Encyclopegeek : Les films de monstres de la Universal dans l’âge d’or du cinéma hollywoodien
Par : TORNADO
1ère publication le 01/01/2016- MAJ le 16/09/18
Cet article portera sur les films de monstres produits par le studio Universal dans les années 30 et 40. Plus communément nommés les Universal Monsters.
Ces derniers temps, un certain nombre des ces films a été restauré en HD et il est désormais possible de se procurer les DVD, voire les Blu-ray d’une bonne partie d’entre eux. Un éditeur nommé Elephant Film propose d’ailleurs une jolie collection (intitulée Cinéma Monster Club), avec pas moins de 20 films emblématiques.
L’article offre un panorama de ce parcours cinématographique avec une première partie autobiographique, une deuxième dévolue aux artisans par lesquels les films ont vu le jour. Puis une troisième partie, plus large, revenant sur certains des films principaux de la série.
Afin de vous rendre la lecture moins indigeste, l’article a lui-même été divisé en trois parties distinctes…
1) Il ya bien longtemps, dans cette même galaxie…
La Fiancée de Frankenstein est diffusé au Cinéma de Minuit le 5 décembre 1976. Ainsi nait une tradition, qui veut que ces films d’horreur de l’âge d’or hollywoodien ne soient diffusés que tard le soir, à l’heure où les enfants sont couchés…
Cette tradition destine avant tout ces œuvres aux cinéphiles. A ceux qui font l’effort de passer outre l’heure tardive et qui sont également capables d’apprécier les films en version originale sous-titrée. Ainsi, l’ensemble de ces films des années 30 et 40 ne sera quasiment jamais doublé en VF pour la télévision. Néanmoins, à force que des hordes de spectateurs réclament cette traduction, elle a fini par arriver dans les éditions DVD les plus récentes. Et bien franchement, on s’en passait très bien de cette VF, car elle est proprement calamiteuse ! Comprenons-nous bien, je ne fais nullement partie des puristes qui refusent en bloc toute traduction. Mais celle-ci est vraiment affreuse, interprétée la plus-part du temps par des doubleurs qui ne sont nullement des acteurs, qui récitent le texte de manière monocorde, dans un total décalage avec le caractère des images ! Quand on pense que les acteurs de l’époque misaient tout sur leur diction suave et leur voix caverneuse, leur traduction ne tolère pas la demi-mesure ! L’ensemble finit ainsi par devenir complètement anachronique, et personnellement je suis retourné rapidement à l’ancienne VO, à laquelle j’étais de toute manière parfaitement habitué.
Mais revenons en 1976. A l’époque, je suis un tout petit garçon. Cela ne m’empêche pas d’entendre parler de ces films d’horreur qui ne passent à la télé que lorsque les enfants sont couchés…
Pendant bien des années, je vais trembler en pensant à Dracula, à Frankenstein et au Loup Garou, sans avoir vu autre chose que quelques photographies dans le magazine TV posé sur la table basse…
Les choses sont ainsi : le fantasme est toujours supérieur à la réalité. Et ces quelques images vont me faire trembler de frayeur pendant bien longtemps.
Toujours est-il que le fantasme en question va marquer mon imaginaire de geek et, ainsi, sans même avoir vu ces films, ils vont hanter (c’est le cas de le dire !) mon esprit de manière pérenne.
A cette époque, déjà, je me souviens avoir regardé, par un dimanche après-midi d’automne pluvieux, La Beauté du Diable de René Clair, avec Gérard Philippe dans le rôle de Mephisto Phélès et Michel Simon dans celui du Dr Faust. Ce n’était pas un film de la Universal, mais bel et bien un film français datant de 1949. Toujours est-il que son atmosphère gothique en noir et blanc rapprochait dans mon idée cette histoire de diable avec les monstres de la Universal. Une expérience envoûtante, qui allait marquer à jamais le petit garçon que j’étais et inaugurer une histoire d’amour éternelle avec le fantastique.
