La coiffe de naissance par Alan Moore & Eddie Campbell
AUTEUR : PRÉSENCE
VO : Top Shelf productions
VF : éditions ça et Là
Ce tome comprend un récit complet indépendant de tout autre, initialement paru en 1999, sous forme d’une bande dessinée de 49 pages. À la base, il s’agit d’une performance unique d’Alan Moore (réalisée le 18 novembre 1995), récitant un texte de sa composition, accompagné de musique, devant un auditoire. Ayant écouté l’enregistrement sur CD, Eddie Campbell lui a proposé de le transposer en bande dessinée. Ils avaient précédemment travaillé ensemble de 1988 à 1998 pour réaliser From Hell. Campbell est également l’auteur d’une bande dessinée entre autobiographie et autofiction : Alec: The years have pants. La présente performance a été rééditée dans A disease of language, qui comprend également une autre adaptation d’une prestation scénique d’Alan Moore (Snakes & ladders), et une longue (une vingtaine de pages) interview de Moore réalisée par Campbell.
La traduction française est de Jean-Paul Jennequin
L’ouvrage commence par un dessin non figuratif en double page, comprenant un poème en prose sur la coiffe de naissance, ainsi que les références de la représentation d’Alan Moore en 1995. La page suivante, la narration prend une forme plus traditionnelle à base de cases, évoquant le décès de la mère d’Alan Moore, et la découverte de la coiffe céphalique (partie de la poche des eaux qui recouvre la tête du fœtus au moment de l’accouchement) de celle-ci dans ses affaires.
La narration met ensuite en scène Alan Moore dans la salle principale de l’Old Country Court à Newcastle-upon-Tyne où il effectue son discours. Il évoque alors l’histoire de cette ville dont le fait qu’elle soit située sur le tracé du Mur d’Adrien. Il est question de l’évolution de la société jusqu’à l’industrialisation, puis l’intervention revient à la coiffe de naissance, à sa symbolique multiple et aux étapes incontournables de la vie d’un homme en Angleterre urbaine, dans la deuxième moitié du vingtième siècle.
Il faut bien reconnaître que cet ouvrage est intimidant. Pour commencer, le texte d’Alan Moore (certainement adapté par endroit, mais dans une mesure qu’il n’est pas possible de déterminer) présente une forme complexe. Il s’agit le plus souvent de poésie en prose sur la base de nombreuses associations d’idées, fonctionnant sur le principe de registre lexical permettant d’altérer le sens général des mots en les employant dans un contexte inhabituel. Le niveau de vocabulaire peut également représenter un défi, même pour un anglophone expérimenté. Ensuite, Eddie Campbell a également recours à un registre graphique étendu, allant de l’esquisse légère à la représentation quasi photographique, en passant par des toiles de maître, ou des photographies retouchées.
Le lecteur plonge donc dans cette narration des plus personnelles, bien content de bénéficier d’une mise en images qui va l’aider à saisir le sens de nombreux propos. Le texte d’Alan Moore semble suivre des méandres discernables par lui seul. Il revient à plusieurs reprises sur l’objet que constitue la coiffe céphalique, pour y trouver à chaque fois de nouveaux sens, en tant que symbole. Ce résidu de la poche amniotique est tour à tour vu comme un morceau des entrailles de la mère, un filet, une carte génétique, un vestige de la matrice, un sac plastique (comme celui dans lequel on peut acheter un poisson rouge), ou même une preuve d’un crime commis par les parents (faire venir au monde un nouvel être humain). À partir de chaque nouvelle interprétation, l’orateur peut alors suivre un nouveau fil conducteur.
A bien y regarder, le lecteur peut quand même déceler la structure du discours. L’auteur commence par un souvenir personnel, celui du décès de sa mère (avec une étrange référence à la puanteur de Lyonesse). Il prend ensuite le soin d’évoquer le lieu où il intervient, évoquant l’évolution de la civilisation avec une très belle image, celle des logos finissant par devenir le motif uniforme de toutes les villes d’Angleterre. À partir de là, il peut constater que l’individu est prisonnier de l’instant présent Il évoque alors l’évolution du jeune adulte, les points de passage obligés de sa vie, communs à tous les jeunes adultes (mâles, parce que le point de vue est celui de l’expérience du narrateur, lui-même de sexe mâle), pour mettre en perspective la nature de la vie d’un individu.
Le lecteur constate qu’Alan Moore évoque aussi bien la rébellion adolescente que les premiers émois amoureux, ou encore la conviction d’être formaté par un système éducatif castrateur. Il faut rentrer dans le moule, et chaque individu doit faire appel à ses capacités d’adaptation pour se conformer dans une société normalisatrice. L’auteur présente chacune de ses expériences comme des points de passages imposés par la société, des rites d’intégration subis et non pas voulus.
