Strangers in Paradise : la fin par Terry Moore
1ère publication le 08/03/15- Mise à jour le 16/11/19
Une larme versée par BRUCE LIT
VO : Abstract Studio
VF : Kymera, Delcourt
Attention aux spoilers de l’enfer qui tue !
Cet article passera en revue le dernier tome de Strangers in Paradise (SIP ) ainsi que certains moments clés de la série. De ce fait l’article comportera de nombreux spoilers. Les autres volumes ont été commentés ici et là. Ce tome correspondant au numéro 18 de l’ancienne publication par Kymera vient d’être réédité en intégrale chez Delcourt.
SIP aura été l’oeuvre d’une vie. Celle de Terry Moore qui aura écrit pendant 15 ans un soap opéra assumé enchevêtrant le destin de deux femmes tourmentées et de leurs amis. More aura inventé une recette unique, souvent copiée, jamais égalée : un comic book empruntant les codes dramatiques du soap opéra, ces séries télévisées interminables, tout en y injectant une profondeur authentique sur les rapports humains, des dialogues impeccables, des situations comiques autour de sujets tabous, et des scènes d’action ultra violentes ! SIP, c’est à la fois Santa Barbara,6 Feet Under, Friends et les Soprano ! Et malgré toute l’adoration éprouvée pour la série, il est honnête d’admettre qu’il était temps que ça se termine : au bout de 15 ans, les hésitations sexuelles de Francine, le mauvais caractère de Katchoo, la gentillesse surhumaine de David et les complots incessants des Parker Girls commençaient à devenir gonflants.
Après le mariage de Francine, on était toujours autant heureux de retrouver nos deux amies, certains comique de situation restaient irrésistibles, le dessin de Terry Moore continuait d’évoluer, mais les longs passages roman photos, les scènes interrompues par les chansons et les poèmes de Moore, les chassés croisés amoureux des unes et des autres, tout cela était devenu prévisible voire un peu fastidieux. Osons le dire : avec au moins 30 épisodes en moins, on aurait pas fait la grimace, tant rien d’essentiel ne se sera passé entre les tomes 13 et 18.
Dans cet intervalle, le scénario de Moore était dans une impasse. En séparant le couple vedette de son show, Moore avait beau multiplier les successions d’étapes logiques qui marquent la résignation de tout à chacun après la perte de l’être aimé, le coeur n’y était plus et l’intrigue aurait pu être facilement condensé en 5 épisodes.
Pendant ces 30 épisodes, SIP ressemblait un peu aux dernières saisons ď X Files : les intrigues restaient sympathiques, le casting aussi, l’ambiance était là, mais la dynamique, l’entrain, la fraîcheur et la tension sexuelle entre les personnages étaient aux abonnés absents. Le lecteur attendait poliment que le temps passe, et Dieu, qu’il est passé lentement ! Dixit ma femme, rare lectrice de Comics : Pff SIP, c’est toujours pareil ( je vous laisse imaginer les débats à la maison Nda) ...
Parce que sérieusement, lorsque ce tome s’ouvre sur la mort du chanteur Griffin Silver dont tout le monde se fichait éperdument, que Francine annonce son divorce à son mollusque de mari et proclame vouloir rattraper le temps perdu, le lecteur ne peut qu’opiner du chef tiré de sa somnolence, car il était temps que Moore donne à sa série fleuve, une fin digne de ce nom. Cela peut paraître épouvantablement conservateur, mais en réunissant enfin les deux stars de l’histoire, Moore retrouve immédiatement la logique de sa série et lui donne une fin à la hauteur de la patience de son public. Oui, la fin de SIP est totalement prévisible, sans surprise et conventionnelle. Mais elle est la seule que Moore pouvait se permettre, tant il est vrai que tout au long de sa saga, il aura disséminé des fausses pistes voire des fins alternatives à l’amour entre Katchoo et Francine.
De quoi parle SIP ? De deux femmes qui s’aiment au delà du raisonnable et repoussent toujours à plus tard leur passion. Le lecteur sait qu’elles sont faites l’une pour l’autre, leurs amis aussi et surtout l’auteur. Il ne s’agit pas de savoir SI Francine et Katchoo vont finir ensemble, mais QUAND et COMMENT. SIP, c’est l’accompagnement d’une certitude par un lecteur suivant pas à pas l’incertitude de ses héroïnes. C’est une course à la maturité, d’un grand amour arrivée trop vite, trop tôt. Il l’est pas anodin que tout cela se termine au chiffre 18.
