Batman Ego par Darwyn Cooke
Un article de BRUCE LITVO : DC Comics
VF : Urban Comics
1ère publication le25/01/22 – MAJ le 03/09/22
BATMAN EGO est une histoire écrite et dessinée par Darwyn Cooke en dehors de toute continuité même si le lecteur appréciera les références faîtes à BATMAN YEAR ONE et THE KILLING JOKE.
Aucune connaissance approfondie n’est requise pour apprécier ce court récit d’à peine 80 pages agrémenté par Urban Comics d’autres récits sympathiques mais très dispensables : AU PAYS DES MONSTRES (10 pages de Paul Grist et Darwyn Cooke pour BATMAN BLACK AND WHITE), LE MONUMENT par Darwyn Cooke et Bill Wray (une autre dizaine de pages pour BLACK AND WHITE), DEJA VU un autre récit court de Cooke, formidablement illustré et enfin la rencontre entre Batman et The Spirit, la création de Will Eisner sur un scénario de Jeph Loeb.
Le tout fait 160 pages avec une belle maquette, des couvertures somptueuses une intro d’Amanda Conner qui considère Cooke comme son St Patron et une Postface de Cooke, qui, rappelons-le est décédé en 2016.
Le tout est traduit par Jerôme Wicky et un certain Alex N et désirmais estampillé Black Label devenu le fourre-tout (pour être poli) de DC Comics.
*Le titre de cet article a été piqué à JP Nguyen dans un de ses Figure Replay. Même si c’est moi le patron, je lui dis merci.
Pas de spoilers ne viendra bander son égo dans cet article.
Alors qu’il est physiquement et psychologiquement épuisé par un affrontement contre le Joker, Batman ne parvient pas à empêcher le suicide d’un de ses lieutenant. Celui-ci préfère mourir plutôt que de voir l’autre psychopathe aux cheveux verts tuer sa famille et Batman rentre très éprouvé : par sa faute, une famille est orpheline ce soir.
BATMAN EGO raconte la nuit que Batman va passer dans la vallée des remords. Bruce Wayne va passer cette soirée à converser avec des hallucinations et un costume qui menace de le dévorer.
L’issue de ce combat est de savoir si Bruce a raison de sacrifier sa vie à une guerre sans fin et si ce costume qui prétendait lutter contre la criminalité de Gotham n’engendre pas plus de psychopathes qu’il n’en emprisonne.
C’est le moment que les amateurs de super-héros affectionnent : celui où tout bascule, où notre héros valse avec la folie quelque soient les couleurs chatoyantes de son costume, la pureté de ses intentions originelles ou l’étendue de ses supers-pouvoirs. Avec l’arrivée de Frank Miller, cet exercice d’introspection constituera un paragraphe important du cahier des charges de DAREDEVIL, Les XMEN de Claremont se demanderont plus d’une fois si la cause qu’ils défendent vaut la peine de mourir pour elle et tout l’intérêt de la deuxième SAGA DU CLONE sera pour JM De Matteis de jouer avec la crise d’identité de Peter Parker.
D’ailleurs on pourrait jurer en Blindtest que ce BATMAN EGO a été signé par De Matteis : tout y est condensé, intelligemment résumé, mis en lumière pour être de nouveau jeté dans la pénombre d’une psyché tourmentée. L’écriture de Cooke est rock (on raconte que c’est cette histoire qui inspirera le prochain film de Matt Reeves avec un Bruce Wayne en ersatz de Kurt Cobain) et va droit à l’essentiel. Il ne s’agit pas de se palucher en public avec des références plus ou très moins accessibles comme Gland Morrison ou d’organiser un défilé de personnages à la Gaiman qui viendrait chanter sa partie comme le Live Aid d’un récit choral.
BATMAN EGO surprend en effet par la solitude absolue du héros, perdu dans sa cave, sans toute sa smala, ses gadgets et même son majordome. Les tourments de Wayne ne regardent que lui, lui seul peut surmonter cette crise existentielle qui l’anime. Cooke nous épargne la conversation virile sur un toit sous la pluie avec Superman interrompue par un Super Vilain sortant d’un égout. C’est sa Tempête sous un crâne, la même que traverse Jean Valjean avant de se dénoncer dans LES MISERABLES.
Les ténèbres qui envahissent Batman sont celles de sa psyché, celles qu’il a crû pouvoir dompter avec orgueil quand il s’avère que ce sont elles qui l’ont contrôlé. La force de Cooke est de montrer plus qu’il n’explique.