Moore réduit le cycle circadien à 2 fonctions : on travaille et on dort. Il adopte un ton factuel (s’installer chez soi, regarder la télévision avec sa douce, rentrer dans le traintrain du sexe tous les vendredi soirs, se montrer poli avec tout le monde y compris ceux que l’on méprise, etc.), avec une position à la fois résignée et quelque peu condescendante. Il s’en dégage un ton oscillant entre une forme douce de mépris compatissant et une inéluctabilité affectée, flottant dans un léger cynisme, une acrimonie résignée.
Ayant constaté l’impasse d’une telle direction analytique (la mort étant certaine au bout du chemin), Alan Moore choisit alors de rebrousser chemin (à partir de la page 30 de la BD), en remontant le cours de la vie vers la naissance. Il avait déjà utilisé ce point de vue avec une grande efficacité dans l’une de ses histoires courtes écrites pour 2000 AD. L’effet est saisissant, car Moore donne vraiment l’impression que l’écoulement du temps a changé de sens et que l’individu vit sa vie pour aller vers une issue tout aussi inéluctable qu’est le néant préexistant à la naissance.
En inversant ainsi la perspective, il plaque les mêmes étapes (perte de l’autonomie, diminution de la compréhension mais ré-enchantement du monde) sur le retour à l’état de nourrisson. Le lecteur se retrouve à réfléchir à ces étapes de la vie, avec un point de vue totalement neuf.
Dans l’introduction, Eddie Campbell explique que lorsqu’il a entendu pour la première fois le CD de ce spectacle, il a été saisi par l’universalité des moment de vie évoqués par Alan Moore, et par le fait qu’il reflétait si exactement sa propre expérience personnelle. C’est la raison pour laquelle il a souhaité prolonger sa collaboration avec cet artiste hors norme de cette manière. Pour le coup, il était certainement l’homme de la situation du fait de sa proximité artistique avec ce créateur, par le biais de leur longue collaboration sur From Hell. À l’évidence, la transposition d’une performance orale dans un autre média exigeait quelques images pour pouvoir pallier l’absence d’intonations, de gestes, et de l’accompagnement musical.
À l’évidence, l’artiste n’a d’autre possibilité que de se mettre au service du texte, d’accepter d’asservir ses dessins au flux poétique. D’un point de vue technique, il s’agit de dessins en noir & blanc, avec des nuances de gris en fonction des cases. La première double page montre un fond gris parcouru de traînées blanchâtres horizontales, avec des rectangles plus foncés en arrière-plan, et des silhouettes d’hippocampes comme tracées à la craie par-dessus, soit une composition non figurative pour servir de toile de fond à un premier poème en prose. La page suivante comprend 4 cases (sans bordure), des dessins à l’encre, avec des nuances de gris. La page suivante apparaît comme des objets accolés les uns aux autres suivant une lecture de haut en bas, avec incorporation de photographies en noir & blanc (de pièces monnaie), légèrement retouchées.
Ainsi, Eddie Campbell puise dans différentes techniques pour concocter des images à l’appui des mots. Certaines sont particulièrement saisissantes : Alan Moore dans la pénombre avec des peintures aborigènes blanches sur la peau, une photographie d’une grande halle industrielle ou celle d’un open-space, une vue de la chambre du premier appartement de jeune adulte, avec une belle affiche de Magritte (Qu’est-ce que le surréalisme ?), un surprenant tsunami dont la vague va s’écraser sur une petite ville, un facsimilé d’une page du journal de David Copperfield, un facsimilé de la Vague de Katsushika Hokusai, un serpent dessiné à la manière des aborigènes… L’artiste met tout son savoir-faire en jeu pour accompagner le flux de la narration d’Alan Moore.
Eddie Campbell doit également faire face à des choix cornéliens. À quelques rares reprises, le lecteur ne peut pas s’empêcher de remarquer que l’artiste a choisi une image qui représente de manière littérale ce qui dit le texte. à d’autres moments, le lecteur se dit qu’heureusement qu’il y a une image parce que sinon le texte serait tellement hermétique qu’il en deviendrait abscons et qu’il resterait lettre morte. À d’autres moments encore, les images réduisent au contraire l’universalité du propos en devenant trop concrètes. Le dosage est effectivement le fruit d’un tâtonnement, d’expérimentation, de ressenti du passeur qu’est Campbell.
Ce tome est une œuvre exigeante qui nécessite que le lecteur prenne une part active dans la lecture, en s’adaptant à la forme, en se laissant porter par le flux du texte et son cheminement particulier, en acceptant les images évoquées par Alan Moore. Par moment, il se félicite de disposer des images dessinées par Eddie Campbell pour y voir plus clair. À d’autres moments, il regrette qu’elle restreigne les niveaux d’interprétations, et qu’elles lui imposent cette vision concrète de l’Angleterre.
