Les évadés de la planète des singes de Don Taylor
Un article de BRUCE LIT
Cet article fera le macaque et dévoilera la fin de ce film tourné il y a plus de cinquante ans.
Cet article est bien entendu dédié à mon chimpanzé préféré, un certain Patrick F.
LES EVADES DE LA PLANETES DES SINGES est le troisième film de la pentalogie commencée par la légendaire PLANETE DES SINGES. Le film est tourné en 1970 soit deux ans après la sortie du film avec Charlton Heston par Don Taylor.
Lorsque commence ce troisième opus, le plus grand scepticisme envahit les spectateurs de l’époque : comment diantre, réaliser un nouveau film alors que le deuxième opus réalisé par Ted Post faisait littéralement exploser La planète des singes ?
La première scène -et la plus célèbre- de cet épisode dissipe tout malentendu : 3 singes ont réussi à s’échapper avant l’explosion et atterrissent par le biais d’un paradoxe temporel près de 2000 ans avant que les singes ne deviennent l’espèce dominante de la terre. Fort habilement, Don Taylor met alors scènes 3 cosmonautes reçus avec les honneurs avant que ceux-ci dévoilent leurs visages, ceux de Zira et Cornelius, les savants pacifistes rencontrés dans les deux premiers opus.
Commence alors une histoire surprenante prenant le contrepied de la science-fiction pure de la licence pour un tournant plus réaliste oscillant entre la comédie, le militantisme politique et une tragédie amoureuse (oui !)
En cela LES EVADES DE LA PLANETE DES SINGES en donne pour son argent même s’il s’agit du film le moins couteux de la licence puisque totalement dénué de figurants costumés, que seulement trois acteurs doivent être maquillés et que les décors et effets spéciaux ne sont pas nécessaires à l’élaboration de cette histoire.
Le récit moins restreint et foutraque que le deuxième épisode peut alors embrayer à 100 à l’heure avec des scènes aussi bien visionnaires que progressistes. Après la mort du troisième compagnon (Sal Mineo qui avait l’haibtude de clamser à l’écran depuis LA FUREUR DE VIVRE), la narration embrasse plusieurs thématiques et parfois simultanément.
Les spécialistes vous réciteront les tables de la lois de la licence et de cet épisode : le contexte ségrégationniste de cette époque étatsunienne ferait des personnages des EVADES DE LA PLANETE DES SINGES une métaphore du traitement des noirs américains. Les féministes applaudiront l’irrésisitible scène où Zira clame son indépendance professionnelle et d’esprit vis à vis des gorilles de toutes nos civilisations et les antispécistes auront également leur larmichette sur les tirades autour de la domination agressive des humains sur les autres espèces animales.
Tout ça est flagrant, oui. L’amateur des comics de cette époque reconnaîtra l’affrontement de personnages altruistes et pacifiques face à une civilisation encline à les détruire. L’amateur des X-Men de Chris Claremont notamment ne pourra que s’attacher à ce discours de tolérance universaliste et de bon sens entre les espèces et les couloirs du temps.
C’est vrai et c’est dit.
Mais l’auteur de ces lignes a été sensible à autre chose : LES EVADES DE LA PLANETE DES SINGES est aussi et surtout une tragédie venant rappeler la construction de classiques Hollywoodiens comme WEST SIDE STORY ou même LA FUREUR DE VIVRE pour la scène finale où la police abat des innocents qu’ils croient armés (outre Sal Mineo, Leonard Rosenman compositeur des films de James Dean écrira le score du deuxième film de la PLANET DES SINGES).
Car tout commence presque comme une comédie à la Chaplin, époque UN ROI A NEW-YORK. Un peu comme les Usbek et Rica des LETRRES PERSANNES, nos singes sont les bons sauvages d’une civilisation qui les accueille à bars ouverts avant de les persécuter. Véritable critique du star-system, Zira et Cornelius deviennent des bêtes de foire avant de devenir des bêtes tout court, impitoyablement traquées.
Le spectateur est de toute manière en terrain conquis : il a appris à apprécier ces deux chimpanzés au cours des épisodes précédents et les a trouvés même bien plus attachants que l’ignoble Taylor.
LES EVADES DE LA PLANETE DES SINGES permet par son manque d’action volontaire d’approfondir la psychologie de ce qui est certainement l’un des couples les plus attachants de l’histoire du cinéma : au sens de la répartie et l’intelligence de Zira répond l’humour et la bonté naturelle de Cornelius.
