L’homme mystère

David Lynch, un marginal à Hollywood par Ian Nathan

Un article de Bruce TRINGALE

1ère publication le 8/01/24 sur le site de PLAYBOY – MAJ le 19/01/25

David Lynch, un marginal à Hollywood  est l’édition française parue chez Huginn & Muninn de David Lynch, a retrospective par Ian Nathan. La traduction, impeccable, est signée Jérôme Wicky, bien connu des amateurs de comics.

L’ouvrage dispose d’une maquette attrayante et lisible, fort de 230 pages qui alternent entre photos officielles et de tournages rarement publiées. Le contenu ravira à la fois les fans du maître et permettra une première approche fluide aux néophytes. Aucun mystère Lynchien là-dessus, c’est du bel ouvrage.

Lynchien, oui. Comme Hitchcokien, David Lynch fait partie des rares réalisateurs dont le nom a été décliné en adjectif pour définir cette étrange fascination (là, c’est chez David Bowie que notre rédacteur remplit son caddie) qu’exerce ce dernier roi faineant (neuf films en 45 ans de carrière) sur la psyché cinéphile.

La tête de Laura Palmer, enveloppée comme une fleur du mal

Films par films, Ian Nathan consacre son ouvrage aux coulisses d’invariables chefs-d’oeuvre : Eraserhead qui nécessitera cinq années de tournage pour voir le bout d’un tunnel infernal, le tournage enjoué de Sailor & Lula, celui contemplatif d’Une Histoire Vraie ou l’invraissemblable fabrication de Mulholland Drive série TV avortée par les financeurs d’ABC, paniqués par la copie rendue par Lynch et pour laquelle il faudra la persévérance de StudioCanal pour transformer un brouillon en chef d’oeuvre.

Excentrique jusqu’à la carricature, Lynch est finalement le personnage principal de tous ses films : ce candide naïf, capable de présenter la météo sur son site, qui va traverser les cauchemars de la paternité (Eraserhead), devoir surmonter le regard de ses contemporains qui le considèrent comme un monstre de foire (Elephant Man), refuser la place de messie du blockbuster (l’échec fracassant de Dune le conduira vers le retour salutaire au film d’auteur avec Blue Velvet en étendard. Il aura même été approché par Georges Lucas pour réaliser Le Retour du Jedi !) et imposer le script atypique d’Une histoire vraie, la transposition à peine déguisée de la lenteur de ses projets.

Lynch a révolutionné le cinéma en équilibrant la part du rêve et du cauchemar made in glamour. Il improvise une trilogie sur Los Angeles constituée de Lost Highway – Mulholland Drive – Inland Empire (qu’il tourne avec une caméra numérique bas de gamme !) à partir de notes griffouillées sur un coin de table. Il défigure à jamais le format de la série TV propre sur elle avec Twin Peaks, où certains personnages joueront trois rôles différents à 25 ans d’intervalles.

Admiré par Kubrick lui-même, conspué par Tarantino qui lui doit beaucoup, Lynch est ce Dieu à la fois si proche (capable de choisir Naomi Watts pour Mulholland Drive sur une simple photo et après une audition ratée) et si loin (personne n’est capable de déchiffrer cet esprit à tiroirs chaleureux et impénétrable); cette rétrospective de Ian Nathan en est l’évangile.
Amen.

In Memoriam
@Ed Illustratrice

11 comments

  • Nikolavitch  

    J’avais déjà vu Elephant Man, Dune et Blue Velvet quand je suis tombé dans Twin Peaks et la série a quand même été une espèce de déflagration. J’avais pile l’âge pour goûter le côté subversif du truc, le détournement des codes du soap pour faire émerger une vision des gens et de la société.

    même un film en apparence tout gentil comme Une histoire vraie a des niveaux de lecture assez terribles.

  • JB  

    Merci pour cette présentation. Je n’avais jamais envisagé les films de Lynch comme reflets de leur auteur, mais présenté comme ça, cela semble évident !

  • Tornado  

    « conspué par Tarantino qui lui doit beaucoup » : Je n’ai pas compris cette phrase. Je n’ai jamais entendu Tarantino parler de Lynch et je ne vois absolument aucun rapport entre les deux réalisateurs.

    • Maxime Fontaine  

      Il l’a cassé comme pas permis au moment de la sortie de « Twin Peaks Fire walk with me » à Cannes.

      • Tornado  

        OK mais je reste persuadé qu’un cinéaste comme Tarantino ne peut pas détester le cinéma de Lynch. Impossible. Qu’il n’ait pas aimé TWIN PEAKS à l’époque peut-être, mais il me faudra des preuves pour me convaincre qu’il n’ait pas aimé ses autres films.
        En tout cas, Lynch était un gros fan de ONCE UPON A TIME IN HOLLYWOOD. Ça je l’ai lu.

      • Jyrille  

        J’avais oublié ça, ou alors je n’avais pas vu l’info à l’époque. Ca remonte, et ça m’étonnerait que Tarantino n’ait pas changé son fusil d’épaule depuis (il était bien jeune à ce moment-là).

  • Maxime Fontaine  

    Un bien chouette bouquin, que j’avais reçu à Noël dernier, et que j’avais dévoré dans la nuit… Merci pour le bon souvenir.

    Je lui préfère néanmoins les entretiens avec Chris Rodley, et « L’espace du rêve », sa géniale autobio avec Kristine McKenna.

    Les podcasts de France Culture sur Lynch, avec Pacôme Thiellement sont assez exceptionnels aussi.

  • Jyrille  

    Merci pour le partage Bruce, mais j’aurais pensé que tu aies mis une BO ce jour. N’importe quel titre de LOST HIGHWAY par exemple. Mais c’est pas grave.

    J’ai oublié de dire qu’après avoir revu BLUE VELVET, je me suis rendu compte de deux choses : le film est très hitchcockien, y compris dans sa musique, et il partage énormément de points communs avec les deux autres films de sa trilogie de LA, Lost Highway et Mulholland Drive. A tel point qu’on pourrait penser que Blue Velvet est un brouillon. Autre réalisateur devenu adjectif : Tarantino. Tu es sûr que ce dernier ne l’aime pas ? Pour moi, Tarantino ne doit rien à Lynch.

    Le livre a l’air sympa mais je vais faire l’impasse.

    Je suis fan de l’illustration de Ed. Superbe.

    • Tornado  

      Oui, il est top son dessin façon expressionniste. Ça lui va bien à Lynch. ce qui est étonnant, c’est qu’il ressemble à John Huston sur ce dessin. Comme dans FABELMAN, quoi ! ^^
      Tiens, pour rester dans la discussion Lynch/Tarantino (je suis d’accord avec toi je ne vois aucun point commun entre les deux cinéastes à part peut-être une certaine violence), un truc qui va te plaire Cyrille : Tarantino déteste le cinéma de Truffaut ! Il trouve que ça fait amateur !

      • Jyrille  

        Ah ah ah yes ! Merci Tornado ! 😀

        C’est pas faux pour la ressemblance avec Huston. Mais dans Fabelmans, c’est John Ford 😉

        • Tornado  

          Ouh pinaise. C’est vrai, John Ford. J’avais confondu…

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