Ce n’est toi que j’attendais par Fabien Toulmé
Un article de BRUCE LIT
1ère publication le 29/03/16 – MAJ le 05/01/20
VF: Delcourt
Ce n’est toi que j’attendais est le premier roman graphique écrit et dessiné par Fabien Toulmé. Publiée chez Delcourt, cette histoire est autobiographique et raconte les deux premières années de l’auteur à la découverte de sa fille trisomique.
Non ! Ne partez pas ! N’oublions pas que de Matt Murdock à Scott Summers en passant par Photonik, Bruce Banner voire le Superior de Millar, le monde des Super Héros est rempli de personnages devant surmonter un handicap !
En quoi la trisomie serait elle différente ? Ah ? la réalité ? Rassurez vous ! Nous ne sommes ici ni sur TF1, ni au Téléthon, tous ces machins faussement compatissants et souvent voyeurs.
Nous ne sommes pas non plus chez Ken Loach pour le volet misérabiliste et culpabilisant.
Nous sommes chez Fabien Toulmé, un jeune auteur plein d’humour, d’une honnêteté désarmante et surtout plein d’amour pour sa fille Julia. Toi lecteur qui t’apprête à rentrer dans le monde de cette enfant, prépare-toi à un grand huit d’émotions pures.
Fabien est un jeune père ordinaire qui voit son monde basculer lorsqu’il découvre que sa deuxième enfant est trisomique. L’auteur va éprouver alors toute une gamme d’émotion intense: dépression, révolte, déni, et enfin, l’acceptation. Toulmé raconte l’apprentissage de cette acceptation, le deuil de l’insouciance et de la normalité. Être parent d’un enfant handicapé, c’est d’abord accepter la différence d’un enfant que l’on imaginait parfait pour embrayer sur une vie d’angoisses, de toubibs, d’examens médicaux. Puis d’être confronté au regard de l’autre, celui qui n’a pas fait ce travail d’introspection pour bannir de son vocabulaire les mots qui blessent : Mongolito, taré, retardé…. Ne pas hurler lorsque cet enfant chéri déclenche chez le chaland répulsion, surprise ou dégoût.
Un parcours initiatique que Toulmé raconte étape par étape avec, en premier lieu, son combat intérieur contre sa propre culpabilité d’avoir blâmer sa fille d’être née différente.
Pas une séquence, pas une ligne en trop. Tout cela est écrit avec une délicatesse infinie et surtout beaucoup d’autodérision. Toulmé s’imagine se transformer en Hulk pour broyer les médecins incompétents qui l’ont plongé dans sa misère. Les premiers pas de sa fille sont représentés sous forme de séquences de jeu vidéo où Julia passe de niveau pour en souligner les étapes successives vers une autonomie plus ardue que celle des autres enfants.
L’empathie pour ce jeune couple paumé dans ce maelstrom d’émotions contradictoires est immédiate. Toulmé a réussi à rendre son récit aussi poignant que divertissant et informatif. On y apprend que les enfants trisomiques sont les plus affectueux du monde, que leur handicap physique est compensé par une capacité hors du commun à se faire aimer, que sous conditions de certaines thérapies, ceux-ci peuvent vivre, travailler, aimer comme les autres.
Le récit ne romantise pas la trisomie comme Rain Man le fit pour l’autisme. Toulmé ne manque pas de décrire les contraintes médicales inhérentes à la maladie, pour ne pas transformer son histoire en une effusion de bons sentiments. Pour autant, l’équilibre entre comédie et drame intime est si bien dosé qu’il est impossible d’en isoler les composantes.
Certaines séquences touchent droit au coeur, notamment celles où Fabien doit désamorcer l’euphorie de son entourage à la naissance de son enfant pour leur dire la vérité, une vérité qu’il n’accepte pas et qu’il ne pense jamais pouvoir surmonter. Dire son chagrin sans faire pitié. Accepter la compassion des autres sans s’écrouler. Voir les enfants des autres sans les détester.