Quelques années plus tard, un dessin animé intitulé le Croque-Monstres Show (The Groovie Goolies en VO), datant de 1970 mais diffusé en France sur le tard au début des années 80, allait m’aider à exorciser un peu ma terreur de ces figures fantasmées du patrimoine de l’horreur. Cela n’allait pas âtre facile car, dans le même temps, ma cousine lisait le roman de Bram Stocker et les quelques bribes qu’elle m’en racontait me plongeaient assez rapidement dans l’effroi le plus total ! Petit à petit, néanmoins, je réussis à vaincre ma peur et, un beau jour de l’adolescence, je revenais du vidéo-club avec les VHS de Dracula et de Frankenstein…
Je trouvais, en regardant ces premiers films du genre, qu’ils ne faisaient finalement pas très peur. Mais le « mal » avait été fait : Ils faisaient partie de ma vie et de mon patrimoine personnel, à, défaut de pouvoir dire génétique. Et je les garderai à jamais dans mon univers…
Au passage, je me familiarisais avec la VOST, à défaut de ne pouvoir regarder les films autrement. Et je percevais au passage à quel point l’interprétation de ces acteurs qui, à l’aube du cinéma parlant surjouaient beaucoup mais avec une diction extrêmement travaillée, méritait de faire un tel effort.
Ainsi vont les choses. Il aura donc fallu que je fantasme longtemps sur ces œuvres pour que mon imaginaire s’en nourrisse définitivement. Ils rejoignaient ainsi le panthéon de mes œuvres phares (à l’époque), avec les trilogies Star Wars et Indiana Jones, les films de Bruce Lee , les dessins animés de Walt Disney et toutes les bande-dessinées que je collectionnais.
2) Les faiseurs de monstres.
En 1929, cela fait quelques temps déjà que le studio Universal produit des films de monstres, avec de grands classiques comme Le Bossu de Notre Dame et Le Fantôme de l’Opéra, tous deux interprétés par l’immense Lon Chaney.
L’année 1929, marquée par la Grande dépression, l’est aussi par l’avènement du cinéma parlant qui commence à se démocratiser et à contaminer tous les studios. Car Laemmle, le grand ponte de la Universal, passe alors le flambeau à son fils : Carl Laemmle Jr. Ce dernier décide de se lancer dans une série de films d’horreur. Ce sera le début de l’aventure. Les Universal Monsters sont nés.
Hélas, hélas. Après avoir tourné son unique film parlant en 1930 (Le Club des Trois), le grand Lon Chaney disparait des suites d’une pneumonie. Il devait jouer le rôle de Dracula dans le film de Todd browning, en 1931. Ce sera finalement Béla Lugosi qui incarnera le roi des vampires…
L’acteur Hongrois, qui jouait la pièce adaptée du roman de Bram Stocker depuis des années, fait une très grosse impression dans le rôle-titre, au point qu’il va représenter, pour l’éternité, l’archétype du Comte des Carpates dans l’imaginaire collectif. On lui propose ainsi, la même année, d’incarner le rôle du monstre de Frankenstein pour le film de James Whale. Mais Lugosi a pris la grosse tête et refuse de crouler sous les maquillages. Il estime que son physique et ses talents d’acteurs n’ont pas à subir cet outrage ! Ce sera l’erreur de sa vie. Car le rôle échoit à Boris Karloff, un acteur anglais de très grand talent, qui obtient un succès tout aussi considérable (créant derechef un autre archétype visuel pour l’éternité). Bien qu’amis dans la vie, la concurrence que vont s’opposer les deux acteurs sera rude, et la carrière de Béla Lugosi en prendra ombrage, de manière très nette, voire tragique par la suite.
Pendant près de vingt ans, les deux compères vont incarner toute une série de monstres divers et variés, avec des variations plus ou moins importantes. Lugosi incarnera ainsi Dracula, le savant fou, le psychopathe, le monstre de Frankenstein, tandis que Karloff endossera le maquillage du monstre de Frankenstein, du savant fou, du psychopathe et de la Momie. A partir des années 40, un troisième acteur emblématique viendra néanmoins agrandir les rangs des interprètes spécialisés dans les rôles de monstres. Ce sera Lon Chaney Jr, le fils du grand Lon Chaney, qui se chargera quant à lui d’incarner le Loup Garou de manière exclusive, en plus du monstre de Frankenstein, de la momie et du fils de Dracula !
Béla Lugosi, Boris Karloff : Les monstres universels
Les autres principaux artisans de la série sont les réalisateurs des films. Mais nous en reparlerons plus tard. Pour l’heure, nous allons nous attarder sur le rôle de Jack Pierce. Celui-là, ce n’est ni un acteur, ni un producteur, ni un metteur en scène. C’est le maquilleur officiel des studios Universal !
