Encyclopegeek : Les films inspirés de l’œuvre d’HP Lovecraft
Par : TORNADOCet article vous propose un tour d’horizon sur les adaptations de l’écrivain H.P. Lovecraft au cinéma et à la télévision. Il y a déjà deux premières parties :
LOVEcraft ETC. 1° PARTIE
LOVEcraft ETC. 2° PARTIE
Jusqu’ici, nous vous avons présenté les films dans un ordre chronologique en commençant par le premier long-métrage à avoir adapté le maitre de Providence (LA MALÉDICTION D’ARKHAM, 1963), jusqu’au dernier à l’époque de la rédaction de la 2ème partie de l’article (LE TERRITOIRE DES OMBRES, 2011).
Nous allons maintenant repartir de zéro car, explorer la filmographie des adaptations lovecraftiennes, c’est un peu comme pratiquer l’archéologie : à chaque fois que l’on soulève une nouvelle strate, on peut exhumer de nouveaux films plus ou moins oubliés ou confidentiels.
Comme pour les articles précédents, on ne se focalisera que sur les films qui adaptent la trame d’une nouvelle de l’écrivain, ou qui s’en inspirent franchement, et pas de ceux qui ne pratiquent que la citation, comme les EVIL DEAD par exemple, ou ceux qui s’en inspirent vaguement de loin, à coup de monstres bizarres, comme dans la saga ALIEN ou LE CONTINENT DES HOMMES-POISSONS…
LA MAISON ENSORCELÉE – 1968
Le réalisateur Vernon Sewell, tout juste auréolé d’un petit film d’horreur avec Peter Cushing (LE VAMPIRE A SOIF ! l’histoire d’une jeune femme qui se transforme en insecte géant !), s’offrait ici les services de quatre légendes du cinéma fantastique en alignant sur son générique Christopher Lee, Boris Karloff, Barbara Steele et Michael Gough !
LA MAISON ENSORCELÉE (CURSE OF THE CRIMSON ALTAR en VO) est la première adaptation de la nouvelle LA MAISON DE LA SORCIÈRE (DREAMS IN THE WITCH HOUSE) qui, comme on le verra plus bas, fait partie de ces histoires prisées par les adaptateurs lovecraftiens en herbe, avec LA COULEUR TOMBÉE DU CIEL (THE COLOUR OUT OF SPACE).
Soyons clair : LA MAISON ENSORCELÉE adapte la nouvelle de Lovecraft à l’arrache et n’en garde qu’un vague fil rouge en suivant le parcours d’un bonhomme (l’antiquaire joué par un certain Mark Eden) qui échoue dans une maison jadis habitée par une sorcière bien connue de son patelin (Lavinia, qu’elle s’appelle), laquelle vit encore dans une dimension parallèle, parvenant à exercer sa volonté en s’immisçant dans les rêves de ses pauvres victimes venues dormir dans la maison en question (d’où le titre).
Les acteurs sont excellents, mais le scénario ne l’est vraiment pas. Du coup, on s’ennuie ferme devant ces personnages qui discutent durant tout le métrage, lequel ne décolle que le temps de quelques scènes oniriques (celles où la sorcière apparait toute en peau bleu (!), vêtue de cornes de bouc dans son caveau (!!!), le tout filmé dans un décorum gothique aussi kitsch qu’une soirée d’Halloween, rehaussé de couleurs flashy et autres effets psychédéliques bien dans leur époque). Ainsi, à la fin du film, le spectateur se demande encore ce que foutaient là Christopher Lee et Boris Karloff, sans être sûr d’avoir vraiment compris leurs rôles respectifs dans cette histoire sans queue ni tête !
Comme la plupart des films de notre présente sélection (celles de cette troisième partie de l’article), celui-ci ne vaut rien en dehors d’un élément précis : son jeu de piste sur le terrain de l’adaptation d’une nouvelle de Lovecraft. Effectivement, au-delà de son visionnage inepte au premier degré, le film prend une toute autre ampleur si l’on connait la nouvelle dont il s’inspire et si l’on s’amuse à en repérer les emprunts. Pour cette famille de spectateurs-là, venus comparer le script à la nouvelle de Lovecraft, c’est évidemment tout de suite beaucoup plus intéressant, le scénariste se contentant de nous laisser faire tout le boulot en raccordant ces quelques scènes à un matériel littéraire beaucoup plus riche et mythique.