Le spectateur pourrait être même tenté de voir en eux les Joseph et Marie de l’espèce simiesque tentant d’échapper à la fureur d’un Hérode ne voulant pas être détrôné de sa suprématie. Zira accouche dans des endroits pires qu’une étable et tente d’élever son enfant dans un cirque puis dans les cales d’un bateau désaffecté.
Il appréciera également le clin d’oeil subtil à KING-KONG, un gorille abattu par l’armée américaine, coupable d’avoir trop aimé une femme. Ici nos chimpanzés qui détestent les gorilles sont à leur tour abattus par des humains qui se font l’outil du destin : c’est en voulant empêcher la suprématie des singes qu’ils abattent les parents de celui qui deviendra le messie d’une espèce en colère. De quoi renouer avec ces paradoxes temporels où les personnages de TERMINATOR ou STAR WARS déclenchent ce qu’ils voulaient éviter.
Car le personnage humain incarné par Eric Braeden (le futur Victor Newman des FEUX DE L’AMOUR, un autre saga aussi marquante que LA PLANETE DES SINGES…), n’est pas pas forcement mauvais. Toutes ces intuitions sont correctes et il accomplit sa tache antechristique sans sadisme particulier. Comme Anakin Skywalker, la peur guide sa motivation et sa determination n’est pas sans rappeler celle d’un Sénateur Kelly dans les X-Men : un homme ordinaire confronté à la terreur d’être déclassé.
Son erreur est de vouloir outrepasser les lois et les étapes telles que rappelées par le président des USA qui, c’est suffisamment rare pour le noter, incarne l’intégrité et l’ordre moral de l’Amérique. La chute des Etats-Unis telle que maudite par Taylor ne trouve donc pas son origine dans un complot ou une folie politique mais bel et bien dans l’initiative d’un seul individu qui évoque enfin celle de L’ARMEE DES DOUZE SINGES !
Pourtant malgré toute l’empathie que l’on peut ressentir pour ce joli couple, le film de Don Taylor sait faire avec cette nuance d’un autre temps, celle des zones de gris. Car, oui Zira peut être qualifiée de crimes contre l’humanité. Si elle ne possède pas le sadisme d’un Dr Mengele, la société dans laquelle elle a évolué autorisait la dissection d’humains considérés comme des animaux. Comment ne pas alors comprendre la peur que sa civilisation puisse susciter ? Voilà de quoi donner à réfléchir à tous les extrêmes identitaires qui fleurissent sur la peur et la rage. Le film est une parfaite illustration des différentes étapes d’une peur qui prend le pas sur la raison et le dialogue.
Le film ne démontre qu’une seule chose : qu’importe les qualités respectives des humains ou des singes : leurs torts sont les mêmes et aucun camp ne mérite de l’emporter. Car il s’agit avant tout d’une loi de la nature : la survie du plus fort en haut de l’echelle alimentaire.
Fidèle à la réputation de la licence, la fin des EVADES DE LA PLANETE DES SINGES est terriblement pessimiste. Au fil des épisodes, le public a assisté à la fin d’une civilisation puis d’une planète. Ici, c’est de la mort d’amants fabuleux qu’il s’agit. Avant de mourir physiquement, Zira et Cornelius ont eu le temps et le non-choix que d’abandonner leurs idéaux de paix et d’harmonie entre les espèces. Ils plantent sans le savoir les germes du conflit à venir ainsi que des (très) beaux films de la nouvelle licence.
La BO du jour
Enfants de la bombe, des catastrophes, de la menace qui tremble
Belle analyse, avec un angle d’attaque parmi d’autres comme tu l’expliques bien, mais un angle d’attaque intéressant et développé avec précision.
J’aime beaucoup le film mais moins que le suivant où pour le coup la virulence de la charge politico-sociale occupe sans conteste le centre du film pour aboutir à un constat encore plus amer et nihiliste.
La BO : superbe morceau. J’aime beaucoup.
J’ai revu tous les films classiques et ils sont tous très réussis mais très différents.
Je trouve le deuxième complètement raté et son final complètement grotesque.
Un très mauvais film.
Oui, on se croirait dans l’épisode final du PRISONNIER que j’ai toujours trouvé grotesque aussi.
Je n’aime pas du tout non plus ce final, comme celui d’ALIEN 3…
Du coup mon BEST OF de la 1° série quand j’y pense :
1 : LA PLANÈTE DES SINGES
2 : LA CONQUÊTE DE LA PLANÈTE DES SINGES
3 : LES ÉVADÉS DE LA PLANÈTE DES SINGES
4 : LA BATAILLE DE LA PLANÈTE DES SINGES
5 : LE SECRET DE LA PLANÈTE DES SINGES
La série TV : Comme déjà dit elle me faisait flipper. En revanche la BO (toujours de mémoire) était dantesque !
