Dômu –Rêves d’enfants par Katsuhiro Otomo
Un article de : JP NGUYEN
VO : Kodansha
VF : Les Humanoïdes Associés
1ère publication le 27/10/15 – MAJ le 27/01/24
Attention, cet article comporte quelques éléments « divulgâcheurs ».
Avant de mettre en scène des ados rebelles aux pouvoirs psychiques surnaturels dans le futur post-apocalyptique d’Akira, Katsuhiro Otomo avait réalisé Dômu, manga pré-publié en 1980-81 dans Weekly Young Magazine puis en édition intégrale en 1983 par Kodansha. La première VF ne paraîtra qu’en 1991. Quand à moi, j’ai découvert cette œuvre au début des années 2000 et ce fut une assez grosse claque.
Par certains aspects, Dômu préfigure Akira, mais le récit plus ramassé (240 pages, quand même) permet des relectures plus fréquentes que pour le monumental Akira (plus de 2000 pages). Encore faut-il être singulièrement tordu pour revisiter régulièrement ce récit angoissant.
A Tokyo, dans une barre d’immeuble semblable à tant d’autres, une recrudescence de suicides spectaculaires (chutes de grande hauteur) et d’incidents mystérieux mobilisent les investigations des forces de police. Les enquêteurs se révèleront particulièrement inefficaces, certains devenant à leur tour victimes de l’étrange pouvoir de l’inquiétant bâtiment. Ce n’est que par les enfants que viendra le salut, et en particulier de la petite Etsuko. Elle va se dresser contre le mal qui ronge les lieux, et qui est l’œuvre de Chô-San, un vieillard accusant un certain retard mental mais capable, tout comme Etsuko, d’user de télépathie et de télékinésie.
L’intrigue de Dômu démarre assez doucement et on pense tout d’abord assister à une enquête policière classique, mâtinée d’étude sociologique sur la banlieue Tokyoïte, lorsque défilent les divers habitants de la cité (étudiant laborieux, chômeur alcoolique, vieillard désoeuvré…). Mais plus le récit avance et plus l’ambiance devient glauque, alors que Chô-San attaque Etsuko en prenant possession de certains habitants de l’immeuble avant de se confronter directement à elle.
C’est alors un festival pyrotechnique, une expérience visuelle mémorable et une démonstration de la maîtrise graphique de Katsuhiro Otomo. Car, si l’on est tenté de relire périodiquement ce manga, c’est bien la faute d’Otomo, qui transforme de banals immeubles résidentiels en monstres de béton angoissants, dont les détails et l’aspect ordinaire sont si bien rendus que lorsque surgissent les éléments fantastiques et surnaturels, leurs manifestations sont d’autant plus impressionnantes.
Dans les comics de super-héros, le paysage urbain (très souvent New-Yorkais) est souvent magnifié. Les belles tours de verre et d’acier offrent un décor grandiose pour les chocs de titans en collants et en capes. Les ruelles glauques et les allées sombres sont stylisées pour offrir leurs ombres protectrices aux Batman, Daredevil et autres Spawn. Dans Dômu, l’un des tours de force d’Otomo c’est de dessiner des immeubles hyper-réalistes, assez moches, sans fioritures, sans gargouilles ni grande originalité architecturale et de les rendre immersifs, oppressants, inquiétants.
Allons-y d’un petit aveu : je n’aime pas avoir peur (je sais, c’est indigne d’un fan de Daredevil, mais bon…). Je fuis les histoires de Vampires, Loups Garous et autres Zombies. J’évite le fantastique car ça n’est pas ma tasse de thé voire ça me fait parfois un peu trop flipper. Mais c’est pourtant de cela qu’il s’agit dans Dômu : du pur fantastique, l’irruption du surnaturel dans le quotidien. Mais c’est tellement bien fait, bien dessiné et raconté qu’on se laisse entraîner sans peine dans ce récit un peu claustrophobique, comme hypnotisé par la magie des cadrages d’Otomo, qui arrive à me rendre baba devant la simple image de la petite Etsuko assise sur sa balançoire.
