Le superflu est le premier des besoins ( Shaolin Cowbow)

Shaolin Cowboy – Buffet à volonté par Geoff Darrow

Un article de  : PRÉSENCE

VO: Dark Horse

VF :Glénat puis Futuropolis

1ère publication le 27/05/15 – MAJ le 08/07/20

Des tronçonneuses, des zombies, un moine guerrier : tout est dit

Des tronçonneuses, des zombies, un moine guerrier : tout est dit © Dark Horse / Glénat / Futuropolis

Le cowboy Shaolin est un personnage créé par Geoff Darrow, ayant bénéficié d’une première aventure en 2004-2007. Elle a été éditée en français en 3 tomes, par Panini Comics et Futuropolis. Cette première aventure racontait le combat improbable de ce cowboy shaolin pour sauver un nourrisson, contre 2 entités démoniaques, puis une horde de zombie dans un désert.

Le présent ouvrage comprend la deuxième histoire réalisée par Geoff Darrow, initialement publiée sous la forme de 4 comics parus 2013/2014. Darrow réalise le scénario, les dessins et l’encrage. La mise en couleurs est assurée par Dave Stewart. Il s’agit d’un album en couleurs au format européen, avec couverture rigide, à la finition très soignée.

Ce tome s’ouvre avec un résumé de 2 pages, un texte écrit en petits caractères. Il évoque la vie du cowboy Shaolin, depuis sa mise à la porte du temple, jusqu’à la situation dans laquelle le lecteur l’avait quitté à la fin de sa première aventure. Il s’ensuit 127 pages de bandes dessinées. Le cowboy Shaolin émerge de terre, dans une zone désertique du Texas. Il se dirige vers la ville la plus proche (Palinsbush), avec une horde de zombies à ses trousses. Du fait de circonstances indépendantes de sa volonté, il n’a d’autre choix que de faire demi-tour et d’affronter ces centaines de zombies, uniquement armé de 2 tronçonneuses fixées au bout d’une longue tige de bambou.

Au boulot !

Au boulot ! ©Dark Horse / Glénat / Futuropolis

C’est indescriptible, aucun texte ne peut rendre compte de l’expérience picturale qui attend le lecteur au fil des pages. Pour commencer le long texte d’introduction est une réussite impressionnante d’humour absurde et référentiel, les tribulations du cowboy Shaolin défiant l’entendement. Cela vaut la peine de prendre le temps de lire à tête reposée ce texte en petits caractères qui regorgent de trouvailles humoristiques, tout aussi touffues que les dessins de Darrow.

Soit le lecteur a déjà lu des BD dessinées par cet artiste (Hard Boiled, Rusty the boy robot), soit il a feuilleté « Shaolin cowboy » avant de l’acheter et il a été enthousiasmé par le niveau de détails des dessins, et la nature du récit (débiter du zombie au kilomètre). Pourtant il n’a pas encore pu prendre la mesure de l’expérience dans laquelle il se lance. Côté intrigue, c’est vite vu : le cowboy Shaolin débite du zombie pendant 100 pages. C’est aussi mince que ça ? Oui, il y a environ 10 pages qui ne sont pas consacrées à occire de la chaire putréfie, sur 127.

Côté dessins, Geoff Darrow n’a rien perdu de son obsession maniaque du détail minuscule. La première page est trompeuse car il n’y a qu’une tête de crapaud dépassant d’un rocher, laissant 90% de ce dessin pleine page au ciel, paré d’un joli camaïeu tout en retenu composé par Dave Stewart. Dans les 2 pages suivantes, le lecteur glisse progressivement dans la représentation obsessionnelle de Geoff Darrow. Il dessine les rochers, sans en oublier une seule aspérité et en prenant bien soin de conserver une cohérence de forme d’une case à l’autre, même si l’angle de vue a changé.

Dans n’importe quel comics (et dans une moindre mesure dans une BD), le lecteur a appris qu’une séquence se déroulant dans un désert permet à l’artiste de s’économiser sur les décors, esquissant vaguement 2 ou 3 rochers à l’aide de 2 traits. Ici, Geoff Darrow les représente avec une application méticuleuse, une cohérence spatiale d’une case à l’autre, et il rajoute des détails. Ces derniers peuvent être des graffitis sur les rochers, ou des déchets au sol.

Des zombies à découper, comme s'il en pleuvait

Des zombies à découper, comme s’il en pleuvait Dark Horse / Glénat / Futuropolis

Alors que le lecteur s’attend à une forme de pauvreté visuelle du fait de la localisation de l’action, son œil doit déchiffrer et transmettre une myriade d’informations visuelles liées au décor. Darrow applique le même principe sur les zombies. Alors qu’il s’agit d’individus nus et décharnés (= sans grande caractéristique visuelle), ils sont tous singularisés par des particularités anatomiques différentes. Ce degré de méticulosité relève de l’obsession pathologique.