Sur la forme le style tranche assez avec l’ambiance Cartoon de ses dessins habituels, la comparaison avec les récits publiés pour le reste de la compilation étant assez cruelle. Oh, certes, on pourra se dire que la représentation de ce costume démoniaque ne brille pas par son originalité : ce rictus diabolique et denté, ce n’est ni plus ni moins que la version Batman de Venom.
Outre ce rictus un peu ridicule auquel il ne manque que les cornes et la langue fourchue , Cooke propose un matériel assez inquiétant en fait.
Il s’agit d’une scène d’auto-jugement comme Gerald Scarfe en proposait à la fin de THE WALL, avec tiens… des personnages aussi grotesques qu’animés.
De ce jugement dépendra la santé mentale de Bruce Wayne et force est de constater que la parole est à l’accusation. On se rappellera qu’une nuit chez Frank Miller, Matt Murdock luttera lui aussi contre ses démons et sa culpabilité pour… y voir plus clair (retrouver son sens radar).
Cooke se fait à la fois l’écho des Ligues de vertu dont on sait que Batman fut la cible privilégiée de Frederic Wertham tout comme un siècle de contre-culture : le super héroïsme est-il un humanisme ? ou la traduction d’une névrose obsessionnelle de tous ces personnages traumatisés par la mort de leurs parents ?
Si la réponse n’est pas très originale, la construction de l’accusation est passionnante. Elle prend des allures de totem fétichiste autour de la symbolique du collier de perles de Martha Wayne offert quelques jours avant son assassinat et d’une reproduction inconsciente de Thomas Wayne, ce Docteur qui abandonnait sa famille dans les nuits de Gotham pour sauver des vies.
Cooke propose une séquence tout en finesse, sans aucune lourdeur narrative qui montre Bruce en Sideckick de ce père tout-puissant dans une voiture. Le jeune garçon est pour la première fois confronté à la mort avant le meurtre de ses parents.
Une reproduction inconsciente donc d’un enfant qui joue à cache-cache avec la mort en pensant la tromper avec un déguisement de Zorro élaboré.
Ego, c’est donc bien ce mot à double sens signifiant la mégalomanie tragique d’un personnage qui veut devenir plus qu’il n’est et ce JE qui a disparu sous la cagoule de Batman.
L’album traite de la peur comme rarement chez le super-héros. Non, ce n’est pas normal de se jeter du haut d’un building, de se battre avec les os brisés et de prétendre faire appliquer la loi en l’enfreignant. Seul dans cette cave à la fois nid et tombeau, Bruce affronte cette peur post-traumatique pour éviter de la coucher sur un divan. Cette peur, il la traque en lui même comme un criminel. Il est le Bat-Man, le plus grand détective du monde et il détecte tous les indices permettant de la surmonter.
Cooke joue avec les gaufriers (une séquence comporte 16 cases) , étire l’ombre menaçante du Batman sur plusieurs cases, distille savamment le fameux reflet de Miller lors du DKR et ratatine le petit Bruce dans une prison carrée entourée de ténèbres. Là se situe la générosité tordue de Wayne : s’installer dans un tombeau pour que d’autres puissent profiter de la lumière, pour qu’aux portes de la mort un démons chargé d’espoir puisse surgir.
80 pages brillantes ni plus ni moins où Cooke explose tout son talent de narrateur et rentre dans les chaussures de ces rares auteurs qui dessinent aussi bien qu’ils n’écrivent. Lorsque l’on voit les embarrassantes tentatives de Jeff Lemire pour refaire un thriller psychologique avec Joker et la risible incursion de Seijic dans la psychiatrie avec son HARLEY, on ne peut que redoubler de gratitude pour ce sommet du comic book dont il évident qu’il mérite d’être défendu dans les plus hautes cours de la geekosphère.
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La BO du jour
On ne pourrait rêver d’un meilleur modèle que DeMatteis pour l’analyse psychologique d’un personnage. Excellent souvenir de la version Semic de cette histoire. Dommage que l’édition Urban ne reprenne pas la couvertures originelles, avec un Batman piégé par Gotham dans une architecture d’inspiration expressionniste ? A l’époque, le style visuel de Cooke m’évoquait beaucoup le DA de Bruce Timm.
Dans mon souvenir, avant de se suicider, le lieutenant révèle qu’il a tué sa propre famille pour l’empêcher de tomber entre les mains du Joker ? Raison de plus pour faire basculer Batman dans la folie.
Ton article me fait dire que je devais être de mauvais poil quand j’ai lu cette histoire il y a une dizaine d’années : je ne l’avais pas appréciée. Visiblement, je ne devais être parti avec un a priori bien négatif.