De ce côté, en tuant David et en réunissant nos amies autour de son testament, Moore utilise des ficelles qui finissent par ressembler à des câbles, tant tout ceci est clichesque : la mort du héros à l’hôpital après une hémorragie cérébrale, la lecture publique du testament, le road trip pour disperser les cendres, la dispute, la réconciliation et les marmots en guise de bouquet final ? Oui, tout est là, demandez le programme !
Pourtant, il serait malaisé de commencer la chasse au sorcière à ce stade de l’histoire ! Car Moore n a jamais été malhonnête avec son lecteur ! Depuis le début, il se joue des clichés pour mieux les sublimer. Car Terry Moore possède un don rare : la délicatesse ! Tout est affaire de bon goût chez lui, même quand il pastiche le soap ! Et après tout quel y a t’il à cela ? La série Twin Peaks ne procédait elle pas de manière analogue : détourner les codes de la série à l’américaine pour enquêter sur un inceste et un infanticide ?
Lorsque le lecteur voit le dernier moment de bonheur entre Katchoo et Francine, le lecteur est gentiment raccompagné à la porte, littéralement parlant, sans que cela soit brutal, ni irrespectueux envers lui. Et toutes leurs scènes de sexe sont suggérées de manière amusante. Si bien, que malgré tout ce qu on peut lui reprocher, SIP restera le mètre étalon de la comédie de moeurs made in USA sur laquelle de nombreuses séries d’Image tentent de surfer.
Une histoire qui donne aux amants l’envie de s’aimer plus, aux célibataires de chercher l’âme soeur et aux cœurs brisés celle de remonter la pente ! Un auteur qui aura fait vieillir ses personnages en temps réel et aura mis en scène durant 15 ans une série presque exclusivement féminine. Salut les filles, merci pour le moment et Take Care !
Et SIP reste quand même une série où sont abordés sans ambages homosexualité féminine comme une sexualité a part entière et non comme une déviance, la lâcheté des hommes, le SIDA, le viol, la mort, la maladie, le temps qui passe et les remords avant la mort ! Il emprunte a ce propos, le procédé de Gaiman visant a représenter la mort qui vient chercher nos héros comme une jeune femme aimable et bienveillante. Mais encore une fois, tout ceci est en parfaite cohérence avec le reste de l’oeuvre.
Alors tant pis s’ il emploie quelques facilites scénaristiques, si les révélations autour du testament de David sont parfaitement inutiles, et si l’argent n’est définitivement pas un problème pour nos amies ! Les dialogue de ce dernier tome figurent parmi les meilleurs de la saga (Je vais te rendre si heureuse qu tu en chieras des arcs en ciel !) et les pépites d’émotion made in SIP sont là. Tout comme l’art de la mise en scène de Moore. Lorsque David meurt, deux pages noires s’imposent pour marquer le deuil de notre ami. Lorsque la lumière revient, c’est pour introduire son corps dans un tiroir de la morgue ! Imparable !
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Delcourt vient de publier le dernier tome de l’édition définitive de Strangers in Paradise, l’oeuvre maîtresse de Terry Moore. Une conclusion à la hauteur ? Découvrez-le chez Bruce Lit.
La BO du jour : Quand je mourrai j’irai au Paradis / C’est en enfer que j’ai passé ma vie.
Je ne désespère pas; j’ai progressé depuis le précédent article sur la même série. Je dispose maintenant des tomes 1 à 5 de l’édition Pocket. Il ne me manque plus que le tome 6, et je passe à la lecture… peut-être en 2015 (je sais que tu apprécie ce genre de planning). 😉
Quelques grammes de finesse…SIP ou les tables de la Loi selon Bruce.
As tu essayé Echo et Rachel Rising? Terry Moore a beucoup de cordes à son arc en tant que scénariste, et un talent certain pour dessiner les femmes (en particulier si elles ont le nez retroussé…) Un bon dimanche sous le soleil à tout le monde
Bonjour Lone,
J’attendais de finir SIP avant de me lancer dans un nouveau Moore. Comme je le mentionne dans mon article, je n’étais pas sûr d’apprécier la fin de SIP. Me conseilles tu ces séries ? Je trouvais que les herOines étaient trop « Katchooeisées ».
