Leçon de Choses par Gregory Mardon
Publié pour la première fois sur le blog le 13 mars 2014. Mise à jour en août puis octobre 2014.
Leçon de choses est un album écrit et dessiné par Gregory Mardon édité chez Dupuis.
Leçon de Choses suit le destin du petit Jean Pierre, parisien d’une dizaine d’années exporté dans la France profonde des années 70. Autrement dit la vie d’un parigot obligé de suivre son père à la cambrousse.
Quelle merveille ! En moins de 80 pages , Gregory Mardon ne raconte pas de grands événements, mais suffisamment de petites choses qui inévitablement vont conduire le jeune garçon à rêver, à trembler, à pleurer et en découvrant les lâchetés des adultes, à renoncer à son enfance.
Après une entrée en matière un peu lente, le récit de Mardon qui a écrit, dessiné et coloré, décolle enfin dans un pays drôle et effrayant: celui de l’enfance. La couverture illustre parfaitement le propos de l’auteur; non! Jean Pierre n’ est pas chez les Xmen, ce lion qui semble le traquer n’est qu’une métaphore de son esprit d’enfant sur le bouleversement que s’apprête à traverser sa vie familiale.
Le garçon , dans cette Odyssée du rien , souffre de l’absence de son père, si distant, si occupé que Mardon ne lui dessine pas de visage. Il est poignant de voir cet enfant toujours scruter vers le visage de son père comme on scruterait les étoiles pour ne rien y voir. Inversement, il se console auprès de sa mère, jeune Pénélope de province , trop belle pour rester seule et ne pas déclencher les premiers émois érotiques des copains de notre héros qui va découvrir avec horreur, que , oui , sa mère est aussi une créature sexuée !
Il y a aussi le géant du village capable de soulever un tracteur mais qui aurait des amours consanguins, les billets de tombolas à écouler pour partir en colo, les séances de cinéma avec sa mère et un mystérieux inconnu, les combats de coq du village et les chats qu’il faut noyer pour obéir à une fermière exaspérée.
La Vie, La Mort, Le Sexe, l’Amour. Et le mensonge des parents, le divorce,la solitude, l’école, les dictées, les visites des tranchées du coin et les conneries de mômes qui ne veulent pas y rentrer dans ce monde auquel ils sont condamnés. Ça en fait beaucoup à apprendre pour un petit d’homme qui le soir venu lit des comics de Super Héros pour imaginer un père puissant qui le protégerait.
Et ce regard si léger, si innocent sur la vie ! Lorsque les parents d’un copain se déchirent devant Jean Pierre, les deux gosses se barrent lire un album de Tintin pour apprendre à devenir cosmonaute et acheter le château de Moulinsart aux parents. Voilà le genre de détails absolument bouleversants sur la volonté de puissance de l’enfance. Et la joie authentique des marmots à dormir avec leurs parents pour se réchauffer et ne pas payer le chauffage.
Complètement dans la lignée de la ligne claire, Mardon arrive à concilier la charte graphique d’Hergé et d’autres influences plus américaines. Ces planches sont magnifiques de mouvements , d’expressivité et de poésie. Il parvient à faire coexister dans des mêmes séquences la réalités et les fantasmes de l’enfant. Une planche sur trois est muette et la technique irréprochable de Mardon touche son lecteur droit au coeur par tant de finesse d’observation.
Plus abouti, plus investi que son travail autour du Thriller Incognito, Leçon de choses est une perle rare qui parvient à transformer une vie ordinaire en matériel littéraire et initiatique d’un enfant banal . Les mille et un détails dont Mardon parsème son récit déclencheront chez son lecteur une immersion dont il ne sortira que forcé, comme le tintement épouvantable du réveil en plein rêve.
Une fin muette d’une rare puissance, un dessin incroyable, un récit empruntant à la fois à Mark Twain et à Robert Sabatier, oui, c’est possible ! Et c’est français ! Et pendant que Bilal et Sfar vendent des machins autosuffisants du haut de leurs tours d’Ivoire, de petits chefs d’oeuvre d’émotion et de sensibilité passent à la trappe.
M’enfin, ils ne le noient pas le chat. La possibilité d’ajouter des images apporte une valeur ajoutée importante aux critiques qui deviennent plus explicites et plus séduisantes.