L’image avec la légende me fait beaucoup penser aux comics de la série Mister X, de Dean Motter, et à Terminal City, du même auteur, illustré par Michael Lark.
Diantre ! Tu n’avais pas non plus aimé NEW FRONTIER et KRYPTONITE (avec Tim Sale) ! Aurais-tu à ce point des atomes pas crochus avec Darwyn Cooke ???
Cooke est aujourd’hui, et avec du recul sur mes lectures super-héroïques, l’un de mes auteurs préférés dans le genre. Il rejoint effectivement DeMatteis pour cette capacité à léguer des récits marquants, profonds et plus ou moins autonomes sur des personnages mainstream. Une vraie « signature » au milieu de la continuité.
La BO : Je n’ai jamais vraiment écouté BLEU PETROLE. J’avais été tellement traumatisé par FANTAISIE MILITAIRE que tout le reste m’avait un peu déçu ensuite, en même temps que je trouvais que sa voix avait changé en plus geignarde. Mais j’y reviendrai un jour.
Même L’IMPRUDENCE ?
Tu as entièrement raison : je pense que je relirai New Frontier, parce que chaque fois que j’en croise une page détachée de son contexte, elle me plaît.
J’aime beaucoup plus Darwyn Cooke en tant que dessinateur, pour ses adaptations de Richard Stark, et aussi pour quelques histoires éparses comme Twilight Children sur un scénario de Gilbert Hernandez (j’avais envoyé l’article à Bruce).
Excellent titre Bruce ! Mais je n’ai pas trouvé le lien vers l’astérisque…. Bon, comme elle m’attend dans ma pile, je vais d’abord la lire avant de lire ton article.
La BO : super même si un peu longue.
Beau souvenir de trad, ma deuxième sur le’ personnage, et mémoire.
M’y replonger pour la réédition à été un gros plaisir
Un super graphic Novel par un grand auteur… j’ai encore le petit fascicule Semic, (j’ai donc assisté aux débuts d’un jeune Alex Nikolavitch)
@JB : tu fais bien de le mentionner. Cooke met en scène de manière subtile le crime par procuration du Joker. C’est très fort. On reconnait bien là le futur adaptateur à succès de PARKER.
@Présence : alors là, je suis confus. Que de tiédeur pour un si grand auteur quand on sait que tu sais être plus indulgent pour d’autres (non, je ne donnerais pas de noms)
@Tornado : une signature, une…présence, une intelligence. Cette histoire, comme toutes les bonnes histoires d’ailleurs est un alpha et un omega pour un lecteur qui voudrait picorer dans la mythologie de Batman. C’est désormais tout ce que je veux lire.
@Cyrille : je ne trouve pas la chanson si longue si tu es prix dans l’ambiance de la chanson. Ce qui est mon cas. BLEU PETROLE est assez irrégulier mais reste un disque de bonne facture. Moins que le disque posthume ceci-dit.
@Niko : quelques problèmes d’impression pour cette nouvelle VF, il y a du lettrage qui pique et qui parfois même disparaît.
Bonjour,
je n’ai jamais lu cette première œuvre de Darwyn Cooke. C’est peut être même son seul travail qui m’a échappé.
Incapable de savoir pourquoi. Pour répondre à JB, Darwyn Cooke sortait d’une prestation dans le DC animated et spécifiquement sur BATMAN BEYOND. EGO est sa première œuvre papier et quelque part on sent la transition avec la description de Gotham et le costume qu’il remodèle.
Le thème peut sembler éculé, mais il est hors continuité et avec des références comme Victor Hugo ou bien JM Demateis il y a quand même de quoi se faire plaisir. C’est peut être cette approche, psycho-cartoony qui a déplut à certains, car il est vrai que EGO n’a pas la côte auprès du public.
J’y vois également une influence Dean Motter (TERMINAL CITY) mais également METROPOLIS (le film de Fritz Lang mais peut être aussi le manga de Tezuka). Le costume et notamment la case avec les cranes
me font penser à SPAWN, à l’époque (2000) encore dans les best sellers américain.
Super article, il faut que je me trouve la version semic ou bien une VO. J’ai feuilleté l’édition Urban et je possède déjà en 2 exemplaires son Batman/Spirit donc je vais arrêter les frais.
Pour ceux qui aiment Darwyn Cooke, je me suis penché sur son œuvre en 12 services : https://topcomics.fr/12-comics-signes-darwyn-cooke-a-lire-ou-a-relire
BO : du bashung que j’apprécie. Pas souvent écouté celle là, donc ce fut avec plaisir.
