Le silence est d’ombre par Loic Clément et Sanoe
Une review en silence de BRUCE LITVF: Delcourt
LE SILENCE EST D’OMBRE est un récit complet scénarisé par Loic Clément et illustré par Sanoe (Sophie Verdaguer).
Il s’agit d’un conte pour enfants d’une quarantaine de pages paru en 2020 chez Delcourt Jeunesse.
On avait laissé Loic Clément après un formidable album sur le harcèlement scolaire. On le retrouve avec 5 albums sortis en 2020 (!) dont celui-ci autour d’un sujet à peine plus gai : La mort d’un enfant !
Ce serait faire insulte au talent de Clément de résumer si trivialement LE SILENCE DE L’OMBRE qui porte à la fois les angoisses et les espoirs d’un scénariste qui se sert de son art pour parler vrai aux enfants.
Le lecteur suit l’histoire de Amun, un garçonnet mort (dans son sommeil) dans un incendie. Transformé en fantôme, Amun a la possibilité de se réincarner. Mais ce garçon timide et solitaire a-t-il vraiment envie de revenir dans un monde si cruel alors que Le silence de l’ombre lui apporte paix et réconfort ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Clément fait partie de ces artistes qui aiment prendre le contrepied des lieux communs et les critiques à re-Bruce-Poil. Avec CHAQUE JOUR DRACULA, il transformait l’incarnation de la perversion de Dracula en résilience face à la cruauté infantile.
La peur de la mort nous pousse à rêver de vie éternelle, de réincarnation, de seconde chance ? Beaucoup envisagent le suicide comme un acte de liberté ultime pour échapper à un monde sans pitié ? Clément lui met en scène une réincarnation reluctante.
Il y a du Jeff Lemire chez cet homme qui a de l’angoisse et de la sensibilité à revendre. En cela son écriture ressemble au feu dans lequel meurt son petit héros : elle tue et brûle d’incertitudes existentielles tout comme elle réchauffe d’apaisement en crépitant aux pieds de ses jeunes lecteurs. Or, quel meilleur endroit qu’un feu pour raconter un conte de vie et de mort réhaussé par les couleurs chaudes de Sanoe ?
Tout déborde d’amour dans LE SILENCE EST D’OMBRE : l’amour de l’auteur pour son medium qui lui permet de raconter une histoire profonde en peu de mots aux quatre coins du monde. Affranchi des contingences physiques, le petit Amun traverse les pays, les continents, les océans. Il vit sa vie libre des souffrances, des trahisons, des déceptions ou de la maladie.
Clément parle de choses vraies sans détour. Amun observe aussi bien les couchers du soleil, la danse des animaux de l’océan qu’un bateau de migrants qui s’y noie.
C’est la douceur d’un Alain Souchon qui l’habite : La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie. Auteur autoproclamé fan de la franchise SAINT SEIYA, Clément s’approprie l’héritage philosophique des Chevaliers du Zodiaque, ces enfants à qui la vie aura tout arraché et qui vont se battre pour l’espoir d’un monde meilleur quand d’autres pas moins nobles qu’eux s’abîment dans la mélancolie ou l’amertume. LES CONTES DES COEURS PERDUS s’apparente à ces rêveries dans laquelle plongent Seiya et ses amis lorsque aux portes de la mort, ils se découvrent des motivations, encouragés par les spectres de ceux qu’ils aiment pour continuer le combat.
Mais par moment, on pense aussi à un autre animé : CLEMENTINE, cette histoire douce amère d’une enfant handicapée agrésseé par le démon des flammes (on n’en sort pas) et qui va parcourir le monde sous une forme immatérielle, en découvrir la beauté et la bonté au fil des amis rencontrés.
Amun va rencontrer l’esprit lumineux d’un autre fantôme, Yael. Clément écrit alors sur deux niveaux : une réconciliation entre deux enfants portant des prénoms juif et musulman. Tels des Tom Swayer et Huck Finn, les enfants font les 400 coups, se baignent dans des torrents de lave de volcans, observent Paris au sommet des Eglises, gambadent parmi les rhinocéros, témoins de tout ce que l’existence a de merveilleux.
Pourtant, cette vie infinie trouve ses limites dans sa non limite, le bonheur ne vaut que s’il est est partagé ; c’était la leçon finale de INTO THE WILD et c’est ce que vont ressentir Amun et Yael : ce manque indicible de l’incarnation après une réincarnation, ce besoin de nommer le monde au lieu de l’observer, d’en être l’acteur en lieu et place du témoin.
