Maltraitance (Bad Rat)

The tale of one bad rat par Bryan Talbot

Un article de PRESENCE

Cette histoire est parue initialement sous forme d’une minisérie en 4 épisodes, éditée par Dark Horse comics en 1994. Elle vient d’être rééditée chez Delirium. 

1ère publication le 9 mars 2014- MAJ le 09/02/25

TTOOBR couverture

 Réalisme sans misérabilisme ©Dark Horse

L’histoire s’ouvre une publicité murale pour un paysage vert et vallonné ventant le tourisme de la campagne anglaise. C’est l’affiche que contemple Helen Potter,une très jeune femme. Elle est assise en tailleur adossée contre un mur du métro en faisant la manche. Une rame arrive, elle se jette dessous, le sang éclabousse l’affiche sous les regards horrifiés des gens.

En fait, Helen est toujours assise, elle a juste imaginé qu’elle se suicidait. 2 ou 3 personnes échangent une ou deux paroles avec elle, jusqu’à ce qu’un monsieur faisant du prosélytisme finisse par la faire fuir à la surface.

Elle contemple un instant le sapin géant décorant Trafalgar Square, avant d’aller se débarbouiller dans les lavabos de toilettes publiques et de reprendre sa mendicité à l’air libre.

En même temps, elle se remémore la première fois qu’elle a lu un livre de Beatrix Potter (auteur du  grand livre de Beatrix Potter: L’intégrale des 23 contes classiques de l’auteur). Depuis elle a pris l’habitude de reproduire ses illustrations.

Du comté de Cumbrie au métro de Londres

Du comté de Cumbrie au métro de Londres ©Dark Horse

Un soir elle est abordée par un grand bourgeois aviné qui lui fait des avances. Une bande de jeunes la tire de cette situation difficile et pénible. Après réflexion, elle accepte d’aller squatter avec eux dans une maison spacieuse inoccupée. L’un des squatteurs construit une œuvre d’art à base d’objets hétéroclites de récupérations qu’il met en couleurs à l’aide de bombes.

Mais Helen a du mal à supporter cette forme de société et les démonstrations affectives de tout ordre. Il apparaît qu’elle a été la victime d’attouchements de la part de son père. Elle finit par reprendre son indépendance et son errance l’amène dans le comté de Cumbrie, la région d’Angleterre où s’était établie Beatrix Potter.

Bryan Talbot est un créateur britannique avec un parcours atypique. En 1994, il se lance donc dans cette histoire qui met en scène une très jeune femme qui a souffert de parents indignes (la mère qui lui répète régulièrement qu’elle aurait préféré ne jamais l’avoir et le père qui la contraint par la culpabilité à le toucher), qui vit dans la rue et qui va finir par se débarrasser de sa position de victime pour pouvoir aller de l’avant.

La pluie pour laver les saletés de l'âme.

La pluie pour laver les saletés de l’âme. ©Dark Horse

En 1994, il n’y avait pas d’équivalent dans les comics (même underground), et encore moins publié par un éditeur majeur comme Dark Horse. Cette histoire bénéficie de rééditions régulières. Bryan Talbot raconte avant tout une histoire avec une progression dramatique, un début, une fin et des thèmes qui ne se limitent pas à celui de la maltraitance.

Le lecteur découvre également une première déclaration d’amour à la campagne anglaise, superbement mise en valeur par les illustrations de Talbot (il ira encore plus loin dans ce sens avec Alice in Sunderland). Il ne s’agit pas d’une ode pastorale, mais simplement de la mise en valeur du plaisir de la proximité de la nature.

Ce thème découle naturellement de la passion que nourrit Helen pour Beatrix Potter, une auteure qui a écrit des livres pour enfants avec des animaux anthropomorphes, livres inscrits au patrimoine culturel de l’Angleterre. Talbot utilise quelques éléments de la biographie de Potter pour faire grandir Helen. Il attire l’attention du lecteur sur le fait que derrière chaque livre il y a un créateur qui est un être humain.

La couverture de ce tome est un hommage graphique aux éditions classiques des livres de Potter. Et Talbot consacre 10 pages à écrire un pastiche intitulé « The tale of one bad rat » qui sera sûrement la première œuvre d’Helen Potter. Il décrit également Helen comme une artiste qui doit s’exprimer par le dessin, qui doit coucher sur le papier les images oniriques qui l’habite.

Bienvenue à la campagne

Bienvenue à la campagne ©Dark Horse

Et puis il y a Helen et la souffrance qui consume ses forces psychologiques. Bryan Talbot a construit son histoire sur des choix délicats : les parents d’Helen sont uniquement présentés sous le jour défavorable de leurs défauts.