Je ne connais pas TERMINAL CITY. J’ai vu METROPOLIS il y a longtemps, sans doute au collège. Bien vu pour SPAWN.
Bashung : la version originale par Gérard Manset https://www.youtube.com/watch?v=ewA-MfRI2Uo
Merci Fletcher pour ton article ! Je serais presque convaincu de me fournir les deux séries de Before Watchmen, ce que Tornado n’avait pas encore réussi à faire (au moins pour les Minutemen). Je n’ai toujours pas lu un seul Cooke mais ça va venir. J’adorerais voir The Twilight Chldren édité en VF !
Pour le coup j’aimerais bien découvrir ce SOLO n°5 inédit en France. Twilight Children pourquoi pas mais ce n’est pas Cooke au scénario et je n’ai jamais rien lu de Gilbert Hernandez, qui me semble être cantonné à la BD naturaliste, ce que je fuis en règle générale.
BEFORE WATCHMEN MINUTEMEN je ne le répèterai jamais assez : Vous ne savez pas ce que vous perdez. Bien sûr que ça n’a rien à voir avec le VRAI Watchmen. Mais c’est justement là que Cooke est intelligent : Il ne marche pas sur les plates-bandes de Moore. Il développe les origines de l’équipe précédente en mélangeant l’esprit d’une époque avec l’ère moderne, en saupoudrant juste ce qu’il faut l’ensemble de quelques clins d’oeil à Watchmen. Bref, une oeuvre postmoderne dans le même esprit que LA NOUVELLE FRONTIERE. Et qu’est ce que c’est bien fait !!!
En vérité je ne suis pas venu lire BEFORE WATCHMEN MINUTEMEN pour Alan Moore mais pour Darwyn Cooke. Et ça a fonctionné du tonnerre avec cette approche en tête. Tout simplement parce qu’il s’agit d’une bande-dessinée autonome et brillante.
Rappel :
http://www.brucetringale.com/sous-le-masque/
Gilbert Hernandez ne fait pas que du naturaliste dans Love and Rockets, même si en effet son frère Jaime est plus à l’aise dans le fantastique ou l’incongru.
As-tu lu le Before Watchmen Silk Spectre que Cooke a scénarisé ?
Ah non, non. Je n’ai jamais eu l’intention de m’intéresser à la collection BW. Je n’ai fait exception que pour MINUTEMEN, pour les raisons déjà invoquées.
Silk Spectre est davantage imbriquée dans la série principale, et n’est qu’en partie réalisée par Cooke (la dessinatrice était sa femme il me semble). Un travail nettement moins personnel et autonome. Je ne suis pas intéressé.
Ok, parce que bon, c’est Amanda Conner aux dessins donc bon, ça peut aussi être bien qui sait ?
Allez, je vais tâcher de me trouver le Minutemen.
Gilbert Hernandez réalise des récits s’inscrivant dans le réalisme magique, avec plus ou moins de magie en fonction des histoires. Jaime a commencé Locas (sa branche de Love & Rockets) avec une toile de fond de science-fiction qu’il a abandonnée assez tôt dans sa carrière, pour être plus dans le réalisme que son frère.
Pour le carnet mondain, Amanda Conner est l’épouse de Jimmy Palmiotti.
Les Hernandez, je mettrais pas ça dans la bd naturaliste mais plutôt dans la tranche de vie… comme Terry Moore…
Bon papier (un peu court ?)
Je fonce en libraire.
J’ai la VF souple de SEMIC. Ça fait longtemps que je ne l’ai pas relu. 29 francs à l’époque… Non, ça ne rajeunit pas, tout ça.
De mémoire, je lui mettais 4 étoiles car c’était bien fait mais moins marquant que d’autres récits ayant jalonné ma découverte du chevalier noir en BD. En dessin et/ou scénario, je mets au dessus : DKR, Year One, Long Halloween, Killing Joke… Ego, c’est quand même très bien mais voilà, au jeu des notes et du classement personnel, je le mets moins haut.
Je viens de la lire. A part l’histoire Spirit / Batman qui est formidable pour les dessins mais plutôt inintéressante sur le fond, j’ai trouvé tout absolument formidable. Tous les dessins sont d’enfer. L’histoire courte LE MONUMENT, que j’avais déjà lue, est vraiment drôle.
« Cooke propose une séquence tout en finesse, sans aucune lourdeur narrative qui montre Bruce en Sideckick de ce père tout-puissant dans une voiture. Le jeune garçon est pour la première fois confronté à la mort avant le meurtre de ses parents. » Ah oui, bien vu le coup du sidekick.
Excellent article en tout cas, totalement mérité. Merci.