Geoff Darrow refuse le principe d’effectuer un choix dans son mode de représentation. Il refuse la façon de voir qui serait de considérer un dessin comme une représentation simplifiée de ce que perçoit l’œil, comme une photographie dans laquelle l’artiste n’aurait retenu que les éléments qu’il souhaite mettre en avant. Au contraire, il représente avec application et obsession tous les détails, en en rajoutant si possible. Le lecteur regarde donc des dessins comprenant plus d’informations visuelles que son œil ne pourrait en percevoir dans la réalité.

Ce mode représentatif constitue une forme d’exigence qui répond à une attente implicite de certains lecteurs : en avoir pour son argent, avoir le plus de détails possibles, avoir des cases regorgeant de détails jusqu’au maximum. L’un des tours de force réalisés par Geoff Darrow est dessiner ces cases gorgées d’informations, sans qu’elles n’en deviennent illisibles. Par comparaison avec n’importe quelle autre bande dessinée, le lecteur est stupéfait par la lisibilité et la densité d’informations.

Bien sûr, cette forme graphique exige une attention soutenue de la part du lecteur. Il en a pour son argent, mais l’écœurement n’est pas loin. Il peut (1) soit s’arrêter à une impression globale de l’image (la position du cowboy Shaolin, son geste, la position des zombies qui l’entourent), (2) soit décider d’assimiler tous les détails.

Tout est représenté, sans omission

Tout est représenté, sans omission Dark Horse / Glénat / Futuropolis

Dans le premier cas, il regarde un monsieur un peu bedonnant débiter des zombies au kilomètre. C’est une lecture un peu particulière qui permet d’apprécier le sérieux de l’engagement de Darrow dans son histoire. C’est un long combat d’un guerrier maîtrisant des techniques d’arts martiaux légèrement exagérées, contre des créatures sans âmes. Darrow raconte ce combat, sans raccourci, sans rien épargner. Il conçoit une mise en scène sophistiquée, avec une chorégraphie intelligente. Le lecteur peut reconstituer chaque mouvement du cowboy Shaolin, chaque déplacement. Chaque suite de cases respecte la logique des déplacements, l’emplacement de chaque obstacle, la position de chaque zombie.

Darrow est un metteur en scène exigeant et intelligent : le déroulement de chaque scène est planifié avec rigueur de manière à ce que chaque mouvement ou déplacement s’enchaîne de manière naturelle. En fonction que l’implication du lecteur dans ce genre de séquence (un combat de 120 pages), il trouvera soit le temps long, soit une expérience de lecture où l’artiste s’est investi totalement dans la création d’une séquence toute entière dédiée à ce combat.

Plus le lecteur a une culture de ce genre très pointu, plus il sera à même d’apprécier l’exploit graphique réalisé par Geoff Darrow. C’est hors norme. C’est le développement logique d’une passion démesurée pour les combats mêlant arts martiaux sublimés, et opposants sans âme (= chair à canon qu’il faut exterminer, sans avoir de remord).

Finalement cette première approche de lecture (sans trop s’attarder sur les dessins) conduit le lecteur à prêter attention à certaines cases. Ce tome contient en particulier un plan séquence hallucinant de 44 pages pendant lequel le cowboy Shaolin se sert de son bâton-tronçonneuse pour exterminer les zombies qui n’arrêtent pas d’affluer vers lui. C’est long, c’est très long. C’est au-delà de l’obsession, c’est engagement total, vital dans la création d’une scène ultime, indépassable. C’est aussi idiot et inutile, que formidable et magistral.

Un combat, ça se prépare

Un combat, ça se prépare Dark Horse / Glénat / Futuropolis

Ces 44 pages composent 22 doubles pages comportant chacune 2 cases superposées, de la largeur de la double page. La qualité de l’édition fait qu’aucun détail n’est perdu dans la pliure grâce à une reliure qui permet d’ouvrir l’ouvrage complètement, sans crainte de l’endommager (attention exceptionnelle portée à la qualité de finition). Seul le lecteur bien préparé (d’un point de vue mental) peut se révéler digne de cette séquence.

Seul un lecteur totalement impliqué dans ce sous-sous-genre ultra-pointu peut trouver la force de s’impliquer dans cette séquence. Soit il accepte et il veut détailler chaque case, chaque jambe de zombies (il y a des tatouages), chaque déchet au sol, chaque membre tranché, chaque posture gauche de ces créatures, chaque pas en avant, chaque moulinet du cowboy Shaolin, chaque giclée de sang (permettant de visualiser la trajectoire des tronçonneuses), chaque progression de cafard, et il s’immerge alors dans un combat d’anthologie dont il ne perd aucun détail. Soit il refuse cet investissement de concentration et d’attention, et il se demande pourquoi il perd son temps à lire ça. Ce récit n’est pas pour les tièdes. L’implication totale de Geoff Darrow, son investissement et sa compétence artistique exigent un investissement à la hauteur de la part du lecteur.

