Dept H par Matt Kindt
Une enquête de BRUCE LITVO : Dark Horse
VF : Futuropolis
Des spoilers mineurs viendront barboter de temps à autre dans cette revue.
DEPT H est une mini série écrite et dessinée par Matt Kindt complète en 4 volumes. Son épouse Sharlene Kindt en réalise les couleurs. Tout ceci a été édité en VF dans une très belle édition chez Futuropolis.
Un meurtre a été commis dans une station scientifique basée à 9 000 mètres de profondeur. L’homme le plus populaire au monde, le professeur Hari Hardy, sorte de commandant Cousteau des temps modernes, a été tué. Et c’est Mia, sa propre fille , qui doit découvrir le meurtrier parmi sept assassins potentiels. Or, le temps est compté : le tueur a saboté la base et d’ici 24 heures elle sera inondée et les preuves détruites.
Maudit Présence !
Depuis le temps qu’il me harcèle avec sa passion pour Matt Kindt, je l’écoutais avec flottance. Tout le monde sait que notre homme lit tout, aime tout, qu’il n’a plus toute sa tête et que si parfois nos goûts se rejoignent, nos aspirations en matière de BD et reconnaissances d’auteurs complets ne seraient être diamétralement opposées.
Puis arrive ce DEPT H. Et c’est pas gagné…
Oh certes j’avais adoré L’HISTOIRE D’UN GEANT mais totalement refroidi par son SUPER SPIES, je n’avais pas cherché à aller plus loin.
Matt Kindt est un artiste singulier et ce DEPT H. ne fait pas dans la facilité. On retrouve ce trait si particulier, si peu conventionnel (peut-être qu’avec Jeff Lemire, ils vont ouvrir une école) aux apparences grossières, ce rendu crayon à papier sur une page d’écolier.
Et c’est tout à fait ça : sans outrances, ni provocations, Matt Kindt bombe le torse pour jouer le sale gosse du comic book, capable de jouter dans l’indépendance la plus totale pour son compte puis de livrer du super-slip. Il n’est ni le premier, ni le dernier, Remender, Lemire, Gillen font ça aussi sauf qu’ici le trait n’a rien pour attirer l’amateur de comics spectaculaires.
DEPT. H est une enquête qui se mérite. Un puzzle aquatique, un huis clos suffoquant, une odyssée mentale. Sa jeune héroïne, dotée d’une mémoire photographique enquête sur la mort de son père alors que, littéralement le monde s’écroule autour d’elle : un saboteur a fait exploser la base où elle se trouve et elle n’est pas sûr de retrouver une surface qui, de toute manière, rongée par un virus chinois (!), court à sa perte.
Les critiques US ont pu comparer DEPT. H aux séries 24 et LOST. Il y a de ça, oui. Tout au long de ces 24 (!) épisodes, Mia danse entre Charybde et Sylla : les preuves disparaissent sous l’eau, la station explose, l’oxygène manque et son équipage devient fou. Kindt construit un thriller haletant auquel s’ajoute une deuxième couche d’espionnage : et si le mobile du meurtre allait bien au delà du simple règlement de compte ?
A l’aide de Flashbacks qui viennent compléter ce que traverse Mia au présent, Kindt battit une mosaïque d’évènements qui, comme chez le romancier RJ Ellory ne prend sens qu’à la toute fin de son récit.
Oui, cette construction peut s’apparenter à celle de LOST mais ce serait reconnaitre des limites à l’écriture à Kindt, qui emmène son histoire vers des récifs bien plus profonds que l’arnaque télévisuelle de JJ Abrams.
Oserait-on dire que l’auteur a parfaitement intégré la leçon de WATCHMEN sans aller à la pêche à la truisme ?
Oui-da ! Cette enquête passionnante se focalise sur le point de vue de chaque membre de l’équipage et ce que représentait Hari pour lui : un père, un ami, un modèle, un rival.
Entre deux inondations, les personnages reprennent leurs souffles avec ce qui les a amenés 9000 lieux sous les mers : suivre Hari, un génie scientifique qui, après la conquête de l’espace entreprend d’arracher à la mer ses derniers secrets pour sauver l’humanité d’elle-même.