Alan Moore et Eddie Campbell invitent le lecteur à regarder la vie d’un jeune adulte d’un point de vue particulier. Il y a à la fois une forme de pragmatisme condescendant, réduisant les expériences de chaque individu à des dénominateurs communs prosaïques et banals (premier appartement, premier baiser avec la langue), et à la fois une forme de lyrisme accompagnant une dimension spirituelle sans religiosité. En fonction de la sensibilité du lecteur, il peut se lasser d’un texte hermétique aux interprétations hasardeuses et aux images soit trop fonctionnelles, soit pas assez explicites, ou se laisser séduire par un point de vue personnel, porté par un talisman original (la coiffe céphalique) dans une structure à chronologique à rebours, ouvrant des perspectives inédites.
Comme toujours Présence je salue ta volonté de présenter des OVNI. Le thème a l’air très intéressant, mais la forme plus intimidante en effet. Surtout que Campbell m’a un peu fâché dans From Hell (en plus c’est encore écrit à la main, grrr…). Mais bon je pensais râler bêtement mais le thème de fond me paraît très bien.
Cela ressemble typiquement à un comics expérimental qu’il faut avoir envie de déchiffrer, motivé par le thème de fond.
Une question quand même : Est-ce que Moore propose autre chose qu’un constat comme quoi la vie nous impose beaucoup de choses et qu’on s’enferme dans un quotidien pour rentrer dans le moule, alors qu’enfant on était plus enchanté par le monde ? J’entends par là que, étant moi-même en quête d’un peu de spiritualité (ça fait bizarre dit comme ça), je lis des choses en rapport avec certaines pratiques psychologiques ou philosophiques qui se rapprochent de pensées bouddhistes comme quoi pour se faire du bien, il faut aussi changer son regard sur le monde et ne pas se laisser bouffer par la haine, la colère, etc.
J’suis loin d’y arriver encore hein, mais c’est pour dire que je suis intéressé aussi quand un auteur ne se morfond pas sur un constat comme quoi tout est noir, à chier, etc (même si ça peut se comprendre qu’on ressente ça)…mais propose une échappatoire, une façon de voir ou de vivre autrement. Est-ce que cette inversion du temps participe à nous montrer justement que notre regard change alors que le monde ne change pas ? Et qu’on pourrait retrouver un peu d’émerveillement qu’ont les enfants ?
Je ne sais pas si je suis très clair…
Est-ce que Moore propose autre chose ? – De mon point de vue (mais biaisé, parce que j’aime beaucoup Alan Moore), je trouve qu’il ne fait que ça. Pour reprendre l’exemple de Watchmen, il propose à la fin une alternative aux superhéros, en la personne de Laurie Juspeczyk et Daniel Dreiberg, soit des êtres humains normaux.
Moore propose également autre chose dans Prométhéa. Tu peux lire l’article de Tornado sur le site, si tu ne l’as pas déjà fait.
Comme le disait hier Bruce, Alan Moore n’est pas un misanthrope déprimé. J’aborde ces œuvres comme une forme de regard analytique sur des conceptions reçues sur la vie, avec une proposition de voir les choses autrement. En observant la vie même d’Alan Moore, on peut voir qu’il n’y a pas de forme de résignation. Il a tracé sa propre voie en tant que magicien et adorateur de Glycon. Je ne prétendrais pas comprendre ce mode de vie ou les croyances et les convictions qui l’ont mené sur ce chemin, mais j’y vois une forme d’engagement, de volonté, et de capacité à sortir du moule.
Voilà la seule « BD » d’Alan Moore qui, pour l’instant, ne m’attire pas. Quoique, après un tel article (un grand merci à Présence, car j’avais déjà lu son commentaire Amazon mais là, il faut dire qu’avec les images ça décolle carrément à des hauteurs vertigineuses !), j’hésite fortement à changer d’avis ! 🙂
A priori, je n’étais pas très intéressé car il ne s’agit pas d’un récit. Hors, je ne lis pas de la BD pour lire de la BD. Ce n’est pas spécialement le medium qui m’attire mais bel et bien une manière de mettre en forme un récit. Disons pour être clair que je désire lire une histoire bien racontée. Et là, il ne s’agit pas d’une histoire au sens classique du terme.
Qui plus-est, la plupart des thèmes abordés dans cette Coiffe de Naissance ont déjà été développés ou au moins évoqués dans « Promethea ». Et c’était déjà un voyage certes fascinant, mais éprouvant !