Pierce avait succédé à Lon Chaney, puisque l’acteur était également, de son vivant, le grand spécialiste du maquillage ! C’est donc bien lui qui va imaginer et créer tous les monstres de la Universal, jusqu’en 1947, date de son renvoi. Un renvoi assez brutal, à l’heure où ses techniques de maquillages se révélèrent dépassées.
Pendant près de vingt ans, Jack Pierce va donc réaliser l’apparence de toutes ces créatures horrifiques. Et si aujourd’hui, la simple pensée du vampire Dracula, du monstre de Frankenstein ou du Loup-Garou dessine dans votre esprit cette image universelle venue des années 30, c’est à ce génie de l’histoire du cinéma que vous le devez !
Tout un art !
Mis à part Boris Karloff, qui développera une amitié indéfectible avec le maquilleur, on ne peut pas dire que son art était du goût de tout le monde. Et pour cause ! Le bonhomme était si perfectionniste qu’il infligeait des heures et des heures de poses à ses acteurs ! Karloff devait ainsi arriver sur le studio à trois heures du matin, afin d’être près à huit heures pour le tournage. Lon Chaney devait rester immobile pendant six heures pour endosser le masque du loup-garou, puis encore trois heures pour qu’on lui enlève ! De plus, les masques étaient extrêmement rigides et les acteurs, ainsi grimés, ne pouvaient quasiment pas bouger leurs muscles faciaux ! C’est l’actrice Elsa Lanchester, qui incarnait la Fiancée de Frankenstein, qui restera la plus revêche, criant sur tous les toits que le bonhomme était un affreux tortionnaire !
N’empêche qu’au bout du compte, il contribua, de manière optimale, à faire entrer nos Universal monsters dans la légende …
3) Vers un univers partagé…
Dracula, par Todd Browning (1931)
Dracula est un film très important pour l’histoire du cinéma. Il fut à la fois le premier film d’horreur parlant et la première adaptation officielle du roman de Bram Stocker, réalisé neuf ans après le Nosferatu de Murnau, qui était en vérité la première adaptation officieuse du roman, sans pouvoir bénéficier des droits.
Produit par la Universal à l’aube du cinéma parlant, il lança la mode des grandes adaptations gothiques, sauva son studio et annonça l’âge d’or du cinéma fantastique. Car le succès du film fut phénoménal et planétaire.
Tout ce qui fait la qualité et la légende des Universal Monsters se trouve déjà à l’écran : Le noir et blanc directement calqué sur l’expressionnisme allemand des films de Murnau et Fritz Lang, les décors gothiques avec château des Carpates (en vérité une très belle peinture sur verre), brumes et toiles d’araignées, ainsi que la présence d’un acteur taillé pour les rôles ténébreux : Le grand Bela Lugosi.
Si aujourd’hui, la seule prononciation du nom de Dracula évoque un aristocrate gominé au teint blafard, à la chemise à jabot et à la grande cape noire teintée de rouge (telle qu’on pouvait la contempler sur les affiches en couleurs de l’époque), c’est parce que Lugosi a su immortaliser son interprétation au point de la rendre indissociable du personnage. Il est d’ailleurs notoire que ce rôle étouffa l’acteur qui devint plus ou moins fou, au point de s’habiller comme ça dans la vie et de dormir dans un cercueil ! Il n’interpréta pourtant le rôle de Dracula qu’à deux reprises : le film de 1931 et la parodie Abbott et Costello contre Frankenstein en 1949 ! Tous ses autres rôles de vampires ne seront pas ceux du Comte Dracula.
Dans ce rôle en particulier, celui qui fit sa gloire, l’acteur hongrois en impose dans un jeu outré et incroyablement habité, faisant des merveilles avec sa voix suave directement issue de la vieille Europe. Certaines de ses tirades sont devenues éternelles au point d’être reprises, mot pour mot, dans les autres adaptations cinématographiques de l’œuvre de Stocker (dont la version de Francis Ford Coppola réalisée en 1993), comme « Ils sont les enfants de la nuit », lorsqu’il entend le glapissement des loups, ou bien « Je ne bois jamais… de vin » !
Béla Lugosi : un des castings historiques du 7° art !
Pourtant, dans un sens, Dracula de 1931 n’est pas vraiment un très bon film. De plus, davantage que les autres films de la série, il accuse très mal le poids de l’âge.