Un étrange film en définitive, strictement réservé aux connaisseurs de l’œuvre de Lovecraft.
MESSIAH OF EVIL – 1973
À bien des égards, ce film est un ovni. Seule réalisation des années 70 de Willard Huyck & Gloria Katz, fameux couple de scénaristes/producteurs proches de George Lucas (AMERICAN GRAFFITI, INDIANA JONES et même un certain HOWARD THE DUCK portent entre autres leur signature), le film s’inspire de la nouvelle LE CAUCHEMAR D’INNSMOUTH. S’il ne montre pas d’hommes-poissons, il lève le curseur sur le volet horrifique, comme l’avait déjà fait David Greene dans LA MALÉDICTION DES WHATELEY en 1967, et comme le fera Stuart Gordon dans son DAGON en 2001, dont nous avons parlé dans les deux premières parties de l’article.
Bien que le nom de LOVECRAFT n’apparaisse pas au générique (pas plus que dans le film précédent…), le connaisseur de son œuvre repère bien les nombreux emprunts à la nouvelle consacrée, la jeune femme venue chercher son père dans une bourgade isolée du bord de l’océan se heurtant à une population éparse, semblant avoir été transformée par une malédiction venue d’outre-mer…
Les habitants de la bourgade en question sont ici mués en un genre de zombie sanguinaire et cannibale, qui se repait lentement mais sûrement de tout visiteur inopportun.
Volontiers naturaliste, mettant en scène des jeunes de son époque (plutôt hippies) avec la libération des mœurs qui va avec (il y a donc pas mal de scènes coquines), le film annonce, tout comme LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE un an avant lui, voire LA NUIT DES MORTS-VIVANTS dès 1968, un cinéma horrifique qui prendra son envol quelques années plus tard, notamment sous la houlette de Lucio Fulci avec ses films gores et putrides.
La scène dans le cinéma. Sans aucun doute la plus réussie du film.
À le découvrir aujourd’hui, le film pourra paraitre anecdotique et, une fois encore, ne prendra son envol qu’auprès des lecteurs lovecraftiens. Scénario et réalisation sont d’ailleurs tout à fait honorables pour un budget sans doute très modeste. À voir comme une curiosité.
Un petit film d’horreur méconnu, qui précède les adaptations des années 80 qui puiseront dans l’œuvre de Lovecraft davantage le volet horrifique que le cadre mythologique, en transposant les récits dans le présent, et en levant très nettement le curseur sur un volet gore et dégueu pourtant absent de la plume de l’écrivain de Providence.
LA MALÉDICTION CÉLESTE – 1987
Plus de vingt ans après DIE, MONSTER DIE ! (le film de 1965, avec déjà Boris Karloff, dont on a parlé dans la première partie de l’article), cette seconde adaptation de LA COULEUR TOMBÉE DU CIEL est issue de la vague de films d’horreur de série Z qui écume les années 80 sous la houlette de petites maisons de production spécialisées dans le genre (ici la Trans World Entertainment). L’acteur David Keith, vu dans des films comme OFFICIER & GENTLEMAN ou plus tard DAREDEVIL (il y joue -très bien- le père de Matt Murdock), qui cherche alors à se reconvertir dans le métier de réalisateur, accepte de manière opportuniste cette adaptation au budget plus que modeste de la nouvelle de Lovecraft, recyclant le jeune acteur Wil Wheaton, vu l’année précédente dans le magnifique STAND BY ME de Rob Reiner (d’après Stephen King).
Si le film ne cite pas davantage Lovecraft au générique que les deux précédents (c’est quand même gonflé au bout du compte !), et bien qu’il délocalise lui aussi le récit au temps présent, il adapte la nouvelle dont il s’inspire bien plus fidèlement, et le script respecte parfaitement le déroulement du récit et sa descente inexorable vers le pourrissement de cette famille de paysans dont la terre est contaminée par la chute d’une météorite venu d’outre-espace.
Le jeune Zack, interprété par Wil Wheaton, est le véritable héros de cette histoire par ailleurs remplie de personnages détestables, qui méritent bien plus leur malédiction que dans la nouvelle originelle.
