Batman, The Dark Knight Returns par Frank Miller
Un article de PRÉSENCE
Publié le 15/03/ 14- MAJ le 16/09/23.
Cela fait 10 ans que Bruce Wayne a raccroché la cape de Batman pour mener uniquement une vie civile. Il a même renoncé à son vœu d’abstinence pour goûter les plaisirs gustatifs de l’alcool. Mais cet été là, la convergence de plusieurs circonstances le fait revenir sur sa décision : il ne peut plus rester les bras ballants devant une société du « moi d’abord » dont les dirigeants élus guident la ville de Gotham et les États Unis sur la base de sondages de popularité.
À 50 ans passés, Batman reprend du service et cette fois chaque intervention est définitive. C’est ce que vont apprendre à leurs dépends Harvey Dent, le Mutant Leader, le Joker et même Superman. Lorsque ce comics parait en 1986, c’est une révolution.
Aujourd’hui encore, il reste une des 10 meilleures histoires de Batman et un récit qui prend aux tripes de la première à la dernière page. Frank Miller ne se contente pas d’une projection dans l’avenir du personnage pour mettre un point final à son histoire avec Joker.
Il fait le constat d’une ville meurtrière où l’insécurité est la norme, où chaque individu est une victime potentielle qui viendra grossir les statistiques de la criminalité (dans une ambiance paranoïaque qui rappelle les passages les plus désespérés des romans de Patricia Cornwell). Il utilise l’hégémonie de la société du spectacle pour tourner en ridicule l’utilisation des plus bas instincts de l’homme pour faire de l’audience. Dans ce contexte, la résurgence de Batman s’apparente à un retour à des valeurs traditionnelles à l’opposé des paillettes et du mercantilisme outrancier d’un capitalisme impitoyable.
Les illustrations sont également viscérales et très travaillées. De prime abord, le lecteur peut être rebuté par des dessins peu plaisants à l’oeil, voire laids dans certaines cases (l’apparence du Mutant Leader par exemple). Mais rapidement, il apparaît que Miller a mis au service de l’histoire toute l’expérience qu’il a acquise sur Daredevil et Ronin.
Ce tome comprend quelques pleines pages superbes (par exemple Batman tenant le corps d’un général qui vient de se suicider avec le drapeau américain comme linceul) et beaucoup de pages comprenant de 10 à 16 cases. Là encore la forme est indissociable du fond.
Les pleines pages donnent à fond dans une iconographie de superhéros déconnectée de tout réalisme : Miller s’en sert pour mettre en image la légende, le côté plus grand que nature du Batman. Les pages divisées en une multitude de cases servent à donner un rythme rapide, une sensation d’instantanéité consubstantielle de la télé en insérant des fragments de dialogues de talk show.
L’utilisation des ces talk shows est magistrale. Le lecteur assiste en direct à la récupération des actions de Batman par l’industrie de la télévision. Non seulement ce dispositif narratif permet au lecteur de mesurer l’impact du Batman dans la société américaine, mais aussi les différentes valeurs morales qui vont se cristalliser face à cette légende urbaine. Encore une fois, Frank Miller ne vise pas le réalisme ; il se conforme aux codes des récits de superhéros qui exigent une suspension consentie de l’incrédulité pour croire à ces gugusses costumés.
Le fan de superhéros retrouvera tous les points de passage obligés du genre : échange de coups de poings, démonstration de superpouvoirs, résistance hors du commun du héros (Miller y va vraiment fort sur cet aspect là), etc.
Il retrouvera également tout l’univers de Batman dans des versions plus ou moins déformées : la Batcave, Alfred Pennyworth (avec un humour toujours aussi sarcastique), Robin (Carrie Kelly), James Gordon, Selina Kyle, Green Arrow, etc. Frank Miller arrive même à donner une nouvelle interprétation visuelle de la chauve-souris comme animal totémique.
L’encrage de Klaus Janson est parfaitement à l’unisson des dessins de Miller. Le lecteur ne perçoit aucun hiatus entre l’illustration et son rendu encré. La fusion entre les 2 est parfaite. Et ces illustrations bénéficient de la mise en couleur de Lynn Varley qui elle aussi fait preuve d’une inventivité et d’une sensibilité adulte. Elle opte pour une palette moins agressive que les comics habituels tout en distillant quelques touches de couleurs vives qui n’en ressortent que plus.
Attention, ce Batman n’est pas pour les enfants. À son âge, chaque coup doit compter et il ne fait pas dans la demi-mesure : il est violent, cruel, sadique, déterminé, obsédé même (au sens clinique du terme) par sa soif de justice et de vengeance.