Matt Kindt se rappelle du rêve que le mythe du commandant Cousteau engendra en son temps : un marin souriant, à la pointe du progrès qui voyage en famille à travers le globe en faisant briller les yeux de millions de gosses (moi, ce fut son livre -totalement faux scientifiquement parlant- sur LES REQUINS). Kindt sait donner de la légitimité à Hari, son charisme, son intelligence, son réel génie, mais aussi son obstination surhumaine lorgnant vers l’inhumain, son rationalisme froid et son sens de l’image à bâtir son propre mythe au détriment de ceux qui l’entourent.
DEPT.H c’est la chute de la maison Hari ou tout du moins en apparence. Car en découvrant le virus qui pourrait soigner l’humanité, Hari précipite sa propre perte : faut-il sauver un monde voué à sa perte ou le laisser mourir et tout recommencer ailleurs ? Un dilemme du Greater Good qui habitait l’agent Jack Bauer pendant les 9 saisons de 24.
On voit pourtant ici ce que l’écriture de Matt Kindt doit à Alan Moore : cet infiniment petit (une enquête sur une figure controversée assassinée) qui prend une tournure universelle. Des enquêtes de Rorschach comme celle de Mia dont dépendent le sort d’une humanité, jouet de milliardaires utopistes souhaitant façonner le monde à leur convenance. Un jeu de Win or Lose auquel le lecteur est invité à s’impliquer en fonction de ses convictions politiques et écologistes : que reste-t-il à sauver chez une espèce qui aura détruit les siens, son environnement, ses animaux, ses ressources naturelles ?
Mais loin de plonger son lecteur dans le désespoir le plus total, Kindt se rappelle que comme une chanson de Bob Dylan, on peut rendre les gens plus concernés tout en les divertissant. DEPT H renoue avec la magie de Jules Verne et du TRÉSOR DE RACKHAM LE ROUGE avec ces hommes scaphandres, ces bathyscaphes, ces calmars géants, ces grands fonds où l’homme est restitué dans sa place de plancton.
Observatrice de sa vie comme de la chute du monde autour d’elle, Mia est une héroïne attachante à la fois surdouée et impuissante écrite au naturel sans que l’on sente chez Kindt une volonté de coller aux quotas (notre amie est indienne) ou aux gimmicks laborieux d’un Greg Rucka. L’écriture de Kindt assemble, désassemble, questionne, résout avec une facilité déconcertante et une solidité impressionnante.
Une aventure singulièrement originale qu’il serait criminel d’ignorer. Une oeuvre majeure d’un auteur ne demandant qu’à exploser. Une de plus dira Présence et il aura raison.
La BO du jour
Ah, ça suffit ! Marre d’entendre parler d’oeuvres qui me donnent envie. Je n’ai plus de place dans ma bibliothèque. Je préfère vos bullshits detectors, Monsieur. Ils me coûtent moins cher.
Matt Kindt l’un des derniers grands écrivains de comics en activité à mon sens. A chaque fois que j’en lis je trouve ça brillant ET accueillant!
le tacle à Greg Rucka serait petit si cet auteur ne me sortait pas des yeux…
Je ne suis pas un grand fan des comics de Kindt pour Valiant, personnellement
J’avais trouvé Ninjak sympathique mais inégal en fonction des tomes. Par contre, j’ai totalement succombé à l’association Kindt + Calyton Crain pour la série Rai. Je trouve aussi que lorsqu’il écrit pour des personnages propriétés d’éditeurs (Valiant, Marvel), il réalise des histoires moins personnelles. Pour Valiant, j’avais beaucoup aimé sa trilogie + épilogue : Divinity.
http://www.brucetringale.com/pour-le-bien-de-lhumanite-divinity-ii/
Ah ouais, non mais c’est pas du jeu : tu as déjà rédigé toutes mes remarques et tu les as intégrées à ton article. 🙂
Juste pour être casse-pied : j’ai de loin préféré Mind MGMT, comme ça l’honneur est sauf et nos goûts peuvent continuer à s’opposer de manière constructive et enrichissante. 🙂
Par contre, je n’aurais pas lu Mind MGMT avant, j’aurais été plus enthousiaste pour ce thriller sous-marin, avec enquête prétexte, pour dresser le portrait de cet homme aimé et admirer de tous, sachant entraîner tout le monde dans son sillage, portrait se dessinant progressivement avec les échanges entre Mia et les autres. C’est un grand plaisir que de pouvoir ainsi revisiter cette lecture avec des yeux différents.