Délocalisé en Italie pour les soins d’un tournage à petit budget, LA MALÉDICTION CÉLESTE (tout simplement nommé THE CURSE en VO) bénéficie du savoir-faire de Lucio Fulci en personne, qui s’occupe ici des effets spéciaux horrifiques (sa carrière de cinéaste est alors sur le déclin) et qui apparait au générique sous le sobriquet de Louis Fulci !
Le film est totalement prévisible pour les connaisseurs de la nouvelle de Lovecraft, emballé avec une efficacité toute relative, où le malsain se dispute souvent avec le grotesque dans la mesure où le résultat, très moyen dans tous les sens du terme (certains acteurs et leurs dialogues sont tout de même très mauvais), met en scène le tout sans se démarquer de son statut de film d’exploitation. On ressort du spectacle avec la satisfaction d’avoir visionné une adaptation Lovecraftienne relativement fidèle (ce qui est très rare, vous l’avez compris), tout en gardant quand même un arrière-goût mitigé, où le « Z » se mêle au craspec …
La carrière du jeune Wheaton ne se remettra pas d’un tournage dont il ne voulait pas, forcé par ses parents, à une époque où l’industrie du cinéma dévorait ses enfants à coup de maltraitance et autres attouchements sexuels, dérives alors banalisées dont le jeune Wil aura fait les frais comme tant d’autres. On n’en demandait pas tant à cette industrie de l’horreur…
THE RESURRECTED – 1991
Voici encore une adaptation relativement fidèle, en l’occurrence celle de L’AFFAIRE CHARLES DEXTER WARD, l’une des nouvelles les plus longues de Lovecraft, vaguement adaptée en 1963 dans LA MALÉDICTION D’ARKHAM, qui était, rappelons-le, la première adaptation lovecraftienne de l’histoire du cinéma.
Une fois encore, l’action est délocalisée au temps présent et de nombreuses libertés sont prises avec le matériel littéraire. Ici, le médecin menant l’enquête sur le mystère entourant le jeune Charles Dexter Ward est remplacé par un détective privé façon Mike Hammer, flanqué d’une blondasse (la femme de Ward) sensée assurer le glamour. Mais, pour l’essentiel, le récit originel est adapté avec un esprit retranscrivant bien la nouvelle, notamment par le truchement d’une narration faite de va-et-vient entre les diverses époques. Le dernier tiers du film opère une descente (dans tous les sens du terme puisque nous suivons les personnages dans les tunnels de la demeure de l’ancien sorcier Joseph Curwen, ancêtre de Charles Dexter Ward qui va prendre au piège ce dernier en ressuscitant à travers lui) toute lovecraftienne, en restituant fort bien la toile de fond poisseuse suggérée dans la nouvelle, qui nous est dévoilée ici dans toute son horreur grotesque, soit exactement ce qu’est venu chercher l’amateur de l’œuvre de Lovecraft dans toutes ses adaptations visuelles.
Le film est réalisé par Dan O’Bannon, auteur du très culte RETOUR DES MORTS-VIVANTS sorti six ans plus tôt, mais aussi et surtout excellent scénariste de DARK STAR, ALIEN, MÉTAL HURLANT ou encore TOTAL RECALL.
Hélas, en dépit de quelques réelles qualités (le générique, qui cite enfin sa source littéraire, bénéficie également de la présence d’un Chris Sarandon sur le retour (le vampire de VAMPIRE, VOUS AVEZ DIT VAMPIRE ?)), incontestablement dues au solide savoir-faire d’un O’Bannon ayant récupéré le projet au dernier moment des mains d’une bande de tacherons spécialisés dans le nanar (on retrouve ainsi les frères Band -Charles Band à la musique-, tristement célèbres auprès des connaisseurs de films 80’s, rayon série Z) ; le film souffre d’une production hasardeuse (il a fini en direct-to-video), d’un budget probablement rachitique lui infligeant une esthétique télévisuelle d’époque et d’une direction artistique plutôt pauvre. Selon les dires de sa veuve, Dan O’Bannon aurait été privé du montage final, le film ayant été finalisé par ses producteurs, ces mêmes spécialistes des pires séries Z de l’époque…
Reste une rareté à découvrir, une fois encore pour les mêmes raisons que les précédentes, qui prendra une toute autre ampleur pour les lecteurs de la nouvelle originelle, qui y trouveront l’une des plus fidèles adaptations parmi toutes celles que nous avons égrainées jusqu’ici.