Superbe article en tout cas. Erudit et sophistiqué. Le début d’une belle série sur les auteurs avec celui de Bruce sur « Top Ten » hier. Vous placez la barre haut les gars ! 😀
Effectivement, il ne s’agit pas d’une histoire, mais d’une réflexion philosophique et métaphysique. En lisant vos réactions (et en repensant à la relation entre scénariste et dessinateur), je me dis que le seul moyen pour faire passer le sens et les nuances du texte d’Alan Moore, résidait dans des dessins et un artiste en phase avec sa sensibilité.
Alan Moore n’a pas dû se contenter de lire son texte, il en a donné une représentation, il l’a interprété. Je comprends après coup qu’il faillait un complément pour que ce texte fasse sens à la lecture, pour interpréter le rôle (dans un autre médium) tenu par Alan Moore lui-même lors de la représentation. On a donc là un exemple de collaboration très étroite entre le dessinateur et l’auteur. C’est bien ce dernier qui impose sa narration, et les dessins qui doivent y être soumis, inféodés. Mais c’est le talent et la sensibilité d’Eddie Campbell qui permettent de trouver des solutions graphiques, des idées visuelles pour montrer la pensée d’Alan Moore sans la trahir (un incroyable défi quand on y pense).
Le problème avec ce genre d’œuvres, que ce soit des BD ou des essais illustrés, c’est que leur portée complexe, cryptique et « intello » n’est pas attirante. On peut trouver des pistes de réflexions, reconnaître en l’œuvre quelque chose de profond et plus ambitieux que d’autres BD…mais sans que ça donne envie de s’y replonger une 2eme fois. J’ai revendu From Hell (bon ok j’avais pas passé un si bon moment que ça donc c’est pas the best exemple) et je songe même à revendre Sandman (assieds toi Bruce, respire calmement !)
C’est une question de divertissement en fait. C’est bien, c’est intéressant, mais c’est surtout le fond qui est passionnant, et ce n’est pas si divertissant que ça. C’est à dire qu’une fois qu’on a perçu le message, je ne ressens pas l’envie de les relire parce que j’ai le sentiment que 80% de ce qui est intéressant est parti. Si encore la partie graphique était splendide, ce serait différent. Promethea a l’air très beau par exemple, donc why not ? A voir. Je lirai l’article.
Avant qu’on me saute dessus, je précise que je ne veux pas dire non plus qu’on peut tout saisir en une seule lecture. Mais il y a dans ces œuvres un aspect froid qui se focalise moins sur les personnages mais plus sur les thèmes de fond, les réflexions, etc. Dans From Hell, on ne s’attache à aucun perso, on s’en fout complètement (enfin c’était mon cas), le dessin est…une question de goûts on va dire. Donc rien ne me donne envie de le relire. Sandman c’était quand même bien mieux. Mais comme je l’avais dit dans mes commentaires, il y a presque trop de persos, certains qui n’ont pas le temps d’exister, certains Infinis qui apparaissent à peine 10 pages. On sent bien que le but n’est pas de les faire exister mais de véhiculer des idées au travers d’eux ou de leurs fonctions, ou d’amener des ressorts scénaristiques. ça m’a frustré dans le sens ou j’en voulais PLUS ! Alors qu’à côté de ça, il y a plein d’histoires courtes intéressantes mais qui donnent encore moins de « temps d’antenne » aux personnages récurrents. Il y a un petit côté « fourre-tout »
Portée complexe, cryptique et intello – Effectivement, pour moi, La coiffe de naissance ne fut pas facile d’accès, et j’ai dû m’y reprendre à 3 fois pour aller jusqu’au bout, pour réussir à m’adapter au rythme de la narration. Je trouver que Bruce à raison de souligner qu’Alan Moore fait des efforts manifestes pour toucher le lecteur. Il ne se sert pas d’effets racoleurs ou démagogiques, mais il fait le nécessaire pour montrer l’universalité de son thème, pour parler à des ressentis communs au plus grand nombre. Je ne peux que reconnaître que la narration est complexe (puisque j’y ai été en butte), mais elle ne me semble pas cryptique parce que l’auteur adopte une démarche pédagogique en expliquant son propre ressenti et son cheminement intellectuel. Elle est un peu restrictive parce qu’il parle en tant qu’individu blanc de peau, mâle et anglais de la fin vingtième siècle.
C’est une question de divertissement. – La coiffe de naissance relève plus d’une expérience émotionnelle et même sensorielle que d’un divertissement. En tant que lecteur boulimique de BD, j’apprécie de pouvoir lire dans mon médium de prédilection (et de temps en temps) autre chose qu’une aventure ou qu’un thriller.
À la fin de la lecture de La coiffe de naissance, je suis bien incapable d’en transcrire toutes les sensations ou toutes les associations d’idées. Du coup, je ne partage pas ton avis sur les 80%. Ou alors, il en va de même pour un récit d’aventures pour lequel je retiens aussi au moins 80% de l’intrigue, ce qui fait autant d’intéressant de parti.