Dans ces moments, il convient de saluer ses talents de dessinateur. Inspiré par la ligne claire, on y reconnait parfois le style d’un Cabu mâtiné de Larcenet. Chaque chapitre a sa propre couleur comment autant d’étapes à la progression des émotions du narrateur. Toulmé n’est jamais avare de détails discrets permettant l’immersion dans le réel de cette famille ordinaire pas comme les autres: la décoration d’une salle de bain, d’une chambre d’hôpital, d’un parc de Noisy le Grand aux platanes d’Aix en Provence.
Mais la réussite de ce bouquin ne vient pas seulement d’un bel éloge de la différence, lu mille fois ailleurs. C’est aussi un récit qui rappelle que l’on ne naît pas parent, mais qu’on le devient; belle appropriation de la formule de Simone de Beauvoir par Elizabeth Badinter dans son Best Seller à scandale: L’amour en plus.
Il y était démontré que l’instinct maternel n’était pas automatique. Qu’il ne suffisait pas de naître femme pour être une bonne mère. Qu’élever son enfant en veillant à ce qu’il ait de quoi manger, s’habiller ou jouer ne suffisait pas. Qu’à ce volet mécanique, devait se superposer l’amour en plus pour aider chaque petit d’homme à se construire en tant qu’être humain épanoui.
C’est exactement ce que va traverser Fabien Toulmé. Voici un homme qui écrit courageusement n’avoir pas pu aimer son enfant dans les 8 premiers mois de sa vie. Qui s’est occupé machinalement de sa gamine sans ressentir aucune affection jusqu’au moment, où la vie de Julia menacée, il réalisera à quel point il l’aime. A quel point la lutte de cet enfant pour le conquérir est bouleversante. A quel point il est fier d’elle. A quel point, il ne voudrait pas en changer pour tout l’or du monde. Pour en arriver à cette magnifique conclusion déjà énoncée par Dolto, à savoir que ce sont les enfants qui choisissent leurs parents.
Ce chemin initiatique de la mort de l’égoïsme d’antan vers un héroïsme désintéressé est celui que nous devons tous accomplir en tant qu’humains, en tant qu’hommes, si ignares face à la vie.
Toulmé en racontant sa leçon de choses personnelle réussit le tour de force à la rendre universelle. Certes, ce récit bouleversera à jamais le regard de son lecteur sur la maladie. Il soulève les herses de la peur et de l’incompréhension pour faire pénétrer son lecteur dans une forteresse touchante d’humanité et d’humilité. Mais, aimer son enfant jusqu’à ressentir ses battements de coeur à l’intérieur de soi, s’interroger sur son devenir avec, puis sans nous, penser son éducation, n’est ce pas notre destin de parent ? D’enfants trisomiques ou non ?
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La BO du jour : l’empereur des Bobos sait trousser des chansons magnifiques dont celle-ci, sa plus belle, sur l’héritage, le patrimoine héréditaire, la vie et rien
d’autre….
J’avais entendu parler de cette BD pour la première fois au JT de France 2 (la journaliste avait du citer le nom du bouquin une fois max dans tout le reportage, pas évident de s’en rappeler, j’ai du faire des recherches sur le net après).
Il y a un an de ça, je l’ai empruntée à la médiathèque et lue pendant la fin de la troisième grossesse de ma femme. C’est un beau livre, plein d’humanité, qui ne sombre jamais dans le sentimentalisme larmoyant. Il ne juge pas ceux qui feraient d’autres choix mais aide à regarder la vie autrement, à regarder les trisomiques comme des personnes ayant eux aussi une vie à vivre. Une vie plus difficile mais qui en vaut la peine.
« Everyday People » 1/4
Bien moins dangereuse que le fils de Batman, la fille de Fabien Toulmé lui donne quand même quelques soucis : alors que tout semblait bien se passer, il apprend à sa naissance qu’elle est trisomique. Toulmé raconte dans « Ce n’est pas toi que j’attendais » son parcours initiatique pour accepter inacceptable : avoir une enfant « anormale ». Un récit plein d’humour et d’humanité à la une de Bruce Lit !
