te plairait pas (mais j’ai tenté le coup quand même) en revanche en toute bonne logique Noyés aurait dû te plaire…
Logical is no Bruce Bed.
Mais c’est celui de Monsieur Spock ! Quel dommage ! Pourtant c’est une histoire concrète et précise exsangue de tout onirisme… C’est du Bruce tout craché ça !
La difficulté de la transmission intergénération, le rôle du père, le blues de l’employé de bureau… Que des sujets lourds et d’actualité !
Un peu pareil que l’auteur, j’ai découvert cette série dans les pages de Deadline, et ce fut un énorme choc. à tel point que pour la première fois, j’ai succombé à cette tradition d’envoyer une lettre à son auteur, qui se retrouva publiée dans un des numéros de la seconde série.
Quand j’y pense, au delà de l’exceptionnel dessin, c’est surtout les dialogues qui m’ont marqué, et qui résonnent encore aujourd’hui, particulièrement en ses temps de crise sociale et de guerre.
Une BD d’auteur, pê aujourd’hui un peu surannée, comme les films de Wenders jadis adulé, mais Kanan avait cette force de donner une réelle multi dimensionnalité à ses personnages, y compris féminin, y compris absents.
On se sent un peu moins seul avec cet article