La représentation de la télékinésie utilisée par les protagonistes est très réussie. Otomo ne dispose que du noir et blanc pour représenter ces manifestations d’énergie surnaturelle mais, avec de simples traits, tracés comme autant de lignes de forces, les planches résonnent et vibrent sous les impacts des joutes à distance que se livrent Etsuko et Chô-San, nous plongeant totalement dans l’affrontement entre l’enfant obligée de grandir un peu trop vite pour sauver le monde des adultes et l’homme-enfant attardé qui s’amuse avec les gens comme s’ils étaient de simple figurines.
Pouvoirs parapsychiques, cadre urbain étouffant, autorités officielles dépassées, tous ces idées seront reprises et développées dans la grande œuvre d’Otomo : Akira. Mais déjà, dans Dômu, bien que parfois seulement effleurés, tous les thèmes fétiches du maître sont là.
Le relatif manque de profondeur du scénario est compensé par une maîtrise graphique virtuose. Comme fasciné, on est témoin de l’affrontement entre Chô-San et Etsuko. Ces deux-là peuvent bien essayer de se trucider allégrement, occasionner moult dommages collatéraux, maculer les murs de sang, le lecteur retiendra surtout un manga fantastique qu’Otomo éclabousse de toute sa classe.
Merci pour ce bel article sur un récit que je ne connais pas. J’ai le sentiment que Domu est assez éloigné d Akira même s’il existe une filiation. Je me souv
Comme tu le soulignes l’histoire est moins dense que celle d’Akira mais graphiquement c’est tout simplement époustouflant ! Un tel niveau de détail a rarement été atteint. Un grand moment du Manga !
Bravo JP tu es désormais prêt pour les récits horrifique 😉
En tous cas ton article me donne envie de relire cette BD, mais également Akira qui a finalement popularisé le manga en France !
Bel article JP ! Otomo est vraiment exceptionnel et tu lui rends bien hommage ! Akira restera gravé dans ma mémoire… Gamin quand j’allais faire les courses au supermarché je n’attendais qu’une chose…aller au libraire de la galerie commerciale pour aller voir si Akira était sorti (à l’époque c’est l’édition couleur qui sortait morcelé en 70 pages) rien que les couvertures par rapport aux autres BD me donnaient le frisson, tout de suite identifiable ! Dômu est aussi une superbe oeuvre et ce dessin aahhh ça manque des oeuvres comme ça aujourd’hui….Merci JP !
Merci pour cette présentation d’une œuvre « mineure » de Katsuhiro Otomo que je n’ai pas lue. J’ai lu Akira, le début dans la version colorisé par Steve Oliff (le Dave Stewart de l’époque), et publiée par Epic (branche adulte de Marvel), en petits bouts d’une centaine de pages, la seconde moitié dans l’édition de Glénat, toujours en couleurs.
Je garde un très fort souvenir des premières scènes : les enfants avec des visages de vieillard, la course à moto, les mutations de Tetsuo, la première apparition de Lady Miyajo, le commandant de l’armée…, et le reste ne m’a pas transporté. Une fois n’est pas coutume, j’ai même vu l’anime qui manquait une peu de densité, par rapport au manga (mais ce n’est que mon avis personnel).
Quelque fois les esquisses marquent plus durablement que les oeuvres plus ambitieuses. C’est mon sentiment à propos de Dômu, peut-être comme tu l’évoques justement parce que sa taille modeste par rapport à Akira permet la relecture.
Tu mets en évidence la grande réussite du manga qui est la densité horrifique du décor, un inquiétant béton urbain où du noir et blanc d’Otomo suinte la menace. Et l’utilisation du décor, c’est la base des récits d’horreur, encore faut-il avoir le talent d’Otomo pour que ce soit aussi manifeste.
Et j’aime beaucoup le « divulgacheur », Guy Roux serait fier de toi…
Dômo aligatô, mister JP
Merci à tous pour vos retours positifs, c’est toujours gratifiant.
Maintenant, plusieurs questions restent posées :
Aura-t-on droit à la fin du commentaire de Matt Maticien ?
Qui dans la Team va s’atteler à Akira ?
Et j’en rajoute une :
Une dédicace à un présentateur télé se cache dans cette chronique, saurez vous la retrouver ?
Tu as bon goût, une voix radiophonique reconnaissable entre 1000 et un self-made man à la française, héraut improbable du fait divers et du télê-achat.