La BO du jour : l’empereur des Bobos sait trousser des chansons magnifiques dont celle-ci, sa plus belle, sur l’héritage, le patrimoine héréditaire, la vie et rien d’autre….https://www.youtube.com/watch?v=dJJly13Esng
J’y suis allée avec appréhension dans cet album, craignant le mélodrame, l’afflux de propos convenus, le sujet simplifié à l’extrême. Mais rien de tout ça. On est frappé par la sincérité et la spontanéité avec lesquelles Toulmé témoigne. On retrouve beaucoup de points qui caractérisent les parents d’enfants handicapés comme un sentiment de honte et de culpabilité à l’égard des autres, l’incompréhension et cette impression d’incapacité à faire face à la situation. J’en passe. Puis cette rencontre entre un père et une fille, le déclic, l’écoute. Impressionnant cet album
Très bel article. Je ne connais pas cette bd cet auteur mais j’y penserai si je la vois… Une bd à offrir ?
Moi, j’ai beaucoup aimé.
C’est une bd chargée d’amour, sans mélodrame, pareil que Mo c’est un témoignage sincère.
A lire sans attendre.
@JP: Gasp ! Tu m’as précédé sur ce coup là. Bon l’article est prêt depuis décembre 2015, mais je n’avais pas encore trouvé de créneau pour le publier. Avec Mme enceinte, je dois dire que ce livre m’a aidé à surmonter certaine angoisses liées à la trisomie et totalement changer mon regard. Car ce dont parle ce bouquin ce de vie, d’amour et….d’espoir.
@Jyrille à offrir ou (c’est mon cas), se faire offrir ! Je ne doute pas que tu puisses trouver ça en médiathèque
@Mo : Le titre initial de cet article était « Ma fille, ma bataille » mais je craignais que cela dramatise trop le propos. Car vraiment, à aucun moment la lecture a été pesante, bien au contraire, j’en suis sorti ragaillardi, bien plus qu’à la lecture de certains Comics qui me plombent en ce moment. Comme tu le mentionnes, c’est une formidable rencontre entre un père et son enfant. Qui d’ailleurs n’est pas forcément évidente, même sans handicap.
En tout cas, je pense souvent à la famille Toulmé pour avoir partagé son intimité. On a envie de prendre des nouvelles de Julia et ses parents !
@Mlle Prudence : je crois comprendre que les Comics ne sont pas ta tasse de thé et qu’il faut au moins de la BD plus « indépendante » pour te décider à revenir sur le blog ;). Dont acte ! La semaine qui arrive et sûrement la semaine suivante y sera consacrée.
En tout cas merci à tous de m’avoir lu, car voici un article qui me tenait à coeur et dont je sais qu’il ne fera pas la même audience que le mainstream super héroïque…
Toulmé raconte l’apprentissage de cette acceptation, le deuil de l’insouciance et de la normalité. – Une belle formulation qui me rappelle ma propre lâcheté en attendant les résultats des tests réalisés de manière habituelle pendant la grossesse et capable de détecter les marqueurs de la trisomie 21. Je me souviens qu’en allant chercher les résultats, en me posant la question « Et si ? », j’étais effectivement incapable d’envisager un enfant autre que « normal ».
Ton article m’a convaincu de l’ajouter à ma liste de lecture.
Pareil que pour l’article de Mo’. Je passe probablement à côté de quelque chose. Mais ce n’est pas dans mes cordes. Au cinéma, peut-être, et encore ça dépend du traitement (il ne faudrait pas que ce soit à la manière de « La Vie d’Adèle » !).
J’ai des frissons à chaque fois que je repense à cette BD et à la sincérité de Fabien Toulmé. Bel article, c’est vrai qu’au.delà de la trisomie ce long parcours d’attachement d’un père pour son enfant est magnifique.
Une belle invitation à entrer dans l’intimité d’une famille qui s’agrandit. A te lire, le handicap y est traité avec finesse (le scan sur la fête foraine est surprenant) et les montagnes russes sur lesquelles avance le personnage et Fabien Toulmé sont tout à fait les endroits que je me sens prêt à visiter, maintenant que ma paternité est le théâtre d’autres surprises.
Je suis allé faire un tour sur son blog et il a un autre projet en cours de réalisation.
C’est bien, tous ces gens créatifs et enthousiastes.