LE CAUCHEMAR DE LA SORCIÈRE – 2005
LE CAUCHEMAR DE LA SORCIÈRE (DREAMS IN THE WITCH HOUSE), réalisé par Stuart Gordon, est le deuxième épisode de la première saison de la série anthologique MASTERS OF HORROR (deux saisons dédiées à une série de récits confiées aux meilleurs réalisateurs du genre horreur de l’époque, dont John Carpenter, Dario Argento, Joe Dante, John Landis et Tobe Hopper).
À cette occasion, Gordon en profite pour renouer avec Lovecraft (après RÉ-ANIMATOR, AUX PORTES DE L’AU-DELA et DAGON), tout en bénéficiant du format moyen-métrage, idéal dans la perspective d’adapter certaines des nouvelles de l’écrivain, souvent très courtes.
Le moins que l’on puisse dire, et bien que l’on nous refasse encore le coup de délocaliser le récit à l’époque présente, c’est que cette seconde adaptation de LA MAISON DE LA SORCIÈRE est bien plus fidèle que la première dont nous avons parlé plus haut ! Nous retrouvons ainsi, dans la peau du héros, un jeune étudiant en sciences de l’université Miskatonic de la ville d’Arkham, nommé Walter Gilman (interprété par Erza Godden, déjà rôle principal dans DAGON), lequel loue une chambre dans l’ancienne maison de la sorcière Keziah Mason. On retrouve aussi le Necronomicon, ainsi que l’épouvantable Brown Jenkin, le familier de la sorcière en forme de rat à visage humain !
Dans l’ensemble, le script épouse bien le déroulement de la nouvelle, malgré quelques changements notables, à commencer par le fait que le héros ne cherche pas ici à explorer les forces occultes comme dans le récit d’origine, et qu’il ne fait que les subir.
Manque également à l’appel toute la partie mythologique du mythe de Cthulhu puisque, dans la nouvelle, le personnage était attiré dans une dimension peuplée de créatures cauchemardesques à l’allure incompréhensible, vivant dans d’étranges cités cyclopéennes, où la sorcière et son rat dégueu erraient dans l’ombre de l’Homme en Noir, c’est-à-dire le grand Nyarlathotep en personne ! Tous ces éléments sont ici absents, le script se concentrant uniquement sur ce qu’il se passe dans la maison, dont la chambre de Walter sert de passage entre les dimensions.
Au rayon des ajouts, Stuart Gordon, fidèle à lui-même, nous offre une scène horrifico-érotique dont il a les secret, magnifiée par la plastique somptueuse de l’actrice Chelah Horsdal et bombardée d’un revirement gore venant clore les ébats…
Le final en deux temps nous gratifie également d’une plongée dans le grotesque sanguinolent cher au réalisateur, dont on reconnait au final parfaitement la signature…
À noter un détail inattendu et sympathique : Lorsque la sorcière demande, en rêve, au héros de signer son pacte (et qu’elle lui crie « SIIIIIIIIGN !!!! », Gordon cite et rend hommage à une scène de LA MAISON ENSORCELÉE de 1968 !
Pour l’essentiel, cet épisode en forme de moyen-métrage est un essai modeste en lui-même, qui pourra laisser de marbre le spectateur lambda ignorant de l’univers lovecraftien, mais qui, là encore, prend toute sa dimension sur le terrain de l’adaptation. Et pour une production télévisuelle de l’époque et ses limites intrinsèques, c’est objectivement d’un niveau tout à fait recommandable. En bref : Une assez bonne adaptation si l’on prend en compte son contexte.
LA COULEUR TOMBÉE DU CIEL – 2019
Il aura donc fallu attendre 2019 pour qu’une adaptation officielle d’une œuvre de Lovecraft bénéficie d’un tournage de premier plan (avec des moyens à la hauteur) grâce à cette production ambitieuse.
Casting solide, avec la star de service Nicolas Cage, effets spéciaux impeccables et mise en scène audacieuse (Richard Stanley) sont cette fois de mise.
LA COULEUR TOMBÉE DU CIEL (COLOR OF SPACE) est une adaptation à la fois fidèle et personnelle, qui garde autant le fil rouge du récit originel qu’elle en transforme intelligemment les constituants pour les retranscrire sous le spectre du 7ème art.