Les premières minutes, qui montrent le jeune Reinfield voyager en carrosse et rejoindre le château des Carpates où l’attend un Dracula incroyable d’ambivalence chaleureuse et maléfique, sont largement les plus réussies. Elles en imposent toujours autant 80 ans plus tard et sont particulièrement envoûtantes, notamment grâce aux somptueux décors. La suite, qui voit le Comte Dracula partir en Angleterre, y fréquenter l’intelligencia et s’en prendre aux gentes damoiselles, est nettement moins excitante. C’est extraordinairement lent, statique, bavard, théâtral et surjoué. Et les courtes 74 minutes qui composent le film deviennent interminables.
En réalité, une chose explique cette faiblesse de manière indiscutable : Depuis 1927, la pièce de théâtre transposant le roman de Bram Stocker est jouée à Broadway et c’est un succès sans précédent. Le studio Universal, qui ne veut pas prendre de risques, décide donc d’adapter cette pièce de manière presque littérale. Il convoque les scénaristes de la pièce en question, ainsi que son acteur principal, c’est-à-dire Lugosi (après que bon nombre de stars de l’époque aient été écartées) ! Le résultat donne forcément un film aux allures de pièce de théâtre, avec ses décors intérieurs statiques et le ton surjoué de l’ensemble des acteurs.
Il faut également se remettre dans le contexte de l’époque : Le parlant n’existe que depuis quatre ans et les réalisateurs ne savent pas très bien encore maîtriser le débit des dialogues. Ils ont souvent tendance à en faire trop.
Le film est pourtant réalisé par l’immense Tod Browning, génie du 7° art et auteur complet du mythique Freaks, la Monstrueuse Parade. Mais il est évident que le metteur en scène, privé de libertés et de la présence de son acteur fétiche, Lon Chaney, prévu au départ pour incarner Dracula mais décédé peu avant le début de la production, ne maîtrise pas son sujet comme il a pu le faire sur ses autres films. C’est tout le paradoxe de constater que le film le moins réussi de Tod Browning demeurera pour toujours son plus grand succès…
Pour l’anecdote, notons que, pour les besoins de la distribution étrangère, une version espagnole du film était tournée la nuit par une équipe entièrement ibérique, et que cette version de 104 minutes, plus spontanée, est souvent jugée supérieure à la version américaine !
https://www.youtube.com/watch?v=b7xYbaCztI4
Version américaine ou espagnole ?
Pour le reste, le film ne devrait quand même pas beaucoup plaire aux nouvelles générations, ni même aux amateurs les plus extrêmes du roman de Bram Stocker. Le scénario fonctionne à la manière d’une version courte qui fait l’impasse sur la plus-part des éléments du livre pour n’en conserver que l’essentiel.
A part le générique d’ouverture qui permet d’entendre un très mélancolique Lac des cygnes, aucune musique n’est présente tout au long du film. Ce parti-pris, propre aux premières années du parlant, s’il a l’avantage d’imposer une atmosphère très particulière, laissant surtout s’exprimer les bruitages, accentue aujourd’hui la lourdeur de l’ensemble.
Quoiqu’il en soit, je conseille tout de même de voir ce classique absolu, ne serait-ce que pour sa culture personnelle. Il demeure un film très important dans l’histoire du cinéma, et la pierre angulaire du cinéma fantastique. Il reste le monument du genre qui inventa une forme entière de cinéma, définissant les archétypes et enfantant toutes les sous-catégories du genre devenues aujourd’hui incontournables, comme l’épouvante, l’horreur et le gore.
Frankenstein, par James Whale (1931) :
Frankenstein, second film d’horreur de l’histoire du cinéma parlant, entérina le succès des Universal Monsters. Il consacra le grand Boris Karloff dans le rôle du monstre et fit de l’acteur une immense star, malheureusement cantonnée aux rôles de méchants pour le reste de sa carrière, avant qu’il ne décide, de manière ironique, de présenter une émission TV pour les enfants à la fin de sa vie…
L’esthétique gothique expressionniste qui faisait tout le sel de Dracula se retrouve à l’écran. Mais Frankenstein est encore meilleur que son aîné transylvanien. Le film est désormais affranchi de toute adaptation théâtrale et développe son propre scénario de manière plus émancipée. Tout comme Dracula, il fonctionne à la manière d’une version courte qui fait l’impasse sur la plupart des éléments du livre dont il s’inspire pour n’en conserver que l’essentiel. Ainsi, le roman de Mary Shelley donne-t-il une version cinématographique de 71 minutes seulement.