Ce récit n’est pas à destination de lecteurs à la recherche d’une intrigue sophistiquée. D’un côté, elle tient sur un timbre-poste. De l’autre côté, une séquence ou deux laissent supposer que Darrow a peut-être réorienté son récit en cours de route (les 3 pages incongrues consacrées à la station spatiale). L’intrigue réside dans la conception et la réalisation de cet affrontement sans équivalent connu dans l’histoire de la bande dessinée.

Geoff Darrow a conçu et réalisé un monstre, à réserver à des lecteurs avertis. Ce n’est pas la conséquence de la violence, ou de l’intrigue riquiqui. « Shemp buffet » raconte un combat dans ses moindres détails, avec un mode narratif des plus exigeants, hors norme, proche de la folie, réservé à des lecteurs consentants et expérimentés. Contrairement aux apparences de combat décérébré, ce récit est une preuve concrète du refus de la médiocrité, du refus du politiquement correct, du refus du tiède, du refus du conformisme, du refus de la facilité. C’est une ode à l’exigence, à l’excellence, à la maestria. Avec Geoff Darrow l’essentiel est à rechercher dans le superflu, cette chose très nécessaire comme le disait Voltaire.

Un combat chorégraphié au millimètre près

Un combat chorégraphié au millimètre près Dark Horse / Glénat / Futuropolis

 

41 comments

  • Tornado  

    Purée ! les scans (et aussi l’article) sont impressionnants ! On va dire que, de bon matin, ça réveille !

  • Yuandazhukun  

    Darrow c’est vraiment splendide quand même ! Merci Présence superbe article !!!

  • Jyrille  

    Je l’ai déjà dit mais cet article est époustouflant. Je vais finir par me prendre ce Shaolin Cowboy en VO et c’est tout car les précédents sont introuvables ou hors de prix.

    • Présence  

      En outre, Dark Horse a vraiment fait un excellent travail d’éditeur pour cet album : pas besoin d’écarter les pages (au risque qu’elles se détachent) pour pouvoir apprécier les images qui s’étalent sur 2 pages.

      • Jyrille  

        Ca y est, je l’ai lu. Je suis un peu débordé en ce moment du coup j’ai trois articles de retard, j’ai vraiment du boulot à rattraper, vos commentaires, l’article que j’ai commencé…

        J’ai été faible, sachant qu’il sortait en VF chez le format un peu grand de Glénat, j’ai attendu qu’il soit dispo. Et je ne suis pas mécontent. J’ai été totalement bluffé par le dessin de Darrow et par son jusqu’au boutisme. Bizarrement, par rapport à tout ce que je connaissais de lui, j’ai eu deux sentiments contradictoires : la certitude d’être en face du même auteur, dont le dessin n’est pas très différent de Hard Boiled, mais également l’influence flagrante de Moebius m’a sauté aux yeux très rapidement.

        Dans la VF, il y a le même texte introductif très drôle et complètement déjanté, plein d’inventivité et de non-sens, mais également une interview de Darrow qui date d’août 2015. A ma grande surprise, j’y ai appris qu’il était un grand fan de Moebius, avec lequel il était devenu ami ! De manière générale, l’interview est très intéressante mais un peu courte. C’est étonnant à quel point cette bd fournit de la matière à discuter alors que son scénario tient en quelques mots. Pour cette raison et pour la maestria de Darrow (on est très très loin de son copieur Ryp), dans le mouvement, les détails, l’univers unique, le ton étonnant, ce Shaolin Cowboy est une oeuvre très forte, totalement artistique car oeuvre d’une vision d’un seul artiste. C’est également pour cette raison que j’espère que Tornado va s’y mettre, car c’est clairement pour lui. A moins que ce soit déjà le cas, Tornado ?

        A nouveau, un grand merci pour ton article qui est absolument parfait, Présence : je peux tout remettre sur ce que j’ai lu, et je suis complètement d’accord. Seul problème : je l’ai lu un peu rapidement, il va falloir que je me le refasse. Mais j’ai été happé du début à la fin.

        • Présence  

          Merci pour le compliment, mais fort heureusement la perfection n’est pas de ce monde, on peut toujours faire mieux, et il y a autant d’avis qu’il y a de lecteurs. Ceci dit, content que ça t’ait plu.

