A la folie…. par Sylvain Ricard et James
1ère publication le 30/01/15- MAJ le 25/11/18
Une baffe de BRUCE LIT
VF : Futuropolis
A la folie est un roman graphique signé par Sylvain Ricard et James édité aux éditions Futuropolis. Merci à Stéphanie rédactrice du blog chezmo pour ses scans.
Avec en couverture, cet espèce de Milou quinquagénaire, sa pose nonchalante, vaguement sexuelle, la couverture de cet album mystérieux m’a amusé, intrigué et étonné. On me l’a offert sans que je sache de quoi cela parlait et je n’allais pas être déçu…
…A la Folie se présente comme un conte où les humains sont présentés sous formes de chiens et d’oiseaux. Comment ne pas penser à Maus qui abordait la Shoah en représentant les juifs en Souris et les Nazis en Chats ?
C’est pourtant d’un tout autre drame qu’ A la folie souhaite traiter. Le début de ce qui semble être une belle histoire d’amour entre un homme et une femme dont on ignore le nom, vire, contre toute attente à la description clinique et méthodique de la violence conjugale.
C’est tellement bien amené avec un prologue empli de nostalgie des amours étudiantes que lorsque notre femme se prend sa première claque à la page 30, on la prend avec elle. J’ai bondi d’incompréhension, lorsque cet homme apparemment sympathique sous tous rapports flanque une torgnole à sa femme qui a eu l’audace de lui faire remarquer que sa chemise était mal assortie à sa cravate !
Viennent ensuite la description exacte des différentes phases que traverse une femme après avoir été battue par l’homme qu’elle aime : Tristesse, culpabilité, déni, pardon. Puis l’escalade de la violence au fur et à mesure que notre héroïne est battue comme une chienne. Violence physique, morale, sexuelle qui détruit progressivement cette femme très attachante qui brillait au début de son histoire par son appétit de vivre.
La force de l’album est de voir chaque événement de point de vue de la victime, puis du Milou en question, toujours arrogant, tellement aveuglé par sa mauvaise foi qu’il, comme tous les hommes dans son cas , ne se reconnait absolument pas comme violent. Le pire chez ce mari, est finalement qu’il pense aimer sa femme et que s’il la frappe , c’est pour son bien.
Ainsi, lorsqu’il est convoqué chez les flics, il s’étonne de ce qu’on lui reproche ; est-ce que l’on punit le maître qui frappe son chien demande-t-il ingénument ! Les dialogues sont très riches, et, à plusieurs reprises au fil de la lecture, je me suis dit qu’une adaptation théâtrale serait possible. Ricard ne néglige jamais d’arrêter son récit pour se pencher sur la psychologie des deux personnages et le suspense est progressivement plus intense : cette femme, va t’elle quitter son mari et sauver sa peau ? Le lecteur est souvent mis dans une position de voyeur avec des personnages qui semblent s’adresser directement à lui en livrant à haute voix leurs doutes et certitudes.
Les dessins de James surprennent par leurs traits fins, élégants et qui parviennent à capter l’émotion des personnages, ce qui est une vraie gageure quand ceux-ci ont deux points noirs à la place des yeux. Le langage corporel est très affirmé. En contrepartie, James est fâché avec les décors, les nombreux dialogues évoluant sur fond blanc. Ce n’est pas si genant que ça si l’on repense au volet théâtre pédagogique de l’entreprise.
Autant documenté qu’il soit, il manque juste « A la Folie » une rigueur sociale pourtant indissociable du sort des femmes battues : Notre héroïne trouve immédiatement un foyer où elle se réfugie alors que souvent dans la réalité il faut plusieurs mois pour y obtenir une place pour les plus chanceuses. De même, l’argent ne semble jamais être une préoccupation pour une femme qui dépend pourtant complètement de son mari. La classe sociale où évolue l’héroïne est manifestement une classe très aisée. Quid des femmes, pauvres et/ou sans papiers par exemple ? On peut cependant laisser à Ricard le bénéfice du doute visant à évacuer ses détails – pourtant essentiels- pour alléger son récit.
A la folie aborde sans aucun misérabilisme, ni détails sordides le quotidien des femmes qui vivent l’enfer à la maison et dont la société n’entend les cris que depuis quelques années. Il peut être lu par toutes et tous, et avec un peu d’encadrement, par des enfants d’une dizaine d’années à qui il est important d’enseigner que frapper ce n’est pas aimer.
Parce que ces chiffres restent accablants : en 2013, 129 femmes ont péri sous les coups ainsi que 30 enfants. Et le nombre de femmes battues toujours vivantes est de 216 000…
Comme toi, je pense qu’il n’y a rien de choquant à ce qu’il y ait une dimension pédagogique dans ce récit. En outre, tu fais également ressortir qu’il y a une vraie tension dramatique, générée par la décision que doit prendre la femme battue.
Comme dans « L’histoire d’un vilain rat », les auteurs font œuvre de pédagogie, au travers d’une fiction permettant aux lecteurs de ressentir les émotions de la victime. Ton article attire l’attention sur le fait qu’ici les auteurs donnent également le point de vue de l’homme violent, sans forcément ni le caricaturer, ni le banaliser, ce qui est un défi narratif impressionnant.
J’adore le trait de James, qui est un fin caricaturiste et dessinateur de presse et est très actif sur la toile. Mais cette bd parle d’un sujet grave et j’ai toujours tendance à repousser ce genre de lecture. Un téléfilm très fort est passé sur la première chaîne cette semaine avec le même sujet, mais chez les pauvres. C’était affreux et difficilement supportable. J’ai du mal à devenir voyeur en fait.
Quoiqu’il en soit, ce commentaire est plus que bienvenu, il est nécessaire. Merci Bruce.
Pour le coup le format de la bande dessinée autorisant une mise à distance du lecteur me permet de supporter beaucoup de choses que je ne supportais pas à l’écran. Violences, guerres, Shoah. Je n’ai jamais réussi à aller jusqu’au bout de nuits et brouillard. Le philtre de la BD me convient amplement.
Je ne connaissais rien de James. Merci de l’info.
Maintenant je ne sais pas si James dessine vraiment dans la presse politique, mais il aimerait bien je pense. Avec Bouzard, il a lancé un blog « je veux travailler pour le canard enchaîné »
http://jeveuxtravaillerpourlecanard.blogspot.fr/
Je ne possède qu’une seule bd de lui mais ce n’est pas assez : http://www.amazon.fr/Amour-Passion-CX-diesel-Saison/dp/2352071038/ref=pd_bxgy_b_img_y/275-4825655-2608008
Article très fort qui réveille. Ce livre est il un bon média pour celles qui vivent ces situations tragiques ? Je ne sais pas mais pour ceux qui en sont loin c’est sans doute utile de comprendre ce qui se joue et qui reste toujours un peu mystérieux dans ces relations des équilibrées et violentes.
Le pire, c’est que lorsque je rencontre des hommes qui admettent être violents, ils me sont sympathiques…. Ce sont des êtres humains, pas tous des monstres…