Finalement je reste majoritairement un lecteur de récit de divertissement, mais j’apprécie de temps à autre de pouvoir lire autre chose, pourquoi pas une présentation philosophique à base d’association d’idées et de poésie en prose.
Le teaser du matin :
« The Auteurs » 1/6
Lorsque un Stand Up d’Alan Moore donne lieu à un album avec Eddie « From Hell » Campbell, il convient d’y prêter attention. Présence est bien sûr au taquet et vous relate son expérience de lecture de cette « Coiffe de naissance ».
Comme Alan Moore, Roger Waters sait trouver les mots pour dénoncer notre aliénation et transformer sa souffrance individuelle en expérience universelle. https://www.youtube.com/watch?v=YR5ApYxkU-U
@Présence : Respect ! Pour avoir feuilleté cette chose en librairie, je l’ai reposé en me disant que sa complexité risquait de m’échapper, moi qui n’ai déjà pas tout saisi des derniers Gentlemen…Merci pour cet article minutieux et éclairant donc, défricheur de territoire où peu iront (je doute que ce soit un Best Seller malgré tout mon respect pour Moore), et ce, connaissant ton aversion pour la VF, après l’avoir lu, j’imagine en Anglais….
Donc, en première considération, je passe, car de loin comme ça, les illustrations de Campbell collent parfaitement au propos d’un truc obscur, étrange, ésotérique ce que je fuis en général…Pourtant, pourtant, ton article contribue à me faire réfléchir à ce que j’attends en tant que lecteur ? Une énième couillonade Marvel All Nul, all different-machin-truc ou un écrit me permettant de me faire avancer en tant qu’être humain ?
J’admire Moore qui peut se permettre à ce stade de sa carrière, de faire comme Mazzucchelli et de forcer le passage de l’indépendance totale et continuer à exister un peu seul dans son coin quand le divertissement montre ses limites.
D’un point de vue narcissique, je me félicite de trouver des points commun entre Alan Moore et Roger Waters que j’avais déjà pointé pour mon article surThe Wall , notamment sur la normatisation que la société cherche à produire via l’école. Merci donc à toi pionnier du territoire des ombres Présence !!!
@Matt: revendre tes Sandman ? Je peux comprendre ta démarche et tes arguments sont valides. J’aurai aussi aimé connaître d’avantage Despair chez les Infinis. Globalement il m’arrive de donner ou de revendre ce que je n’aime pas. Parc contre, il m’est impossible de me séparer des trucs en lien avec mon plaisir de lecture et leurs sensations. Ce serait comme jeter une photo qui n’a plus aucun sens au moment où on l’a regarde. J’ai découvert Sandman il y’ a 20 ans. J’avais tout relu il y a 10 ans en VO. J’ai réinvesti dans la VF Urban et suis tranquille pour les 10 prochaines années…
Tiens, sinon, un document rare : alan Moore chantant sur scène avec des mouvements de tête qui rappellent ceux de Mc Cartney !
Je ne revends pas seulement ce que je « n’aime pas ». Parce que Sandman est très bon. Mais je peux revendre des choses que j’ai aimées mais que je ne me sens pas de relire avant 15 ans en effet.
On entre dans un terrain encore une fois très subjectif. Je ne cherche donc à convaincre personne, mais juste exposer mon ressenti. Pour moi, une œuvre complexe et difficile à comprendre, à cerner, qui fait réfléchir, j’ai du mal quand c’est illustré dans un style « conceptuel », « impressionniste » (pour ne pas dire « moche » des fois) Parce que j’ai besoin que quelque chose m’accroche pour avoir la motivation d’aller au bout. Si je trouve que ce n’est pas de mon goût graphiquement et que j’ai du mal à entrer dans le récit et à comprendre, j’aurais tendance à laisser tomber. ça n’a pas été le cas avec Sandman parce que le dessin est quand même pas mal. Même si ce n’est pas trop ma came non plus.
Et contrairement à Tornado, je ne pense pas que From Hell aurait perdu en impact avec un autre style graphique plus plaisant. C’est évidemment impossible à prouver. Il faudrait pour cela qu’il existe une autre version par un autre illustrateur et que les connaisseurs de la première version puissent redécouvrir le récit sans a priori…c’est donc impossible.
Mais au delà du style du dessinateur, il y a les idées visuelles. Je n’ai pas lu l’article sur Promethea encore, mais en jetant un œil aux scans, je trouve les dessins beaux, et même lorsqu’ils représentent des choses très abstraites et psychédéliques.
Je confirme que je l’ai lu en anglais.