  • JP Nguyen  

    Présence : les articles d’hier et celui d’aujourd’hui sont très intéressants car ils donnent à voir un point de vue assez particulier sur cette BD au scénario minimaliste pour une débauche de violence retranscrite dans ses moindres détails.
    C’est au travers de telles analyses qu’on peut affirmer que certaines BD sont des oeuvres d’art et pas juste des storyboards pour pitcher des films (n’est-ce-pas, Mister Millar ?).
    Cependant, je ne sais pas trop quoi en penser, en fait. Autant j’admets tout à fait la prouesse technique et artistique, autant je reste dubitatif de l’intérêt de ce genre d’histoire pour moi, en ce moment. Je recherche plus des histoires que de belles illustrations (enfin les deux ensemble, c’est mieux). Et la maîtrise de l’art séquentiel et de la narration propre aux comics ne me suffisent pas si il s’agit de raconter une histoire trop simple. Donc, étant donné les prix assez élevés de ces BD et leur relative rareté, je crois que je vais passer mon tour. Cela n’enlève rien à ta critique qui est très stimulante intellectuellement, alors qu’il est malheureusement probable qu’une bonne part du lectorat qui aurait juste feuilleté ces BD se soit arrêté aux simples images et catalogué ce récit comme baston bourrine sans intérêt.
    Un dernier mot pour saluer le boulot des coloristes qui ont du s’employer pour donner du volume à cet embrouillamini de traits sans aplats noirs.

    • Présence  

      Je ne sais pas trop quoi en penser. – Moi non plus, au départ, je ne savais pas quoi en penser. J’ai pris ce tome parce que je savais que Geoff allait en mettre plein la vue, mais sans avoir beaucoup d’intérêt a priori pour 110 pages de baston contre des zombies.

      Pourtant, je suis ressorti de ma lecture enchanté. Indépendamment de ta remarque, il y a une formule qui m’a toujours laissé interdit : « il ne se passe rien dans ce bouquin ». Ici, on peut résumer l’intrigue par : Shaolin Cowboy débite des zombies et puis ça s’arrête faute de combattants. Pourtant, il y a bel et bien 127 pages avec des dessins, des actions, des mouvements, etc. Il se passe pleine de choses.

      Effectivement pris au premier degré, c’est une histoire simple. Mais que raconte-t-elle ? Elle raconte un artiste impliqué dans une narration sans concession, ni commerciale, ni narrative, ni mercantile, etc. Il est facile d’assimiler Shaolin Cowboy à Geoff Darrow réalisant ces pages envers et contre tous, contre les habitudes des comics, contre les artisans se contentant de satisfaire les exigences de Marvel et DC, contre le politiquement, contre les règles de l’art, etc. En ce sens, « Shemp buffet » constitue un plage de liberté incroyable, une implication totale et sans retenue, une belle leçon.

    • Présence  

      Mon article était déjà très long, sinon j’aurais effectivement dû ajouter 2 paragraphes sur le travail de Dave Stewart : un boulot aussi complexe et délicat que celui du dessinateur.

  • Matt  

    Décidément, je remarque que JP Nguyen m’ôte les mots de la bouche assez fréquemment. Ou du moins exprime une opinion que je partage. Je ne suis pas certain de trouver un très grand intérêt à ce genre d’histoire, malgré le travail graphique que je reconnais impressionnant. Mais il est vrai que c’est un boulot incroyable qui mérite qu’on y porte attention. Après de là à acheter la BD…bof.

    Je suis content d’en entendre parler sur ce blog (et je crois avoir déjà vu des planches sur un autre site, mais j’ignore où) et ton commentaire met bien en évidence l’intérêt de cette BD. Ce n’est juste pas forcément ce que je recherche.

    J’ajouterais juste que je suis capable d’aimer une BD principalement pour le graphisme (même si bien sûr couplée à une bonne histoire c’est toujours mieux), mais dans ce genre de cas, je préfère encore des illustrations peut-être plus « figées » mais qui font avancer l’intrigue plus vite, rien que pour la diversité des illustrations. J’entends par là qui ne détaillent pas une action qui dure 30 secondes au même endroit sur 40 pages. Attention, je ne dénigre pas, c’est justement l’originalité de cette idée qui rend la scène digne d’être mentionnée, mais je ne pense pas attacher assez d’importance à la prouesse que représente la réalisation d’un plan séquence en BD. Même si c’est classe.

    Même au cinéma, quand on m’a dit qu’il y avait un plan séquence très long dans « les fils de l’homme », je dois avouer que je n’avais même pas remarqué lors du premier visionnage. Pourtant j’aime le cinéma, et j’ai déjà filmé et monté des courts métrages amateurs, mais au delà de la prouesse technique de pouvoir filmer ce genre de plan sans erreur de cadrage et en ayant organisé à la seconde près les événements, je ne trouve pas toujours que ça apporte grand chose au récit.