Merci le Bruce
Je ne connais personne atteint de trisomie 21.
Comme certainement la plupart d’entre nous,j’ai appris à connaître ce handicap à travers des films comme LE HUITIÈME JOUR où encore la série CORKY Ce n’est donc à première vue pas un sujet qui devrait m’attirer.
Pourtant, à la lecture de l’article, il y a tellement de choses qui font écho à des parcours de personnes très proches, d’autres à mon propre parcours de mère (je fais partie de celles qui n’aiment pas leurs enfants dès qu’ils sortent de leur ventre) que je n’ai qu’une envie : lire cette BD !
Quelle révélation !
J’espère pour lui que tu l’aimes maintenant^^
Je connais une dame, une amie de ma mère dont la fille était trisomique. C’était pas un cas très avancé je pense, elle pouvait rester vivre chez sa mère, et elle a vécu jusqu’à 60 ans (avec un age mental d’un enfant) Cette dame a perdu son mari et sa fille maintenant, et elle a plus de 90 ans…pas joyeux.
Bref la trisomique en question ici pouvait se débrouiller un minimum et comprenait des choses, mais c’était un enfant quoi.
LOL.
Ben mon fils, comme dans l’article l’aborde, j’ai vraiment ressenti cet amour maternel quand il a fallu le mettre en couveuse pour cause de jaunisse et qu’il ne prenait pas de poids. Donc un peu comme dans la BD, quand sa vie a été menacée. Avant ça, je me demandais qui j’étais pour lui imposer un amour, des bisous, alors qu’il ne me connaissait pas… On était juste des étrangers l’un pour l’autre (j’ai eu une grossesse un peu compliquée, il faut dire, et psychologiquement de 6 mois au lieu de 9).
Pour ma fille, ça a été très différent, dans le sens où sa naissance m’a fait oublier celle de son frère (qui avait été un cauchemar bourré de culpabilité puisque né à la limite de la prématurité), mais ça n’a pas été tout rose non plus puisque j’étais à la limite de la dépression post-partum où je voulais l’abandonner… Bref, la parentalité, ça ne coule pas de source, non…
Concernant le handicap, j’ai une amie dont la fille aînée est très lourdement handicapée : moteur et physique. Elle la veille toutes les nuits, refuse de la mettre dans un institut. Et a eu deux autres enfants après. Et aide constamment tout le monde. Elle force l’admiration.
Dans un cadre plus privé, je connais un papa qui a refusé de tenir son bébé parce que né avec une malformation au visage… Sauf que dans ce cas, la relation père-fils (c’était il y a 35 ans) n’est pas très… facile. Le lien ne s’est jamais vraiment créé, pas comme il devrait se faire entre un père et son fils, en tout cas. Et au contraire, cela a créé un lien fusionnel entre la mère et l’enfant…
Bref, c’est un sujet qui me parle….
Bonjour, je suis tombée sur votre post grâce à un retweet du site Trisomie 21. Vous avez fait un beau travail de synthèse et je tenais à vous en féliciter.
Cdt.
Bonsoir T21
Que ma modeste contribution puisse être reconnue par des professionnels de la trisomie me rend très fier.
Ca me renvoie à la période de réflexion avant la naissance de mon premier enfant : l’amniocentèse pour détecter la trisomie 21, comportant des risques et des faux positifs comme négatifs, comme tous les tests. Du coup, faut-il risquer le test? Et si le foetus s’avérait probablement trisomique, alors quoi? S’il s’agit juste de se préparer à l’idée, pourquoi rajouter du risque?
Bref, un album de plus dans la PAL, mais que j’approcherai avec une certaine appréhension parce qu’il semble bien qu’il sera bouleversant.
@Chip : je me rappelle parfaitement de ces moments suspendus aux lèvres du radiologue pendant les échographies de mes enfants : ce moment de 1er contact avec lui et celui où le désir de normalité est le plus intense de ton existence. Une normalité que l’on aura de cesse de fuir tout au long de son existence adolescente par la suite…
Merci pour ta confiance : l’album te permet de dédramatiser le rapport à la Trisomie et reste un message de vie et d’amour par dessus tout. Tu n’en ressors pas abattu.