L’absence de musique, comme c’était le cas pour la majeure partie des films de cette époque, procure au film une atmosphère très particulière, bizarrement réaliste, d’autant que le maquillage du monstre est une réussite absolue. Comme on l’a dit et répété, il demeurera dans les esprits au point de devenir indissociable du mythe de Frankenstein dans l’inconscient collectif. Si aujourd’hui, la seule prononciation du nom de Frankenstein évoque une armoire à glace au teint crayeux, au regard torve, aux paupières pesantes, avec un crâne démesuré et des vis sur le cou, c’est parce que le maquillage de Jack Pierce sur Boris Karloff a permis d’immortaliser cette interprétation du monstre au point de la rendre indissociable de cette figure romanesque.
Le jeu de Boris Karloff ajoute évidemment une note vibrante d’humanité étouffée à un rôle que la plus-part des acteurs auraient cantonné à une grosse baudruche effrayante, comme ce sera le cas sur la plus-part des autres versions cinématographiques. Et pourtant, dans cette version de 1931, Karloff ne prononce pas un seul mot !
Il est bien ironique de remarquer aujourd’hui que cette immense star du cinéma fantastique n’est pas créditée au générique. En effet, on peut lire à la fin, un très mystérieux et incongru point d’interrogation à la place de son nom (The Monster : « ? ») !
D’un point de vue formel, il est évident que ce second film d’horreur, pionnier du cinéma parlant, avance encore bien maladroitement, demeure théâtral et statique, manque de rythme et parait bien timoré en regard de l’évolution cinématographique. Mais tous ces défauts n’ont jamais réussi à entamer l’aura de ce monument du 7° art.
Le réalisateur James Whale, dont le succès se résumera (injustement) à quatre films d’horreur réalisés pour la Universal dans les années 30, gère le tournage de main de maître. Reléguant le thème principal de l’œuvre de Mary Shelley (les limites de la science et de l’étique) au second plan, il préférera tout miser sur le pathos et le crescendo, focalisant tous ses efforts sur le traitement du monstre qui, « à cause » du metteur en scène, portera dans l’esprit du public le nom de « Frankenstein », pourtant tenu par son créateur… De ce changement de cap vont émerger de nouvelles thématiques passionnantes, comme celles du droit à la différence, de la peur de l’inconnu, de la vanité humaine, de l’intolérance que génère la différence et de la dictature de la normalité. Soit une sacrée densité !
Le film recèle des moments inoubliables, à jamais gravés dans la mémoire du cinéma et du mythe de Frankenstein : La première apparition du monstre, impassible, en gros plan dans un silence pesant ; le célèbre « It’s alive ! It’s aliiiiive !!! » que crie le baron Frankenstein (interprété par Colin Clive) lorsqu’il voit bouger la main de sa créature ; la bouleversante scène de la petite fille, que le monstre compare à une fleur flottant sur l’eau, avant de la précipiter tragiquement dans la marre ; la vindicte paysanne qui voit une horde de gens hystériques armés de fourches et de pioches, poursuivre le monstre sur les collines brumeuses ; et bien entendu le final cathartique, dans les flammes du moulin à vent.
Toutes ces séquences auront un tel impact sur le public et sur les cinéphiles qu’elles seront sans cesse reprises, calquées, citées, parodiées et immortalisées dans l’hommage rendus par d’autres chefs d’œuvre de l’histoire du cinéma. Plus encore, il n’existera aucune expression artistique qui échappera à l’héritage du film, à son esthétique, à son aura, à sa poésie macabre, faisant de cette référence un poncif majeur de l’histoire de l’art.
Double Assassinat Dans la Rue Morgue, par Robert Florey (1932) :
Le pitch : A Paris, en 1845, le Docteur Mirakle dirige une représentation foraine dont le clou du spectacle est l’exhibition d’un gorille, qu’il surnomme « Erik le premier homme ». Mirakle est en réalité un savant fou, qui repère dans son public les jeunes femmes qui deviendront bientôt se victimes, car il tente de mélanger leur sang avec celui de son gorille, afin de prouver cette filiation jugée hérétique par la populace…
Le gorille le plus célèbre de l’Histoire du cinéma, c’est King Kong , apparu pour la première fois sur les écrans en 1933. Mais King Kong n’était pas le premier ! Un an plus tôt, un gorille belliqueux (mais de taille normale), terrorisait les spectateurs dans Murders In The Rue Morgue, un film d’horreur réalisé par Robert Florey d’après la nouvelle d’Edgar Alan Poe.