À chaque relecture, la force du récit prend aux tripes et emmène le lecteur dans cette vision noire de la vie urbaine, dans cette critique d’une société dédiée à la poursuite du divertissement, dans ce grand défouloir ou le bon triomphe des méchants, dans cette cruauté qui imprègne chaque relation humaine.
Avec un peu de recul, le lecteur constate que Frank Miller raconte cette histoire, du point de vue de Bruce Wayne, l’état d’esprit et les convictions politiques de Wayne (un individu qui impose sa propre justice par la force) président à chaque choix narratif.
La collection de faits divers atterrants (agressions gratuites pour quelques dollars, ou juste pour le frisson de la violence sadique) dresse le portrait de la société urbaine telle que la perçoit Wayne. Il ne s’agit pas forcément des opinions de Miller, mais plutôt de la façon de voir les choses d’un individu prêt à se déguiser en chauve-souris pour redresser les torts. Frank Miller a donné une suite à cette histoire dans The Dark Knight Strikes again, dans laquelle il réhabilite les superhéros colorés les plus kitchs.
Frank Miller n’avait pas le même âge quand il a écrit « Dark knight returns » et quand il a écrit « Holy terror ». Ses idées ont pu évoluer entre ces 2 histoires.
Ce qui est le plus marrant est que comme dans Born Again, si le récit est particulièrement sombre et souvent torturé, la fin est pleine d’espoir. Quelque chose qui apparemment n’a pas été bien perçu par les créateurs et les lecteurs à l’époque, d’où toute la vague dark and gritty qui a suivi. Or ce sont ces fins lumineuses qui accordent à ces récits une toute autre dimension. Sans ça Batman ou Matt Murdock ne serait que des cinglés de bas étages ultra violents.
Perso, j’ai toujours trouvé la fin de Born Again baclée avec la frustration de ne pas voir le combat de retour entre Matt et Fisk !
Je suis le seul ?
On en a déjà parlé. Je trouve la fin de Born Again bâclée autant du point de vue du scénario que du dessin. Si l’on compare les premières planches avec les dernières, le contraste est saisissant !
Je peux à mon tour me mettre à radoter : j’ai trouvé la fin de « Born again » parfaite sur le plan thématique. Miller réintroduit Daredevil dans le monde des superhéros, par le biais de Nuke (supercriminel) et de la participation d’autres superhéros. Daredevil reprend sa place légitime au sein des superhéros mensuels.
Mais l’affrontement contre le caid alors ?
J’ai lu Holy Terror (commentaire sur amazon version VO). J’ai une excuse : je n’ai pas eu à l’acheter, un ami me l’a prêté. Graphiquement, Miller en impose toujours.
J’ai vu l’adaptation animée et je la trouve très fidèle.
Cela dit, on perd certaines caractéristiques propre au medium de la BD.
Par exemple, le duel entre Batman et le Mutant Leader est un peu rallongé, mais même s’il est très bien animé, il ne produit pas le même effet que dans la BD où l’on vit ce combat dans la tête de Batman.
Mais ça reste une très bonne adaptation.
Avec tout ce que j’ai lu sur ce bouquin, je ne peux pas me résoudre à le lire, encore moins à l’ajouter à ma bibliothèque. Not my Batman, no siree!
Il faut que tu lises Arkham Asylum (et aussi The Killing Joke , Year One) avant de lire What happened to the dark knight de Gaiman.Cette histoire est bourrée de références à l’univers Batman et tu y retrouves des cases qui semblent sorties des trois titres cités plus haut (TDKR aussi).
C’est plein de petits détails qui sautent aux yeux pour les fans de la chauve-souris (Cases rappelant des récits marquants , noms de scénariste ou dessinateur apparaissant dans les décors , Finger , Aparo).
Gaiman a fait un très beau récit.Il rend hommage aux différentes incarnations de Batman et son univers.
Juste une petite remarque par rapport à « L’encrage de Klaus Janson est parfaitement à l’unisson des dessins de Miller. Le lecteur ne perçoit aucun hiatus entre l’illustration et son rendu encré. La fusion entre les 2 est parfaite. »
C’est ce que j’ai longtemps pensé avant de faire connaissance avec un fan assez pointu et proche de Klaus Janson.
Phil Cordier explique sur son blog que la collaboration Miller/Janson a parfois été conflictuelle à partir du tome 3 :
http://philcordier.blogspot.fr/2011/12/dkr-miller-janson-cases.html