Ici, le script remplace aussi souvent que possible les éléments du matériau littéraire pour les réinterpréter à travers le prisme du cinéma contemporain. Si le premier changement notable concerne évidemment la couleur (à l’origine indéfinissable, souvent verte dans les précédentes adaptations, on passe ici à un violet étonnamment psychédélique), toutes les scènes montrant les effets néfastes de la météorite sur les organismes terriens (depuis les quatre éléments jusqu’aux aux êtres humains, en passant par les végétaux et les animaux) sont complètement remaniés afin de coller au mieux au spectacle du grand écran.
À l’arrivée, le film est une pure expérience visuelle et sonore (musique de Colin Stetson, remarqué pour la BO du premier film d’horreur d’Ari Aster, HÉRÉDITÉ), dynamité de tous bords par sa folie visuelle et son interprétation débridée de l’horreur cosmique lovecraftienne.
Richard Stanley ne néglige ni ses personnages (en particulier les membres de la famille Gardner), tous attachants et joliment campés (à noter que la fille -absente de la nouvelle originelle- se nomme Lavinia (1), comme la sorcière de LA MAISON ENSORCELÉE !), ni sa dose d’horreur viscérale. Et c’est justement parce que l’on s’attache immédiatement aux personnages que leur épouvantable destin hisse toute la partie horrifique à son intensité la plus haute. Ainsi, le spectateur ne ressort pas indemne de son film d’horreur, ce qui est tout à fait cohérent au final.
Évidemment, le résultat ne fera pas l’unanimité et tout un chacun aimera ou détestera tels partis-pris grotesques, telle interprétation en roue libre de Nicolas Cage, tels choix d’adaptation racoleurs (la fille est une sorcière ???), ou telle absence de tel élément fondateur de la nouvelle.
Certaines scènes et certains éléments du scénario sont inévitablement perfectibles et le film n’est pas un chef d’œuvre, mais franchement, on aurait tort de faire la fine-bouche, car voir aujourd’hui une telle adaptation de Lovecraft, aussi bien troussée et interprétée, cela reste de l’ordre de la pure exception !
LE MODÈLE + CAUCHEMAR DE PASSAGE – 2022
Ce sont désormais les plates-formes de chaine à la demande qui produisent nos adaptations lovecraftiennes. Et la dernière en date est donc l’anthologie télévisuelle Netflix LE CABINET DE CURIOSITÉS DE GUILLERMO DEL TORO, dont les épisodes 5 et 6 sont consacrés à deux nouvelles de l’écrivain de Providence, respectivement LE MODÈLE DE PICKMAN (LE MODÈLE – PICKMAN’S MODEL en VO) et LA MAISON DE LA SORCIÈRE (CAUCHEMAR DE PASSAGE – DREAMS IN THE WITCH HOUSE).
Nous nous retrouvons ici avec l’inverse de ce qui existait jadis : Les créateurs ont désormais les moyens de leurs ambitions et ils enluminent leurs adaptations d’un écrin absolument somptueux, en replaçant les récits dans leur contexte initial (le début du XXème siècle) avec des décors et des costumes d’époque, dans le faste d’une magnifique esthétique gothique digne d’un Tim Burton. Mais comme à chaque fois que l’on gagne quelque chose, on perd quelque chose d’équivalent en sens inverse, on y cherche désespérément Lovecraft !
Ces deux récits autonomes d’environ une heure chacun adaptent donc leur matériau littéraire de loin, en brodant au maximum pour offrir au spectateur un récit d’horreur à la fois très horrifique et très esthétique. On a souvent vu des artistes oublier en cours de route l’essence de ce qu’ils adaptaient, mais ici c’est un cas d’école tant on débarrasse la richesse mythologique des nouvelles de Lovecraft pour coller à la place un nouveau décorum blin-bling de pacotille.