    • présence  

      Détailler une action dure 30 secondes – Je ne lirais pas des BD qui se spécialisent dans ce genre d’approche. Mais de temps à autre, dans les mains d’un artiste avec un regard personnel, ça peut s’avérer très révélateur. Je me souviens en particulier de Dave McKean s’attardant longuement sur les gestes d’une dame âgée en train de faire la vaisselle à la main dans « Cages ». Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre l’intention de l’artiste, pour trouver pourquoi il avait jugé nécessaire d’accorder autant de pages à ce geste anodin.

      Dans le contexte de « Shaolin Cowboy », le choix narratif devient une expression de l’intention de l’auteur. Comme le dit mieux que moi Lone Sloane ci-dessous, la forme devient le fond du récit.

      • Jyrille  

        Ca me rappelle soudainement qu’une bd de Marc-Antoine Matthieu relate une action de 3 secondes en un long travelling avant. La bd existe également en ligne, où l’on doit zoomer sur l’image pour arriver à la fin. C’est très étrange et original. La BD s’appelle 3″.

  • Lone Sloane  

    Geoff Darrow ou le Martin Handford des comic books?
    L’obsession du détail et la richesse des cases les réunit, et peut-être la quête enfantine des personnages emblématiques de Charlie (décidement…) ou Wally en VO
    trouve-t-elle son écho chez un adulte qui s’abandonne à l’examen attentif d’un carnage interminable de morts-vivants?
    Pour rebondir sur les avis de JP et de Matt, ton avis enthousiaste, me ferait passer outre l’inanité de l’histoire. Tout comme la dithyrambe actuelle sur le nouveau Mad Max, longue course poursuite de 2H magistralement filmée et montée,me donne envie d’aller prendre ma dose d’adrénaline sur grand écran et louer l’énergie juvénile du septuagénaire aussie George Miller. Dans les deux cas, la forme ne serait-elle pas le fond du récit?
    Enfin, Présence, se peut-il que le Shaolin cow-boy soit le meilleur remède au bovarysme?

    • présence  

      Merci beaucoup pour avoir pris le temps de formuler et d’étayer cet avis différent du mien.

      La forme ne serait-elle pas le fond du récit ? – C’est exactement ce que je souhaitais exprimer, sans avoir réussi à trouver une formule aussi explicite et concise.

      Le meilleur remède au Bovarysme – Je ne suis pas sûr d’avoir compris la question (je ne suis pas très familier du concept du Bovarysme). Du coup j’ai été regarder sur wikipedia qui cite Flaubert définissant le Bovarysme: « la rencontre des idéaux romantiques face à la petitesse des choses de la réalité ». Dans ce sens, « Shaolin Cowboy » est bien une forme de réponse de Geoff Darrow montrant qu’il est possible de faire de la BD qui dépasse la petitesse des BD industrielles.

  • Présence  

    Merci beaucoup pour tous vos commentaires, car ils m’ont fait prendre conscience que ce qui m’a tant séduit dans ces récits, c’est le niveau d’exigence de de Geoff Darrow, sa volonté d’aller plus loin (en fait la thématique principale de Vagabond, de Takehiko Inoué).

  • Intello-Bruce  

    Et puis quand même , associer Flaubert et Shaolin Cowboy !!! Certainement ton titre le plus rocknroll Présence !!

    • Présence  

      Se renouveler pour les titres d’article n’est pas toujours facile. Du coup de temps à autre, j’utilise une citation, ou une phrase extraite de l’ouvrage. Le secret du magicien (secret de polichinelle plutôt) : je gardais vaguement en tête l’impression que le mot superflu avait donné lieu à des phrases bien troussées. Il suffit alors de demander à google pour pallier une mémoire défaillante, lacunaire ou trop floue.

  • Bruce lit  

    Bon je l’ai lu hier, avec mon beau dessin de Darrow à la fin….
    C’est clair ! Sans le Comic Con, je n’aurais jamais investi là dedans, il s’agit effectivement d’un combat interminable contre des zombies.
    Pourtant j’ai vraiment aimé. Cette histoire est un tour de force visuel. Pour en donner un exemple, la lecture cet ouvrage m’a pris une bonne journée pour en apprécier tous les détails visuels : la décomposition des mouvements du Shaolin n’ayant d’égale que celle des zombies. Il est possible de décomposer le combat en 4 actes : la fuite, le combat à la perche, le combat aerien, et la finition manuelle.
    Le manque de dialogues, d’intrigue, d’explication ajoutent finalement à l’urgence de la situation: un type calme se fait attaquer par des milliers de zombies ! Ceci pourrait le départ d’une séquence de jeu vidéo ou le point d’orgue d’un film hollywoodien à la con qui s’embarrasserait de milliers de détails pour nous vendre sa came. Pas ici ! Malgré la multitude de détails, Darrow vise l’épure. Ce qui est fondamentalement honnête de sa part. Car les fatalités envers les zombies font partie du plaisir du genre.
    Et puis le cliffhanger quoi ! Que va t’il se passer ? si je l’avais lu avant, j’aurais posé la question samedi à Darrow vu qu’on était bien potes !
    Merci en tout cas de cette découverte. je n’aurais pas investi là dedans sans le souvenir de ton article dithyrambique.