Le lecteur observera la même complicité entre le scénariste et son illustratrice que celle unissant les deux enfants, à la fois dissemblables et pareils. Les cartouches de textes de Clément ne sont jamais l’explication de texte de ce que Sanoe dessine. L’illustratrice semble prendre son scénariste au mot pour ensuite prendre son envol et donner une grande leçon de Bande Dessinée. Donner- Prendre. Recevoir.
Don-Contredon.
Sanoe livre des planches fabuleuses, vibrantes d’humanité, capables de nous transporter sans aucun effort d’un souk oriental à une fête foraine européenne, de passer de l’immensité de l’océan à l’exiguïté d’une chambre d’hôpital. Elle est capable de disséminer 1001 détails dans ses planches sans les alourdir et en autorisant une lecture à hauteur d’enfant : simple, légère au premier abord, d’une belle complexité pour une deuxième lecture savoureuse.
Ce joli conte passé sous les radars de la critique et du public confiné mérite sa seconde chance. Tout comme chacun d’entre nous.
La BO du jour
ça a l’air joli
Mélancolique
Un sujet complexe aussi, la valeur de la vie et la cruauté monde.
On ne nait pas tous égaux. En droits peut être, selon la loi^^ Mais pour le reste…
Des belles choses, il y en a. Encore faut-il pouvoir les voir. Plus facile de relativiser la cruauté du monde quand t’as une vie relativement confortable, plutôt que quand tu te fais tabasser ou abuser tout gamin…
ça pourrait me plaire je pense.
Je crains juste la morale finale peut être, sur l’histoire du bonheur partagé. Non pas que je ne sois pas d’accord avec mais…il ne faudrait pas que ça veuille dire « si t’es seul, autant te suicider »^^ Chose avec laquelle je ne serais pas d’accord évidemment. Car tout animaux sociaux que nous sommes, chacun l’est à un degré différent. Et c’est un petit peu donner une recette du bonheur qui…en fait n’a pas de recette justement. L’idée c’est de le trouver avec ce qu’on a, même si c’est peu. Pas de nous dire ce qu’on doit trouver pour être heureux (ça c’est le rôle tordu des pubs^^)
Coucou Matt
« On ne nait pas tous égaux. En droits peut être, selon la loi^^ Mais pour le reste…
Des belles choses, il y en a. Encore faut-il pouvoir les voir. Plus facile de relativiser la cruauté du monde quand t’as une vie relativement confortable, plutôt que quand tu te fais tabasser ou abuser tout gamin… »
je te réponds en musique : Vivre ou survivre, on ne choisit pas les trottoirs de Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher.
Ceci dit la violence sur enfants touche tous les milieux et tous les pays.
« Je crains juste la morale finale peut être, sur l’histoire du bonheur partagé. Non pas que je ne sois pas d’accord avec mais…il ne faudrait pas que ça veuille dire « si t’es seul, autant te suicider » »
Ta remarque est très juste. Dans l’album il s’agit plus d’un trop plein de pouvoirs que le garçonnet réalise comme tous les mortels : sans la menace de la mort et les joies de l’existence, toutes ces possibilités ont peu de saveurs.
Un exemple très concret : le leader de Nirvana expliquait avoir perdu tout gout pour la musique lorsque l’acheteur de disques qu’il était a réalisé qu’il pouvait désormais acheter un virgin megastore.
Le livre de Loic montre bien que la quête importe d’avantage que sa finitude.
Je n’ai pas lu cette BD, le ressenti que je vais exposer n’est que le fruit de la lecture de ta chronique.
Ce n’est pas la première critique que je lis de toi. Elles sont souvent pertinentes.
Je te fais donc confiance et je ne voudrais pas remettre en cause les qualités de ce récit que tu valorises, notamment celle de parler vrai aux enfants.
Simplement 2 choses m’interpellent et, quelque part, me dérangent aussi !
La première est celle de partir d’un postulat aussi dramatique (La mort d’un enfant) et de la magnifier ! Pour ensuite observer un monde cruel avec, par exemple, des migrants qui se noient !
La question que je me pose est la suivante:
Mais, pour pouvoir se battre de manière active pour un monde meilleur, ne faut il pas être en vie ?
La deuxième est celle de pouvoir acquérir des « Super pouvoirs » grâce à la mort ! Celui de se réincarner et de traverser les pays libre de souffrances et de maladies ! Comme si la mort était une solution à tout.