LA BATAILLE DE LA PLANÈTE DES SINGES était mon préféré quand j’étais gamin, notamment grâce à son happy-end et sa bataille bluffante malgré les moyens cheap.
LE SECRET DE LA PLANÈTE DES SINGES est assez excitant parce qu’il démarre juste après la fin du précédent. Mais il se perd complètement en cours de route et commet un final absolument lamentable (mais incroyablement nihiliste, il faut quand même le relever).
Même classement en ce qui me concerne. 😉
Merci pour cette critique ! Je crois qu’il s’agit de mon film préféré de la franchise, même en comptant le premier : comme tu l’indiques, les protagonistes sont bien plus sympathiques que Taylor. J’aime le fait que c’est vraiment une réplique de Cornélius qui lui gagne le soutien de la foule alors que la réaction populaire est encore incertaine : « Does the other one talk ? » « Only when she lets me »
Pour moi, l’humanité n’appelle pas à la mort de nos 2 héros, même après les révélations involontaire de Zira (In vino veritas), mais à leur extinction naturelle (subtile différence) lorsque le comité vote leur stérilisation (encore un mot lourd de sens !) Il me semble qu’ils ne sont vraiment condamnés que lorsque Cornélius commet accidentellement l’irréparable.
Je trouve tout de même qu’il s’agit du seul film de la franchise qui se termine sur une note d’espoir (je ne compte pas la fin modifiée du 4e opus)
Une note : je pensais qu’à l’image du premier Terminator, la saga de la Planète des singes fonctionnait sur le principe d’un paradoxe de prédestination, une boucle temporelle s’auto-alimentant. Mais Zira et Cornélius évoquent la chute de l’humanité comme étant située dans les siècles à venir, alors que le film suivant déclenche la « Conquête » à peine quelques décennies plus tard, conquête menée par l’enfant du couple : par ses actions, le méchant de ce 3e film aura accéléré la fin de sa civilisation en créant un ennemi revanchard.
Bien vu !
Ah ! Je te l’avais bien dit que c’était le meilleur de la série ! (le meilleur de ces 5 films, ainsi que de tous les suivants d’ailleurs)
Un doux paradoxe quand on sait que c’est l’un de ceux qui a couté le moins cher ! (hum quoi que le 5 étant totalement cheap, je pense que sont budget ne devait pas être très haut non plus).
Bref, l’image finale du film est restée gravée dans ma mémoire de façon indélébile ! Pauv’p’tit singe !
Hum par contre pourquoi seulement 4 étoiles ?
Daniel Lavoie, il fallait oser, mais pourquoi pas ^^
Pourquoi 4 étoiles : je ne me souviens ni d’une mise en scène impressionnante ni d’une musique très marquante. D’ailleurs globalement les musiques des PLANETES DES SINGE sont souvent assez crispantes.
Daniel Lavoie : j’aime la variété française, je n’ai plus honte de l’assumer 🙂
La musique de Jerry Goldsmith pour le premier volet de la saga est quand même particulièrement marquante.
J’aime bien aussi les scores de Leonard Rosenmann et la musique de Lalo Schifrin pour la série télévisée.
Ah oui, Lalo Schifrin : de nombreuses BO inoubliables.
… « Plus » honte ?! Ben alors ?!
Cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu, mais quand j’étais gamin c’était clairement celui que j’aimais le moins. Non pas que je le trouvais mauvais, au contraire, mais plutôt insoutenable notamment avec la mort atroce des singes et ce cri immonde que pousse Cornelius lorsqu’il meurt. Comme Patrick ça m’avait traumatisé quand j’étais gamin. Il y avait aussi le fait que le film était plus naturaliste que les autres. Et donc moins directement divertissant pour un gamin. Tout ça me donne envie de revoir les 5 films, même si je les connais par coeur en fait, alors que je ne les ai pas revus depuis de nombreuses années.
Ahhh ! la mise en parallèle avec les X-men : La marotte de Bruce ! 🙂 Et pourquoi pas James Dean pendant qu’on y est ? 😀 😀 😀
N’empêche, difficile qu’un tel film puisse exister aujourd’hui. Le cahier des charges hollywoodien de notre époque rendrait impossible au moins la moitié des scènes…
ah ah ! Relis l’article !J’y parle de James Dean par deux fois 🙂
Ben oui je sais ! Justement ! 😅
Très bel article, avec des références qui parlent (même si je n’ai jamais lu les LETTRES PERSANES) et avec une excellente analyse : j’ai très peu de souvenirs de ce film, mais l’ambiance générale m’est revenue grâce à ton article. Je me souviens surtout d’une scène où Cornélius est invité à un match de boxe et qu’il déteste ça, cette violence acclamée.