    (par contre, en relisant ton article, il faudrait se décider si la citation portant sur le superflu est de Flaubert (dans le titre) ou de Voltaire (la dernière phrase) !)

    • Présence  

      Facile : ce sont 2 phrases différentes, donc 2 citations différentes, chacune d’un de ces auteurs.

      La lecture cet ouvrage m’a pris une bonne journée. – C’est le résultat assez paradoxal auquel j’ai été confronté : pas de dialogues, et pourtant une lecture très copieuse, une fois qu’on rentre dans le trip narratif de l’auteur.

      T’es-tu interrogé comme moi, sur la scène qui arrive comme un cheveu sur la soupe, dans le satellite spatial ?

      La question que j’aurais bien posée à Darrow est de savoir pourquoi il a choisi de rééditer le premier tome en auto-édition, le rendant ainsi difficilement trouvable pour le lecteur lambda de comics.

      • Lone Sloane  

        Je profite de votre échange pour te dire tout le bien que je pense de ton « exégèse » amazonienne du Vagabond de Takehiko Inoue, Présence. Et, cette présente chronique sur un long combat virtuose d’un autre grand dessinateur me semble une bonne passerelle avec les terribles volumes 26 et 27 des aventures de Miyamoto Musashi que tu viens de chroniquer.
        C’est très stimulant de revisiter cette saga sous ta plume et je fais le voeu qu’une fois cette longue tâche achevée et digérée, tu auras envie d’en faire une synthèse avec de beaux scans du côté de chez Bruce.

        • Présence  

          Je regardais hier une interview de Geoff Darrow effectuée ce week-end au Comic Con et il expliquait qu’une de ses nombreuses influences était les mangas, en particulier pour le nombre de pages dont ils disposent, et la possibilité de faire durer un combat sur des dizaines de pages. Par contre, il ne citait pas Takehiko Inoué.

          Bruce m’a déjà proposé de transposer les commentaires de Homunculus par Hidéo Yamamoto, mais le format du site se prête mal à la longueur de ce type de manga, et à leur densité narrative. J’aurais l’impression de ne faire que du survol, et de ne pas réussir à faire honneur à l’œuvre.

          • Bruce lit  

            L’interview donnée à la fin de Shaolin Cowboy précise la dévotion de Darrow à l’univers de Dragon Ball ! Yeah !
            Par contre, je n’ai pas pu aller au bout de l’interminable résumé….

          • Lone Sloane  

            Je comprends la difficulté et respecte ton inquiétude de ne pas rendre l’hommage nécessaire à l’oeuvre. Mais la beauté et la qualité des matériaux (et c’est aussi le cas pour Homonculus) est telle qu’il me parait dommage de ne pas en faire profiter les lecteurs du site. Ne sous-estime ton habileté et la nécessité de malmener ces oeuvres pour diffuser l’essence de leur propos.
            Bon après moi j’ai le rôle facile du gars qui s’invite à table sans avoir amener à manger…

  • JP Nguyen  

    Bon, j’ai lu « Shaolin Cowboy » ce midi en médiathèque… Punaise, je suis un peu dégoûté de la fin, quand même !
    Présence, tu parles dans ton article de  » refus de la médiocrité, du refus du politiquement correct, du refus du tiède, du refus du conformisme, du refus de la facilité » mais quand même, la chute du récit n’est-elle pas justement le triomphe de la médiocrité ? (de part la tournure des évènements et la personnalité des « vainqueurs » ?)

    • Présence  

      En fait, ce n’est pas la fin. La suite est en train d’être sérialisée et le recueil est attendu pour l’automne 2017.

      De manière un peu moins évasive, la fin m’importait peu tellement j’étais hypnotisé par le tour de force narratif.

      • Bruce lit  

        Tiens je viens de finir son Rusty avec Miller. J’ai bien aimé.

        • Présence  

          Je ne l’ai lu qu’une seule fois, à l’époque de sa première sérialisation et je n’avais pas retrouvé les sensations d’un scénario de Frank Miller. Peut-être le relirais-je un jour, mais je ne suis pas très motivé. Je ne suppose que je n’avais pas été sensible à l’hommage aux séries de robots japonais.