Le contexte thriller sous marin contre la montre est un concept très attirant…
MGMT…je l’ai enfin vu…on a une critique par ici?
Je n’ai pas lu ta critique tout simplement parce que je ne l’ai pas trouvée. As-tu couvert volume par volume ou synthétisé les 4 albums ?
MIND MGMT est également dans ma PAL et a remonté de quelques crans.
J’ai apprécié pour ma part que DeptH ne soit pas un simple clone de Mind MGMT. On y perd le jeu avec le medium, les messages cachés et quatrième mur brisé, mais l’histoire, même si elle est plus linéaire que l’oeuvre précédente, offre quand même quelques morceaux de bravoure dont une imagerie quasi lovecraftienne des profondeurs
@JB – Entièrement d’accord avec toi : histoire plus linéaire (et très dense également, entre les différentes phases de sabotage de la base sous-marine, l’enquête sur le meurtre, les souvenirs des collaborateurs de Hari, l’épidémie qui se répand à la surface, c’est vraiment dense), et de nombreux morceaux de bravoures (aventure, action, psychologie, philosophie). C’est juste que Mind MGMT correspondait plus à mes goûts.
Tu as très bien vendu la chose. Je le note dans un coin (4 tomes à 22 € quand même…). Ça a l’air très chouette, malgré un dessin complètement affreux (et oui, celui de Lemire est affreux aussi).
La BO.. Purée, 1h09 ! Je n’ai rien contre la musique électro. Mais Jarre, j’ai jamais réussi à capter…
Excellent titre même si le film original était sans plus. J’ai beaucoup aimé « la pêche au truisme » !
J’étais persuadé qu’il s’agissait d’un article de Présence. De Kindt pour l’instant je n’ai lu que son ETHER (article à venir), j’ai Mind mgmt et Du sang sur les mains qui m’attendent. Et je rejoins David, vous voulez ma ruine… bon je note ça dans un coin surtout que j’aime bien les livres de Futuropolis. Maudit Bruce !
La BO : j’écouterai plus tard.
Merci de retour Cyrille. Hâte de découvrir ETHER par ton regard. LA BO, je n’accroche pas plus que ça à cette Calypso Electro, mais elle s’imposait d’elle même pour l’article du jour.
Sachant que l’article est de toi, j’aurais pensé que tu aurais mis Pull Marine…
Cette mini série (4 volumes tout de même !) me fait penser à un One shot de Peter Milligan et Esad Ribic : Namor. voyage au fond des mers.
Un huis clos sous Marin oppressant qui vaut aussi le détour. Scénario efficace et dessins exceptionnels. C’est aussi un thriller mais qui lorgne plus vers l’horrifique.
Le comic que tu présentes aujourd’hui à l’air bien sympa et tu le vends bien. Dommage que je n’adhère pas aux dessins.
Je suis devenu de plus en plus exigeant dans l’achat de mes BDs de peur de faire écrouler mes étagères. Et 4 volumes ça commence à peser 🙂
Du coup je me limite maintenant à des BDs qui me plaisent de part leur écriture mais aussi et de part leur dessins. J’y accorde la même importance.
Malgré tout le dessin de la tortue est réussi 😉
Ah oui la mini de Namor de Milligan sans Namor qui apparaît quoi sur 3-4 cases ?
Les dessins sont particuliers mais je n’imagine pas quelqu’un d’autres illustrer cette histoire. Je trouve les couvertures réussies, comme le design des costumes et la planche avec la tortue est très belle effectivement.
Jyrille, Lemire est sans doute le meilleur scénariste actuel. Il ressemble par bien des aspects à son pote Matt Kindt
Autant j’ai craqué pour Matt Kindt, autant je me méfie pour Lemire (et son dessin m’attire beaucoup moins). J’attends donc qu’on m’en prête 😀
Tu m’en as dit grand bien déjà, faut vraiment que je teste ça