La maison des Impies par Ed Brubaker et Sean Phillips
Un article de ce diable de FLETCHER ARROWSMITHVO : IMAGE COMICS
VF : DELCOURT
Cet article portera sur LA MAISON DES IMPIES (Houses of the Unholy en VO), un comics issue du trio diabolique Ed Brubaker, Sean Philips et Jacob Philips, sortie en France à l’automne 2024. La traduction est assurée par Doug Headline, gage de qualité.
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LA MAISON DES IMPIES est un road movie se déroulant de nos jours, mais qui prend ses racines dans les années 80. Natalie Burns, jeune femme écorchée aux méthodes plutôt musclées, s’occupe de retrouver des brebis égarés sous l’emprise d’une secte. Elle est mystérieusement suivie par l’agent West appartenant au FBI, qui enquête sur une série de meurtre liée à ceux que la presse avait nommé les Six de Satan dont Nathalie faisait partie. Leur rencontre va les marquer à jamais et les entrainer vers les tréfond d’une l’Amérique où se côtoie l’horreur et tragédies.
Après LÁ OÙ GISAIT LE CORPS et NIGHT FEVER, on tient en 2024, avec LA MAISON DES IMPIES un nouveau chef d’œuvre de la part d’Ed Brubaker et Sean Phillips. RECKLESS et ses notes en fin de volume, dévoilait une part d’intimité d’Ed Brubaker notamment comment il puisait dans sa jeunesse pour en faire finalement des récits légèrement autobiographiques. Il fait une nouvelle fois référence à son vécu, de façon plus subtile, en ancrant notamment les évènements de LA MAISON DES IMPIES dans les années 80 mais aussi en mettant en scène les traumatismes des enfants d’hier qui façonnent les adultes cabossés de demain.
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LA MAISON DES IMPIES propose des niveaux de lecture particulièrement d’actualité, qui vont au-delà d’un simple divertissement. A travers l’innocence et la fragilité de l’enfance, ce sont les fêlures de l’Amérique actuelle que Brubaker et Phillips illustrent. Issues des années hippies, les cultes sataniques et autres sectes ont alors particulièrement le vent en poupe comme déjà vu avec dans le Hollywood de FONDU AU NOIR. Et à travers eux, les peurs d’une Amérique plus que puritaine. Comment ne pas y voir un lien avec une société américaine profondément divisée, qui se retranche dans des valeurs WASP et des chasses aux sorcières gay, musulmans, noirs ou encore tout simplement des femmes.
Le passage dans les années 2020 montrent que le fanatique religieux n’a pas disparu. Il est désormais associé à la puissance mais aussi aux dérives d’Internet, nouvel eldorado des antisystèmes et autres gourous en tout genre. On notera pour les connaisseurs de l’œuvre du duo, que ce n’est pas la première excursion dans le monde des sectes sataniques. Ainsi l’excellente série FATALE tournait déjà autour de l’évocation du diable ou de démons de l’au-delà, parfois de façon assez Lovecraftienne.
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Les 6 enfants de Satan symbolisent tout le mécanisme du complotisme et de l’emprise sur une population de plus en plus influençable, qui ne sait plus à quels saints se vouer, le système étatique ayant failli. In God we don’t trust anyway. Cette Amérique brisée et fracturée n’est pas nouvelle et Brubaker en puisant dans son passé, démontre une nouvelle fois qu’elle s’est bâtie dans la violence et une part d’irrationnelle. La peur de Satan et l’emprise de la religion appartiennent au folklore américain. Relisez LA LETTRE ECARLATE de Nathaniel Hawthorne.
En vieux roublard Ed Brubaker utilise les codes des meilleurs thrillers en intégrant des thèmes qui lui sont chers comme la culpabilité, la moralité et le dilemme du choix à faire face à des situations répréhensibles. Fil directeur de son œuvre, le scénariste construit des personnages autour de leurs faiblesses, de celles communes à toute l’humanité. Comme dans KILL OR BE KILLED les personnages principaux naviguent en eaux troubles, dans une ambiance paranoïaque chère aux complotistes. La frontière entre le rationnel et l’irrationnel s’estompe permettant de justifier certains actes immoraux sous couvert d’auto-défense ou de vengeance justifiée. Dans tous les cas, les personnages, une nouvelle bien abimés par la vie et piégés dans une prison psychologique se retrouvent pris dans une spirale d’évènements qu’ils subissent. Ils devront faire face aux conséquences de leurs choix, assurant ainsi un polar rythmé aux nombreux rebondissements.
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Graphiquement on appréciera une nouvelle fois l’entente entre le père et le fils. La colorisation de Jacob, sombre et parfois granuleuse, s’appuie sur un jeu de lumière accompagnant parfaitement les planches de Sean jouant sur les effets de perceptive. L’ensemble concoure à une atmosphère pesante, angoissante voire tourmentée, distillant ce qu’il faut d’effroi dans tomber dans la surenchère.
Délaissant désormais le plus souvent la parution mensuelle ou celui de la mini-série, LA MAISON DES IMPIES se présente sous le format one shot. La narration d’Ed Brubaker s’exprime ainsi avec moins de contraintes. On ressent bien ce soucis d’efficacité au service d’une narration sans fioriture qui va à l’essentiel à la manière des meilleurs thriller à l’ambiance tendue. Certains pourront alors regretter une fin abrupte ou des personnages qui auraient mérité d’être plus développés ou même d’exister (car on ne s’attarde pas de manière égale sur les 6 de Satan). Mais à l’instars de CRIMINAL ou PULP, on renoue ainsi avec l’essence même des grands polars, noir et sans concession où on comprend immédiatement que le happy end n’est pas une option. LA MAISON DES IMPIES est une œuvre assez complexe, plus profonde dans les thèmes évoqués qu’elle n’y parait au premier abord. Ce n’est pas un comics de plus d’Ed et Sean, non c’est une nouvelle pièce majeure dans une œuvre qui ne l’est pas moins.
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BO : The Rolling Stone – SYMPATHY FOR THE DEVIL