Qu’est-ce que j’attends en tant que lecteur ? – Ce questionnement fait écho à mes propres interrogations qui reviennent à intervalle régulier. Depuis quelques années, je constate que j’ai fortement revu à la baisse le pourcentage de comics de superhéros dans mes lectures. Cependant je continue à y rester attaché pour leur valeur de divertissement et je suis incapable de ne lire que des ouvrages intellectuels, fussent-ils en bandes dessinées. Par exemple, je repousse depuis plusieurs mois la lecture de Snake & ladders, la deuxième performance d’Alan Moore, également adaptée par Eddie Campbell.
Matt, tu as raison, ce type de comics ou de BD ne relève pas du divertissement. Pour moi, elles font partie (certaines) de ces oeuvres que l’on étudie à l’école, voire à l’université. Elles peuvent être comparées aux oeuvres de l’Histoire de l’art que l’on visite dans les musées ou à de la littérature au sens noble, c’est-à-dire qu’elles appellent à être étudiées et analysées.
Pour ma part je suis tenté de dire que j’aspire à un juste milieu : Une oeuvre d’auteur qui est aussi une oeuvre de divertissement. C’est la cas de Watchmen, des films d’Hitchcock, des livres de Tolkien. Par exemple.
Maintenant je préfère, s’il faut choisir, le truc d’intello. Et pour être honnête, je vais et je viens, souvent entre les trucs d’intello et les divertissements à la con. Et au final je fais le malin en disant que les trucs d’intello sont bons (souvent mais pas toujours parce que des fois ça peut aussi être intello et nul), et que les divertissements à la con sont nuls (souvent mais pas toujours parce que des fois ça peut aussi être à la con et bon), même si c’est avec ces derniers que je me suis le plus détendu ! 😀
Bah oui, ça rejoins le questionnement de Bruce et Présence en ce qui concerne leurs attentes de lecteurs. A-t-on besoin de choisir entre des trucs intello et des comics plus simples, sans message profond, mais divertissant ? Il y a un temps pour la réflexion et un temps pour la détente, l’amusement, etc.
Attention, évidemment il y a des trucs nuls dans les deux camps, donc forcément entre From Hell et les Thunderbolts de Way et Soule, eh bien même sans avoir lu les Thunderbolts, vu l’article pondu par Bruce, je recommanderais From Hell. Mais après je vais plus m’éclater à lire Spider-man de JMS que From Hell, que ce soit plus profond ou non.
Et puis je suis en effet capable d’aimer des trucs à la con si c’est marrant, bien dessiné, plaisant,etc.
Pareil : j’ai choisi de lire du superhéros (je ne suis toujours pas guéri), des trucs intellectuels, (mais pas trop), des trucs expérimentaux (tant pis si je ne comprends rien du moment que c’est joli ou que ça me fait réagir), des trucs dégueux (je ne suis toujours pas lassé de la série Crossed), des récits avec du bondage (vivement le tome 5 de Sunstone par Stjepan Sejic), des vieilleries (les magnifiques rééditions des EC Comics), etc.
La liste est infinie. Le choix n’a jamais été aussi pléthorique. Il y en a pour tous les goûts. Faisons-nous plaisir. Tant pis si mon avis (au travers d’un article) n’est pas assez érudit, ou trop froid, ou à côté de la plaque, car personne ne peut prétendre à une vision exhaustive de ce que les créateurs avaient à l’esprit quand ils ont réalisé leur œuvre et, en plus, pour un même ouvrage, il y a autant d’interprétations différentes que de lecteurs.
Il me semble que vous avez oublié un aspect de La Coiffe de Naissance qui est quand même essentiel : Moore ne l’a pas conçu comme une BD. Ce que nous lisons en BD, c’est l’interprétation graphique qu’a faite Campbell d’un texte conçu pour être émis et reçu sous forme de lecture, c’est-à-dire par l’oreille. Nous perdons la musique des mots, le son très particulier de la voix d’Alan Moore, le rythme de ces phrases anglaises, où prédominent les mots d’une ou deux syllabes. Lorsque j’ai traduit cette BD, j’ai essayé de faire en sorte de ne pas utiliser de mots compliqués et d’éviter tout ce qui, lorsque le texte est lu, pourrait créer une équivoque quant au sens. Les mots de Moore (et les ambiances sonores qu’il y associe) sont évidemment destinés à susciter dans l’esprit du spectateur des images. Dans la BD, on voit directement des images (avant même d’avoir lu les mots) qui deviennent les seules images possibles au lieu d’être de possibles images. Cela dit, Moore et Campbell n’ont que deux ans de différence, sont tous les deux mâles, blancs, originaires de la classe ouvrière passés par les grammar schools où ils ont vite compris que leur présence était un accident que le système scolaire s’est empressé de rectifier, bref ils ont beaucoup en commun et on peut penser que beaucoup d’images qui sont venues à Campbell en écoutant le texte de Moore sont peu ou prou les mêmes que Moore avait souhaité évoquer.