Tu donnes envie de le revoir, ou tiens, de le voir enfin en VO, mais bon, il faut que je sois motivé. J’aime beaucoup la dernière photo en sépia.
La BO : je l’ai réécoutée pour être certain que je déteste toujours autant cette chanson. C’est le cas. Dès ma première écoute, lorsqu’elle est sortie, j’ai haï ce titre, et ça ne change pas.
Bonsoir.
Mazette quel bel article avec un véritable point de vue digne d’un journaliste.
Une telle lecture m’a enfin donné envie de me remettre à cette saga, car comme signalé hier je n’en suis pas, comme bon nombre ici, un réel afficionado.
Bon, Tornado l’a relevé : placer deux fois James Dean dans une œuvre simiesque c’est fort.
Le film est une parfaite illustration des différentes étapes d’une peur qui prend le pas sur la raison et le dialogue. bien vu et bien dit. Dans un monde qui est en train d’être gangréné par l’agnotologie, c’est phrase est adéquate.
La BO : surprenante mais j’aime bien.
Merci pour cette présentation enlevée. Un film que je n’ai pas vu.
Un film de 1971, tourné en 35 jours : belle efficacité.
Racisme, spécisme et pacifisme : une belle mise à profit de la science-fiction pour parler de la société.
Ouais : très bel article ! Et tu pointes précisément toutes les perspectives du film, richesses scénaristiques grâce auxquelles on peut l’appréhender de bien des façons.
C’est une franchise avec laquelle j’ai pris mes distances presque immédiatement, quand les films ont été diffusés pour la première fois à la télé : déjà, le sujet purement S.F. du premier, pour classique et intéressant qu’il soit, ne parvenait pas à m’enthousiasmer (les histoires de voyages temporels, avec leur lot de paradoxes compliqués, sont probablement ce que j’aime le moins dans le genre). Mais surtout, le côté « lutte pour la survie » de Taylor -pas trop attachant, c’est vrai- me saoulait un peu, au milieu d’une intrigue que j’aurais mieux apprécié plus philosophique et moins démonstrative, dans son traitement.
Mais « Les Évadés de La Planète Des Singes » est définitivement le film qui m’a le plus marqué (à part le premier opus, j’ai tout oublié des autres films, ainsi que de la série, avec son casting si transparent !), tant Zira et Cornélius étaient parfaitement définis et attachants, leurs réparties brillantes d’authenticité, leur affection réciproque tangible et définitivement sympathique. Aussi : l’humour impliqué par leur présence décalée, au sein du monde des hommes, et exploité sans exagération ; qualité extrêmement difficile à quantifier, et que j’ai tendance à associer systématiquement à la crédibilité de la représentation des univers humains, quelles que soient les histoires qu’on me propose.
Les derniers instants m’ont traumatisé, et convaincu de ne jamais revoir ces scènes : à l’époque, déjà, la représentation de la souffrance animale, même « justifiée » par l’histoire, m’était un spectacle insupportable. J’ai, depuis, atteins le stade (ô combien dommageable en tant que spectateur avide de distractions sophistiquées !) ou je ne peux même plus encaisser la mise en scène des affres de mes semblables, pourtant si nuls (dans leur ensemble, en tous cas…)!
Mais toutes les odes à l’amour, surtout rendues aussi authentiquement que ça, légitiment sans aucun doute tous les sacrifices : peut-être essayerais-je à nouveau, un jour où je tiendrais la grande forme.
Un détail cependant, au sujet des prérogatives du Dr Zira, à son époque : est-il question de vivisection ou « seulement » de dissection ?! Il y a une nuance assez importante, entre les deux actions, pour la comparer de facto à Mengele : est-ce que c’est précisé, dans le film ? Je n’en ai pas le souvenir : je ne me rappelle que de son « fourchage » de langue…
Je m’étais amusé, il y a quelques années, à détourner -à coups de bulles de BD !- les images de certains films, glanées sur le Net. Le couple formé par Zira et Cornélius m’avait pas mal inspiré : peut-être une façon -inconsciente ?!- d’exorciser le tragique de leur destin, dans ma mémoire ?