Ils sont vraiment les bourreaux qui l’ont torturée psychologiquement, sans même avoir conscience du mal qu’ils faisaient. Bryan Talbot ne se complaît jamais dans le voyeurisme, il met en scène la souffrance terrible d’Helen, son cheminement, la culpabilité dont elle s’accable (certainement l’un des aspects les mieux expliqués et les plus éclairants sur les mécanismes psychologiques de la victime) et l’impossibilité d’oublier ces mauvais traitements.

Du début à la fin, il utilise un style assez réaliste et méticuleux qui place le lecteur dans les rues de Londres, dans le squat, dans l’auberge de campagne. Il ne joue jamais sur le registre du misérabilisme ou du sordide.

Bryan Talbot propose à son lecteur de suivre le chemin qui mène à l’émancipation du statut de victime d’Helen Potter. Le récit comporte d’autres composantes toutes aussi prenantes et éloignées des lieux communs.

C’est un récit qui vous fait partager le quotidien d’une jeune femme blessée, avec délicatesse et intelligence, sans recourir à un pathos larmoyant. Dans sa postface, Talbot rappelle la nécessité de dire ces maltraitances, d’en parler pour en reconnaître l’existence, de délivrer les victimes de leur culpabilité  et de leur crédo : si ça m’est arrivé, c’est que je l’avais mérité.

Cherchez l'intrus !

Cherchez l’intrus ! ©Dark Horse

9 comments

  • Bruce lit  

    Je l’ai lu cet été et ai trouvé les dessins magnifiques. Le scénario est un peu vieillot je trouve, en deça de ce que j’attendais. Mais il est vrai qu’en travaillant auprès d’enfants en danger, mon niveau d’exigence est ( encore plus ) élevé ( que d’habitude). En tout cas, cette histoire a le mérite d’exister et l’ouverture est très réussie !

  • Bruce tringale  

    Bon je l’ai relu. Je trouve que la résolution du conflit est un peu maladroite au vu du travail que je fais au quotidien avec « mes » familles. Mais l’intention de Talbot est indéniable et je trouve la première partie dans Londres très réussie.
    La personnalité d’Helen m’a plus ému qu’à la première lecture et j’ai mieux saisi les métaphores que Talbot distille au long de son récit. Je trouve les couleurs très belles. Je l’aurais noté 4 étoiles mais finalement le volet social étant intrinsèquement lié à la fantaisie de Talbot, c’est finalement très pardonnable. Je ne regrette pas du tout mon achat, d’autant plus que je suis très fier de ma dédicace. Ma femme s’en est emparé et a été plus critique que moi…. Oui dans le couple, c’est moi le moins sévère….

  • Bruce Lit  

    11 ans ont passé depuis ces débuts, Presence.
    Quel chemin parcouru pour nous tous !

    • Présence  

      Bruce Lit : un bel accomplissement, tu peux en être fier

      Merci pour tout ce que ça m’a apporté.

  • Jyrille  

    En relisant cet article, j’ai quelques souvenirs qui me sont remontés, mais j’avais totalement oublié qu’il s’agissait du même auteur que Grandville, dont les 5 tomes m’attendent.

    C’est peu de dire que tu donnes envie, Présence, surtout lorsque tu parles de description campagnarde et de délicatesse pour un sujet aussi compliqué. Je note dans un coin, un jour peut-être !

    Et bien évidemment, merci pour avoir fait remonté cet article qui permet de voir le chemin parcouru depuis les débuts de ce blog. Impressionnant.

    • Présence  

      Comme Tornado, j’ai découvert Bryan Talbot avec Luther Arkwright, dix ans après sa sortie, vraisemblablement vers 1990. Cette œuvre m’a marqué, et j’ai suivi la carrière de cet auteur complet, qui a reçu a bénédiction de Michael Moorcock pour Arkwright dérivé à l’évidence de Jerry Cornelius.

      J’ai ensuite découvert qu’il avait illustré quelques épisodes de la série Nemesis the warlock, de Pat Mills.

      Je l’ai retrouvé sur quelques épisodes de Sandman de Neil Gaiman. J’ai beaucoup apprécié ses collaborations avec son épouse Mary Talbot. Fut un temps, le présent site abritait un article (avant que Bruce ne le supprime) sur Metronome qu’il avait signé du nom de plume de Véronique Tanaka.

      • zen arcade  

        Pour moi, son chef d’oeuvre, c’est Alice in Sunderland.
        A peu près la seule bande-dessinée où je me suis dit qu’on touchait vraiment au génie d’Alan Moore sur un terrain qui lui est proche.

        • Jyrille  

          Merci à vous deux pour ces précisions ! En plus de Grandville, j’ai également Luther Arkwright à lire. Il va falloir que je découvre cet auteur cette année quand même… Je note pour Alice in Sunderland.

      • Jyrille  

        « Je l’ai retrouvé sur quelques épisodes de Sandman de Neil Gaiman. »

        Ah il faut que je vérifie ça, la qualité des dessins changeant souvent, il ne m’a sans doute pas marqué.

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