Il est ironique que beaucoup d’entre vous utilisent à propos de cette BD le qualificatif d' »intello ». Parce que justement, la poésie (et La Coiffe est d’abord un texte poétique en prose) est aux antipodes de l’intellectualisme. Vous avez eu du mal à comprendre ? C’est normal, il n’y a rien à comprendre. Ce que Moore essaie de nous transmettre, ce n’est pas un raisonnement argumenté, ce sont des images, des impressions, des associations d’idées, des émotions. Alors bien sûr, les mots de Moore ont un sens, mais ils ont aussi une musique et un rythme qui sont au moins aussi importants que le sens (c’est pour ça que la poésie est une horreur à traduire, parce que si on se contente de traduire le sens des mots, on n’a même pas fait la moitié du travail). Et ils gagnent à être lus et relus.
Merci beaucoup pour cet éclairage différent et supplémentaire. Il est vrai que j’ai lu cet ouvrage en anglais qui n’est pas ma langue maternelle et que je n’ai pas l’occasion de parler, ce qui fait que je ne dispose pas des outils pour apprécier le travail sur le vocabulaire et le rythme, sur a musique des phrases. Pour avoir écouté quelques interviews d’Alan Moore, il y a de fortes probabilités que je n’aurais pas compris grand chose si j’avais assisté à sa représentation.
Dans mon esprit, le mot intello n’a pas de connotation négative a priori. Je l’avais pris dans son acceptation qui traduit une démarche intellectualisée et conceptuelle, ce qui n’empêche pas un résultat émotionnel dans le cas de cet auteur. Il m’a semblé que son intervention suit un plan savamment construit, donnant une impression de papillonnage, mais reposant sur un fil conducteur très rigoureux.
Comme je le disais plus haut, je n’ai pas eu la curiosité de relire cet ouvrage en français.
Belle analyse Presence, pour ma part j’ai beaucoup aimé, et surtout je l’ai relu au travers de la traduction de J-P Jennequin après l’avoir fait en anglais ; et dans les deux cas ça reste quelque chose d’étonnant.
L’expérience à tenter est celle de lire « La Coiffe de naissance », et cela même s’il s’agit de la V.F, en écoutant le CD de la « performance » de Moore : dépaysement garanti. [-_ô]
Encore un superbe article très complet, Présence. Je n’avais jamais entendu parler de cette oeuvre, ni même de la tournée de Moore… As-tu écouté le CD ? Ou vu le spectacle ?
Merci à Jean-Paul Jennequin pour son commentaire qui éclaire encore différemment une oeuvre sans doute complexe à appréhender, car oui, souvent, la poésie me semble obscure et je retiens mieux les sonorités que le sens des poèmes.
Dans un autre genre totalement différent, je viens de relire le tome 1 de Suprême de Alan Moore. Et ce fut laborieux : le dessin est immonde à part l’épisode parodique (avec du papier toilette pour la capr de Suprême par exemple) et les têtes de chapitres de Alex Ross. Et sous couvert de faire un méta-commentaire sur le monde des comics de super-héros, on a droit à une vraie rétrospective de tous les genres de bds de super-héros des années 40 aux années 90. Il y a des moments très beaux, notamment lorsqu’ils traversent les symboles de la conscience et du subconscient, ce qui rapproche un peu de Promethea, mais à part ça, les histoires sont vraiment des histoires infantiles (coucou Tornado) de super-héros, avec tous les codes. Il y a la fin qui est un peu étonnante et est plus moderne, et tout est extrêmement bien pensé, mais c’est tout de même une oeuvre mineure de Moore. Et vraiment, le dessin, c’est assez insupportable pour moi.
Cela dit j’ai mieux compris une tonnes d’éléments, notamment les références directes à Neil Gaiman et aux auteurs de comics anglais en général : j’avais acheté ces bds à leur sortie, édités chez Delcourt, vers 2003, soit bien avant que je me remette à la bd (vers 2005). De plus, j’ai une meilleure connaissance du monde des comics grâce au blog.
Je n’ai pas écouté le CD, ni vu le spectacle, ce qui me prive de la dimension originelle de cette œuvre, comme le fait justement observer Jean-Paul Jennequin. La lecture m’en a été assez ardue, et je repousse de mois en mois la lecture de Snakes & Ladders, également disponible en français, également traduit par Jean-Paul Jennequin, également publié par les éditions çà et là.
Les 2 tomes de Supreme en VO m’attendent dans ma pile. Je les ai feuilletés à plusieurs reprises et je vois bien que certains dessins piquent les yeux, même si c’était une volonté d’Alan Moore de rester dans la charte graphique des mensuels consacrés aux superhéros de Rob Liefeld.