Alors, parlons-en de ce gorille, car ce n’est vraiment pas une réussite ! Le réalisateur a eu la très mauvaise idée d’alterner ses prises de vue simiesques entre celles d’un acteur costumé, déguisé en gros singe, et celles d’un chimpanzé grimaçant, filmé en gros plan ! A ce stade, les images ne sont absolument par raccord et le résultat est catastrophique ! Ernest B Schoedsack & Merian C Cooper s’en souviendront certainement l’année suivante, lorsqu’ils feront appel au spécialiste des effets spéciaux Willis O’Brien pour la conception de leur singe géant !
C’est dommage, car le film offre par ailleurs une mise en forme très soignée, recyclant les très beaux décors gothiques de la Universal et mettant en lumière les nuits de ce vieux Paris façon expressionnisme allemand…
Béla Lugosi joue de nouveau les méchants, mêlant son regard perçant à cette diction suave si immédiatement reconnaissable. Son jeu théâtral a énormément vieilli, mais le charisme est indiscutable.
La première scène de meurtre est d’une cruauté malsaine encore étonnante, qui distille une réelle folie macabre. Hélas, le reste de la réalisation est un peu mollasson, surtout dans sa deuxième partie, lors d’une série de scènes humoristiques franchement lourdingues. L’absence totale de musique (hormis lors du générique, où l’on joue Le Lac Des Cygnes, comme dans Dracula !), participe également de cette impression apathique. A noter que le film est extrêmement court (58 minutes) !
Admirez le singe sur la toute dernière image de ce trailer !
Murders In The Rue Morgue est le troisième film de la série des Universal Monsters. C’est aussi l’avènement, dans la série, d’une figure récurrente : Celle du savant fou…
Auréolé de son succès dans le rôle de Dracula, Béla Lugosi était spontanément devenu une star du film d’horreur. Ainsi, en 1932, pour sa seconde prestation au sein de la Universal, celui qui se faisait déjà appeler Dracula par le public refusa le rôle masqué du monstre de Frankenstein et reporta son choix sur ce qui devait être la première adaptation d’une œuvre d’Edgar Alan Poe par le studio, pensant ainsi côtoyer l’aura d’un écrivain majeur et passer pour un acteur spécialisé dans les rôles, horrifiques certes, mais prestigieux. A l’arrivée, Murders In The Rue Morgue se révéla être un film mineur. Comme quoi tout est question de choix ! Mais le costume de savant fou allait devenir une constante chez Béla Lugosi, alors qu’il n’incarna le rôle de Dracula que deux fois dans toute sa vie…
Je vous donne à présent rendez-vous dans la deuxième partie de notre article pour vous parler de bien d’autres films de monstres…
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La BO du jour :
Les films de monstres de la Universal, c’est l’horreur ?
Que nenni ma bonne dame, c’est la fête (d’halloween) !
https://www.youtube.com/watch?v=OiXsM0eo-hk
J’arrive après la bataille (on va dire que c’est le décalage horaire) mais quoi qu il en soit je tenais à te féliciter pour cet article qui, même en tant que fan de «vieux films de genre», m’a appris des choses (comme par exemple que Lugosi n’a incarné qu’une seule fois Dracula !). Vivement la suite 😉 Le coffret dont tu parles est celui en forme de cerceuil ?
Hello Patrick. J’ai le coffret en forme de cercueil qui trône fièrement sur une étagère. Mais il n’y a que 8 films dedans. L’éditeur Elephant Film propose chaque film à l’unité, dont certains en blu-ray et d’autres pas. Et là il y a un vingtaine de films, dont certains étaient difficilement trouvables auparavant, comme « La main de la Momie » ou « La Vengeance de l’Homme Invisible » !
Béla Lugosi a incarné deux fois Dracula. Mais une seule fois en mode « sérieux ».
Bravo, surtout apres avoir visionné en 4semaines les 3 saisons de penny dreadful, c’est chouette de lire ça, bravo.
Ah ben ! Tu sais que je peux te filer l’intégralité des Universal Monsters si tu insistes ! 😀
ça n’a pas forcément de rapport avec Frankenstein, mais un peu quand même puisque ça s’appelle « le complexe de Frankenstein »
Kesskécé ? C’est un documentaire sur le cinéma fantastique des années 80.