Il ne reste donc plus rien de l’horreur cosmique du mythe de Cthulhu (en particulier dans CAUCHEMAR DE PASSAGE). Les réalisateurs, respectivement Keith Thomas et Catherine Hardwicke (réalisatrice du premier TWIGHLIGHT), font comme s’ils n’avaient jamais lu une ligne des nouvelles de Lovecraft, ne gardant que le synopsis d’une histoire qu’on leur aurait raconté en résumé, pour y ajouter tout un folklore horrifique halloweenien prémâché. On ne retrouve donc pas le parfum des nouvelles de Lovecraft, remplacé par quelque chose d’autre. La lettre, sans l’esprit…
L’épisode LE MODÈLE, en gardant tout de même de larges pans de la nouvelle, demeure le moins infidèle des deux. Mais Keith Thomas se plante sur toute la ligne en nous montrant d’emblée les tableaux de Pickman, qui relèvent visuellement d’une épouvante périmée ! Il aurait pu, par exemple, se rappeler de ce qu’avait fait Roman Polanski avec ROSEMARY’S BABY, et nous laisser plutôt imaginer ce que voient les personnages, sans nous le montrer… Car sous sa plume, Lovecraft excellait à distiller l’effroi par ses descriptions vaseuses des peintures de Richard Pickman. Il suggérait bien plus qu’il ne décrivait, puisque le narrateur y racontait son souvenir des tableaux maléfiques, laissant le lecteur libre de les interpréter…
À noter que le script nous rajoute également une ascendance maléfique sur le pauvre Pickman en la personne d’une arrière-grand-mère sorcière, laquelle s’appelle… Alors, vous avez deviné ? Lavinia, bien sûr (1) !
Nonobstant toutes ces considérations de fond, on peut tout de même largement apprécier le spectacle en lui-même, sous l’angle de la réinterprétation. Partant de là, le spectateur d’horreur gothique fortement connotée (dont votre serviteur fait partie) peut trouver son plaisir face à un spectacle tout à fait séduisant en lui-même, qui reprend tout de même la trame des nouvelles de Lovecraft comme point de départ, même si c’est pour la mener vers autre chose au final. Une inspiration plus qu’une adaptation…
Placé au poste de créateur conceptuel et de producteur, Guillermo del Toro s’offre ici quelques acteurs relativement connus avec un Grispin Glover toujours aussi volubile dans LE MODÈLE, suivi d’un Rupert Grint (Ron Weasley dans la saga HARRY POTTER), qui fait le job. À noter également la participation d’Ismael Cruz Cordova, remarqué dans THE MANDALORIAN et surtout dans LES ANNEAUX DE POUVOIR, où il interprète le rôle d’Arondir, l’elfe de couleur.
En résumé, ces deux épisodes constituent un très beau spectacle en lui-même, totalement inoffensif malgré ses fulgurances horrifiques, pour une soirée fun, un soir d’Halloween. En tant qu’adaptation lovecraftienne, je pense que vous aurez compris qu’on n’y est pas encore…
Je garde toutefois espoir en l’avenir. Et demain, qui sait, peut-être au sein d’une deuxième saison du CABINET DE CURIOSITÉS DE GUILLERMO DEL TORO (ce même Guillermo del Toro qui nous parle par ailleurs d’adapter LES MONTAGNES HALLUCINÉES sous la forme d’un vrai blockbuster !), verrai-je, comme j’en rêve depuis des lustres, une adaptation en bonne et due forme de ma nouvelle préférée de Lovecraft : CELUI QUI HANTAIT LES TÉNÈBRES…
- Lavinia est, en réalité, une figure centrale de la nouvelle L’ABOMINATION DE DUNWICH. Mais c’est avant tout l’un des seuls personnages féminins imaginés par Lovecraft
BO : Common Saints – MYSTIC
Depuis quelques années, certains créateurs enregistrent leur musique tous seuls dans un studio à la maison. On les appelle des « producteurs », ou des « artistes musicaux ». C’est une toute nouvelle génération qui est en train d’émerger loin de la scène et de la télé. Et il y a de pures merveilles là-dedans. Notamment le jeune Common Saints et son univers psyché extrêmement racé.
Enjoy.
Merci pour ces découvertes ! Je ne dois guère avoir vu que La Couleur avec Cage (bien aimé !), mais le visionnage avait un peu été éclipsé par un « Lovecraft-like » regardé dans les même temps, The Void, que j’avais trouvé supérieur.
La Maison ensorcelée : je suis un peu curieux de voir les emprunts à Lovecraft. Niveau inspiration descendante, j’ai l’impression que le look de la sorcière a donné des idées à Marvel pour la représentation de Margali Szardoz (mère adoptive du X-Man Diablo). La communauté a l’air sortie de The Wicker Man (l’original).