Alors, certes, vivre dans un monde imaginaire peut apporter du réconfort…. mais juste du réconfort !
Tout cela pour dire que le sujet est casse gueule !
Parler vrai aux enfants n’est pas chose aisée.
Je pense que cette BD estampillé dans la ligne éditoriale pour enfants de Delcourt doit dans avant être lue par un parent. A lui de décider ensuite si il doit la partager avec ses enfants.
De mon point de vue, l’espoir de notre monde sont nos enfants! Il est entre leur mains. Et cette nouvelle génération qui arrive doit être pleine de vie, de volonté pour affronter notre monde réel. Cette implication est la seule solution pour faire face aux vicissitudes et activement rendre notre vie meilleure.
Aucune mort n’est magnifiée. Il faut vraiment lire le livre avant d’écrire quelque chose d’aussi dur.
Bonjour Loïc,
C’est bien ce que j’écris: je n’ai pas lu la BD c’est juste une impression ( probablement tronquée) suite à la lecture de l’article.
Je mets simplement en évidence ma vision des choses qui vient en complément de ce qui a probablement été aussi exposé dans la BD
Justement, c’est très violent à lire et c’est l’exact contraire de ce que cette bande dessinée met en avant et que Bruce met bien en exergue. La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie. La mort vaut moins que rien, dans tous les cas.
En tout cas, dire qu’on est gêné par l’aspect d’un livre en lisant une critique qui ne met jamais en avant cet aspect, c’est déjà en soi discutable. Mais quand il s’agit d’une phrase aussi grave (« la mort d’un enfant et la magnifier »), là je suis obligé de réagir car c’est un uppercut d’une extrême violence.
Loïc, on peut aussi ne pas réagir et ne rien dire… Mais est-ce vraiment constructif ?
Je n’ai pas voulu être violent.
C’est juste qu’il me paraissait légitime d’intervenir avec mon ressenti sur une image d’une beauté aussi cruelle. Celle de cet enfant dans les flammes avec le commentaire :
« La mort d’Anun : un moment poétique qui évite le pathos. »
Salut Norrin
Peut-être que mon article n’est pas assez complet d’où ce malentendu entre Loic et toi.
Il ne s’agit pas d’une BD militante auquelle cas je ne l’aurai pas achetée mais bel et bien d’un conte avec un point de départ certes cruel mais pas pire qu’un enfant abandonne par ses parents dans un bois ou qui se fait dévorer par un loup déguisé en mamie 🙂
L’insupportable aurait été de représenter l’agonie de l’enfant dans les flammes. Ce n’est pas le cas, l’enfant est très vivant dans cette immatérielle et traduit aussi bien les angoisses que l’espoir de Clément pour son enfant et les nôtres.
Ma fille de 10 ans l’a lu et bien apprécié. C’est plus d’allégories et de tendresse.
Très joli article et une bd que tu vends très bien. Ça donne envie. Sur le même thème je te conseille Trois ombres de Pedrosa si tu ne connais pas déjà.
La BO : j’adore.
Non, je ne connais pas les 3 OMBRES DE PEDROSA mais ne demande qu’à…Article ?
Je note.
Trois Ombres de Pédrosa, chef d’oeuvre majeur.
Et je n’utilise jamais tous ces mots ensemble.
Ok… Là on touche un sujet particulièrement sensible.
Je sais que le but est justement de donner de l’espoir, de rendre l’inacceptable plus supportable…
Loïc Clément est un auteur qui aborde des sujets tellement délicats, mais qui semble leur apporter une poésie, une douceur, une note d’espoir. Je suis sûre que c’est typiquement le genre de lecture qui me correspond.
Je ne sais pas si je commencerai par cette œuvre-là. Rien que la lecture de l’article a été difficile. Sans parler de mon vécu, ça a toujours été LE thème qui me bouleverse au plus haut point…
Merci pour ce partage, très bel article écrit avec beaucoup de métaphores qui rendent hommage à la poésie qui transparait dans les scans. Un conte enchanté sur un thème tellement triste… Mais je sens, je sais qu’il faut que je le lise……..
Bravo au scénariste et à la dessinatrice. J’espère que grâce à ton article, cette oeuvre trouvera son public. Même si j’espère surtout ne pas avoir à l’offrir…
Et merci Bruce…
Salut Kaori
Je sais à quel point ce sujet est résonnant en toi et ne puis que te remercier à mon tour de m’avoir lu malgré ça.
Oui, ta sensibilité et celle de Loic se rejoignent beaucoup.