Definitivement oui pour Echo, la série est terminée et il existe une intégrale à un prix intéressant pour les anglophiles (Delcourt aussi après nos tunes).
Le seul écueil pour toi, c’est le genre abordée, c’est une histoire de SF où le thème principal est le danger lié à l’expérimentation technologique.
On retrouve la finesse de Moore dans le soin apporté aux développements des personnages et l’histoire qui se densifie rapidement trouve une conclusion satisfaisante.
Rachel Rising est une série horrifique en cours, et je n’ai pas d’opinion tranchée sauf sur le fait que Moore arrive à me surprendre à nouveau dans un genre que j’affectionne autant que la SF.
Quel que soit ton choix, tu trouveras effectivement une déclinaison de Katchoo et Francine qui donneront un air de déjà vu au récit. C’est souvent le cas pour des illustrateurs mettant en scène des héroïnes, François Bourgeon ou André Julliard me viennent en tête, ils continuent peut-être leur quête de la femme imaginaire. Ce n’est pas moi qui vais me plaindre de voir et revoir des femmes de papier tant aimées 🙂
Joli article qui manifestement me soulage de la culpabilité d’avoir arrêté la série au 13éme volume :)) Je n’ai semble t-il rien loupé ensuite 😉
J’ai lu quelques numéros de sa série suivante Echo, qui sans être mauvaise ne m’a pas convaincu (définitivement le comics d’action ne convient pas à Terry Moore et la personnalité de l’héroïne… a un petit gout de déjà vu)
Je crois qu’il vient de sortir un nouveau comics un peu plus horrifique… Je ne suis pas sûr de le lire celui là….
J’évite la lecture puisqu’il y a des spoilers. Car je compte bien me mettre à SIP un jour.
Bien que cette série ait l’air excellente, je ne pense pas investir. Le genre naturaliste ne m’attire pas beaucoup en règle générale et l’ensemble est surtout beaucoup trop long. Qui plus-est, la réédition chez Delcourt a tout pour me faire fuir : Enormes volumes de 3 kg en papier mat… Je les ai reposés direct après les avoir feuilletés…
Dommage, car je rate sans doute quelque chose. Mais en même temps, j’ai déjà tellement de choses à lire…
On va dire, pour me conforter dans ma décision de passer mon chemin, que tout cela manque un peu de vampires et de karaté…
Alors que moi, j’ai progressé : j’ai acquis le tome 6 qui me manquait… mais je n’en ai toujours pas commencé la lecture que j’avais programmée pour… 2015 !!! 3 ans de retard !!! Mais où passent les jours ?
Ben oui, Présence, que fais-tu ? Tu ne lis jamais rien et écris encore moins de choses 😉 !
C’est surtout que je peux tout lui filer en VF mais que monsieur veut lire seulement en VO.
Ah je vois que pour une fois je ne suis pas le seul ! ^^ Mais sur le coup, je préfère lire en VF…
« Une larme versée »… c’est chouette ! Bon comme je le disais sur FB, j’ai enfin l’intégrale de SiP ! Les trois tomes ! Des pavés ! Il ne me reste plus qu’à tout lire, et je reviendrai lire ta prose, Bruce, une fois que ce sera fait 🙂
La BO : va falloir que je m’y mette un jour.
Je pars demain pour une semaine de vacances, peut-être arriverais-je à rattraper un peu de lecture d’articles ? Par contre je crois que je n’arriverai pas à suivre vos conversations sur Black Hammer !
Oh la la, toute ma jeunesse! J’ai laché prise après l’arc de Veronica, avant la (SPOILER) fausse couche de Francine, la petite fille qui survit à l’attentat dans l’avion, avant la mort de David et l’accoupplement sauvage entre Bambi Baker et David. Santa Barbaraaaa je ne sais pas, pourquoi je regarde çaaaa (musique, merçi les Inconnus).
Tous les mauvais cotés du sopa opera. Mes tp survivants à la purge d’il y a trois ans vont jusqu’au flash-back High School, mais je ne remettrais pas le nez dans cette série.
La nostalgie à ses limites.
Merci pour ce super article, Bruce, grâce à toi je vais économiser l’achat de l’omnibus.
Tiens c’est grosso modo la meme chose pour Echo, ta remarque sur rachel rising.