          • Jyrille  

            Je viens de le relire, dans sa nouvelle édition. Je confirme qu’on ne sent pas du tout Miller là-dedans, et que cela m’a fortement rappelé leur Hard Boiled : une intrigue prétexte à un déluge de détails, d’explosions, de robots, de voitures, de monstres. Il y a également une seconde histoire qui n’est que le fait de Darrow et là on sent plus le Shaolin Cowboy. Pour ce dernier, j’ai comme Présence été tellement épaté par le tour de force que la fin ne m’a pas semblé étonnante, juste logique tellement cela semblait ne pas s’arrêter. Par contre je n’ai toujours pas lu Liberty ou Martha Washington.

  • JP Nguyen  

    Ah tiens, je suis tombé sur les Martha Washington à la médiathèque et j’ai trouvé ça plutôt bon. Pas parfait, mais avec un certain souffle, des idées et une bonne exécution.

  • Jyrille  

    Vous l’avez rêvé, je l’ai fait : j’ai testé le click and connect pour vous. Ca marche bien… Je me suis donc pris le tome 3 (sur 3) du SHAOLIN COWBOY chez Futuropolis, le volume 6 des VIEUX FOURNEAUX et le tome deux de L’ÂGE D’OR de Cyril Pedrosa.

    J’hésite toujours à m’offrir le second tome de Shaolin Cowboy chez Futuro puisque je l’ai déjà, en plus petit format, chez Glénat Comics.

    https://www.glenat.com/sites/default/files/liseuse/9782344010990/files/assets/common/page-html5-substrates/page0001_1.jpg?uni=4c54f9dd8bd5014956623bb941a8f203

    • Présence  

      J’ai beaucoup aimé le tome 3 de Shaolin Cowboy, autant que les deux premiers. J’en ai d’ailleurs soumis l’article à Bruce.

      Le tome deux de L’âge d’or est dans ma liste d’achat, mais mon plaisir est plus grand quand je peux aller moi-même le chercher et en profiter pour flâner dans les rayons de la librairie. Je patienterai donc. Et puis ma pile à lire est bien achalandée.

      • Jyrille  

        Merci pour ton retour ! Note que la mienne aussi (je dois être à 150 bds à lire environ, dont des pavés…), mais j’achète dès que ça sort maintenant. Je n’ai pas pu flâner dans les rayons (avec une énorme envie de me prendre, par exemple, les deux nouveaux Donjon sortis hier), mais je suis allé devant la librairie où une petite table était dressée, on a pu un peu discuter avec la libraire et deux autres clients, ce furent 10 minutes sympas.

  • Jyrille  

    Collect pas connect ^^

  • Jyrille  

    Je viens de relire HARD BOILED de Miller et Darrow dans la réédition Futuropolis. Bon sang j’ai bien fait de la prendre. Les couleurs sont de Dave Stewart, alors que dans mon édition en deux tomes de chez Delcourt, elles sont de Claude Legris, et y a pas photo (j’ai comparé les deux, parce que ça faisait une paie que je l’avais pas ouverte). Sans parler du plus grand format. Encore meilleure donc.

    • Présence  

      Voilà qui m’incite à racheter Hard Boiled car j’avais beaucoup aimé. Mon commentaire de l’époque :