Je nuancerai un chouia sur la tristesse car rappelle toi : notre génération a été bercé d’héros à la planète détruite, de parents tués devant leurs enfants, d’orphelins, de gosse envoyés se faire torturer pour avoir des armures sacrées ou se faire ratatiner sur Namek par un tyran sanguinaire.
Loic utilise l’angoisse de mort ultime pour revenir à la vie. Il écrit de manière sensible et responsable sans jamais racoler.
Bruce, je ne peux pas mettre sur le même plan un enfant qui perd ses parents (d’autant plus que comme tu dis, on a grandi avec ça, parce que ce sont des métaphores du passage de l’enfance à l’âge adulte, et je crois qu’inconsciemment, on le savait, on en rêvait de cette indépendance, de cette force à toute épreuve) et un enfant qui meurt. C’est juste impossible car contre-nature, cela va à l’encontre de l’ordre des choses. C’est même inconcevable.
Mais tu soulignes justement qu’ici c’est abordé presque sous la forme d’un exorcisme, pour lutter contre l’angoisse que chaque parent ressent, tout en apportant cette note d’espoir que la Vie ne s’arrête pas là. La réincarnation est aussi la foi en laquelle j’avais choisi de croire quand j’avais peur de mourir plus jeune. Raison de plus pour y croire de nouveau…
Kaori, sur le sujet de la perte d’un enfant, j’aimerais te conseiller l’histoire de mon grand père que je raconte dans Jeannot chez Delcourt. J’ignore pourquoi ce sujet est sensible chez toi mais sache qu’il l’est chez moi aussi et que je suis très très fier de ce livre. A l’occasion, j’aimerais ton avis.
Ce sera avec plaisir…
Je ne sais pas s’il y a une explication « logique » à tout cela, n’ayant jamais été touchée directement par ce drame. Mais en lisant ton message, il me vient en tête le fait que ma grand-mère paternelle a perdu un de ses enfants quand il avait un an. Je suppose que ce genre d’histoires s’imprègne en nous quand on nous les raconte, que quelque chose se transmet. Ou peut-être est-ce lié à un très fort désir maternel que j’ai longtemps eu. Ou bien des souvenirs d’une ancienne vie ? Qui sait 😉 . Toujours est-il que par exemple les films qui me bouleversent et me traumatisent le plus sont ceux qui abordent ce thème (Les Autres, L’orphelinat, Shutter Island, et dernièrement Manchester-by-the-Sea).
Pour la mort des enfants, je travaille avec des enfants, et malheureusement, c’est une chose à laquelle j’ai dû être confrontée durant ma carrière. Il se trouve aussi qu’une de mes anciennes élèves est actuellement dans un état de santé assez compliqué. Mais je suis quelqu’un d’optimiste, je veux croire que l’issue sera favorable cette fois-ci.
Merci en tout cas.
Bruce, tu as fini par le deviner, je n’apprécie pas les récits mélangeant enfance/actualités..mais tu sais trouver les mots et les arguments. Comme tu as cité CLEMENTINE et que je suis un mec craqué dans sa tête, je vais lire ce récit…
Ah oui j’ai oublié de dire que j’étais fan de Clémentine gamin !
Clementine : Tiens Eddy, article ?
il faudrait que je me récupère l’intégrale mais pourquoi pas un jour…
mais là Bruce rien qu’avec ce que j’ai en cours alors que j’arrête pas de roupiller, d’émerger d’aller au boulot, et de re-roupiller, ça va être dur.
Sans compter que j’attaque enfin L’ATTAQUE DES TITANS et que c’est un putain d’animé!
et non je ferais pas l’article… rogntujdûûû…
Ah ouais… Ça a l’air trop bien. 🙂
C’est tout à fait ce que je recherche en création, que ce soit en littérature ou en cinéma : Raconter quelque chose de profond et d’important sous le vernis du conte, du fantastique ou de la science-fiction. Raconter le réel sous le vernis du surnaturel. Je suis tombé dans la marmite quand j’étais petit…
« ah ouais… Ça a l’air trop bien. »
ça l’est, oui 🙂
Un scénariste qui se sert de son art pour parler vrai aux enfants : pas facile à faire.
Les pages sont absolument superbes.
Témoins de tout ce que l’existence a de merveilleux : je suis admiratif de tels créateurs qui mettent en valeur ce que la vie a de merveilleux et de positif, tout en parlant vrai.
Dire que tu étais à la maison hier….