Même parcours et même « avis » que Presence avec tout de même un amour peut-être plus fort et resté intact que ce soit pour le film animé ou pour le comics, heu pardon manga^^
Ma seule exception manga surtout grâce à EPIC…
Ce n’est pas gentil, ça, de me donner furieusement envie d’acheter cette oeuvre d’Otomo que je n’ai jamais lue, et qui est épuisée chez l’éditeur. Et qui se vend désormais super cher !
Otomo est un auteur qui m’impressionne plus que de raison. Son graphisme somptueux et cette minutie surhumaine. L’épaisseur thématique qu’il parvient à conférer à ses oeuvres (comme Miyasaki, facile). J’ai revu « Steamboy » récemment, en pensant faire le mariole et en faire un article pour le blog. Pfiou ! C’est tellement vertigineux et intimidant que je suis reparti la queue entre les jambes !
Lorsque je vivais à Lille, j’empruntais les tomes de la série « Mother Sarah » parus chez Delcourt. Et j’adorais ça. Mais la série était encore incomplète à l’époque (5 ou 6 tomes) Je me disais : « Bon, tu achèteras l’intégrale plus tard, quand tu auras des thunes »… Pfff. Dégouté. Aujourd’hui la série est épuisée et se vend très cher…
Ah tiens, je n’aurais pas cru que le bouquin était épuisé… J’aurais pensé qu’un auteur comme Otomo était souvent republié. Sinon, j’ai fréquemment aperçu Domu en médiathèque.
Je l’ai lu et je ne m’en souviens plus du tout. Mais du coup, là, j’ai très envie de m’y remettre ! Très bon article, JP, merci de rappeler à quel point Otomo a un dessin puissant et angoissant, où l’on sent toute la masse des éléments qui nous entourent quotidiennement.
L’histoire prefigure aussi world appartment horror
…?! World Appartment Horror est franchement orienté « comédie Fantastique », avec un commentaire bien senti sur la déshumanisation de la vie citadine ainsi que l’absurdité de nos prétentions modernistes, réduites à néant confrontées à des fantômes et des mythes.
Dômu, c’est de la pure S.F. ; et pas du tout rigolote, sinon sous certains aspects aspects graphiques (le look du grand-père,…) et/ou d’options de lecture : le dérisoire des enjeux comparé à l’énormité (!) des moyens employés par les deux bellicistes définitivement Lambda.
Mon ressenti détaillé, déjà posté ailleurs.
… Graphique, c’est le moins qu’on puisse dire ! Bon, c’est du Otomo Katsuhiro, en même temps.
Une histoire « simple » de S.F. où deux personnages a priori très ordinaires, incarnant des valeurs diamétralement opposées, s’affrontent à grands coups de pouvoirs parapsychologiques au beau milieu d’imposantes barres d’immeubles, aussi écrasantes dans leurs parfaites proportions cyclopéennes qu’absolument déshumanisantes.
Ces interminables cages à lapin de béton et de verre font intrinsèquement partie de l’histoire, tant elles mettent en perspectives les intervenants, réduits bien souvent à l’état de fourmis au milieu des cases… Quand elles ne servent pas carrément de matière première principale aux différents assauts « Psi » entre la petite fille et son gaga d’adversaire ! Encore une fois, le contraste entre la « simplicité » du dessin des personnages et l’incroyable hyper-réalisme dévolu aux décors magnifie la puissance évocatrice des scènes et, même dans les instants calmes, le procédé contribue à perpétuer l’impression vivace de cet univers si familier.
Impressionnant de maitrise et d’une efficacité redoutable, même si l’argument scénaristique est un peu faible ; et pour peu qu’on ne craigne pas trop les effusions (et c’est franchement un euphémisme…) de sang. On a simplement l’impression que, étant données les potentialités pleines de richesse des intervenants secondaires (L’inspecteur Takayama, Mrs Tezuka, Yoshi, Hiroshi, Etc…), le Mangaka aurait largement pu broder encore longtemps sur sa lancée. Étonnant, d’ailleurs, qu’il ne l’ait pas fait tant c’est plutôt traditionnel dans l’édition, au Japon.
En même temps, il est vrai que, dévoilant quasi immédiatement l’identité du malfaiteur dés le premier tome (alors que le mystère aurait pu être un des ressorts importants de l’intrigue), Katsuhiro Otomo adoube officiellement l’argument principal de son récit : nous épater -encore une fois !- en nous en mettant plein les yeux ! Contrat très honnêtement rempli, donc.