Je ne l’ai pas encore vu mais le réalisateur est le même Gilles Penso responsable du doc « Ray Harryhausen : titan des effets spéciaux » que je recommandais déjà dans mon article sur le monsieur.
https://www.youtube.com/watch?v=R2MGBk2hBM8
Ces documentaires ne datent pas d’hier mais bon sang, on n’en entend pas parler !
Au fait je ne suis pas très friand du cinéma muet mais tu as déjà vu le cabinet du dr Caligari ?
All New ! All Different !
Le lien vers la deuxième partie ne fonctionne pas.
Mais l’article est encore une fois passionnant (et AFP approved oserais-je).
@Benjamin la vague : Tous les liens ne fonctionnant pas font partie de la purge de l’été (tous les articles ciné en fait) soient 200 articles.
Les liens seront de nouveau rétablis en fonction des remasterisations progressives de ceux-ci. Les WE y seront désormais consacrés. Patience !
Non ! 😛
La 2° partie de l’article est bouclée. Il faut attendre les redifs du weekend pour la voir revenir dans sa version « all new all different »…
Un beau voyage dans mes souvenirs de cinéphile. Notons que Boris Karloff incarna aussi des héros positifs, mais dans le domaine des fictions policières. On se souviendra notamment de Mr. Wong dans les années 30, où nous le retrouvons grimé en détective asiatique. Il incarna ensuite, quelques années plus tard, le fameux Colonel March.
Bela Lugosi ne fut jamais un très grand acteur, c’est un fait, mais il disposait d’un organe vocal magnifique et d’une vraie présence sur la pellicule. En revanche, je préfère oublier que DOUBLE ASSASSINAT DANS LA RUE MORGUE fut une adaptation de la nouvelle de Poe. C’est un film que j’ai vu tardivement et je le considère comme très mauvais.
L’erreur à ne pas commettre est de juger ces films à l’aune des productions et idiosyncrasies actuelles. Le public des années 30 était certainement beaucoup plus influençable que nous, habitués au gore et aux screamers.
D’un autre côté, on voit bien l’attachement des studios à pérenniser, dans leurs adaptations suivantes, les mêmes tropes. Dans le cas de la momie, cela revient trop souvent à raconter, ad libitum, la même histoire. On retrouve d’ailleurs cette triste habitude dans les comics où, une fois qu’un personnage est clairement défini, il est très difficile de le transformer durablement. C’est pour cette raison que je considère le Dracula de Coppola comme un chef-d’oeuvre : il mélange magnifiquement l’hommage au canon tout en y apportant sa touche personnelle.
Et bien nous sommes à peu-près d’accord sur tout (sur le Coppola, entre autres), à ce détail près que DOUBLE ASSASSINAT DANS LA RUE MORGUE, même s’il ‘est pas très réussi, possède quelques fulgurances qui m’empêcheront toujours de le trouver complètement raté.
Je serais curieux de lire une critique du Dracula de Coppola^^
J’aime bien le film mais j’ai toujours trouvé que les acteurs étaient en roue libre et/ou jouaient comme des patates.
Autant la première partie du film est fabuleuse, autant, à partir du moment où Dracula arrive à Londres, Coppola casse complètement le rythme du film jusqu’à devenir ennuyeux jusqu’au final très réussi.
Il était question que je fasse l’article. Puis Stéph a manifesté son envie de le faire aussi. On a parlé d’un team-up. Et c’est dans les cartons (projets) depuis…
Je suis assez d’accord sur les acteurs. Mais pour le reste, sacré film…
Je dirais que le film est top jusqu’au moment où ils retournent en Transylvanie. Ce passage est bâclé. Mais la toute fin est effectivement très belle.
Par rapport à ce que disait Matt, Anthony Hopkins est très pénible en Van Helsing hystérique (rien à voir avec le bouquin), et Keanu Reeves joue comme une merde. A l’opposé, Wynona Ryder est superbe et Gary Oldman, exceptionnel.
Keanu Reeves joue mal oui. Quand il a peur ou est surpris, c’est une catastrophe. Et de son propre aveu en plus ! Il a dit n’être pas content de sa performance.
Et Hopkins le truc, c’est que ça semble sortir de nulle part. Un peu excentrique au début et puis à la fin en Transylvanie, il ricane à la lune comme un foutu taré évadé de l’asile.