Salut Matt,
Je n’ai pas lu Echo, mais c’est effectivement les….échos que j’en ai eu.
Mais c’est pas mauvais pour autant hein. j’ai passé un très bon moment de lecture.
Et toc : review ?
Pourquoi pas oui.
Bruce : alors dans ce cas je lirais le troisème volet de l’intégrale; je mourrais moins bête 😉
Avis personnel: BEST COMICS EVER.
une liberté de ton et de format inédit. *
Dans mes trucs au sommet je met Maison Ikkoku, La ballade de la mer salée, Stangers in paradise, De cape et de crocs et Tintin afin de respecter tous les quotas…. ^^
Hello Bruce ! Bon j’ai finalement lu la fin de SIP et voilà mon ressenti (attention SPOILERS) :
Après des années de je t’aime moi non plus, Francine et Katchoo se mettent enfin en couple, ont deux bébé en même temps dont l’un de David qui ne réussi pas a féconder Tambi dont on apprend qu’elle a un cœur gros comme ça et est finalement très incomprise malgré toutes les atrocités qu’elle commet dans les précédent volumes. Soap-opéra nous voilà !
Elles résolvent tous leur problèmes de fric de maisons, de querelles intestines, les trahisons sont pardonnées et la grande soeur Tambi veille sur tout ce petit monde jusqu’à la fin des temps tandis que la seule perdante de Tournez Manège est la demi-sœur de David qui n’apprend pas qu’elle est riche à millions (merci Tambi!)
Bref, c’était une lecture de jeunesse interrompue il y a longtemps et je n’arrive plus à accepter ces grosses ficelles, et même j’ai l’impression de me faire avoir par Terry Moore. Ou alors c’est le fossé du temps passé que je n’arrive pas à franchir.
J’aime les femmes fortes et indépendantes en fiction, Bruce, mais là on est dans un sop opéra Brésilien…
J’avais aimé Katchoo et son passé tragique, le (trop) gentil David qui se fait malmener par sa soeur, le duo Tambi/Bambi était bien présenté, Francine est la bonne copine un peu nunuche qui se fait avoir et Freddie Femur… plus con tu meurs… Tous ces personnages m’avaient embarqué dans un sacrée aventure.
Je n’accroche plus. Je garde ma petite pile de TP en V.0 avec le premier arc narratif (très bien ficelé), mais je n’investirais pas dans l’omnibus.
Car c’est un peu trop gros tout ça…
Amicalement.
Ahaha Nicolas, merci de cet effort !
Je dois te faire un aveu….Pour une fois, je suis complètement d’accord avec toi.
Avec le temmps (presque 20 ans) je pense -parfois- avoir surévaluer SIP.
C’est un comics de référence auquel je pense immédiatement quand on parle par exemple de Sunstone, j’en garde de très bons souvenirs très attachants mais je trouve effectivement certaines ficelles énormes. Mais n’est ce pas là cher ami le propre du Comics ? Jean Grey qui pardonne toutes les conneries de SCott Summers avec ses clones, ses ninjas télépathes au delà de tout entendement ? V qui renverse une dictature à lui tout seul ? Jesse Custer qui persécute Dieu ? Matt Murdock qui refuse de crever dans BOrn Again ?
Je vuex dire par là que SIP n’a pas le monopole de la télénovelas ni des grosses ficelles. J’y reste attaché. Mais Rachel Rising est loin d’être un chef d’oeuvre. Et il est hors de question que je m’investisse dans la suite de SIP actuellement en cours.
Merci Bruce. Sauf que par rapport aux super-héros, SIP était supposé se démarquer du genre et ne pas faire dans la télé-novella, Terry Moore a un peu dérapé avec le crash aérien, nous entrainant dans uen grosse spirale de déprime; la meme raison pour laquelle j’avais arrêté les X-Men vers la meme periode : trop sombre, trop déprimant.
Et le temps m’a montré que j’avas raison, que ce soit pour les X-Men ou SIP… don’t maintenant il y aurait une suite. Ben alors!
J’ai l’impression que ton lien youtube est erroné, ça me donne une playlist (la mienne en fait).
Bon sinon, série que je ne connaissais pas et que je ne lirai jamais (‘tain c’toujours pareil, c’est les plus gentils qui meurent, et comme ça, hop tranquille pour réunir le couple !), merci de m’en avoir fait le résumé 🙂