Messiah of Evil : peut-être le film qui me donne le plus envie, Je suis très client de cette esthétique à l’italienne (même si les larmes de sang me renvoient à une scène peu ragoutante de Frayeurs…)
La malédiction céleste : à nouveau intrigué. Wil Wheaton semble égal à lui-même, mais j’ai envie de comparer la lente descente dans la folie et la dégénérescence de la famille avec la version « Cage ». J’ai été un peu surpris en fin de bande annonce de voir qu’il y a eu une suite !
The Resurrected : que ces images fleurent bon le téléfilm !
A voir pour les adaptations télévisuelles : j’y ai accès et vais finir par les mater, mais ayant relu La maison de la sorcière récemment, je suis assez déçu du choix « limitatif » des adaptations
L’article est encore incomplet. Tous les scans des affiches ont sauté. Bruce verra ça quand il aura le temps.
Pas vu THE VOID. Je note.
« donné des idées à Marvel pour la représentation de Margali Szardoz » -> Mais oui, pourquoi pas !
Messiah of Evil : C’est un peu dégueu, mais quand même loin de FRAYEURS !
La malédiction céleste : Uniquement pour les fans hardcore voulant TOUT voir des adaptations des nouvelles de Lovecraft. C’est vraiment du Z… (alors la suite…)
« The Resurrected : que ces images fleurent bon le téléfilm ! » -> Peut-être, mais dans l’esprit Lovecraft, c’est un des mieux, finalement.
Le choix « limitatif » des adaptations TV : Oui, c’est frustrant sur le plan de l’adaptation. Après, en revanche, pour le spectacle en lui-même, c’est plutôt au-dessus de la moyenne (ou quand la TV devient supérieure au cinéma…).
… La vache, je viens de lire ce qu’écrit Wil Wheaton sur The Curse et… c’est monstrueux. Un exemple glaçant : « The makeup department decided they would literally cut my little sister’s face with a scalpel, in three places, and put bandages over them. »
C’est quoi cette bande de cinglés ?
Autant j’ai poncé les adaptations en BD d’HPL, autant je vois que je suis en retard pour les adaptations filmiques. je note tout ça
(et je suis deg. pour des raisons d’emploi du temps, j’ai loupé une projo récent de Die Farbe, qui reprend aussi La Couleur tombée du ciel. par contre, j’ai vu une adaptation animée de The Temple, par un canadien, très bien, et une autre, en live, du Témoignage de Randolph Carter, par un jeune réal français, deux chouettes courts métrages, c’était dans le cadre du récent Campus Miskatonic à Verdun)
Toujours pas de partie sur BEYOND RE-ANIMATOR ? Puisque je l’ai vu récemment sans savoir qu’il existait, et ben c’est rigolo, c’est du Brian Yuzna ça va vite, y a pas de chichis et c’est cheap mais bon y a Elsa Pataky qui est vraiment très belle (et marrante et joue bien). Toute l’action ou presque se passe en prison donc c’est pas mal pour avoir une galerie de personnages barrés et de situations classiques (émeute par exemple). C’est bien violent mais au final j’ai plus pris ça comme une comédie même si c’est moins flagrant que le slapstick de Army of darkness.
Je touche juste quelques mots de beyond re-animator à la fin de la 1° partie (le 1°article).
Je vais d’abord réagir sur ce que j’ai vu : LA COULEUR HORS DE L’ESPACE avec Nicolas Cage et les épisodes de Guillermo Del Toro.
J’ai adoré LA COULEUR, et je rejoins totalement ton analyse. Je ne savais pas pour la musique, surtout que j’ai beaucoup aimé HEREDITE, mais tu oublies de signaler la présence de Tommy Chong, qui permet d’avoir un peu d’humour au milieu de ce cauchemar. Car c’est proprement effrayant. Comme tu le dis, on s’attache à tous les personnages, celui du narrateur étant cette fois totalement actif, bienvenu et magnifiquement campé par un acteur charismatique (Elliot Knight). Pour moi c’est une réussite et une excellente adaptation. Après DAGON, ça en fait deux, c’est inespéré tant le mythe de Cthulhu a été déformé au fil des ans !