Le chat n’est pas noyé dans cette séquence ! Il y a des esprits sensibles ici…
…Et d’autres semblerait ils plus sadiques …
Je bosse sur un commentaire de Thierry. Il sera en ligne dans une heure !
Superbe critique. Je trouve aussi que le choix des illustrations est excellent et reflète l’expérience de lecture de la critique, sans doute du livre et sûrement de l’enfance : on subit les gifles, on découvre sa toute puissance… puis finalement notre grande finitude.
J’adore cette BD. Je connais peu le travail de Mardon à côté mais tout ce que j’ai pu lire de lui se rapproche d’un auteur complet et totalement littéraire. Je l’avais prêté à une copine, qui a adoré elle aussi. Je retrouve cette BD en soldes au supermarché, dans les 2 euros, je me suis empressé de l’acheter pour lui donner.
La dernière planche muette est un tour de force qui dit tellement de choses, c’est incroyable de justesse.
Il y a eu aussi des lancers de chien, dont un certain Farid Chopel (1952-2008) – que jusque là j’aimais bien – se rendit coupable…
Ouf Stan, le chat survit dans cette séquence drôle et un peu choquante en début d’album !
Emprunté en médiathèque et lu ce soir. C’est assez chouette, ça replonge en enfance. Sans l’article, je n’en aurais jamais tenté la lecture. Cela dit, je n’ai pas été totalement conquis. Certaines scènes me parlaient sans doute trop et d’autres pas assez… Et puis, la fin est abrupte.
Ca reste une bonne lecture.
Salut JP.
C’est marrant je l’ai prêté à une collègue et l’ai relu dans la foulée il y a 15 jours. J’ai trouvé ça encore mieux que dans mon souvenir, plein de petits détails adorables dans le dessin :la voiture de Starsky et Hutch, la décoration de la salle de classe,le clin d’oeil à Psychose. Effectivement la fin ou plutôt l’acheminement vers la fin du récit aurait gagné à être plus développée. Mais c’est très chouette, très humain, très simple.
Au risque de froisser le chef, je dois avouer qu’il a dû sentir mon enthousiasme tempéré quand il m’ a offert cette BD. Je n’avais pas d’envie particulière de lire la vie quotidienne d’un enfant de 7 ans dans une zone rurale, pendant les années 1970. Une poursuite en fourgonnette Citroën type H n’y aurait rien changé. A partir de la page 3, ça allait un peu mieux parce que Grégory Mardon utilise un décalage entre ce que disent les textes sur les animaux et ce que montrent les images, beaucoup plus prosaïques.
Au bout d’une dizaine de pages, j’étais sous le charme, sans m’en rendre compte, que ce soit la reconstitution des années 1970 avec la fourgonnette du boulanger (mode de distribution que j’ai connu chez ma grand-mère), l’ambiance rurale, et la façon d’appréhender la vie par un garçon de cet âge, avec son imagination. Ayant fini cette lecture, les mots me manquent pour remercier Bruce pour cette découverte. Du coup, je me suis relu le présent article. Mieux encore, je suis entièrement d’accord avec toutes les qualités qu’il met en lumière. Merci encore Bruce. Jamais je n’aurais dû douter… enfin, pas sûr que j’arrive à me contrôler.
Je dois avouer qu’il a dû sentir mon enthousiasme tempéré quand il m’ a offert cette BD
Euh , c’est pas ton état normal ? Je pensais que c’était l’émotion de passer la soirée avec moi !
On peut retrouver quelques thématiques analogues à This One Summer autour des vacances et la perte de l’innocence sur fond de déchirement parental.
Quant à mon article, nous sommes au début du blog, là, et c’est un brouillon à peine élaboré.
Effectivement, en rédigeant mon futur commentaire pour amazon, je me suis dit que je pouvais éventuellement le parallèle avec This one summer. Je pense que je ne le ferai pour que La leçon de choses conserve sa valeur par elle-même car elle n’a pas besoin d’être rehaussée par une autre. Mais là encore, je me suis fais la même réflexion que toi.
Je suis bien content que cette bd t’aie plu Présence ! Le contraire eût été étonnant cependant, connaissant ta capacité d’empathie.