Julius Corentin Acquefacques par Marc-Antoine Mathieu
Un article de CYRILLE M
VF : Delcourt
1ère publication le 25/06/14- MAJ le 27/03/21
J’ai eu beaucoup de chance : j’ai connu Marc-Antoine Mathieu dès son premier Julius Corentin Acquefacques. Le décalage est un inespéré sixième tome de cette série, vingt-trois ans après le début. Et ce avant même d’entendre parler de l’Oubapo* ou de l’Association, uniquement lié à mon amour de la bd et des jeux de rôles (était-ce dans Casus Belli ou Oxygen, magazine multi-culturel original mais qui n’a malheureusement pas duré très lontemps ?).
Comme beaucoup, je suis immédiatement tombé amoureux de ce noir et blanc expressionniste, de cet humour non-sensique, des jeux de mots plus ou moins subtils, des détournements des codes de la bd, comme pouvait le faire Edika. Coup de maître, personnalité directement reconnaissable, un nouvel auteur majeur était né.
Julius Corentin Acquefacques est un prisonnier des rêves comme le souligne le sous-titre de cette série. Dans ce sixième tome inespéré, il fonce dès la couverture vers une nouvelle aventure onirique, dans son lit volant. Chaque épisode est complètement indépendant et comme dans les rêves, il n’y a ni de vrai début ni de vraie fin.
Le premier, l’Origine, tordait la perception du quatrième mur. La Qu… ouvrait une nouvelle dimension inédite du monde de Julius. Le processus s’amusait avec le temps, Le début de la fin avec le palindrome, La 2,333ème dimension invitait des lunettes 3D dans le fil même de l’histoire. Ici, il est question de raconter une histoire et d’en déformer les codes. Le calage des lettres d’imprimerie y ont un rôle essentiel.
Tous les autres tomes de la série suivent avec plus ou moins de bonheur cette Origine, et même les travaux annexes de Marc-Antoine Mathieu partagent ce style d’univers onirique, mystérieux, poétique, si subtil et drôle. Et ce malgré l’absence quasi absolue de femme ; peut-être pour approcher Acquefacques au plus près de Kafka ?
Depuis son DIEU EN PERSONNE , Mathieu se fait de plus en plus philosophe, comme s’il voulait faire co-exister dans une même oeuvre les encyclopédistes et ses inspirateurs poétiques et artistiques : Fred, Moebius, McKay. Ajouté à sa fascination des mathématiques (présente depuis L’Origine), Julius se retrouve désormais hors de son histoire.
Poussant les idées conceptuelles, Le décalage est une histoire sans héros, puis une histoire de héros sans histoire. Celle-ci existe, mais ne nous sera pas contée : l’aventure, on en a déjà assez comme ça ailleurs.
Je devrai faire une analyse du rien qui se déplace, des cités enfouies qui racontent le verbe ancien (comme des arts rupestres sous le sable), des idées d’impression qui déchirent l’objet du livre lui-même. Mais je serai incapable d’aller au bout tellement les références me manquent. Sachez simplement qu’ici, on bouscule, on interroge, on étonne.
Pas étonnant que MAM soit une sorte de gourou suivi par une horde de fans prêts à acheter ses oeuvres les yeux fermés. C’est ce que je fais depuis plus de vingt ans en tout cas.
*L’OUvroir de BAnde dessinée POtentielle a été fondée en 1992 à travers la maison d’édition de l’Association.
Elle s’inspire de l’Oulipo, ouvroir de littérature potentielle, créée par Raymond Queneau, et essaie de faire évoluer le medium via l’écriture et le dessin d’une bande dessinée, le plus souvent par l’application de contraintes formelles. Par exemple, écrire une bande dessinée complète qui soit un palindrome, lisible depuis la fin.
6 ans et demi plus tard, j’ai tenu parole : j’ai lu un tome de la série.
Oui ! Je me disais ça en relisant l’article ce matin.