Je tiens également à dire que j’ai finalement opté pour me prendre les dernières traductions de chez Mnemos. Pour le moment j’ai acheté les trois premiers tomes mais je compte bien acheter les 4 et 5 et faire l’impasse sur les 6 et 7. Car en me prenant des livres de poche de Lovecraft au petit bonheur la chance (trois jusqu’à présent), sachant que je n’ai pas tout (mais que j’avais lu ces manquements à mon adolescence, comme Dagon par exemple), je me rends compte que les traductions varient grandement selon les époques et les éditeurs (les plus grands écarts étant sans doute ceux de Bragelonne). Je vais vous envoyer des photos.
Je n’ai pas aimé la série de Guillermo Del Toro. En fait je pense ne pas être un grand amateur du monsieur. J’ai beaucoup aimé LE LABYRINTHE DE PAN qui m’a tout de même laissé un goût amer car on y passe trop de temps avec les fascistes et pas assez avec le merveilleux, et j’ai aimé ses HELLBOY sans non plus avoir envie de les revoir. Sur les huit épisodes de la série, j’ai trouvé le premier sympathique (Lot 36), le second (Graveyard’s Rats) n’avait aucun intérêt, le troisième était le plus réussi et le plus angoissant (The Autopsy), le quatrième était super (The Outside, la nana qui utilise de la crème de beauté), le septième (The Viewing), sorte de huis-clos chez un gars riche, était complètement nul, et le dernier (The Murmuring) était pas trop mal, plutôt fantastique et émouvant que de l’horreur. Quant à ceux que tu chroniques ici, je les ai trouvés ratés malgré les moyens (casting et réalisateur, décors, costumes photos etc ne sont nullement en cause). J’en ai très peu de souvenirs (tes vidéos sont les bienvenues pour me rafraîchir la mémoire) et j’étais très curieux et excité de voir des adaptations de Lovecraft, sauf que je n’y ai rien retrouvé de l’auteur de Providence.
« On a souvent vu des artistes oublier en cours de route l’essence de ce qu’ils adaptaient, mais ici c’est un cas d’école tant on débarrasse la richesse mythologique des nouvelles de Lovecraft pour coller à la place un nouveau décorum blin-bling de pacotille. » Bien résumé, c’est exactement mon ressenti.
Celle adaptant LA MAISON DE LA SORCIERE fait même penser à un court film d’Halloween à la sauce 2020, rien d’horrifique, rien de surprenant, uniquement un tour de train fantôme, malheureusement appuyé par la prestation de Rupert Grint qui semble refaire un Harry Potter.
La BO : je ne connaissais pas. Présence avait partagé une vidéo récemment qui expliquait que les groupes, c’était fini, maintenant on a des gens tout seuls (je pense à Of Montreal par exemple). Ici ça sonne très Floydien / Archive, pas trop mon délire mais ça passe sympathiquement bien. C’est de la musique très cinématographique, je vois bien ça en générique de fin d’un film ou d’un épisode.
Je n’avais jamais entendu parler de tous les autres films chroniqués au début de l’article.
LA MAISON ENSORCELEE : le casting est impressionnant, mais la BA laisse plutôt voir un truc très kitsch oui !
MESSIAH OF EVIL : La BA donne envie. Sur ton blog, j’ai vu la séquence du cinéma en entier. C’est beau comme du giallo avec de beaux plans et de belles couleurs. Si je peux, je le regarderai. Je viens également de voir pour la première fois le premier film de Romero (LA NUIT DES MORTS-VIVANTS), et même si on sent les faibles moyens et une première moitié un peu longuette, c’est très solide dans son développement et sa fin.
LA MALEDICTION CELESTE : note bien que dans la BA, on cite Lovecraft à la toute fin. Bon celui-là je m’en passerai, ça a l’air très kitsch et mauvais comme le PEUR BLEUE adaptée de King. C’est terrible ce que tu racontes sur le jeune acteur.
THE RESURRECTED : Alors là on est encore dans le kitsch mais ça donne plus envie : on dirait un épisode de X-Files, surtout que tout le casting est composé de gens qui sont des acteurs de séries télés avant tout. Ca sent un peu le nanar sympathique.
MASTERS OF HORROR : ah, c’est réalisé par Stuart Gordon et l’acteur principal est celui de DAGON. Intéressant ça. Je me demande où je pourrais trouver cet épisode.
En tout cas, bravo et merci pour le long tour d’horizon de films et épisodes dont je ne soupçonnais pas du tout l’existence pour la plupart !