Wynona Ryder s’en sort bien mais il y a aussi des scènes WTF comme quand elle et Lucy dansent sous la pluie et se roulent une pelle. Euh…hein ? Vous roulez de pelles à vos potes comme ça vous quand vous êtes content ?
Sérieux je sais pas ce qu’il se passait sur le tournage. Il y avait de l’improvisation ou tout le monde prenait de la coke ?
Certains choix sont bizarres aussi. La coupe de cheveux de Dracula en forme de cul fait quand même un peu rigoler.
Mais bon après visuellement c’est chouette, la musique aussi, les décors, etc.
Et j’aime bien la dimension plus tragique de Dracula. Finalement dans le bouquin il n’est pas amoureux, c’est juste un vilain vampire.Et la manière épistolaire de raconter l’histoire empêche de vraiment faire connaissance avec Dracula. Beaucoup moins émouvant le roman. Je sais que ce n’était pas forcément le but mais au final je ne suis pas un immense fan du bouquin.
Parmi les classiques de ce genre je préfère Frankenstein et même Carmilla de Le Fanu malgré l’aspect un brin inachevé de la nouvelle. J’ai ressenti davantage d’ambiguïté et de passion chez le personnage de Carmilla que chez celui de Dracula. Même si sa séduction fait partie de son plan, on ne sait pas jusqu’à quel point elle joue la comédie.
Concernant le Dracula de Coppola, je suis fasciné par ses multiples hommages au cinéma classique. Je pense que le choix de Keanu Reeves n’est pas gratuit. Il joue parfaitement bien son rôle de petit bourgeois victorien falot. Il aurait été peu judicieux de prendre un article capable de faire de l’ombre à Gary Oldman. Anthony Hopkins cabotine à outrance. Sa performance est indigeste.
@Matt : Oui, je préfère moi aussi le plaisir de lecture de Frankenstein et Carmilla. Je parle de plaisir parce que sur le fond, Dracula, c’est quand même quelque chose (pais les autres aussi d’ailleurs).
Les scènes oniriques avec le roulage de pelles ne m’ont pas gêné. C’est la séduction vénéneuse et l’aura du séducteur (qui prend peu à peu emprise sur leur esprit) qui les met dans cet état. Il y a d’ailleurs un plan où le personnage de Dracula rit de les voir s’émoustiller comme ça.
Je me souviens pas très bien, mais est-ce qu’elles ont déjà croisé Dracula à ce moment là ? ça me paraissait un peu tôt pour mettre ça sur le compte de la séduction du vampire.
J’ai vraiment accroché à Carmilla à la première lecture, alors que Dracula j’ai quand même fait un effort pour le finir. Non pas que ça ne m’intéressait pas sur le fond en effet, mais le style d’écriture, la structure épistolaire, et le fait que je l’ai lu après avoir vu le film plus tragique…ben j’ai moins accroché.
Et si tu les as lu comme moi dans le bouquin « les évadés des ténèbres » (à l’époque du collège dans la vieille édition pour moi, avec une tête de Boris Karloff en couverture^^), j’ai abandonné à chaque fois la lecture du golem. J’y comprenais rien de rien.
Elle n’ont pas encore rencontré Dracula mais celui-ci opère son pouvoir dès le voyage en bateau, en projetant son esprit. La scène du Demeter est d’ailleurs superbe, une des meilleures du film. Mais il a fallu que je la regarde un paquet de fois pour bien tout comprendre (et notamment cette histoire de projection).
Alors oui c’est exactement la même édition que j’ai lue ^^
Je me souviens avoir lu ça pendant mon service militaire, lors des longues nuits de garde à la con… Ça commence à faire un bail.
Idem : Jamais pu finir Le Golem. Et je n’ai aucun souvenir des « Mystère du Château d’Udolphe…
Le château d’Udolphe a surtout une valeur historique je pense. C’était le début des romans à suspense. Je ne m’en souviens pas très bien non plus mais il y a une bonne partie dans un château inquiétant quand même qui était pas mal^^ Mais le principe du bouquin c’est de donner des explications rationnelles à toute manifestation mystérieuse, comme une enquête.
le golem j’ai jamais été aussi paumé dans un bouquin. Je n’arrivais même pas à comprendre qui était les personnages, de quoi ça parlait, c’était bourré de connotations religieuses et de métaphores et au final, tu sais même pas qui est qui, de quoi ça parle. Woah !