      Cette histoire est parue pour la première fois en 3 épisodes publiés de 1990 à 1992 par Dark Horse comics. La raison de cette publication étalée se voit clairement : Geoff Darrow (l’illustrateur) a eu besoin d’énormément de temps pour terminer ses planches. N’hésitez pas à utiliser la fonction « cliquez pour feuilleter » pour avoir un premier aperçu de l’obsession maniaque du détail qui tenaille Darrow. Dès le début, le lecteur est assailli par les pleines pages qui abondent dans cet ouvrage. La majorité desdites pleines pages regorgent de détails jusqu’à l’overdose. Lorsque la voiture traverse le mur, le lecteur se trouve face à une pleine page gorgée d’éléments minutieux. Sur cette page il y a donc la voiture qui défonce le mur ; il y a au bas mot 60 briques de dessinées, chacune d’une forme différente attestant de l’impact particulier qu’elle a subi. Il y a une quinzaine de couples en train de copuler sur l’estrade prévue à cet effet, chacun dans une position différente. Il y a également quatre-vingt spectateurs au bas mot, chacun différent de son voisin en termes de visage, de coiffure, de vêtements, de posture, etc. Et le lecteur découvre au fur et à mesure de l’observation de cette pleine page des activités secondaires inattendues allant de la blague visuelle à la provocation politiquement incorrecte, voire trash (saurez-vous repérer le vibromasseur ?). Et en dessinateur consciencieux, Darrow a également pris soin d’intégrer les descentes d’eaux pluviales, ainsi que les câbles alimentant en énergie ce secteur. Et comme il ne manque pas d’humour, il a affublé chacun des spectateurs d’un bandeau noir sur les yeux pour que le lecteur ne puisse pas les identifier. On peut quand même s’interroger sur les intentions de la dame habillée qui s’apprête à utiliser une tronçonneuse souillée. Darrow fait également preuve d’une composante méchamment punk. Il éparpille dans ses illustrations des attaques sur le mode de vie américain (pour ma part j’ai beaucoup apprécié le distributeur automatique d’armes à feu). En faisant attention, vous repérerez également quelques références à d’autres œuvres de Miller (par exemple un logo de la Pax en provenance directe des aventures de Martha Washington ). En plus de ces pleines pages et doubles pages, il y a des séquences plus traditionnelles de suite de cases qui sont tout aussi efficaces et tout aussi bourrées de détails. Le lecteur ne dispose que de quelques pages en petit nombre pour se reposer les rétines et elles sont assez espacées les unes des autres. Cette histoire ne se lit donc pas comme les autres bandes dessinées ; il faut beaucoup de temps pour déchiffrer chaque illustration, et les visuels comprennent plus de provocations que le scénario. Cette surcharge d’informations visuelles peut rebuter.

      À l’époque, Frank Miller a clairement indiqué qu’il arrêtait de travailler pour Marvel et DC comics pour se lancer sur des projets plus personnels pour lesquels il garderait les droits d’édition. Son premier acte a été de trouver un nouvel éditeur : Dark Horse, puis des dessinateurs pour travailler sur ses projets. À la lecture des 2 premiers épisodes, le lecteur est en droit de se demander s’il existe un scénario pour cette histoire. Tout n’est qu’une suite de confrontations entre Nixon et 2 opposants aussi implacables que lui, tout n’est que prétexte à débauche de matériaux brisés, d’objets et de bien matériels fracassés et d’êtres humains déchiquetés. Arrivé aux deux tiers de l’ouvrage, le lecteur est en droit de penser que le scénario tient sur un timbre-poste et que le dernier tiers n’apportera qu’une baston extrême de plus. Eh bien, sans rien révéler, je puis vous dire qu’il n’en est rien. Bien sûr, Miller a écrit surtout pour que Darrow puisse solliciter nos rétines au-delà du raisonnable, mais au-delà des fracas incessants il y a bien une histoire avec une fin claire et sans concession. Toute cette violence démesurée est l’expression d’un conflit qui n’est révélé qu’à la fin qui s’avère bien noire.

      • Jyrille  

        Merci Présence, car je ne puis qu’abonder dans ton sens. Très bonne analyse, il faudra que je la rouvre pour trouver le distributeur d’armes à feu. Et ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai fait le rapprochement avec Martha Washington, à l’époque, je ne les avais pas encore. Et je dois toujours les lire.

  • Fletcher Arrowsmith  

    Salut,

    je suis justement en train de terminer les SHAOLIN COW-BOY édités par Futuropolis (3 tomes) avec Le jambon, le bouddha et le tourteau (quel titre).

    En effet la colorisation de Dave Stewart ainsi que le grand format font pour beaucoup dans l’appréciation. Le tome 2 est limite un art book.

    • Jyrille  

      J’ai déjà le second tome (et lu, il correspond à cet article), mais pas dans l’édition Futuropolis, celle de Glénat je crois. Et je crois bien que je finirai par acquérir cette édition.

    • Présence  

      @Fletcher Arrowsmith

      Le site comprend un commentaire pour chacun des 3 tomes de Shaolin Cowboy.

  • Jyrille  

    En les lisant à la suite, je me rends compte que le second tome commence six ans après la fin du premier : dans l’histoire, le Cowboy a passé six ans dans les entrailles du monstre à se battre contre la horde de zombies. Je ne savais pas qu’il s’était effectivement passé six ans entre la fin de la première histoire (2007) et le début de la seconde (2013).

    Sinon ton article est toujours sensationnel et dit tout ce qu’il faut. Je suis tellement content de pouvoir profiter à la fois de ce genre d’ouvrage, de sa lecture comme de son existence, et à la fois d’une analyse aussi pointue que la tienne : comme dans BIG GUY ou HARDBOILED, malgré des scénarios ultra basiques, le lecteur se retrouve devant une oeuvre politique où la culture prévaut, où les détails font sens tout en étant impossibles ou presque. L’accumulation de mégots de clopes et de canettes de boissons énergétiques ou de soda constitue un manifeste à elle seule.

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