Je viens de commencer à relire le second tome, et j’en avais vraiment tout oublié ou presque. Et je me rends compte qu’il n’a été édité en VF qu’en 2009 ! Ayant entre temps découvert de nouveaux univers de bds, il ne m’a pas laissé un grand souvenir, mais je l’apprécie plus désormais, surtout que le dessin de Chris Spouse, même s’il n’est pas ma tasse de thé, est largement plus agréable. Ce second tome part sous de meilleurs auspices, avec des histoires un peu moins classiques de super-héros, et toujours avec une volonté de méta-commentaire. Le traducteur s’appelle Alex Nikolavitch…
J’ai un peu réfléchi à votre question épineuse de ce que j’aime lire en bd, et pourquoi. Et je ne trouve pas de réponse correcte pour le moment. C’est étrange, je me suis posé la même question avec le rock très récemment : pourquoi est-ce que j’aime toujours écouter cette musique qui ne se révolutionne pas beaucoup, et qu’est-ce que j’en attends ? Et de la même façon, je ne saisis pas, alors que j’écoute pas mal de choses qui me font dire que j’ai déjà entendu ça, que ce sont toujours les mêmes gimmicks, les mêmes instruments, les mêmes recettes. J’en ai toujours besoin, mais je suis moins indulgent, et cherche toujours le petit plus qui fera qu’un disque vaudra plus le coup qu’un énième avatar d’un album usé.
Comme Tornado, je préfère souvent lire des choses légères, et certaines bds (très peu) m’attendent depuis longtemps sur mes étagères (notamment le second Cerebus que j’ai pourtant bien entamé, et surtout deux Chris Ware). Depuis quelques temps, je ne supporte plus que les comics quasiment. J’ai un mal fou à lire du franco-belge ou du manga, à l’exception de Sunny et de L’encyclopédie des bébés de Goossens, en tout cas ces derniers mois. Bon, j’ai aussi lu un Guy Delisle, du Michel Rabagliati, du Riad Sattouf…
Le tesaer du soir :
« The Auteurs » 1/6
En 1995, Alan Moore réalise une performance unique, interprétant un texte titre La coiffe de naissance. 4 ans plus, Eddie Campbell transpose cette interprétation orale en BD. Cet ouvrage de poésie en prose a bénéficié d’une traduction de Jean-Paul Jennequin aux éditions ça et là.
@euh ? Pour remplir sur ce que Matt, Tornado et JP Jennequin, je dirai que l’objectif de ce blog ne consiste qu’en l’exploration de « Terres du milieu ». Celles de l’élite intellectuelle ne me sont pas accessibles et celles du divertissement décérébré insupportables. L’entre deux, c’est mieux. Le divertissement populaire par le haut, c’est magnifique : il est possible de comprendre la psychanalyse en regardant Hitchcock, apprendre sur le culte du perdant magnifique en regardant Rocky, réflechir sur l’état sauvage avec le premier Rambo, à l’intégration avec les Xmen de Claremont, philosopher avec Kubrick, trembler avec King etc. Je comprends l’agacement de Jennequin à propos du mot intello, qui, dans mon souvenir servait à définir tous ce que les autres ne voulaient pas être. Aujourd’hui ça va mieux…
Encore merci Présence pour permettre ces échanges passionnants.
Pour paraphraser le premier commentaire de Matt, merci Présence, pour nous faire découvrir tous ces OGNI (Objets Graphiques Non Identifiés)
Ceci dit, je pense que je ne tenterai pas cette lecture de sitôt…
Ce que je recherche dans mes lectures actuellement ? Je dois avouer un certain penchant pour la facilité et n’ambitionner que « d’apprendre en m’amusant » ou espérer être touché par des persos, à défaut d’être surpris par une intrigue…
Je cherche donc plutôt « seulement » du divertissement intelligent. Sorry.
Je découvre ta chronique et vos échanges avec intérêt. Et je me suis renseignê grâce à toi sur la coiffe céphalique, la mythologie qui l’etourait dès l’Antiquitê et sa rarification contemporaine suite à la rutpture artificielle de la poche des eaux pratiquée usuellement par les obstétriciens. J’imagine ce que la découverte d’un vestige organique maternel aurait pu déclencher comme catalyseur d’êmotions pour moi, et ça me donne le goût de voir ce que cela a pu inspirrer chez l’homme inspiré qu’est Alan Moore.
Comme à son habitude, Alan Moore a considéré la symbolique de la coiffe de naissance sous de nombreux angles : historique, spirituel, personnel, symbolique. Je n’avais jamais entendu parler de la coiffe céphalique précédemment et j’en ai découvert de nombreux aspects grâce à cet ouvrage.
Merci,je viens de le commander.
Je le lirai,comme quelqu’un la suggéré plus haut,en écoutant le texte original.
Je trouve l’ambiance sonore si captivante qu’il aurait été difficile de m’en priver…